A la Une : Eva Péron
Populisme et réformisme en Amérique Latine
Le populisme est un
type de mouvement ou de régime politique dirigé par un homme fort. Il est fondé
idéologiquement et rhétoriquement sur le recours au peuple, en particulier, il
est orienté systématiquement vers la dénonciation de ce qui menace ce peuple et
appelle à un changement, souvent dans le sens d’une régénération. Il y a là un
fond politique mais le populisme est surtout un style politique avec une
tendance démagogique
(plaire au peuple). Cette dimension pédagogique, ce rapport au succès populaire
permet de faire des idéologies totalement plastiques. Le fascisme a un fond
stable, le populisme ne retient que le peuple et ses menaces. Les populismes vont aussi tenter d’éviter
les affrontements entre groupes sociaux ou avec des ennemis extérieurs. Les
populismes vont toujours éviter les menaces extérieures, ne pas faire d’Etat
totalitaire, ne jamais supprimer le système représentatif, … Bref, il y a des négociations constantes avec tout les groupes sociaux.
Le
mot vient de Russie vers 1960 et qualifie un mouvement, celui des Narodniki,
mouvement de socialisme agraire qui malgré sa connotation socialiste n’avait
pas de véritable idéologie si ce n’est un conflit ouvert avec le Tsar. Cela
désignera tout un style politique de l’Europe et de l’Amérique du Sud.
L’affaire Boulanger fut un populisme et devint le boulangisme, pareil pour le
poujadisme, le péronisme en Argentine, le gétulisme au Brésil, … La dimension
personnelle est claire et évidente, plus encore que dans les fascismes.
Enfin
ces mouvements populistes furent toujours des mouvements de contestations mais
sans accès au pouvoir en Europe alors qu’en
Amérique du Sud, ils ont eut accès au pouvoir dans presque tout les cas. Ce
phénomène est inédit en histoire et reste un fait politique de nos jours.
I.
Le temps des
populismes : conjonctures et expériences
1.
Le contexte
Apparus
dans les années 1930, ces mouvements
poursuivent leurs expériences jusqu’à la fin des
années 1950 avec des héritages extérieurs et garde aujourd’hui une forte
influence de ces mouvements.
A.
L’ère des masses
Ces années 1930 se distinguent par des nouvelles
couches sociales qui se traduisent par de nouveaux acteurs politiques.
Désormais les masses populaires sont mobilisées politiquement : manifestent, sont
syndiquées, … Il faut répondre à ce changement en utilisant cela dans leur
fonctionnement politique ou en écrasant les masses.
B.
Nationalisme économique
C’est une
idéologie, un mouvement de pensée associée à une autonomie à l’égard des
puissances jugées impériales. C’est aussi un système économique en cours
d’installation (l’ISI)
qui commence au début de la Première Guerre Mondiale et qui fait que l’Europe
n’a plus de produits finis à envoyer dans cette région. La crise de 1929 renforce
cela puisque l’Europe et l’Amérique arrêtent de produire vers l’étranger,
permettant à l’Amérique Latine de prolonger leur fonctionnement sous la
contrainte économique internationale.
Les populismes
s’appuient dessus en donnant une importance aux classes populaires qui émergent
de ce contexte. De plus, cela fait perdre le pouvoir qui était aux mains des
élites. Avec une
agro-exportation diminuée, le changement social se traduit dans un changement
politique puisque ces élites perdent leur influence. En toute logique cette
mutation profonde va encore s’accentuer avec la Seconde Guerre Mondiale. Leur
mouvement de développement va de paire avec les contextes de crise
internationale (WWI, 1929, WWII). Les
deux grandes dates des populismes sont 1930
et 1945, pile les moments de crise de
l’Occident.
C.
La peur du communisme
Avec
les nouveaux mouvements progressistes révolutionnaires apparus dans les années
1920 – 1930, on a une réaction épileptique des mouvements de droite. Le populisme est inclassable car les
leaders populistes sont tous anti-communistes, même si le peuple est la base
des politiques populistes. Les pauvres, les gens modestes sont la cible qui
parviendra à mener ces partis au pouvoir. Mais
il y a une peur panique d’une mobilisation révolutionnaire de ces masses. Le
rapport aux masses est alors fondé sur le désir d’éviter de propager les idées
communistes. Il s’agit de parler et de négocier avec ces masses pour désamorcer
les tendances communistes.
Cette
volonté d’empêcher la mobilisation révolutionnaire s’est traduite par des
mesures sociales en leur faveur mais aussi par un encadrement autoritaire du
mouvement ouvrier, du mouvement paysan, … Cela passe par le contrôle, la
surveillance policière, …
2.
