Tenue d'un jésuite, Helyot Pierre, 1718
Alphabétisation, éducation et écrits
Il
s’agit de mesurer la capacité de la population à lire, à écrire, à accéder aux
livres et à maîtriser la lecture et l’écriture. Cette thématique a donné de
grands travaux dans les années 1980 – 1990 avec notamment Philippe Ariès et Marie-Madeleine
Compère.
I.
La mesure de l’alphabétisation
1.
Question de méthode
Les historiens ont
utilisé une source massive pouvant se traiter de manière statistique : les
registres de mariage contenus dans les registres paroissiaux. Depuis 1667, un édit du roi oblige les mariages à être
enregistrés dans ces registres.
Surtout cela oblige les mariés à signer ou à indiquer qui ne signent pas car
ils ne savent pas signer.
Cette source fut
utilisée une première fois dans le cadre d’une polémique entre Républicain et
monarchistes catholiques fin XIX° siècle. L’église qui avait en charge l’éducation de la
population l’avait-elle bien produit ? Le contexte se fait dans le cadre
des lois Ferry. Cette enquête fut reprise un siècle plus tard par les
historiens des Annales notamment Furet.
Cet indicateur fut
critiqué sur plusieurs terrains, notamment comme si la signature était une pratique
intemporelle. En
réalité la signature individuelle émerge à l’époque moderne comme le montre les
études sur la naissance de l’individu. Les gens imposaient des marques qui
renvoyaient à une communauté et non à une identité individuelle. De plus,
savoir signer ne veut pas dire savoir écrire, certains ont une écriture
hésitante, d’autres savent recopier une signature comme dessin. Enfin, on peut
savoir lire mais ne pas savoir signer. La
signature est donc insuffisante. Elle permet néanmoins certains résultats.
2.
Pesées globales
Fin
XVII° siècle, 22% des hommes savent signer pour 14% de femmes. Fin XVIII°
siècle on est à 47% d’hommes et 27% de femmes. La nette différence de genre avait déjà lieu auparavant. Dans les
régions ou les groupes sociaux à faible ??? on a une plus forte
progression des hommes que des femmes. Le
XVIII° siècle en revanche devient la période
de rattrapage des femmes.
On retrouve une
grande coupure géographique : Saint Malo – Genève avec un Nord qui sait
signer et un Sud qui ne le sait pas encore. Au XVIII° siècle, le Sud-Est se rattrape sur le
Nord et seule la Bretagne et le Sud-Ouest restent à l’écart, ce qui va de paire
avec une résistance à l’instauration de la langue française.
On a aussi une
division entre ville et campagne.
Au milieu du XVIII° siècle, 53% des urbains savent signer contre 28% des
ruraux. Entre les villes, on a des
différences significatives avec des villes administratives (Rennes) au taux d’alphabétisation
élevé contrairement aux villes commerciales (Nantes).
Enfin les
différences sont aussi dans les classes sociales entre le clergé qui sait
écrire, les hommes de lois, la grande majorité des nobles et le monde des
bourgeois et des propriétaires rentiers. Sont massivement analphabètes les
travailleurs sans qualification et les portefaix. Les laboureurs sont à peu près
tous alphabétisés au XVIII° siècle, leurs enfants assureront le renouvellement
des curés de paroisses rurales. Les artisans furent assez précocement
alphabétisés dans des proportions honorables. A Montpellier, au XVIII° siècle,
63% des artisans savent signer contre 37% des paysans. En ce sens, les chiffres
globaux sont trompeurs du point de vue des effets dans les groupes sociaux.
3.
Les facteurs qui comptent dans l’alphabétisation
En premier lieu
viennent les institutions d’éducation. Parmi les zones fortes, où on perçoit
ces institutions, celles où l’on trouve des conflits religieux entre
catholiques et protestants.
Par exemple, le Béarn, en plein Sud-Ouest attardé au XVII° siècle, devient très
alphabétisé au milieu du XVIII° siècle. En effet, l’église catholique s’est
fortement implantée dans cette zone, tout comme les Protestants qui ont réagit
suite à l’Eglise.
Le facteur des
usages professionnels de l’écriture entre aussi en compte. Par comparaison entre des
métiers différents mais proches, alors on a des différences selon les métiers. Les
petits artisans savent écrire, leurs ouvriers moins. En effet, les premiers ont
des tâches d’écriture à effectuer. Plus ils sont indépendants, plus ils sont
fortement alphabétisés. Plus on se
rapproche du commerce, plus les taux d’alphabétisation sont élevés. Pour les
femmes, cela dépend de la répartition des rôles. Les femmes de boulanger
tenant la boutique et le comptoir savent écrire. Les femmes de tailleurs le
sont moins.
Enfin cela dépend
aussi de la situation sociale de la clientèle, plus celle-ci est élevée, plus
celle-ci pousse à l’alphabétisation.
Cela passe par une acculturation d’un groupe social plus élevé que le sien (cas
des perruquiers).
