Partie 2 : Les inégalités
sociales devant la réussite scolaire
On
sait depuis longtemps que les élèves issus de milieux défavorisés ont plus de
chances de connaître une situation d’échec dans leur parcours scolaires que les
enfants d’autres milieux. En revanche, on sait aussi que les facteurs à la
marge jouent un rôle dans la réussite scolaire. Or la ségrégation à l’école conduit à la fabrication d’établissements
scolaires défavorisés dans les quartiers pauvres, ce sont alors des
environnements favorables à l’échec scolaire. Ainsi sur deux élèves de
classes identiques, celui qui sera en situation scolaire dans un établissement
défavorisé aura moins de chances de réussite.
Un collège de Montreuil menacé de ghettoïsation selon l'Express
La ségrégation à l’école
I.
Ségrégation
scolaire : définition et illustrations
Comme toute
ségrégation, celle qui est scolaire consiste en une mise à l’écart des élèves
de milieux défavorisés, par rapport aux élèves de milieux plus favorisés. C’est donc une séparation des CSP parentales. Ce processus contribue à
concentrer les élèves des milieux défavorisés dans les mêmes établissements
scolaires.
Lorsqu‘on
étudie la composition sociale des élèves de 6° dans les collèges publics, on a
des statistiques du MEN différenciant les élèves d’origine sociale très favorisée
et ceux d’origine sociale défavorisée. Pour les premiers, 16% des élèves du
public sont dans cette catégorie. Si on regarde les 10 % des écoles les plus prestigieuses, il y
a dorénavant 32,5 % d’élèves de cette classe. Dans les meilleurs collèges, on
peut monter à 81 % d’élèves de classes très
favorisées. Dans le cas contraire, dans les 10 % des moins bonnes écoles, on
trouve en moyenne 3,5 % d’élèves très
favorisés avec des perfects à 0 %.
Ainsi
dans 10 % des établissements de France les moins prestigieux, plus de 70% des élèves accueillis sont issus de milieux
défavorisés. Il y a aussi des cas extrêmes avec 100
% d’élèves défavorisés. On a alors le cas contraire puisque le premier
décile ne comprend que 21,3 % d’enfants de classes défavorisées avec un minimum
de collèges avec 0 % de ces élèves. A Aubervilliers
qui reçoit 800 élèves, 73 % viennent de milieux défavorisés et 6 % de milieux
très favorisés. En revanche à Saint
Mandé dans un collège public de 134 élèves on a 7 % de milieux défavorisés
et 84 % venus de famille très favorisées.
De manière
générale, on considère que ce phénomène constitue un problème et un défi pour
les pouvoirs politiques. D’abord le programme est en décalage avec les idéaux
républicains et cela génère des écoles à plusieurs vitesses. La seconde raison,
c’est que les élèves des établissements scolaires défavorisés ont plus de
risques d’échec pour chaque enfant de ce milieu. Cela accroit donc les
inégalités sociales.
II.
Mécanismes de la
ségrégation scolaire
1.
Ségrégation scolaire : conséquence de la ségrégation
résidentielle
La
ségrégation est aussi une mise à l’écart des classes populaires mais par les
catégories sociales les plus aisées dans les quartiers de résidence. On a en
réponse, une concentration des classes dominées dans les quartiers les plus
favorisés. C’est donc un processus qui
fabrique des quartiers homogènes socialement.
La ségrégation
scolaire était la conjonction de deux phénomènes : la ségrégation
résidentielle et la carte scolaire.
Cette dernière au départ outil de gestion des flux scolaires, son but est
d’affecter chaque élève à un établissement scolaire précis. Autrefois à chaque
carte scolaire on attribuait un périmètre de recrutement et tous les élèves qui
habitaient dans ce périmètre étaient scolarisés dans le même établissement.
