jeudi 22 mars 2012

Moderne 22 - 03 (cours 6)

Précédemment : Moderne 15 - 03


Tenue d'un jésuite, Helyot Pierre, 1718



Alphabétisation, éducation et écrits


Il s’agit de mesurer la capacité de la population à lire, à écrire, à accéder aux livres et à maîtriser la lecture et l’écriture. Cette thématique a donné de grands travaux dans les années 1980 – 1990 avec notamment Philippe Ariès et Marie-Madeleine Compère.


I.                   La mesure de l’alphabétisation

1.      Question de méthode

Les historiens ont utilisé une source massive pouvant se traiter de manière statistique : les registres de mariage contenus dans les registres paroissiaux. Depuis 1667, un édit du roi oblige les mariages à être enregistrés dans ces registres. Surtout cela oblige les mariés à signer ou à indiquer qui ne signent pas car ils ne savent pas signer.
Cette source fut utilisée une première fois dans le cadre d’une polémique entre Républicain et monarchistes catholiques fin XIX° siècle. L’église qui avait en charge l’éducation de la population l’avait-elle bien produit ? Le contexte se fait dans le cadre des lois Ferry. Cette enquête fut reprise un siècle plus tard par les historiens des Annales notamment Furet.

Cet indicateur fut critiqué sur plusieurs terrains, notamment comme si la signature était une pratique intemporelle. En réalité la signature individuelle émerge à l’époque moderne comme le montre les études sur la naissance de l’individu. Les gens imposaient des marques qui renvoyaient à une communauté et non à une identité individuelle. De plus, savoir signer ne veut pas dire savoir écrire, certains ont une écriture hésitante, d’autres savent recopier une signature comme dessin. Enfin, on peut savoir lire mais ne pas savoir signer. La signature est donc insuffisante. Elle permet néanmoins certains résultats.

2.      Pesées globales

Fin XVII° siècle, 22% des hommes savent signer pour 14% de femmes. Fin XVIII° siècle on est à 47% d’hommes et 27% de femmes. La nette différence de genre avait déjà lieu auparavant. Dans les régions ou les groupes sociaux à faible ??? on a une plus forte progression des hommes que des femmes. Le XVIII° siècle en revanche devient la période de rattrapage des femmes.
On retrouve une grande coupure géographique : Saint Malo – Genève avec un Nord qui sait signer et un Sud qui ne le sait pas encore. Au XVIII° siècle, le Sud-Est se rattrape sur le Nord et seule la Bretagne et le Sud-Ouest restent à l’écart, ce qui va de paire avec une résistance à l’instauration de la langue française.
On a aussi une division entre ville et campagne. Au milieu du XVIII° siècle, 53% des urbains savent signer contre 28% des ruraux. Entre les villes, on a des différences significatives avec des villes administratives (Rennes) au taux d’alphabétisation élevé contrairement aux villes commerciales (Nantes).

Enfin les différences sont aussi dans les classes sociales entre le clergé qui sait écrire, les hommes de lois, la grande majorité des nobles et le monde des bourgeois et des propriétaires rentiers. Sont massivement analphabètes les travailleurs sans qualification et les portefaix. Les laboureurs sont à peu près tous alphabétisés au XVIII° siècle, leurs enfants assureront le renouvellement des curés de paroisses rurales. Les artisans furent assez précocement alphabétisés dans des proportions honorables. A Montpellier, au XVIII° siècle, 63% des artisans savent signer contre 37% des paysans. En ce sens, les chiffres globaux sont trompeurs du point de vue des effets dans les groupes sociaux.

3.      Les facteurs qui comptent dans l’alphabétisation

En premier lieu viennent les institutions d’éducation. Parmi les zones fortes, où on perçoit ces institutions, celles où l’on trouve des conflits religieux entre catholiques et protestants. Par exemple, le Béarn, en plein Sud-Ouest attardé au XVII° siècle, devient très alphabétisé au milieu du XVIII° siècle. En effet, l’église catholique s’est fortement implantée dans cette zone, tout comme les Protestants qui ont réagit suite à l’Eglise.

Le facteur des usages professionnels de l’écriture entre aussi en compte. Par comparaison entre des métiers différents mais proches, alors on a des différences selon les métiers. Les petits artisans savent écrire, leurs ouvriers moins. En effet, les premiers ont des tâches d’écriture à effectuer. Plus ils sont indépendants, plus ils sont fortement alphabétisés. Plus on se rapproche du commerce, plus les taux d’alphabétisation sont élevés. Pour les femmes, cela dépend de la répartition des rôles. Les femmes de boulanger tenant la boutique et le comptoir savent écrire. Les femmes de tailleurs le sont moins.
Enfin cela dépend aussi de la situation sociale de la clientèle, plus celle-ci est élevée, plus celle-ci pousse à l’alphabétisation. Cela passe par une acculturation d’un groupe social plus élevé que le sien (cas des perruquiers).

