samedi 31 mars 2012

Urbaine 26 - 03 (cours 6)

Précédemment : Urbaine 12 - 03





Partie 2 : Les inégalités sociales devant la réussite scolaire


On sait depuis longtemps que les élèves issus de milieux défavorisés ont plus de chances de connaître une situation d’échec dans leur parcours scolaires que les enfants d’autres milieux. En revanche, on sait aussi que les facteurs à la marge jouent un rôle dans la réussite scolaire. Or la ségrégation à l’école conduit à la fabrication d’établissements scolaires défavorisés dans les quartiers pauvres, ce sont alors des environnements favorables à l’échec scolaire. Ainsi sur deux élèves de classes identiques, celui qui sera en situation scolaire dans un établissement défavorisé aura moins de chances de réussite.



 Un collège de Montreuil menacé de ghettoïsation selon l'Express


La ségrégation à  l’école


I.                   Ségrégation scolaire : définition et illustrations

Comme toute ségrégation, celle qui est scolaire consiste en une mise à l’écart des élèves de milieux défavorisés, par rapport aux élèves de milieux plus favorisés. C’est donc une séparation des CSP parentales. Ce processus contribue à concentrer les élèves des milieux défavorisés dans les mêmes établissements scolaires.
Lorsqu‘on étudie la composition sociale des élèves de 6° dans les collèges publics, on a des statistiques du MEN différenciant les élèves d’origine sociale très favorisée et ceux d’origine sociale défavorisée. Pour les premiers, 16% des élèves du public sont dans cette catégorie. Si on regarde les  10 % des écoles les plus prestigieuses, il y a dorénavant 32,5 % d’élèves de cette classe. Dans les meilleurs collèges, on peut monter à 81 % d’élèves de classes très favorisées. Dans le cas contraire, dans les 10 % des moins bonnes écoles, on trouve en moyenne 3,5 % d’élèves très favorisés avec des perfects à 0 %.
Ainsi dans 10 % des établissements de France les moins prestigieux, plus de 70% des élèves accueillis sont issus de milieux défavorisés. Il y a aussi des cas extrêmes avec 100 % d’élèves défavorisés. On a alors le cas contraire puisque le premier décile ne comprend que 21,3 % d’enfants de classes défavorisées avec un minimum de collèges avec 0 % de ces élèves. A Aubervilliers qui reçoit 800 élèves, 73 % viennent de milieux défavorisés et 6 % de milieux très favorisés. En revanche à Saint Mandé dans un collège public de 134 élèves on a 7 % de milieux défavorisés et 84 % venus de famille très favorisées.

De manière générale, on considère que ce phénomène constitue un problème et un défi pour les pouvoirs politiques. D’abord le programme est en décalage avec les idéaux républicains et cela génère des écoles à plusieurs vitesses. La seconde raison, c’est que les élèves des établissements scolaires défavorisés ont plus de risques d’échec pour chaque enfant de ce milieu. Cela accroit donc les inégalités sociales.


II.                Mécanismes de la ségrégation scolaire

1.      Ségrégation scolaire : conséquence de la ségrégation résidentielle

La ségrégation est aussi une mise à l’écart des classes populaires mais par les catégories sociales les plus aisées dans les quartiers de résidence. On a en réponse, une concentration des classes dominées dans les quartiers les plus favorisés. C’est donc un processus qui fabrique des quartiers homogènes socialement.

La ségrégation scolaire était la conjonction de deux phénomènes : la ségrégation résidentielle et la carte scolaire. Cette dernière au départ outil de gestion des flux scolaires, son but est d’affecter chaque élève à un établissement scolaire précis. Autrefois à chaque carte scolaire on attribuait un périmètre de recrutement et tous les élèves qui habitaient dans ce périmètre étaient scolarisés dans le même établissement. Cela devait être obligatoire. Chaque établissement scolaire devait recruter les élèves domiciliés dans le quartier d’implantation. En conséquence, les établissements scolaires des quartiers pauvres recrutaient des élèves majoritairement issus de milieux défavorisés, et les établissements scolaires de quartiers riches accueillaient massivement des élèves issus de familles aisées.

A cela, il faut rajouter les pratiques d’évitement scolaires qui aggravent encore la ségrégation scolaire. Plusieurs aspects existent au constat de cette pratique. Ainsi dans les établissements scolaires de quartiers pauvres, on a un nombre d’élèves réellement accueillis qui est plus faible que le nombre d’élèves attendus. Autre aspect, on constate que le pourcentage des élèves de milieux défavorisés est alors supérieur à ce qui est attendu dans ces quartiers défavorisés. Par évitement scolaire, on sous-entend que les familles appartenant aux classes moyennes et supérieures qui résident dans des quartiers populaires trouvent une stratégie pour que leurs enfants n’aillent pas dans l’établissement scolaire de quartier, en inscrivant leurs enfants ailleurs.
Lorsqu’on interroge les parents sur ces choix scolaires, ceux qui répondent parlent souvent de leurs craintes vis-à-vis de certains problèmes (réels ou fantasmés) qu’ils associent aux établissements scolaires défavorisés. La première crainte est celle des résultats scolaires qui seraient moins bons pour leurs enfants, puisque les élèves de ces établissements étant faibles, ils supposent un effet de nivellement par le bas des performances. Une seconde crainte tient aux élèves à problèmes qui sont supposés plus nombreux dans ces établissements et qui sont des risques en termes de socialisation.