Cela devait être obligatoire. Chaque
établissement scolaire devait recruter les élèves domiciliés dans le quartier
d’implantation. En conséquence, les établissements scolaires des quartiers
pauvres recrutaient des élèves majoritairement issus de milieux défavorisés, et
les établissements scolaires de quartiers riches accueillaient massivement des
élèves issus de familles aisées.
A cela, il faut
rajouter les pratiques d’évitement scolaires qui aggravent encore la
ségrégation scolaire. Plusieurs aspects existent au constat de cette pratique. Ainsi dans les établissements
scolaires de quartiers pauvres, on a un nombre d’élèves réellement accueillis
qui est plus faible que le nombre d’élèves attendus. Autre aspect, on constate
que le pourcentage des élèves de milieux défavorisés est alors supérieur à ce
qui est attendu dans ces quartiers défavorisés. Par évitement scolaire, on sous-entend que les familles appartenant aux
classes moyennes et supérieures qui résident dans des quartiers populaires
trouvent une stratégie pour que leurs enfants n’aillent pas dans
l’établissement scolaire de quartier, en inscrivant leurs enfants ailleurs.
Lorsqu’on interroge
les parents sur ces choix scolaires, ceux qui répondent parlent souvent de
leurs craintes
vis-à-vis de certains problèmes (réels ou fantasmés) qu’ils associent aux
établissements scolaires défavorisés. La
première crainte est celle des résultats scolaires qui seraient moins bons pour
leurs enfants, puisque les élèves de ces établissements étant faibles, ils
supposent un effet de nivellement
par le bas des performances. Une seconde crainte tient aux élèves à problèmes
qui sont supposés plus nombreux dans ces établissements et qui sont des risques
en termes de socialisation.
Quelles sont alors
les techniques employées ? Trois moyens semblent exister. D’une part les
demandes de dérogations
qui permettent d’échapper à la carte scolaire. Les raisons prétendues sont la
pratique de langues vivantes particulières et non disponibles partout, la
proximité du domicile ou encore la proximité avec un frère ou une sœur
scolarisé ailleurs. D’autre part, on
trouve le recours à l’école privée qui est aussi un classique. Enfin, on trouve aussi la pratique des
fausses domiciliations des enfants, où l’on donne un lieu de vie plus ou
moins fictif pour être scolarisé dans un autre secteur. Les cas d’évitement
sont donc nombreux et accentuent la ségrégation scolaire.
Ainsi
dans le pourcentage des élèves qui demandent une dérogation à l’entrée en 6°,
15 % sont de Paris, 5 % en Seine Saint Denis avec 75 % pour un collège
défavorisé de Bagnolet. Pour le pourcentage des dérogations suspectes qui
semblent mettre en évidence une pratique d’évitement scolaire, on a 7 % à 8 %
de ces demandes sur Paris.
Sur
toute la France, on a un total de 21 % d’élèves en France métropolitaine qui
sont dans un établissement privé, 35% à Paris, 12,5 % en Seine-Saint-Denis, 15
% dans le Val-de-Marne, 23 % dans les Hauts-de-Seine et 17 % dans les Yvelines.
On a donc une
accentuation des stratégies de mises à l’écart des élèves en fonction de leurs
milieux familiaux.
En toute logique on trouve des concentrations d’élèves de même milieux
familiaux.
2.
Le cercle vicieux des deux ségrégations
La ségrégation
résidentielle est la cause de la ségrégation scolaire. Mais certains
spécialistes soulignent que les rôles s’inversent avec des ségrégations
scolaires qui produiraient des ségrégations résidentielles. Aujourd’hui, on
sait que les parents sont de plus en plus soucieux vis-à-vis de la scolarité de
leurs enfants. La
réussite et l’échec scolaire déterminant de plus en plus le champ des possibles
dans le futur et ce, passant par l’acquisition de diplômes, on a des stratégies
parentales de minimisation des risques d’échec scolaire. Pour cela, on commence
par bien choisir l’établissement scolaire avec au mieux des établissements
prestigieux, au pire des établissements scolaires qui ne sont pas jugés
défavorisés. Le meilleur moyen d’éviter
un collège public défavorisé sera d’aller habiter dans le quartier d’un
établissement scolaire meilleur. On se renseigne donc lors des
déménagements des familles sur l’éventualité d’une recherche d’informations sur
les établissements scolaires des quartiers. Cela nous donne un second
indicateur avec le fait que les agences
immobilières mettent en valeur cette information, ils vont même plus loin en en
faisant un argument de vente. Tout cela finit par pénaliser les quartiers
populaires et leurs établissements scolaires auprès des parents. On a donc
une influence de la ségrégation scolaire sur la ségrégation résidentielle.