L’alphabétisation ne touche pas seulement une petite partie de la population, en effet les artisans et leurs revendications vont permettre l’usage politique des écrits. Les groupes politiquement engagés sont généralement alphabétisés. C’est bien parce que la maîtrise de l’écriture est incomplète et inégale entre les groupes sociaux que cela fait des enjeux particuliers à lire et écrire.


II.                Le cadre scolaire

1.      Invention et succès d’une nouvelle institution scolaire : le collège

Invention liée à l’essor urbain de la Renaissance, les patriciens urbains (ou élites) qui dominent dans les villes veulent donner une éducation à leurs enfants dans le but de leur permettre l’accès à des charges dans l’Eglise, dans les Etats naissants ou bien dans les maisons princières. Cette invention se fait dans un cadre municipal. Beaucoup d’écoles religieuses sont tombées en déshérence et les institutions antérieures sont reprises par les municipalités et si les écoles ne sont pas sur place, les municipalités les y ancrent. On nomme cela des collèges comme le premier à Dijon en 1729.

Ces collèges imitent des évolutions parisiennes du début du XVI° siècle. Or ce ne sont pas des lieux d’enseignements mais d’hébergements pour les étudiants. Certains étudiants riches ont des maîtres particuliers qui viennent les voir. Dans certains cas, des régents vont s’installer dans les collèges et ces institutions recrutent des populations de plus en plus jeunes. Se produit alors une installation de  classes avec des cursus nouveaux et des classes différentes. L’objectif est de préparer à l’université ou de remplacer des cours d’université. Même si l’université garde encore la remise des diplômes.

Cette transformation des collèges parisiens va s’étendre en province et armer les collèges municipaux. Les loyers étant chers, en général des bâtiments sont récupérés pour donner les cours. On a donc des régents qui sont contrôlés par des ???? Les collèges municipaux sont généralement gratuits, mais fréquentées par l’élite urbaine. Le principal ou le recteur du collège sont ceux qui organisent les finances mais aussi les cours, puisque dans certains cas, le recteur intervient pour donner certains cours (pouvant faire d’un collège catholique, un collège protestant). Dans de nombreux cas, les municipalités vont résister à cette arrivée des études du protestantisme. On a aussi de nombreux réseaux de collèges qui s’organisent pour former des pasteurs comme les collèges de Saumur.
On a donc des ordres religieux qui vont reprendre en main ces collèges comme ce sera le cas pour les collèges jésuites. Fin XVI° siècle, les jésuites sont le fer de lance de l’offensive contre les catholiques. Ils vont fonder de nombreux collèges mais pas là où on demande leur venu. En effet, les pères jésuites mènent des études pour savoir si la localité peut recevoir un collège jésuite notamment avec la question de la richesse des municipalités pour la construction, et la richesse de potentiels élèves qui assureront le train de vie des professeurs. C’est un signe de la réussite de ce modèle. L’autre principal ordre de collège, ce sont les Oratoriens. Dans les deux cas, leur personnel est stable et compétent contrairement aux collèges municipaux où les maîtres mal payés connaissaient un turn-over. En 1640, on a 40 000 élèves dans les collèges jésuites, 60 000 élèves dans les collèges tous ordres confondus.

Dans les collèges, on a un encadrement religieux très fort avec des confessions et des communions tout les mois, des apprentissages religieux, … Ces institutions sont l’avant-garde de l’Eglise puisqu’il est rare qu’on aille tout les jours à la messe. Les leçons de morale sont toujours liées à l’étude, on apprend le latin et un côté moral est développé dans les textes. Ces éducations sont tournées vers l’antiquité et les anciens puisqu’on n’y fait pas du français mais du latin. On y apprend le savoir des Grecs et des Romains du coup, on y enseigne Aristote, de la métaphysique et de la musique.

On constate un assez large spectre social dans ces régions pas seulement composées de patriciens urbains mais aussi de fils d’artisans et de couches supérieures du monde rural. Plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus le temps passé au collège est long. Les petites classes des collèges dispensent l’enseignement élémentaire qui est le maximum des enfants d’artisans, tandis que les fils de bourgeois continuent plusieurs années.

2.      L’enseignement élémentaire

Une partie est héritée du Moyen-Age avec des écoles de chants, sous contrôle du chapitre cathédral, dans le but de chanter durant l’office. Ils y apprennent aussi la grammaire au travers des chants. L’enseignement est gratuit mais n’est pas de masse.
On a aussi des petites écoles, qui sont des écoles de quartier dans le sens d’un petit réseau de maîtres et de maîtresses, le bâtiment lui, est variable. Là encore l’enseignement est limité.
Les maîtres écrivains enseignent l’écriture graphique : faire de belles lettres, construire des tableaux, … Dans les faits, ces maîtres sont aussi des maîtres d’école. Ils forment une corporation qui luttent contre celle des maîtres des petites écoles et les maîtres clandestins.
Enfin les maîtres clandestins opèrent sans en avoir le droit.

