Reconstitution du palais d'Aix la Chapelle
2.
L’aristocratie
Principale actrice
de la politique carolingienne, les médiévistes la jugent comme une catégorie
qui tire sa puissance du service de l’Etat ou du roi et de la qualité de ses
ancêtres. Dans l’époque qui nous intéresse, l’aristocratie est alors l’ensemble
des grandes familles qui participent au gouvernement du royaume. La prise de
pouvoir des Pippmides vient d’ailleurs du réseau social de cette famille. Quand la conquête carolingienne progresse,
les grandes familles carolingiennes étendent ce réseau avec l’octroi de charges
publiques. On a donc dans le réseau des membres de la famille des
Carolingiens et d’autres qui s’estiment autochtones.
L’ensemble
des familles des aristocrates au départ concentrées entre la Seine et le Rhin
s’est étendu à une quarantaine de familles proches du pouvoir du roi. On parle
alors d’aristocratie impériale. Pour
l’aristocratie, servir le roi est un élément indispensable pour se définir aristocrate.
Plus en encore cela est constitutif de leur identité. Contrairement à ce qu’on lit dans beaucoup d’ouvrages, l’aristocratie
n’est pas concurrente au pouvoir royal mais complémentaire à celui-ci. Elle
ne peut pas lutter contre puisqu’elle a besoin de celui-ci pour se définir. De
plus, le roi ne peut pas agir en-dehors de l’aristocratie, il a besoin du
concours de celle-ci car il n’a pas d’administration organisée. Le roi ne peut s’appuyer que sur des
représentants issus de cette aristocratie.
Le lien passe par
l’attribution de la part du roi de charges publiques : les honores. L’honor se compose de deux
éléments : la délégation de pouvoir concédée par le roi, donc le
représenter dans un territoire et la rémunération de cette charge par la
réception de terres.
Le
pouvoir sur les hommes et sur les terres assure à l’aristocratie une réelle
supériorité sur la société. Celle-ci se fonde aussi sur la fortune patrimoniale
et l’origine des ancêtres, mais ce sont des compléments. Ce qui est nouveau avec les Carolingiens, c’est qu’ils vont tenter de
hiérarchiser cette aristocratie. Charlemagne et Louis le Pieux n’auront de
cesse de mettre en ordre la société.
3.
La mise en ordre carolingienne
Cette mise en ordre
vise à contrôler la société en créant une chaîne d’obligation qui remonte in
fine au roi. Cela passe par la fidélité. Ainsi depuis Charlemagne,
théoriquement, tout homme libre de plus 12 ans doivent prêter serment de
fidélité au roi. Ce serment de fidélité générale oblige tout les détenteurs
d’honores de se constituer vassaux du roi. A cela, Charlemagne fait en sorte que tout les
détenteurs d’honores deviennent les vassaux du roi par la cérémonie de commendatio.
En contrepartie, le roi qui donne la charge publique reçoit personnellement ce
serment de vassalité puisque le roi et l’Etat se superposent. En faisant
des comtes ses vassaux, Charlemagne pense que la vassalité peut assurer
l’organisation de la société. Il incite alors tout les hommes libre, via ses missi dominici, à se faire vassaux d’un
plus puissant qu’eux.
Cette politique va
marcher très efficacement, la hiérarchie en sortira renforcée mais pas tant en
faveur du roi qu’en faveur des comtes.
Cela amène alors à un surcroit des familles comtales déjà suffisamment
puissantes. La crise des années 830 va révéler les défauts du système
puisque chaque fils de Louis le Pieux a ses propres vassaux qui alimentent les
armées privées de chacun et donc la guerre civile. La pyramide vassalique ne
remonte pas jusqu’au roi et s’arrête aux comtes. De plus, cela accroit la nature hybride du pouvoir qui relève de la
symbiose entre le public et le privé en brouillant les frontières. C’est
caractéristique de ces sociétés où public et privé sont mêlés car il n’existe
pas d’Etat comme nous l’entendons, il
n’y a pas de garantie de la paix sociale par l’Etat, mais un équilibre des
forces entre les familles aristocratiques. Donc l’aristocratie reste la
charpente indispensable de l’édifice carolingien même si ces derniers on
tenter de limiter ce développement comtale. Pour limiter ce développement d’un
pouvoir purement aristocratique, les
Carolingiens et surtout Louis le Pieux vont développer l’idée que le pouvoir
est un ministère, un rôle personnel dévolu par Dieu. Ainsi un comte qui ne
remplit pas son office ne saura pas sauvé.
