vendredi 16 mars 2012

Médidévale 15 - 03 (cours 5)

Précédemment : Médiévale 09 - 03


Reconstitution du palais d'Aix la Chapelle


2.      L’aristocratie

Principale actrice de la politique carolingienne, les médiévistes la jugent comme une catégorie qui tire sa puissance du service de l’Etat ou du roi et de la qualité de ses ancêtres. Dans l’époque qui nous intéresse, l’aristocratie est alors l’ensemble des grandes familles qui participent au gouvernement du royaume. La prise de pouvoir des Pippmides vient d’ailleurs du réseau social de cette famille. Quand la conquête carolingienne progresse, les grandes familles carolingiennes étendent ce réseau avec l’octroi de charges publiques. On a donc dans le réseau des membres de la famille des Carolingiens et d’autres qui s’estiment autochtones.
L’ensemble des familles des aristocrates au départ concentrées entre la Seine et le Rhin s’est étendu à une quarantaine de familles proches du pouvoir du roi. On parle alors d’aristocratie impériale. Pour l’aristocratie, servir le roi est un élément indispensable pour se définir aristocrate. Plus en encore cela est constitutif de leur identité. Contrairement à ce qu’on lit dans beaucoup d’ouvrages, l’aristocratie n’est pas concurrente au pouvoir royal mais complémentaire à celui-ci. Elle ne peut pas lutter contre puisqu’elle a besoin de celui-ci pour se définir. De plus, le roi ne peut pas agir en-dehors de l’aristocratie, il a besoin du concours de celle-ci car il n’a pas d’administration organisée. Le roi ne peut s’appuyer que sur des représentants issus de cette aristocratie.

Le lien passe par l’attribution de la part du roi de charges publiques : les honores. L’honor se compose de deux éléments : la délégation de pouvoir concédée par le roi, donc le représenter dans un territoire et la rémunération de cette charge par la réception de terres.
Le pouvoir sur les hommes et sur les terres assure à l’aristocratie une réelle supériorité sur la société. Celle-ci se fonde aussi sur la fortune patrimoniale et l’origine des ancêtres, mais ce sont des compléments. Ce qui est nouveau avec les Carolingiens, c’est qu’ils vont tenter de hiérarchiser cette aristocratie. Charlemagne et Louis le Pieux n’auront de cesse de mettre en ordre la société.

3.      La mise en ordre carolingienne

Cette mise en ordre vise à contrôler la société en créant une chaîne d’obligation qui remonte in fine au roi. Cela passe par la fidélité. Ainsi depuis Charlemagne, théoriquement, tout homme libre de plus 12 ans doivent prêter serment de fidélité au roi. Ce serment de fidélité générale oblige tout les détenteurs d’honores de se constituer vassaux du roi. A cela, Charlemagne fait en sorte que tout les détenteurs d’honores deviennent les vassaux du roi par la cérémonie de commendatio. En contrepartie, le roi qui donne la charge publique reçoit personnellement ce serment de vassalité puisque le roi et l’Etat se superposent. En faisant des comtes ses vassaux, Charlemagne pense que la vassalité peut assurer l’organisation de la société. Il incite alors tout les hommes libre, via ses missi dominici, à se faire vassaux d’un plus puissant qu’eux.

Cette politique va marcher très efficacement, la hiérarchie en sortira renforcée mais pas tant en faveur du roi qu’en faveur des comtes. Cela amène alors à un surcroit des familles comtales déjà suffisamment puissantes. La crise des années 830 va révéler les défauts du système puisque chaque fils de Louis le Pieux a ses propres vassaux qui alimentent les armées privées de chacun et donc la guerre civile. La pyramide vassalique ne remonte pas jusqu’au roi et s’arrête aux comtes. De plus, cela accroit la nature hybride du pouvoir qui relève de la symbiose entre le public et le privé en brouillant les frontières. C’est caractéristique de ces sociétés où public et privé sont mêlés car il n’existe pas d’Etat comme nous l’entendons, il n’y a pas de garantie de la paix sociale par l’Etat, mais un équilibre des forces entre les familles aristocratiques. Donc l’aristocratie reste la charpente indispensable de l’édifice carolingien même si ces derniers on tenter de limiter ce développement comtale. Pour limiter ce développement d’un pouvoir purement aristocratique, les Carolingiens et surtout Louis le Pieux vont développer l’idée que le pouvoir est un ministère, un rôle personnel dévolu par Dieu. Ainsi un comte qui ne remplit pas son office ne saura pas sauvé.