Figures et expériences populistes
A.
La Révolution Mexicaine
Si ce n’est pas un
populisme à proprement parler, on dit souvent que c’est ici qu’émerge le
populisme. En 1934, Lázaro Cárdenas arrive au
pouvoir de 1934 à 1940. Cet ancien général nationaliste est
dans la lignée de l’idéologie de la révolution Mexicaine, grand héraut du
nationalisme. Il fait alors la synthèse
entre ce que la Révolution a porté de discours de la nation menacée par ses
ennemis avec un charisme et une autorité personnelle incarnée dans son corps.
Ces prédécesseurs défendant la Révolution Mexicaine, Cárdenas se présente comme
incarnant la Révolution. On associe alors une adoration de Cárdenas avec un
succès populaire incroyable. Même s’il prétend ne pas rompre avec ???
immédiat, il va représenter la figure
archétypale du populisme (nationalisme, encadrement des forces sociales,
bienfaiteur de la nation et du peuple. Cela est renforcé par la réforme agraire
qu’il met en place et la mise en sommeil de la dimension anticléricale de la
Révolution.
B.
La Colombie de Gaitan
Cette Colombie est
l’exemple qui montre à quel point l’expérience populiste a échouée. Jorge Eliecer
Gaitan,
membre du parti libéral dans les années 1940, il s’est après la Seconde Guerre
Mondiale mis à revendiquer le besoin de redistribution des fruits de la
croissance au peuple en menant une politique de redistribution des terres à
l’égard des pauvres urbains. Il jouit alors d’un succès considérable devenant
maire de Bogotá, se présente aux
élections présidentielles de 1948 mais est assassiné.
L’échec vient d’une
part de la mort du leader, mais aussi des explosions de violences qui suivirent
avec des mesures de représailles à l’égard des quartiers bourgeois et riches
(le bogotazo) qui va donner naissance à la plus grosse guerre civile de
l’Amérique Latine : la Violencia.
Cela aboutit à une guerre entre le parti de Gaitan et le parti conservateur.
C’est la preuve de l’espoir qu’a représenté ce mouvement politique, au point de
déclencher une guerre civile très meurtrière pendant plus de 10 ans.
C.
La Bolivie de 1952
C’est un mouvement
politique qu’on peut juger comme une Révolution, mais par certaines
caractéristiques on peut le classer dans les populismes. Ce pays est très
pauvre si ce n’est par l’étain aux mains de grandes familles riches de Bolivie et à celles des grands propriétaires
terriens. Cette inégalité énorme entre riches et pauvres fait que l’entrée en
politique des masses est très retardée face à une oppression inégalitaire trop
forte.
Entre 1933 et 1935,
la guerre du Chaco entre le Paraguay
et la Bolivie est très meurtrière surtout chez les pauvres puisque les riches
évitaient d’aller au front. La victoire revient au Paraguay. La Bolivie face à
ses morts inégalitaires, pousse un nouveau mouvement : le MNR (MNR). Ce mouvement est
anti-oligarchique et veut lutter contre les quelques familles détenant les
mines d’étain, cette oligarchie de
l’étain se nomme la Rosca. Cette action politique qui passe par toutes les
strates de la population va échouer dans l’aboutissement d’une prise de pouvoir
par les urnes. 20 ans après sa création,
le MNR arrive au pouvoir par un coup d’Etat qui est prénommée Révolution. Ce
mouvement porté par le MNR, le parti communiste et les syndicats miniers
possède un leader : Victor Paz
Estenssoro. Les mesures seront alors la nationalisation des mines
d’étain, la nationalisation des possessions de la Standard Oil, réforme agraire
et proclamation du suffrage universel incluant femmes et analphabètes. Pour le placer en populisme, on peut
souligner le fait que son leader va porter l’incarnation de cette Révolution
mais aussi parce que le régime va intégrer les forces politiques à l’Etat (intégration
des syndicats puis fusion de tout les syndicats avant d’être mis sous la
tutelle du ministère du travail, …) et le tout très rapidement puisque le
régime tombe au bout de 12 ans. Cette Révolution repose sur un fort encadrement
populaire, une affection publique pour le leader, …
3.
Les caractéristiques communes
A.
Un leader, une rhétorique
On a toujours un
homme qui construit un lien privilégié avec le peuple. Il est toujours issu des
classes moyennes nouvelles
urbaines (Vargas, Gaitan, Paz Estenssoro) ou militaires (Perón). Ils ont un charisme important et
organisent de grands meetings dans une atmosphère presque de ferveur. Ils
arrivent à mettre en scène le fait qu’ils incarnent le peuple surtout dans une
population très chrétienne qui y voit une incarnation de la transcendance
(Christ et compagnie).