De l’unité de l’Empire au partage de Verdun (814 – 840)
I.
Les débuts du règne
de Louis le Pieux et la réorganisation de l’Empire
1.
L’héritage de Charlemagne
Au
départ, Charlemagne
devait dans son testament donner son Empire à ses trois fils. Charles le Jeune
meurt en 810 avant son père et pareil pour Pépin alors roi d’Italie. En
conséquence, Louis, en plus d’être roi
d’Aquitaine depuis 33 ans, récupère l’Empire. Charlemagne ne se prononce même
pas sur le titre impérial. Ceci dit,
Charlemagne a donné le royaume d’Italie à Bernard, fils de Pépin. Louis
tient donc l’Empire sauf l’Italie. En 814,
Louis doit donc prendre réellement le pouvoir en commençant par prendre le
palais d’Aix la Chapelle. Il passe l’essentiel de sa vie en Aquitaine et
connaît mal son Empire. Il prend
possession du palais d’Aix chassant les anciens conseillers de son père au
profit de son entourage personnel. Il va alors réformer l’empire en réformant
le palais, c'est-à-dire en limitant les pratiques libertines de son père (4
épouses légitimes et 10 illégitimes). Les enfants concurrents éventuels de
Louis sont forcés à s’engager dans les ordres. Mais Charlemagne redoutant
un gendre concurrent n’a jamais marié ses filles et donc elle vivait en
libertinage avec les membres du palais.
Louis choqué décide
donc d’enfermer les sœurs de Charlemagne dans un monastère en leur demandant de
faire pénitence. Il force ses demi-frères à tous devenir des ecclésiastiques. Il cherche à mettre en place un
embryon d’administration avec pour objectif d’assurer l’unité de l’Empire. Et
le seul point commun vient du christianisme.
2.
Les conseillers aquitains
Le plus important
des Aquitains conseillers du roi est Witiza qui en se convertissant au christianisme change de
nom devenant Benoît d’Aniane. Il est d’origine wisigothique et se convertit à
Aniane près de Montpellier. Il impose
alors à toutes les communautés religieuses une même règle, la règle de Saint
Benoît qu’il a quelque peu réadapté. Ainsi le projet de Witiza après avoir
réussit en Aquitaine est d’étendre la règle à l’Empire. Ainsi à quelques
kilomètres d’Aix la Chapelle, à Inden, il fonde un monastère modèle dont doit
s’inspirer l’Empire.
On
a aussi Jonas
évêque d’Orléans et Agobart, un chrétien espagnol, archevêque de Lyon. Tous ces ecclésiastiques divulguent dans
leurs écrits, une image de l’Empire calquée sur celle de l’Eglise. Si Dieu à
préserver un seul fils de Charlemagne, on pense que c’est pour maintenir
l’unité de l’Empire. Cette conception prise en écho par Louis souligne que
l’Empire est d’origine divine au-delà des différences régionales. En effet, Agobart interprète Saint Paul
comme une doctrine qui souligne que tous les chrétiens sont frères, qu’ils
doivent être jugés selon une même loi qui est celle du Christ. Ainsi il fonde
une véritable théocratie ou la loi religieuse prime en niant les réalités
territoriales de chaque royaume. L’avenir de l’Eglise est préservée par l’Empire
donc il faut préserver celui-ci et il faut réfléchir immédiatement à sa
succession. D’autant plus qu’il semble avoir été victime d’un accident avec
un effondrement du toit à Aix qui manqua de lui ôter la vie. Ce fut un signe
interprété comme une demande de Dieu de se préoccuper de la succession.
3.
