La main de justice
II.
Les principes de
gouvernement
1.
Du cœur des royaumes vers les frontières
S’il n’est pas
pertinent de comparer l’Empire carolingien à l’Empire romain, on peut constater que dans un
contexte économique difficile, Charlemagne a passé 30 ans à faire la guerre et
à financer d’une part ses campagnes militaires, des villes nouvelles, des
bâtiments neufs, des réseaux routiers relativement performants, …
Les
historiens expliquent cet Empire par la performance du système qui est unique.
Il n’existe pas d’administration en tant que tel, contrairement à l’empire
romain ou byzantin. En revanche, l’Empire
carolingien possède un système de contrôle de ce territoire grâce à des
structures variables et qui s’appuie sur les aristocrates locaux. Karl Ferdinand Werner l’a clairement mis en
évidence, cet empire n’est pas centralisé ni même unifié sur le plan
administratif. Trois zones se
distinguent selon lui :
·
Le cœur de l’empire entre la Loire et le Rhin, lieu
de résidence de l’empereur, zone constituée de nombreux palais puisque le souverain se déplace tout le temps.
Il y a des comtés qui constituent le
territoire de cette zone. Les comtes gèrent les comtés et sont surveiller
par un double de la personne du souverain : les missi dominici. Ils cherchent à éviter les abus de pouvoir et font
remonter les nouvelles au roi.
·
La zone intermédiaire constituée
de regna, anciens royaumes ou duchés
qui sont des zones périphériques rattachés par les Carolingiens (Aquitaine, Bavière, Lombardie,
…). Ces régions ont leur propre
administration avec leur propre palais et souvent leurs propres rois, des fils
de Charlemagne. Chacun de ses territoires fonctionne selon ses lois
ancestrales. Cela n’empêche pas qu’on puisse y trouver des missi dominici. Cela permet à l’aristocratie
de continuer à avoir de l’influence et à conserver son système sans être
totalement ingéré par le royaume franc. Seule la Saxe sera le cas à part,
incorporée au cœur de l’empire.
Ces
territoires ont tous un comte de palais, il est l’interface entre
l’aristocratie locale et l’empereur
et est le comte le plus puissant comte de la région. Ce système perdurera alors
même que les Carolingiens vont disparaître. La Bavière a toujours l’idée d’une
unité.
·
Les marges, zones de glacis
militaire qui doivent être surveillées théoriquement par le pouvoir. Le
problème des frontières de ce territoire est gênant. La conception est très
différente de la notre. A cette époque
la frontière est une réalité mouvante comme the Frontier en Amérique. Du coup, les médiévistes carolingiens
s’inspirent des travaux des historiens américains sur la Frontier, comme Frederik Turner.
Il y a un front pionnier qui avance et qui entretient une relation particulière
avec ceux qui vivent de l’autre coté. Ils savent bien que d’un coté se trouve
les chrétiens et de l’autre les païens. C’est
aussi la limite où les armées carolingiennes peuvent effectuer des pillages
pour faire du butin. Cette zone est aussi celle du refuge des ennemis des
Carolingiens. Il y a donc l’idée d’une zone mouvante qui sépare deux sociétés
l’une carolingienne, l’autre plus barbare.
2.
Le Palais et les assemblées
Les
Carolingiens ont pris le pouvoir par le Palais en prenant sa tête. Une fois le Palais détenu, les Carolingiens
possède le fisc, l’ensemble des ressources publiques. On sait que la densité de
leurs biens est très forte entre la Seine et la Moselle, zone qu’on commence à
nommer par le concept de Francia, zone de province royale, vers le VIII°
siècle. La Francia est aussi la zone où l’on trouve le plus de Palais, ce sont
des résidences où le roi séjourne souvent avec sa cour. Même quand le roi n’est
pas là. Ce palais exprime l’autorité
royale. Le palais est donc aussi l’ensemble des gens qui gravitent autour du
roi.
A
chaque roi ses palais privilégiés. Charlemagne fera construire Aix-la-Chapelle entre 794
et 798. Ce Palais est le reflet de la conception carolingienne du pouvoir car
il répond à une triple fonction politique, religieuse et résidentielle. La
fonction politique s’incarne dans la grande basilique, lieu de rassemblement
des grands plaids. La basilique est
à l’origine une salle publique et non religieuse, cela vient de la Rome antique
qui réunit des grandes assemblées dans ce genre de salle. L’Eglise se la
réappropriera plus tardivement. Cette basilique d’Aix-la-Chapelle est reliée à
la zone des bâtiments religieux par un long couloir interrompu par une grande porte qui permet d’entrée dans
le complexe et qui contient le lieu où Charlemagne rend la justice, toujours le
pouvoir politique. Au bout on trouve la
chapelle, fonction religieuse avec tout un programme politique caché
derrière puisque le trône de marbre
est situé dans un emplacement stratégique. Enfin la fonction résidentielle est
visible à travers des bâtiments disparus puisqu’ils étaient en bois (logements,
chancellerie, école, …) sauf les thermes.
