samedi 31 mars 2012

Photo 26 - 03 (cours 12)

Précédemment : Photo 23 - 03


Auguste Sander, Les paysans se rendant au bal


Enfin la photographie documentaire c’est la volonté de rompre avec la photographie d’art. La photographie documentaire est une émanation de la photographie artistique, ces photographes veulent se situer par rapport à une démarche artistique. Depuis fin XIX° siècle, on a des photographies militaires, industrielles, … qui ne se sont jamais nommées photographies documentaires. Curieusement, les fondateurs de la photographie n’évoquent jamais de photographie documentaire alors même que l’image est une forme de double témoignage. Depuis le début du XX° siècle, le parti pris du rôle de témoignage de la photographie n’a cessé d’être réaffirmé comme Dziga Vertov qui souhaite « remettre la photographie à neuf ». Dans la photographie documentaire on a donc un projet constamment renouvelé et jamais véritablement abouti. Le photojournalisme de son coté a des codes qui furent figés dès le début et pendant des décennies (instantané, …). Ce n’est pas le cas de la photographie journalisme





I.                   L’utopie encyclopédiste

Assez vite, la photo est perçue comme un véhicule pour l’éducation et la connaissance. Cette idée est consubstantielle au projet photographique initial. Ainsi en 1894, Léon Vidal fonde le musée des photographies documentaires, forme de banque d’images qui veut accueillir tout type de photographies. Il parvient à réunir 40 000 images et son projet va faire des émules à Genève, Marseille ou encore Varsovie. En 1906, Vidal est l’un des initiateurs avec Paul Otlet, du premier conseil international photographique, tenu à Marseille. C’est la volonté de fonder un réseau mondial d’échanges inspiré du modèle des bibliothèques. On discute de points précis et on réfléchit à la nature documentaire de la photographie. Otlet de son coté va réfléchir à un système mondial d’échange photographique qu’il va nommer le mundameun, forme de bibliothèque d’Alexandrie avec des documents sonores, visuels, filmographiques, … Il met sur pied un espace pour la photographie qui sera riche de 150 000 clichés dans les années 1930. On est dans un savoir cumulatif propre à la lignée de la fin du XIX° siècle.

Albert Kahn, grand industriel, se tourne vers l’image en 1909 et développe un projet utopiste d’inventorisation du globe à travers la photographie et le cinéma. Ce personnage pacifiste avait déjà fourni des bourses étudiantes pour travailler à l’international. Il a ensuite créé des opérateurs qu’il a propagé à travers le monde pour inventorier les lieux et les gens. Il cumule alors une gigantesque collection essentiellement des autochromes (70 000), mais aussi des films. Le tout est organisé avec l’aide de Jean Bruhnes. C’est une entreprise de rassemblement de clichés avec une dimension pédagogique puisqu’on veut projeter les plaques d’autochromes aux gens. Aujourd’hui les grandes bandes d’images numériques vont reprendre ces projets encyclopédistes, eux-mêmes inscrits dans des projets plus anciens.


II.                La ferveur patrimoniale

La photographie fut d’emblée conçue aussi comme un outil de préservation du patrimoine. En effet, le développement du médium photographique rencontre vite le développement du patrimoine et celui de la protection des sites patrimoniaux. Cela va aussi de paire avec l’essor des musées qui fut multiplié par deux. Toute une série d’initiatives placent la préoccupation patrimoniale au centre des intérêts des élites. Ainsi on voit apparaître la Commission municipale du Vieux Paris qui juge important tout ce qui est ancien et préserve des informations sur le Vieux Paris. Cela est du à la réaction face aux travaux d’Haussman.

Cette optique permet un essor des photographes. La photographie entretient d’une part un désir de conservation (albums photographiques, collections de cartes postales, …) en sensibilisant les gens au patrimoine et d’autre part, la photographie accélère la destruction puisqu’en documentant les bâtiments menacés, elle leur assure une pérennité rendant possible la destruction puisqu’on a toujours une trace visuelle.