L’ordinatio imperii
(817)
En 817, une assemblée générale est tenue pour régler
la question de sa succession de Louis. Il a alors trois fils et doit partager
son empire. Pour trouver un compromis entre la tradition franque de partage
entre les fils et la volonté catholique d’unifier l’Empire, on va chercher un
arrangement. Les trois fils sont Lothaire, Louis et Pépin. Au bout de trois jours, Lothaire
est jugé comme successeur et il est couronné par son père devenant l’empereur
associé. Lothaire hérite alors d’une
autorité supranationale, d’un imperium
sur tout l’Empire. Les deux frères tiendront des royaumes subordonnés :
Louis aura le regnum de Bavière et
Pépin aura le regnum d’Aquitaine
succédant à son père. Les pouvoirs de Louis et de Pépin sont la potestas, le pouvoir d’exécution tandis
que Lothaire à l’auctoritas,
l’origine du pouvoir. Les deux frères sont donc soumis à l’autorité de
Lothaire.
La nouveauté vient
du fait que les rois de ces royaumes soient subordonnés à leurs frères et non à
leur père comme il est de tradition. C’est une rupture totale avec la tradition
franque qui
reconnaît normalement un statut d’égal entre chacun des frères. Ce rapport est très proche de la vassalité
puisque chaque année les frères du roi doivent se rendre à l’assemblée de l’Empire
et offrir des cadeaux à leur frère. De plus, ils sont protégés par leur frère,
lui étant donc inférieurs. A cela s’ajoute l’absence de pouvoir en politique
extérieure, ils doivent toujours demander à leur frère pour lancer une guerre,
signer une paix ou même se marier. En 817, apparemment tout le monde est
d’accord mais très vite cela entraîne une première grande crise.
4.
La première crise de l’Empire
Bernard, neveu de
Louis et roi d’Italie est inquiet. Il n’est nommé nulle part dans l’ordinatio imperii. Redoutant d’être
évincé au profit de Lothaire, il regroupe ses partisans et entre en rébellion
ouverte contre l’Empereur,
levant une armée qui sera vite battu. Bernard va alors demander la clémence de
l’empereur avec ses fidèles. Louis le pardonne mais au lieu de lui rendre son
statut suite à un sermon il lui donne une sanction exemplaire. Cela s’était
déjà faite en 791 avec un fils moyennement légitime de Charlemagne, Pépin le
Bossu, qui s’était révolté et dont Charlemagne avait punit fortement ses alliés
en épargnant son fils.
En 818, Louis convoque un tribunal pour juger
Bernard. Les évêques qui ont soutenus Bernard sont privés de leur statut et
enfermé dans des monastères. Les laïcs sont destitués aussi et leurs biens sont
confisqués. Bernard convaincu de haute trahison est condamné à mort, Louis par clémence se
contentera de lui crever les yeux (peine d’aveuglement) comme à Byzance. Louis
se place donc dans la position d’un empereur. Mais les conditions d’exécution de
la peine étant douteuses, Bernard meurt des blessures de sa sanction quelques
jours après. Cela montre que l’ordinatio imperii n’est guère reconnue
de tous.
Louis réalisant que
des familles sont mal intégrées au pouvoir va bénéficier de la mort de sa
femme, l’impératrice Ermengarde.
Il se remarie alors rapidement, ne
respectant pas la période de deuil, 6 mois après avec Judith, fille du comte
Welf de la famille d’Alémanie. Il marie
au même moment ses enfants aux grandes familles aristocratiques. Pensant son
pouvoir stabilisé, Louis mène une politique nouvelle.
II.
De l’apogée à la
mise en péril de l’Empire
L’Empire
est en paix intérieure ce qui permet à Louis de mener une politique nouvelle
qu’une historienne qualifie d’Etat
pénitentiel.
1.
L’Etat pénitentiel
Pour renforcer la
paix intérieure, en 821 à l’assemblée de Thionville, Louis pardonne les anciens
alliés de Bernard.