Louis le Pieux



De l’unité de l’Empire au partage de Verdun (814 – 840)


I.                   Les débuts du règne de Louis le Pieux et la réorganisation de l’Empire

1.      L’héritage de Charlemagne

Au départ, Charlemagne devait dans son testament donner son Empire à ses trois fils. Charles le Jeune meurt en 810 avant son père et pareil pour Pépin alors roi d’Italie. En conséquence, Louis, en plus d’être roi d’Aquitaine depuis 33 ans, récupère l’Empire. Charlemagne ne se prononce même pas sur le titre impérial. Ceci dit, Charlemagne a donné le royaume d’Italie à Bernard, fils de Pépin. Louis tient donc l’Empire sauf l’Italie. En 814, Louis doit donc prendre réellement le pouvoir en commençant par prendre le palais d’Aix la Chapelle. Il passe l’essentiel de sa vie en Aquitaine et connaît mal son Empire. Il prend possession du palais d’Aix chassant les anciens conseillers de son père au profit de son entourage personnel. Il va alors réformer l’empire en réformant le palais, c'est-à-dire en limitant les pratiques libertines de son père (4 épouses légitimes et 10 illégitimes). Les enfants concurrents éventuels de Louis sont forcés à s’engager dans les ordres. Mais Charlemagne redoutant un gendre concurrent n’a jamais marié ses filles et donc elle vivait en libertinage avec les membres du palais.
Louis choqué décide donc d’enfermer les sœurs de Charlemagne dans un monastère en leur demandant de faire pénitence. Il force ses demi-frères à tous devenir des ecclésiastiques. Il cherche à mettre en place un embryon d’administration avec pour objectif d’assurer l’unité de l’Empire. Et le seul point commun vient du christianisme.

2.      Les conseillers aquitains

Le plus important des Aquitains conseillers du roi est Witiza qui en se convertissant au christianisme change de nom devenant Benoît d’Aniane. Il est d’origine wisigothique et se convertit à Aniane près de Montpellier. Il impose alors à toutes les communautés religieuses une même règle, la règle de Saint Benoît qu’il a quelque peu réadapté. Ainsi le projet de Witiza après avoir réussit en Aquitaine est d’étendre la règle à l’Empire. Ainsi à quelques kilomètres d’Aix la Chapelle, à Inden, il fonde un monastère modèle dont doit s’inspirer l’Empire.
On a aussi Jonas évêque d’Orléans et Agobart, un chrétien espagnol, archevêque de Lyon. Tous ces ecclésiastiques divulguent dans leurs écrits, une image de l’Empire calquée sur celle de l’Eglise. Si Dieu à préserver un seul fils de Charlemagne, on pense que c’est pour maintenir l’unité de l’Empire. Cette conception prise en écho par Louis souligne que l’Empire est d’origine divine au-delà des différences régionales. En effet, Agobart interprète Saint Paul comme une doctrine qui souligne que tous les chrétiens sont frères, qu’ils doivent être jugés selon une même loi qui est celle du Christ. Ainsi il fonde une véritable théocratie ou la loi religieuse prime en niant les réalités territoriales de chaque royaume. L’avenir de l’Eglise est préservée par l’Empire donc il faut préserver celui-ci et il faut réfléchir immédiatement à sa succession. D’autant plus qu’il semble avoir été victime d’un accident avec un effondrement du toit à Aix qui manqua de lui ôter la vie. Ce fut un signe interprété comme une demande de Dieu de se préoccuper de la succession.