Maintenant
est-ce réellement la pratique ? Avec une approche par la méthode des prix
hédoniques. Si on juge vrai que les familles veulent se loger dans les
quartiers avec de bons établissements scolaires, alors cela doit se voir dans
le prix des logements. Avec l’établissement de statistiques, les chercheurs
mesure donc l’impact de ce phénomène. Si c’est vérifié, plus un logement est
plus proche d’un établissement scolaire de qualité, plus le prix du logement
sera élevé. En revanche, dans le cas contraire, si le prix est indépendant de
la proximité à l’établissement scolaire, alors cela s’avère faux.
Les résultats
satistiques sont convergents, il semble que la qualité des établissements
scolaires soit dans la logique de sélection d’un logement par le ménage. Inversement, cela montre une
certaine répulsion des établissements scolaires médiocres. Ainsi plus les établissements scolaires d’un quartier sont jugés bons,
plus le logement à proximité aura un prix élevé. Cela traduit une préférence,
les gens débourseront plus pour vivre dans un quartier avec un bon niveau
scolaire.
Ainsi
dans le Val d’Oise, les chercheurs ont pris un échantillon d’offres de
logements à vendre tout en mesurant la qualité des collèges publics des
communes des logements avec le taux de redoublement des élèves en 5°. Les
résultats montrent que la qualité des collèges publics influence les prix des
logements.
La ségrégation
scolaire fabrique donc aussi de la ségrégation résidentielle. Les
établissements scolaires des quartiers pauvres réduisent l’attractivité de ces
quartiers auprès des milieux familiaux et donc entrainent des pratiques de
mobilités ségrégatives.
Parmi les
politiques déségrégatives on en a eut plusieurs depuis les années 2000. En
premier lieu, on a souhaité réformer la carte scolaire pour rendre les
recrutements des établissements scolaires plus mixtes socialement. A cela, on
ajoute davantage de contraintes aux contournements de la carte scolaire (chasse aux dérogations
abusives, mieux répartir les options pédagogiques entre établissements
scolaires, …). Mais une difficulté
majeure fut rencontrée puisque les familles ont le choix de leur quartier de
résidence et donc risquait de former une ségrégation résidentielle encore
plus flagrante.
Cette
option fut alors abandonnée puisque dans une optique de gauche, la droite
arrivant au pouvoir, on a préféré
abandonner la carte scolaire. Les plus optimistes y voient un effet
déségrégatif et chacun pourra choisir son établissement scolaire librement.
Les plus sceptiques soulignent que cela
va aboutir à une sélection des élèves par les bons établissements scolaires
et ceux qui seront maintenus à la porte à la porte seront les élèves venus de
milieux défavorisés. De plus, les parents ne sont pas tous au courant des bons
établissements scolaires et des stratégies possibles. Du coup, seules les
familles favorisées devraient pouvoir suffisamment se renseigner et
s’organiser. Enfin on se demande quels
seront les effets sur la ségrégation résidentielle. De ce point de vue, les
quartiers pauvres peuvent en bénéficier. En effet, cela rendrait les quartiers
pauvres plus attractifs puisqu’on peut habiter des quartiers populaires sans
pour autant qu’on scolarise les enfants dans ces secteurs.
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