Charlemagne par le
plan et l’architecture de son palais fait référence à l’empire romain et
byzantin tout en développant des arts propres aux Francs. Aix reste cependant
un palais exceptionnel,
en général les palais sont plus modestes.
La chancellerie est
un lieu important de la vie romaine. Son directeur, l’archichancelier, conserve
toutes les archives
avec lui en suivant le roi et il valide
par son sceau les actes émanant du roi. Il a bien entendu des scribes qui
travaillent avec lui. La nouveauté c’est
que la chancellerie est aux mains des ecclésiastiques. Auparavant les
Mérovingiens la confiait à des laïcs. Les chapelles royales, où toute la cour
assiste à la messe, est dirigée par l’archichapelain.
Les statuts se combinent rarement. Ces deux hommes sont très importants dans la
hiérarchie du pouvoir autour du roi.
Ce
ne sont pas les seuls. Le comte du
palais, au sommet de la hiérarchie comtale, juge à la place du roi quand
celui-ci n’est pas là. Le chambrier,
ou le camérier, est responsable de la salle du trésor royale, son rôle est
financier puisqu’il gère l’administration financière et est donc en contact
direct avec la reine qui a en charge la gestion de la maison royale. A cela s’ajoute
tout un tas de conseillers du roi qui
n’ont pas de titre mais sont écoutés du roi en fonction de ces humeurs.
Est-ce pour autant
un gouvernement ? Pas vraiment, tout ces hommes ne prennent pas de
décisions, celles-ci sont prises dans lors des assemblées. Celles-ci rassemblent les grands
personnages de l’empire, laïcs et ecclésiastiques. Ils font des dons au roi
pour manifester leur puissance et obtenir la faveur du roi et ses largesses. Les anthropologues ont développé l’idée
d’échange compétitif entre Grands lors de ces assemblées, et même à l’échelle
de l’Empire, ce qui correspond bien à cette époque médiévale, un système
toujours en compétition contre plein de monde.
Ces plaids avaient
aussi un caractère sacré
puisqu’on faisait trois jours de jeûne avant et qu’on y amenait des reliques
saintes. De plus, les évêques se réunissaient souvent à part en conciles,
devenant des experts de la discussion en assemblée. Las laïcs feront de même
avec des plaids généraux.
Les assemblées
donnent leurs approbations aux capitulaires proposés par le roi. Le roi valide
la version finale, ils sont alors recopiés et diffusés dans l’Empire par les
comtes
notamment, peut être aussi par les ecclésiastiques.
3.
Les comtes et le fonctionnement de la justice
Le comte est le
principal représentant du roi et a des fonctions multiples. En premier lieu, il
a un pouvoir militaire.
Il doit conduire les hommes libres au combat. Ceux-ci ont tous le droit et le
devoir de venir participer au combat, ce n’est pas réservé aux nobles, la
conception de noblesse n’existe même pas. Le
comte a aussi un pouvoir fiscal puisqu’il lève les impôts dont une partie
lui revient et l’autre se dirige vers le roi. Troisième pouvoir, le pouvoir de police et par la suite le pouvoir de
justice. Somme toute, le comte a la délégation entière de la puissance publique
puisqu’il détient le ban royal (ordonner, punir et contraindre). Il doit
donc assurer, lors des tribunaux du comte, la justice lors des plaids ou des mallus
comtaux. En dessous, des auxiliaires du comte peuvent lui donner son
aide : les viguiers et les
centeniers. Ils jugent les causes mineures (sans mise en cause de la vie ou
de la liberté d’un homme) lors de petits tribunaux.
Le système
juridique se constitue sur une justice d’arbitrage typiquement carolingienne.
En Germanie toute famille victime d’une offense à le droit de venger son
honneur par la faida, guerre privée qui peut éteindre
entièrement des lignées. Les familles les plus puissantes ont donc l’avantage
dans ce système. Mais il est aussi
possible de négocier une indemnité, le wergeld,
le prix de l’homme. Si une famille accepte une compensation pour l’offense
alors l’honneur est lavé et on jure de rester en paix avec l’autre famille. Ce système est inscrit dans les lois
barbares. Celles-ci assurent aussi que tout homme libre doit être jugé selon sa
loi, son origine ethnique. Or l’empire carolingien n’est pas unifié sur ce
plan. La loi des Francs, loi salique est rédigée pour la première fois avec
Clovis et remodifiée sous Charlemagne, elle domine dans le cœur de l’empire.
Au-delà, chaque peuple à ses lois
(loi burgonde, loi saxonne, loi lombarde, …). Mais les carolingiens vont un peu intervenir notamment en rendant
le wergeld obligatoire pour effacer
la faida. L’Empire devant être en
paix, le roi oblige la famille a accepté la compensation. Le développement d’une justice publique rejoint davantage la loi
romaine que la tradition germanique. Le roi veut imposer le retour de la paix
par l’intermédiaire de la justice publique.