Ce mouvement n’est pas seulement français, Anne-marie Teiss souligne comment les Etats nations ont inventé la notion de patrimoine. Ainsi en Angleterre apparaît fin XIX° siècle la National Photographic Record Association, créée par un parlementaire anglais doublé d’une qualification de photographe : Benjamin Stone. Il veut fédérer les amateurs britanniques dans un vaste inventaire des sites et monuments anglais. Stone lui-même prendra en photo les vieux corps de métier menacés. On a ce double phénomène de préservation et de destruction du patrimoine.

Edward S. Curtis passera une longue époque de sa vie à prendre en photo les Natives Americans. Il produira plus de 40 000 images qu’il mettra dans un projet The North American Indian, description sur le ton de l’élégie (évoquer un moment perdu mais idéalisé) de la vie de ces Indiens. Il montre alors un Etat largement disparu, des Indiens en tenue traditionnelle, en vêtements d’apparats alors qu’à l’époque, les Indiens sont déjà très européanisés. Son objectif est par son travail d’éveiller la conscience de la perte chez son public (The Vanishing race). Mais même à son corps défendant, le photographe est un agent de ce qu’il combat. Curtis fut financé par des grands industriels qui sont responsables de la modernisation du pays et de la relégation des Indiens.

Eugène Atget, en France, a beaucoup documenté la vie parisienne au début du XX° siècle. Il est l’un des pères de la photographie documentaire. Très peu connu du public, il s’est lancé dans un vaste projet dès 1890 pour engranger et diffuser les images du vieux Paris. Ces photographies vont documenter des cours d’immeubles, des devantures de magasins, des portes, … Produites dans un relatif anonymat, c’est dans le milieu des années 1920 que Man Ray redécouvre ces images. Atget est publié par les surréalistes et son projet sera porté aux nues. Dans la foulée, ses photographies sont achetées par Bérénice Abbott et les photographies connaissent une seconde vie outre-atlantique. Le pays en fera un des pères fondateurs de la photographie documentaire.
Bérénice Abbott se donne pour mission de prolonger l’entreprise d’Eugène Atget mais aux USA. Elle est photographe et va s’intéresser à New-York, pour en faire un portrait de ville en mutation, Changing New-York, vaste projet financé par l’Etat fédéral. C’est accompagnées d’une équipe de chercheurs que les photographies sont publiées avec des archivistes, … Abbot revendique son travail comme œuvre d’art. La différence c’est qu’il ne s’agit plus de fixer un moment qui disparaît mais bien de donner à voir le changement lui-même, la transition et l’actuel.

Enfin, Auguste Sander qui travaille dans la région de Cologne en Allemagne. Il acquiert sa notoriété en 1929, à 54 ans durant lesquels il publie Antlitz der Zeit (Visages de l’époque). Il souhaite utiliser la photographie pour faire le portrait des Allemands de son époque. Ce projet le préoccupe énormément et il parcourt la région de Cologne, notamment Westerwald et prend en photo des paysans puis des urbains. Il aura plus de 20 000 plaques dans son projet à visés à la fois encyclopédique et sociologique. Il veut prendre acte des mutations de l’Allemagne des années 1920 et de rendre compte de ses contemporains. Toutes les classes sociales et professionnelles entrent dans l’objectif d’Auguste Sander.
On a à faire à une véritable mise en scène de soi devant l’objectif de Sander, on a presque le sentiment que les sujets singent les comportements de la ville. On a donc une photographie qui est                co-construite. C’est une photographie qui est aussi directe et frontale : la straight photography. On a aussi une photographie nature sans effets autour. La photographie est normée, naturelle, en pied, cadrage large et frontalité. Il semble presque que ce qui structure ces personnages vient de leur stature et de leurs habits. Ces photos répondent à des mises en scène scrupuleuses, on prend rendez-vous, on discute du lieu, de la tenue, … Quand tout est calé, Sander ne prend qu’une seule vue. Cette discussion doit donner à voir une véritable pose représentative d’eux-mêmes.

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