Les écoles de charité, dans le cadre de la contre réforme, naissent sur l’initiative de dévots pour qui le peuple urbain représente une peuple mal christianisé. On a par exemple les frères des écoles chrétiennes, animés par Jean-Baptiste de la Salle. Ils vivent en communauté et ont leurs règles, mais ce sont des laïcs et ils ont des missions exclusivement d’éducation avec des missions gratuites pour le peuple. En 1619, ils sont présents dans 22 villes.

En campagne, le cadre institutionnel n’est pas aussi strict qu’en ville. En général ce sont des curés qui enseignent des rudiments aux enfants, parfois celui-ci embauche un maître. Le maître peut aussi être embauché par les parents, … Bref on a une pluralité des situations mais l’idée s’impose qu’il faut une institution d’enseignement. Le pouvoir royal fait alors pression sur les communautés pour qu’elles embauchent des maîtres d’écoles.
Les compétences des maîtres étant inégales, certaines communautés se spécialisent dans la production des maîtres d’école. Ainsi certains artisans ou agriculteurs du Dauphiné en été, se font maîtres en hiver en Provence. Dans certains cas, les maîtres apprennent seulement la lecture, parfois aussi à écrire et compter. Souvent embauchés comme assistant du curé, on demande aux maîtres de travailler pour la communauté en lisant par exemple les promulgations.





3.      L’éducation des filles

Avec l’abondance de l’écrit et sa diffusion, l’illétré homme ou femme est une figure dévalorisée. Apparaît alors l’idée que la femme pieuse peut accéder à toute la littérature dévote sur le marché. On prend donc en charge l’éducation féminine. Les femmes n’accèdent pas au collège qui forme les postes publics, donc impossible. Elles sont formées dans des congrégations féminines (Ursulines et Visitandines) mais ces congrégations doivent être cloitrées, les femmes doivent étudier dans des cloîtres et cela demande leur construction, donc on en trouve moins. L’objectif n’est pas l’éducation des femmes du peuple mais davantage du patriciat. Elles apprennent dans un monastère avec l’idée qu’elles y resteront. Avec la deuxième moitié du XVII° siècle, on a des écoles charitables qui ne sont pas cloitrées. Financées par des dévots, le but est de christianiser le peuple en passant par les femmes. Le réseau pour les femmes est bien moins dense que celui des hommes.

Ce cadre scolaire existe par une volonté de contrôle religieux. Scolariser c’est convertir et cela permet aussi de fixer la population notamment les jeunes dont on craint les agitations s’ils sont mobiles. Plus que d’émancipation, l’éducation est un instrument de reproduction sociale et de contrôle social. Mais il peut devenir un vecteur de libération par les compétences qu’il apporte. Ce qui compte beaucoup dans l’investissement éducatif, c’est le désir et les possibilités des familles même si chacune l’envisage de différente manière. A Saint-Malo, des enfants de commerçants y habitent mais ils sont rarement envoyés au collège. Ces négociants préfèrent envoyer leurs enfants apprendre le métier de marin et de marchand en perpétuant la tradition d’envoyer ces enfants s’exercer dans des comptoirs de familles alliées en Hollande, en Angleterre et en Espagne. Au XVIII° siècle, ils vont massivement pénétrer dans les collèges qui répondent à un changement de mentalité des commerçants de Saint-Malo qui visent l’anoblissement par l’achat d’offices royaux, ce qui impose des grades universitaires et donc le passage au collège.


Toute cette dynamique de création d’institutions d’éducation s’est observée du coté de la population. Cela a un autre effet, en ouvrant les emplois d’enseignants. C’est difficile à quantifier car aux enseignants des collèges, on doit ajouter les précepteurs privés travaillant dans les familles aristocratiques et s’occupant des enfants avant qu’ils n’entrent au collège. On les voit apparaître au XVIII° siècle dans les petites annonces des recherches de maîtres privés. La figure du régent est alors universellement moquée. Le régent, le maître de collège était alors la figure du pédant chez les dominants. Mais pour les fils de laboureurs ou d’artisans, les professeurs étaient une forme de promotion sociale qui permettait de gagner sa vie de manière moins dure que d’autres métiers.
Ces intellectuels prolétaires qui ne sont pas forcément très savants sont aussi des consommateurs et des producteurs d’écrits. Dans le cas du collège de Lyon étudié par Van Damme. Au cours du XVII° siècle, les profs de ce collège vont publier 500 livres : des pièces de théâtre jouées par leurs élèves, des cours rédigés parfois imprimés, des livres scolaires, des ouvrages de théologie et de dévotion, des ouvrages à la gloire de la ville de Lyon, … Ces pères jésuites deviennent des intellectuels fortement inscrits dans l’espace lyonnais, dans le marché scolaire lyonnais et les attentes diverses en livres. Le collège leur permet d’acquérir une certaine renommée et ils deviennent des auteurs connus contribuant au rayonnement de leur collège.

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