L’alphabétisation ne
touche pas seulement une petite partie de la population, en effet les artisans
et leurs revendications vont permettre l’usage politique des écrits. Les
groupes politiquement engagés sont généralement alphabétisés. C’est bien parce que la maîtrise
de l’écriture est incomplète et inégale entre les groupes sociaux que cela fait
des enjeux particuliers à lire et écrire.
II.
Le cadre scolaire
1.
Invention et succès d’une nouvelle institution scolaire :
le collège
Invention liée à l’essor
urbain de la Renaissance, les patriciens urbains (ou élites) qui dominent dans
les villes veulent donner une éducation à leurs enfants dans le but de leur
permettre l’accès à des charges dans l’Eglise, dans les Etats naissants ou bien
dans les maisons princières. Cette invention se fait dans un cadre municipal. Beaucoup d’écoles religieuses
sont tombées en déshérence et les institutions antérieures sont reprises par
les municipalités et si les écoles ne sont pas sur place, les municipalités les
y ancrent. On nomme cela des collèges comme le premier à Dijon en 1729.
Ces collèges
imitent des évolutions parisiennes du début du XVI° siècle. Or ce ne sont pas
des lieux d’enseignements mais d’hébergements pour les étudiants. Certains
étudiants riches ont des maîtres particuliers qui viennent les voir. Dans certains cas, des régents
vont s’installer dans les collèges et ces institutions recrutent des
populations de plus en plus jeunes. Se produit alors une installation de classes avec des cursus nouveaux et des
classes différentes. L’objectif est de
préparer à l’université ou de remplacer des cours d’université. Même si l’université
garde encore la remise des diplômes.
Cette
transformation des collèges parisiens va s’étendre en province et armer les
collèges municipaux. Les
loyers étant chers, en général des bâtiments sont récupérés pour donner les
cours. On a donc des régents qui sont contrôlés par des ???? Les collèges
municipaux sont généralement gratuits, mais fréquentées par l’élite urbaine. Le principal ou le recteur du collège sont
ceux qui organisent les finances mais aussi les cours, puisque dans certains
cas, le recteur intervient pour donner certains cours (pouvant faire d’un
collège catholique, un collège protestant). Dans de nombreux cas, les municipalités
vont résister à cette arrivée des études du protestantisme. On a aussi de nombreux réseaux de collèges
qui s’organisent pour former des pasteurs comme les collèges de Saumur.
On a donc des ordres
religieux qui vont reprendre en main ces collèges comme ce sera le cas pour les
collèges jésuites. Fin XVI° siècle, les
jésuites sont le fer de lance de l’offensive contre les catholiques. Ils vont fonder de nombreux
collèges mais pas là où on demande leur venu. En effet, les pères jésuites
mènent des études pour savoir si la localité peut recevoir un collège jésuite
notamment avec la question de la richesse des municipalités pour la
construction, et la richesse de potentiels élèves qui assureront le train de
vie des professeurs. C’est un signe de la réussite de ce modèle. L’autre principal
ordre de collège, ce sont les Oratoriens.
Dans les deux cas, leur personnel est
stable et compétent contrairement aux collèges municipaux où les maîtres mal
payés connaissaient un turn-over. En 1640, on a 40 000 élèves dans les
collèges jésuites, 60 000 élèves dans les collèges tous ordres confondus.
Dans les collèges,
on a un encadrement religieux très fort avec des confessions et des communions tout les
mois, des apprentissages religieux, … Ces institutions sont l’avant-garde de l’Eglise
puisqu’il est rare qu’on aille tout les jours à la messe. Les leçons de morale sont toujours liées à l’étude, on apprend le latin
et un côté moral est développé dans les textes. Ces éducations sont tournées
vers l’antiquité et les anciens puisqu’on n’y fait pas du français mais du
latin. On y apprend le savoir des Grecs et des Romains du coup, on y enseigne
Aristote, de la métaphysique et de la musique.
On
constate un assez large spectre social dans ces régions pas seulement composées
de patriciens urbains mais aussi de fils d’artisans et de couches supérieures
du monde rural. Plus on monte dans la
hiérarchie sociale, plus le temps passé au collège est long. Les petites
classes des collèges dispensent l’enseignement élémentaire qui est le maximum
des enfants d’artisans, tandis que les fils de bourgeois continuent plusieurs
années.
2.
L’enseignement élémentaire
Une partie est
héritée du Moyen-Age avec des écoles de chants, sous contrôle du chapitre cathédral,
dans le but de chanter durant l’office. Ils y apprennent aussi la grammaire au
travers des chants. L’enseignement est gratuit mais n’est pas de masse.
On a aussi des
petites écoles,
qui sont des écoles de quartier dans le sens d’un petit réseau de maîtres et de
maîtresses, le bâtiment lui, est variable. Là encore l’enseignement est limité.
Les maîtres
écrivains
enseignent l’écriture graphique : faire de belles lettres, construire des
tableaux, … Dans les faits, ces maîtres sont aussi des maîtres d’école. Ils
forment une corporation qui luttent contre celle des maîtres des petites écoles
et les maîtres clandestins.
Enfin les maîtres
clandestins
opèrent sans en avoir le droit.