Le peuple est
toujours présenté comme unique et homogène, il y a le peuple et pas de races.
En revanche, on a des ennemis du peuple les vieilles élites oligarchiques pas vraiment
nationales, les capitalistes étrangers, les communistes liés à Moscou, …
B.
Des régimes modernisateurs
Ces régimes vont
profondément réformer les systèmes dans lesquels ils s’implantent avec une
accélération de l’industrialisation.
Ils sont portés au pouvoir par des classes nées de l’industrialisation et donc
industrialisent au nom de l’Etat, en nationalisant beaucoup et en réduisant au
maximum le recours aux capitaux étrangers. Par
ailleurs, des réformes sociales sont menées très souvent des réformes agraires,
mais on trouve aussi des mesures de libéralisation du système politique
(suffrage souvent élargi parfois même aux femmes) qui sont pourtant contredites
par le fait que toute organisation autonome de la société est organisée par un
contrôle strict. On n’a par contre guère besoin de contrôler le processus
électoral. Le rapport à la démocratie
est ambigu.
II.
Deux grands
archétypes
1.
Le gétulisme au brésil (1930 – 1945 ; 1951 – 1954)
Getulio Vargas arrive au pouvoir par un coup d’Etat suite à un échec aux élections
présidentielles légales. Il n’est pas soutenu par le peuple et arrive au
pouvoir en tant que libéral tourné vers le monde du travail en créant un
ministère du travail. Au pouvoir de manière illégale, il se fera élire
officiellement président de la République brésilienne en 1934.
Son rapport au
populisme est très ambigu. C’est un homme politique qui a pour premières
mesures des programmes démocratiques :
suffrage pour les femmes, assemblée constituante qui fait une constitution très
libérale, … Il sera celui qui a donné
voix au peuple en se tournant vers eux et en les plaçant au centre de sa
politique. Ce sera surtout le cas lors de son second mandat, proche d’un
Front Populaire, d’autant qu’il s’est suicidé par balle juste après en léguant
son corps au peuple.
Par contre, entre
1937 et 1945, il a instauré une dictature appelé l’Etat Nouveau (Estado Novo)
de tendance fascisante
avec des militaires pro-axe plutôt que pro-alliés. Mais il est resté la référence de la gauche brésilienne puisqu’il a mis
en place l’Etat Providence brésilien (congés payés, journée de huit heures,
hôpitaux publics, …). Les mesures furent si populaires que son rapport
personnel à la démocratie n’est jamais clairement explicité.
2.
Le péronisme (1945 – 1955)
Perón est intéressant
comme leader. Sa vie personnelle fut littéralement sacralisée, en particulier
sa femme Eva
Duarte,
prénommée Evita. Cette jeune actrice, petite amie de Perón quand il est jeune
militaire dans une junte réformiste autoritaire. Devenu trop populaire, la
junte l’exclut. Il arrive au pouvoir parce que cette jeune actrice appelle à
une manifestation pour qu’il soit réintégré dans la junte. Elle appelle les
sans-chemises à manifester et c’est un succès.
Le couple va avoir
le pouvoir politique. Eva aura en charge la branche féminine du parti
justicialiste. Plus
que son mari, elle va devenir une icône religieuse populaire puisqu’on a encore
des ex-voto en son nom. Le populisme marche par une politique à destination du
peuple mais aussi parce qu’on a un rapport nouveau au pouvoir politique,
beaucoup plus proche, affectif et quasi-religieux.
Les populismes ont
construit un rapport nouveau à la démocratie qui malgré le fonctionnement
autoritaire à divers point de vue les a fait demeurer dans les mémoires comme
libérateur des masses populaires plus que comme celui qui les soumettait. C‘est ce que les mémoires des
pays ont retenu. Les couches populaires ont compris qu’elles comptaient pour le
pouvoir. Mais il y a aussi une compréhension du peuple d’une différence entre
le peuple et les élites au pouvoir. Cette
affirmation d’un mouvement nouveau, essentiellement dans l’opposition aux
élites existantes se retrouvent toujours. Cela pose des problèmes puisque cela
fait que seuls les leaders opposés aux élites peuvent devenir présidentiables.
Mais ces populismes
ont connu leurs limites puisque s’ils furent tous modernistes et intégrateurs,
beaucoup oublièrent les paysans
(Vargas et Perón) et quand l’ISI va
s’essouffler dans les années 1960, les populismes vont aussi s’essouffler et
vont donner naissance à de nouvelles formes de contestations populaires :
les communismes et les guérillas.
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