Ainsi Louis en profite pour faire sortir des monastères les anciens conseillers
de sont père. En particulier, c’est le
retour d’Adalhard
et son frère Wala, cousins germains de Charlemagne qui sont des
ecclésiastiques. Il fait aussi sortir son frère Drogon à qui il donne le siège
prestigieux épiscopal de Metz. Il semble
alors que l’Empire soit en équilibre. Louis demande qu’on jure de respecter l’ordinatio imperii.
De plus, une
nouvelle génération émerge dans le palais. Arrivent alors l’Aquitain Ebbon, archevêque de Reims par
nomination de Louis, fils de l’ancienne nourrice de Louis (on parle de frère de
lait). Notons aussi l’importance d’Hugues, comte de Tours qui a épousé la fille
de ??? et le comte d’Orléans Matfrid. Les
Aquitains restent le noyau actif dans le palais devenant le parti de
l’unité dans le palais. Ce sont eux qui inspirent une cérémonie comme on n’en
avait jamais vu.
Lors de l’assemblée
de Thionville en 822 (dit la pénitence d’Attigny), l’empereur contraint les
évêques et les grands laïcs à se confesser publiquement devant tout le monde de
leurs méfaits. Louis lui-même demande pénitence pour avoir tuer Bernard. Cette
cérémonie remonte à l’empereur Théodose
qui en 390 avait effectué un grand massacre en Thessalonique. Suite à une
émeute après un jeu de course, la ville s’embrase et l’empereur réunit les
survivants dans un stade et les a fait tous tuer pour les punir de s’être
autant embrasés. Quand il voulut entrer dans l’église épiscopale de Milan, Saint Ambroise lui a claqué la porte pour
ce massacre. Ambroise tenant bon, en empêchant Théodose d’assister à de
nombreuses cérémonies religieuses, a finit par le contraindre à se repentir
publiquement. C’est le modèle emprunté
par Louis le Pieux mais cela doit être compris par les gens présents. Or c’est
là le problème, les évêques par cette cérémonie estiment être les égaux de
Louis dans la conduite de la société de l’époque. Ils ne se disent pas
supérieurs mais égaux. Dans le capitulaire de 823 – 825, on voit que le
rôle des évêques est entériné. La
fonction royale est alors définit comme un ministerium,
c'est-à-dire un service ici un service de Dieu. Et cela s’étend forcément à
tous ceux qui ont une charge publique et qui bénéficient par là d’une
délégation royale qu’on soit ou non ecclésiastique.
Dans ce
capitulaire, le pouvoir épiscopal devient le détenteur de l’auctoritas, origine du pouvoir tandis que
le roi exprime la potestas, le
pouvoir d’exécution venu de l’Eglise. Cela est d’autant plus logique que
l’Eglise et l’Etat ont fusionné dans un système théocratique (tous gouvernent au nom de
Dieu). A l’époque de Charlemagne la théocratie est royale, le roi est le sommet
du pouvoir et détient l’auctoritas.
Or avec Louis le Pieux, on a
l’impression que les évêques, et non le pape, prennent la tête de l’Etat.
Le pape a beau être théoriquement à la tête de l’Eglise, les évêques gouvernent
en pratique. Le charisme du pouvoir
royal est donc hautement amoindri surtout que les grands laïcs perçoivent mal
cela. Les ecclésiastiques présentent donc Louis le Pieux comme soldat du
Christ.
Une
représentation de Louis le Pieux se trouve dans le manuscrit des Louanges à la Sainte-Croix de
l’abbé de Fulda, vers 830, qui est dédié à Louis le Pieux. Il a une
nimbe ; est protégé par le casque du salut, la cuirasse de la justice et
le bouclier de la foi ; a comme arme la croix du Christ et se tient en
tenue de soldat romain. En tant qu’empereur il est logique qu’il soit en arme
mais c’est davantage un miles Christi,
un soldat du Christ avec ses armes spirituelles. En combattant pour le Christ,
Louis vaincra ses ennemis. C’est donc un ouvrage de propagande puisque l’abbé
de Fulda en a reproduit plusieurs qu’il a fait diffuser dans tout l’Empire. Ces
manuscrits qui sont enluminés sont des cadeaux donnés aux Grands de l’Empire et
diffusant l’idéologie impériale.
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