3.      L’ordinatio imperii (817)

En 817, une assemblée générale est tenue pour régler la question de sa succession de Louis. Il a alors trois fils et doit partager son empire. Pour trouver un compromis entre la tradition franque de partage entre les fils et la volonté catholique d’unifier l’Empire, on va chercher un arrangement. Les trois fils sont Lothaire, Louis et Pépin. Au bout de trois jours, Lothaire est jugé comme successeur et il est couronné par son père devenant l’empereur associé. Lothaire hérite alors d’une autorité supranationale, d’un imperium sur tout l’Empire. Les deux frères tiendront des royaumes subordonnés : Louis aura le regnum de Bavière et Pépin aura le regnum d’Aquitaine succédant à son père. Les pouvoirs de Louis et de Pépin sont la potestas, le pouvoir d’exécution tandis que Lothaire à l’auctoritas, l’origine du pouvoir. Les deux frères sont donc soumis à l’autorité de Lothaire.

La nouveauté vient du fait que les rois de ces royaumes soient subordonnés à leurs frères et non à leur père comme il est de tradition. C’est une rupture totale avec la tradition franque qui reconnaît normalement un statut d’égal entre chacun des frères. Ce rapport est très proche de la vassalité puisque chaque année les frères du roi doivent se rendre à l’assemblée de l’Empire et offrir des cadeaux à leur frère. De plus, ils sont protégés par leur frère, lui étant donc inférieurs. A cela s’ajoute l’absence de pouvoir en politique extérieure, ils doivent toujours demander à leur frère pour lancer une guerre, signer une paix ou même se marier. En 817, apparemment tout le monde est d’accord mais très vite cela entraîne une première grande crise.

4.      La première crise de l’Empire

Bernard, neveu de Louis et roi d’Italie est inquiet. Il n’est nommé nulle part dans l’ordinatio imperii. Redoutant d’être évincé au profit de Lothaire, il regroupe ses partisans et entre en rébellion ouverte contre l’Empereur, levant une armée qui sera vite battu. Bernard va alors demander la clémence de l’empereur avec ses fidèles. Louis le pardonne mais au lieu de lui rendre son statut suite à un sermon il lui donne une sanction exemplaire. Cela s’était déjà faite en 791 avec un fils moyennement légitime de Charlemagne, Pépin le Bossu, qui s’était révolté et dont Charlemagne avait punit fortement ses alliés en épargnant son fils.
En 818, Louis convoque un tribunal pour juger Bernard. Les évêques qui ont soutenus Bernard sont privés de leur statut et enfermé dans des monastères. Les laïcs sont destitués aussi et leurs biens sont confisqués. Bernard convaincu de haute trahison est condamné à mort, Louis par clémence se contentera de lui crever les yeux (peine d’aveuglement) comme à Byzance. Louis se place donc dans la position d’un empereur. Mais les conditions d’exécution de la peine étant douteuses, Bernard meurt des blessures de sa sanction quelques jours après. Cela montre que l’ordinatio imperii n’est guère reconnue de tous.

Louis réalisant que des familles sont mal intégrées au pouvoir va bénéficier de la mort de sa femme, l’impératrice Ermengarde. Il se remarie alors rapidement, ne respectant pas la période de deuil, 6 mois après avec Judith, fille du comte Welf de la famille d’Alémanie. Il marie au même moment ses enfants aux grandes familles aristocratiques. Pensant son pouvoir stabilisé, Louis mène une politique nouvelle.


II.                De l’apogée à la mise en péril de l’Empire

L’Empire est en paix intérieure ce qui permet à Louis de mener une politique nouvelle qu’une historienne qualifie d’Etat pénitentiel.