Quelles sont alors les techniques employées ? Trois moyens semblent exister. D’une part les demandes de dérogations qui permettent d’échapper à la carte scolaire. Les raisons prétendues sont la pratique de langues vivantes particulières et non disponibles partout, la proximité du domicile ou encore la proximité avec un frère ou une sœur scolarisé ailleurs. D’autre part, on trouve le recours à l’école privée qui est aussi un classique. Enfin, on trouve aussi la pratique des fausses domiciliations des enfants, où l’on donne un lieu de vie plus ou moins fictif pour être scolarisé dans un autre secteur. Les cas d’évitement sont donc nombreux et accentuent la ségrégation scolaire.

Ainsi dans le pourcentage des élèves qui demandent une dérogation à l’entrée en 6°, 15 % sont de Paris, 5 % en Seine Saint Denis avec 75 % pour un collège défavorisé de Bagnolet. Pour le pourcentage des dérogations suspectes qui semblent mettre en évidence une pratique d’évitement scolaire, on a 7 % à 8 % de ces demandes sur Paris.
Sur toute la France, on a un total de 21 % d’élèves en France métropolitaine qui sont dans un établissement privé, 35% à Paris, 12,5 % en Seine-Saint-Denis, 15 % dans le Val-de-Marne, 23 % dans les Hauts-de-Seine et 17 % dans les Yvelines.
On a donc une accentuation des stratégies de mises à l’écart des élèves en fonction de leurs milieux familiaux. En toute logique on trouve des concentrations d’élèves de même milieux familiaux.

2.      Le cercle vicieux des deux ségrégations

La ségrégation résidentielle est la cause de la ségrégation scolaire. Mais certains spécialistes soulignent que les rôles s’inversent avec des ségrégations scolaires qui produiraient des ségrégations résidentielles. Aujourd’hui, on sait que les parents sont de plus en plus soucieux vis-à-vis de la scolarité de leurs enfants. La réussite et l’échec scolaire déterminant de plus en plus le champ des possibles dans le futur et ce, passant par l’acquisition de diplômes, on a des stratégies parentales de minimisation des risques d’échec scolaire. Pour cela, on commence par bien choisir l’établissement scolaire avec au mieux des établissements prestigieux, au pire des établissements scolaires qui ne sont pas jugés défavorisés. Le meilleur moyen d’éviter un collège public défavorisé sera d’aller habiter dans le quartier d’un établissement scolaire meilleur. On se renseigne donc lors des déménagements des familles sur l’éventualité d’une recherche d’informations sur les établissements scolaires des quartiers. Cela nous donne un second indicateur avec le fait que les agences immobilières mettent en valeur cette information, ils vont même plus loin en en faisant un argument de vente. Tout cela finit par pénaliser les quartiers populaires et leurs établissements scolaires auprès des parents. On a donc une influence de la ségrégation scolaire sur la ségrégation résidentielle.

Maintenant est-ce réellement la pratique ? Avec une approche par la méthode des prix hédoniques. Si on juge vrai que les familles veulent se loger dans les quartiers avec de bons établissements scolaires, alors cela doit se voir dans le prix des logements. Avec l’établissement de statistiques, les chercheurs mesure donc l’impact de ce phénomène. Si c’est vérifié, plus un logement est plus proche d’un établissement scolaire de qualité, plus le prix du logement sera élevé. En revanche, dans le cas contraire, si le prix est indépendant de la proximité à l’établissement scolaire, alors cela s’avère faux.
Les résultats satistiques sont convergents, il semble que la qualité des établissements scolaires soit dans la logique de sélection d’un logement par le ménage. Inversement, cela montre une certaine répulsion des établissements scolaires médiocres. Ainsi plus les établissements scolaires d’un quartier sont jugés bons, plus le logement à proximité aura un prix élevé. Cela traduit une préférence, les gens débourseront plus pour vivre dans un quartier avec un bon niveau scolaire.

Ainsi dans le Val d’Oise, les chercheurs ont pris un échantillon d’offres de logements à vendre tout en mesurant la qualité des collèges publics des communes des logements avec le taux de redoublement des élèves en 5°. Les résultats montrent que la qualité des collèges publics influence les prix des logements.

La ségrégation scolaire fabrique donc aussi de la ségrégation résidentielle. Les établissements scolaires des quartiers pauvres réduisent l’attractivité de ces quartiers auprès des milieux familiaux et donc entrainent des pratiques de mobilités ségrégatives.


Parmi les politiques déségrégatives on en a eut plusieurs depuis les années 2000. En premier lieu, on a souhaité réformer la carte scolaire pour rendre les recrutements des établissements scolaires plus mixtes socialement. A cela, on ajoute davantage de contraintes aux contournements de la carte scolaire (chasse aux dérogations abusives, mieux répartir les options pédagogiques entre établissements scolaires, …). Mais une difficulté majeure fut rencontrée puisque les familles ont le choix de leur quartier de résidence et donc risquait de former une ségrégation résidentielle encore plus flagrante.
Cette option fut alors abandonnée puisque dans une optique de gauche, la droite arrivant au pouvoir, on a préféré abandonner la carte scolaire. Les plus optimistes y voient un effet déségrégatif et chacun pourra choisir son établissement scolaire librement. Les plus sceptiques soulignent que cela va aboutir à une sélection des élèves par les bons établissements scolaires et ceux qui seront maintenus à la porte à la porte seront les élèves venus de milieux défavorisés. De plus, les parents ne sont pas tous au courant des bons établissements scolaires et des stratégies possibles. Du coup, seules les familles favorisées devraient pouvoir suffisamment se renseigner et s’organiser. Enfin on se demande quels seront les effets sur la ségrégation résidentielle. De ce point de vue, les quartiers pauvres peuvent en bénéficier. En effet, cela rendrait les quartiers pauvres plus attractifs puisqu’on peut habiter des quartiers populaires sans pour autant qu’on scolarise les enfants dans ces secteurs.

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