La loi romaine n’a
pas totalement disparu
(Aquitaine, Lombardie, …) puisque le bréviaire (abrégé) d’Alaric, abrégé du
code de Théodose permet aux Carolingiens de la connaître. Cette loi doit être
écrite en latin et imposée par les pouvoirs publics. La tradition germanique
elle, réclame une compensation pour tout délit. Le comte doit alors faire la synthèse de ces deux traditions romaine et
germanique, en disant le droit et en rendant la justice.
Le comte à chaque
tribunal nomme des juges qui doivent l’aider pour donner la sentence appropriée,
ce sont les rachimbourgs. L’idée
est que des sages doivent être choisis. Mais les tribunaux ne se font pas avec
les mêmes personnes et le roi comprend
vite que le comte choisit les rachimbourgs en fonction de la sentence qu’il
veut rendre. Charlemagne crée alors les échevins, des hommes nommés à vie par
les missi dominici ou par les comtes.
Autre nouveauté,
jusqu’alors l’accusé devait apporter la preuve de son innocence mais c’étaient
les rachimbourgs qui choisissaient la preuve à amener. Trois types
existaient : le serment purgatoire sur des reliques qui peut se faire avec des
cojureurs ; l’ordalie
unilatérale (soumission du corps à l’épreuve) ou bilatérale (lutte entre deux
champions dans un duel judiciaire) ; la
preuve écrite plutôt dans les procès civils et peu dans les cas criminels. Les Carolingiens vont faire prédominer le
témoignage sous serment et la preuve par l’écrit. On a conservé surtout en
Italie des notices de plaids, comptes rendus des jugements, preuves du succès
de l’écrit.
Le comte est donc
bien un personnage tout-puissant dans sa région. Pour lutter contre les abus,
Charlemagne et Louis le Pieux vont donc les surveiller avec la création des missi dominici. Apparus dès les années
780 au cœur de l’Empire, ils sont choisis par le roi. En 802, Charlemagne leur
créer des missatica, circonscriptions
des actions des missi dominici, toutes dans le cœur de l’Empire.
Ils ont en charge
de recueillir les plaintes des administrés et juger en appel du tribunal
comtal. Cela est
particulièrement vrai quand le comte abuse de son pouvoir. Ils vont donc sanctionner les abus de pouvoir du comte mais aussi de
ses viguiers et centeniers. Ils ont de plus, un rôle pédagogique puisqu’ils
doivent expliquer la bonne loi et justifier le retour à la loi romaine. En
effet, on passe d’une justice arbitrage à une justice répressive qui refuse
les arrangements à l’amiable qui amènent à la corruption. En 779, la vengeance
privée est interdite et les missi doivent expliquer cela et tâcher de les
mettre en œuvre. Ce sont donc des hommes qui représentent le roi dans leur
circonscription et ces doubles de la
puissance du roi sont plus puissants que les comtes eux-mêmes. Ils peuvent donc commander des enquêtes
appelées à des inquisitios. Il
s’agit de déclencher des procédures d’enquêtes sans que personne n’ait porté
plainte mais dès lors que le pouvoir du roi semble bafoué. De plus, cela permet aux missi d’obliger les hommes libres à faire des
serments. Parce que le missus est un double du roi, il peut contraindre les
aristocrates qui sont éhontés de cette mesure. En effet, les familles
puissantes qui peuvent opprimer les plus faibles en toute impunité, se sentent
menacées. Le développement de ces missi
répond à un vrai souci d’équité envers les hommes libres les plus faibles
puisqu’il est du devoir du roi de rendre la justice et de protéger les faibles,
d’autant qu’il devra rendre compte lors du jugement dernier devant Dieu. Malgré tout, la mise en application sera
peu efficace malgré le bon vouloir des caroligiens.
III.
Faibles et
puissants
1.
Libres et non-libres
Ce clivage est
essentiel à l’époque, impossible pour les gens du Moyen-Age d’imaginer
l’égalité entre les hommes. L’inégalité est l’ordre voulu par Dieu puisque qu’Adam a croqué la
pomme. Dieu a donné à chacun sa place sur Terre et donc a créé les inégalités.
Juridiquement on a
donc les libres qui disposent de la plénitude des droits et les non-libres
soumis à leur maître selon des degrés divers. En effet, les non-libres sont tous soumis à un
maître mais dans des situations très variables. On a des esclaves soumis à leurs maîtres, des dépendants qui sont attachés à la terre (souvent des ancêtres
des serfs) et des affranchis qui
malgré leur statut restent sous la dépendance de leur ancien maître.
Parmi les hommes
libres on trouve essentiellement des propriétaires terriens puisque c’est la
garantie sine qua non d’être un homme libre. Ils forment alors la masse de tout
les hommes qui portent les armes ce qui est un droit et un devoir de tous. Ils
assistent aux assemblées et paient les impôts. Toutes ces conditions ne sont
pas à remplir par les non-libres et certains libres préfèrent passer
non-libres. Parmi les libres on a des inégalités
flagrantes entre les potentes,
les puissants qui ne sont pas vraiment la noblesse puisqu’ils ont malgré tout
de nombreuses obligations que la noblesse n’avaient pas ; et les plus
pauvres.
2.
L’aristocratie
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