Les écoles de
charité, dans le
cadre de la contre réforme, naissent sur l’initiative de dévots pour qui le
peuple urbain représente une peuple mal christianisé. On a par exemple les
frères des écoles chrétiennes, animés par Jean-Baptiste de la Salle. Ils vivent
en communauté et ont leurs règles, mais ce sont des laïcs et ils ont des
missions exclusivement d’éducation avec des missions gratuites pour le peuple.
En 1619, ils sont présents dans 22 villes.
En campagne, le
cadre institutionnel n’est pas aussi strict qu’en ville. En général ce sont des
curés qui enseignent des rudiments aux enfants, parfois celui-ci embauche un
maître. Le maître peut aussi être embauché par les parents, … Bref on a une
pluralité des situations mais l’idée s’impose qu’il faut une institution d’enseignement.
Le pouvoir royal fait alors pression sur les communautés pour qu’elles
embauchent des maîtres d’écoles.
Les
compétences des maîtres étant inégales, certaines communautés se spécialisent dans
la production des maîtres d’école. Ainsi certains artisans ou agriculteurs du Dauphiné
en été, se font maîtres en hiver en Provence. Dans certains cas, les maîtres
apprennent seulement la lecture, parfois aussi à écrire et compter. Souvent
embauchés comme assistant du curé, on demande
aux maîtres de travailler pour la communauté en lisant par exemple les
promulgations.
3.
L’éducation des filles
Avec l’abondance de
l’écrit et sa diffusion, l’illétré homme ou femme est une figure dévalorisée.
Apparaît alors l’idée que la femme pieuse peut accéder à toute la littérature
dévote sur le marché. On prend donc en charge l’éducation féminine. Les femmes
n’accèdent pas au collège
qui forme les postes publics, donc impossible. Elles sont formées dans des congrégations féminines (Ursulines
et Visitandines) mais ces congrégations doivent être cloitrées, les femmes
doivent étudier dans des cloîtres et cela demande leur construction, donc on en
trouve moins. L’objectif n’est pas l’éducation
des femmes du peuple mais davantage du patriciat. Elles apprennent dans un
monastère avec l’idée qu’elles y resteront. Avec la deuxième moitié du
XVII° siècle, on a des écoles charitables qui ne sont pas cloitrées. Financées
par des dévots, le but est de christianiser le peuple en passant par les
femmes. Le réseau pour les femmes est bien moins dense que celui des hommes.
Ce cadre scolaire
existe par une volonté de contrôle religieux. Scolariser c’est convertir et cela
permet aussi de fixer la population notamment les jeunes dont on craint les
agitations s’ils sont mobiles. Plus que d’émancipation, l’éducation est un
instrument de reproduction sociale et de contrôle social. Mais il peut devenir un vecteur de libération par les compétences qu’il
apporte. Ce qui compte beaucoup dans l’investissement éducatif, c’est le
désir et les possibilités des familles même si chacune l’envisage de différente
manière. A Saint-Malo, des enfants de commerçants y habitent mais ils sont
rarement envoyés au collège. Ces négociants préfèrent envoyer leurs enfants
apprendre le métier de marin et de marchand en perpétuant la tradition d’envoyer
ces enfants s’exercer dans des comptoirs de familles alliées en Hollande, en
Angleterre et en Espagne. Au XVIII° siècle,
ils vont massivement pénétrer dans les collèges qui répondent à un changement
de mentalité des commerçants de Saint-Malo qui visent l’anoblissement par l’achat
d’offices royaux, ce qui impose des grades universitaires et donc le passage au
collège.
Toute cette
dynamique de création d’institutions d’éducation s’est observée du coté de la
population. Cela a un autre effet, en ouvrant les emplois d’enseignants. C’est
difficile à quantifier car aux enseignants des collèges, on doit ajouter les
précepteurs privés
travaillant dans les familles aristocratiques et s’occupant des enfants avant
qu’ils n’entrent au collège. On les voit apparaître au XVIII°
siècle dans les petites annonces des recherches de maîtres privés. La
figure du régent est alors universellement moquée. Le régent, le maître de collège était alors la figure du pédant chez
les dominants. Mais pour les fils de laboureurs ou d’artisans, les professeurs
étaient une forme de promotion sociale qui permettait de gagner sa vie de
manière moins dure que d’autres métiers.
Ces intellectuels
prolétaires qui ne sont pas forcément très savants sont aussi des consommateurs
et des producteurs d’écrits. Dans
le cas du collège de Lyon étudié par Van Damme.
Au cours du XVII° siècle, les profs de ce
collège vont publier 500 livres : des pièces de théâtre jouées par leurs
élèves, des cours rédigés parfois imprimés, des livres scolaires, des ouvrages
de théologie et de dévotion, des ouvrages à la gloire de la ville de Lyon, …
Ces pères jésuites deviennent des intellectuels fortement inscrits dans l’espace
lyonnais, dans le marché scolaire lyonnais et les attentes diverses en livres.
Le collège leur permet d’acquérir une certaine renommée et ils deviennent des
auteurs connus contribuant au rayonnement de leur collège.
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