1.      L’Etat pénitentiel

Pour renforcer la paix intérieure, en 821 à l’assemblée de Thionville, Louis pardonne les anciens alliés de Bernard. Ainsi Louis en profite pour faire sortir des monastères les anciens conseillers de sont père. En particulier, c’est le retour d’Adalhard et son frère Wala, cousins germains de Charlemagne qui sont des ecclésiastiques. Il fait aussi sortir son frère Drogon à qui il donne le siège prestigieux épiscopal de Metz. Il semble alors que l’Empire soit en équilibre. Louis demande qu’on jure de respecter l’ordinatio imperii.
De plus, une nouvelle génération émerge dans le palais. Arrivent alors l’Aquitain Ebbon, archevêque de Reims par nomination de Louis, fils de l’ancienne nourrice de Louis (on parle de frère de lait). Notons aussi l’importance d’Hugues, comte de Tours qui a épousé la fille de ??? et le comte d’Orléans Matfrid. Les Aquitains restent le noyau actif dans le palais devenant le parti de l’unité dans le palais. Ce sont eux qui inspirent une cérémonie comme on n’en avait jamais vu.

Lors de l’assemblée de Thionville en 822 (dit la pénitence d’Attigny), l’empereur contraint les évêques et les grands laïcs à se confesser publiquement devant tout le monde de leurs méfaits. Louis lui-même demande pénitence pour avoir tuer Bernard. Cette cérémonie remonte à l’empereur Théodose qui en 390 avait effectué un grand massacre en Thessalonique. Suite à une émeute après un jeu de course, la ville s’embrase et l’empereur réunit les survivants dans un stade et les a fait tous tuer pour les punir de s’être autant embrasés. Quand il voulut entrer dans l’église épiscopale de Milan, Saint Ambroise lui a claqué la porte pour ce massacre. Ambroise tenant bon, en empêchant Théodose d’assister à de nombreuses cérémonies religieuses, a finit par le contraindre à se repentir publiquement. C’est le modèle emprunté par Louis le Pieux mais cela doit être compris par les gens présents. Or c’est là le problème, les évêques par cette cérémonie estiment être les égaux de Louis dans la conduite de la société de l’époque. Ils ne se disent pas supérieurs mais égaux. Dans le capitulaire de 823 – 825, on voit que le rôle des évêques est entériné. La fonction royale est alors définit comme un ministerium, c'est-à-dire un service ici un service de Dieu. Et cela s’étend forcément à tous ceux qui ont une charge publique et qui bénéficient par là d’une délégation royale qu’on soit ou non ecclésiastique.

Dans ce capitulaire, le pouvoir épiscopal devient le détenteur de l’auctoritas, origine du pouvoir tandis que le roi exprime la potestas, le pouvoir d’exécution venu de l’Eglise. Cela est d’autant plus logique que l’Eglise et l’Etat ont fusionné dans un système théocratique (tous gouvernent au nom de Dieu). A l’époque de Charlemagne la théocratie est royale, le roi est le sommet du pouvoir et détient l’auctoritas. Or avec Louis le Pieux, on a l’impression que les évêques, et non le pape, prennent la tête de l’Etat. Le pape a beau être théoriquement à la tête de l’Eglise, les évêques gouvernent en pratique. Le charisme du pouvoir royal est donc hautement amoindri surtout que les grands laïcs perçoivent mal cela. Les ecclésiastiques présentent donc Louis le Pieux comme soldat du Christ.

Une représentation de Louis le Pieux se trouve dans le manuscrit des Louanges à la Sainte-Croix de l’abbé de Fulda, vers 830, qui est dédié à Louis le Pieux. Il a une nimbe ; est protégé par le casque du salut, la cuirasse de la justice et le bouclier de la foi ; a comme arme la croix du Christ et se tient en tenue de soldat romain. En tant qu’empereur il est logique qu’il soit en arme mais c’est davantage un miles Christi, un soldat du Christ avec ses armes spirituelles. En combattant pour le Christ, Louis vaincra ses ennemis. C’est donc un ouvrage de propagande puisque l’abbé de Fulda en a reproduit plusieurs qu’il a fait diffuser dans tout l’Empire. Ces manuscrits qui sont enluminés sont des cadeaux donnés aux Grands de l’Empire et diffusant l’idéologie impériale.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire