vendredi 16 mars 2012

Moderne 15 - 03 (cours 5)

Précédemment : Moderne 08 - 03


Apparemment, une des éditions originale de La Nouvelle Héloïse, de Stéphane Jean-Jacques Rousseau



3.      Le contrôle du processus de production des livres

Les auteurs se seraient désintéressés de la mise en livre puisque cela était associé au travail. Il n’empêche qu’ils tentent d’intervenir dans le processus de production qui prend place dans l’atelier de l’imprimeur et qu’il faut avoir des compétences dans l’art de l’imprimerie. Ainsi, Jean-Louis Guez de Balzac, spécialisé dans le recueil épistolaire, il vit près d’Angoulême mais ces éditeurs sont Parisiens. Il fait alors contrôler ses ouvrages par un ami parisien qui fait le suivi de correction des épreuves, les premières feuilles imprimés d’un livre que l’on corrige. Il y a alors des discussions sur l’espacement entre les mots entre autre, dont Balzac et son ami discutent par lettres. Rousseau au XVIII° siècle avait une correspondance nourrie avec son éditeur de La Nouvelle Héloïse. Rousseau est alors en province et passe un contrat moral avec l’éditeur. Rousseau veut avoir la dernière main sur la correction pour ne pas introduire de fautes. Il lutte pour avoir cela et en échange il s’engage à renvoyer le plus vite possible ses épreuves. Dès qu’il les reçoit il les travaille immédiatement. On a donc des écrivains qui s’efforcent d’assurer la mise en texte.
On a cependant des auteurs qui sont dominés par les libraires comme les auteurs qui vivent des activités de traduction, ceux qui s’occupent des almanachs sur commande des libraires ou encore les collections de romans qui vont jusqu’à publier des dizaines de titres. C’est les relations quand les auteurs sont rémunérés par les éditeurs.




Soulignons donc le poids de l’acteur royal, celui des communautés des villes qui sont ambigües en pariant sur la solidarité communautaire et en contournant souvent les règles de celle-ci. Dans le cas des ouvriers typographes, on a une aristocratie ouvrière avec un travail qui est qualifiant et intéressant socialement. Chez les libraires on a des grandes différences de fortune sans pour autant d’anoblissement de la population. Quant aux auteurs, c’est très contrasté. On en a certains soumis aux éditeurs mais pour autant d’autres réussissent et cela devient un moyen pour se propulser auprès des puissants jusqu’à pouvoir être un auteur « vedette » de l’époque comme Rousseau. Mais pour certains auteurs c’est plus dur vu que l’éditeur a souvent le dernier mot.


 Luther, ce timbré


Livre et réforme protestante


On dit souvent que la réforme est la fille de Gutenberg à partir de l’observation entre une réforme allemande et une invention allemande. Ce rapprochement effectué dès le XVI° siècle par un écrivain allemand. Il y a un rapprochement entre les deux qui est fait puisque l’invention accentue beaucoup la lecture de la Bible, puis le fait que l’imprimerie sera utilisée pour faire passer les idées protestantes en Allemagne. Luther fera une déclaration sur l’imprimerie comme « ultime don de Dieu » ce qui appuiera cette théorie. Mais pourtant, dans de nombreuses autres occasions, Luther sera plus sceptique sur l’usage de l’imprimerie. Affirmer le lien entre la réforme et le livre ne coûte rien mais de manière générale on ne peut pas aller plus loin. Il faut donc chercher à le démontrer.
Une telle idée aboutit à minorer la place du manuscrit et de la circulation des manuscrits avant la réforme. Au XVI° siècle on a à faire à une religion tissée de livres et de pratiques d’écriture. La réforme et le livre ne sont pas distincts. La religion pensée au XVI° siècle est une religion ou les livres sont présents partout.


I.                   Luther et les livres

1.      Luther et la critique des livres

Pour Luther le temps présent est sous le signe de la prolifération des livres. Ce processus est ancien et tient d’une ignorance. En effet, si Adam n’avait pas croqué la pomme, les hommes n’auraient pas eut besoin de livres. Donc l’invention du livre est liée à la religion et au péché premier. Il souligne aussi que cette question des livres est déjà un problème dans les Evangiles puisque la mise en écrit de la parole de Jésus est contraire à cette parole. Les Evangiles sont une trahison des idées de Jésus, mais elle était nécessaire pour vaincre les hérétiques. Autre idée, Dieu a puni les hommes en leur envoyant plein de mauvais livres dont les écrits d’Aristote. Pour Luther, ses livres sont appelés à disparaître dans son esprit.
La critique des livres a pour défense la sola scriptura, la lecture de la Bible seule et non pas les commentaires de la hiérarchie de l’Eglise et de ses théologiens. Quant à la Bible ce n’est pas tant un livre que de la parole. Luther attache certains livres à la parole ce qui en autorise certains. Tout les autres livres ensemble formeraient en revanche un brouillard trompeur vis-à-vis de la Bible. Les livres de Luther sont là pour diminuer le brouillard.

2.      Les préfaces de Luther

Luther a écrit de multiples textes et notamment des préfaces à des éditions (avec un total de 131). Il écrit aussi des textes de pasteurs et s‘entraîne aussi à la republication d’auteurs médiévaux pour montrer leurs erreurs. Il édite ainsi des textes d’auteurs catholiques de son temps pour montrer leurs erreurs. Toute cette activité est alors contradictoire avec sa condamnation des livres.
Ses préfaces ont une tonalité autobiographique en revenant sur lui pour montrer le chemin parcouru depuis la Réforme. Il montre combien le monde était dans l’erreur avant et comment on peut s’en sortir. Il évoque son style, sa manière d’écrire comme celui d’un écrivain de combat, un écrivain bucheron qui abat les forêts d’erreurs de ses adversaires. Il y a plusieurs autres bons écrivains bucherons, selon Luther.

Il y a dans ces ouvrages un motif eschatologique : la fin du monde est pour bientôt. Cette fin du monde est très souhaitée « J’espère que le jugement est pour bientôt. Amen. ». S’il affirme si fort la fin du monde, c’est pour polémiquer contre Rome et sa pratique des indulgences entre autres. C’est le moment où un certain nombre de chrétiens se convertissent au protestantisme suite à leur aveuglement. Cela donne la clé de la contradiction : puisque la fin du monde est proche, tant pis pour la prolifération des livres qu’ils soient bons ou mauvais puisqu’ils sont tous appelés à disparaître. Les croyances de Luther relatives à la fin du monde interviennent dans ses choix d’éditeurs et de préfaciers. Inversement, ses croyances intègrent le fait du livre : Luther raconte la chute de l’homme et le livre y prend une place centrale.

On trouve aussi l’idée qu’il existe une longue chaîne de réformateurs. C’est un sujet polémique puisque l’Eglise dénonce un homme qui n’est pas le seul critique de l’Eglise et souligne les échecs des prédécesseurs de Luther. Ce dernier déclare alors que certes ils ont existé, mais que le temps n’était pas encore venu pour eux de faire tomber l’Eglise. Cette chaîne restée longtemps invisible doit alors apparaître au grand jour et c’est une des missions de Luther que de les mettre en évidence. A leurs époques, ils n’étaient pas dans un contexte favorable pour exprimer leurs critiques. C’est à Luther de les intégrer à sa pensée.


II.                Le livre réformé

Sur le contact direct avec les évangiles, les Protestants s’opposent directement aux Catholiques qui ne lisent pas la bible jusqu’au XIX° siècle. Il y a cependant un problème de perspective puisque l’insistance théorique sur le contact direct à l’évangile ne s’est produit que lentement. Au XVI° siècle, il y eut une résistance à mettre la bible entre les mains des réformés. Il faut faire avec ce phénomène social plutôt long au cours duquel le peuple a eut accès aux livres. Ce n’est pas une spécificité religieuse des Protestants mais un phénomène social général.

1.      Les Protestants et la Bible

« Chaque chrétien étudie par lui-même l’écriture et la parole de Dieu » selon Luther. On a donc un retour aux origines du christianisme par delà tous les siècles ou la pureté du christianisme a été pervertie par l’Eglise. Pour autant Luther ne demandera pas que la Bible soit mise entre les mains de tout les Chrétiens. Calvin sera encore plus réservé. L’idée étant que la Bible pourrait se prêter à de mauvaises lectures lorsqu’elle serait aux mains du peuple. La réforme n’est pas un mouvement aux conséquences religieuses mais aussi aux conséquences sociales avec des insurrections la Bible à la main. Luther condamnera certaines de ces insurrections.
En Angleterre protestante, en 1543, Henri VIII accepte la diffusion de la Bible en anglais et il distingue trois catégories de personnes pour son accès. Les Nobles et les Gentilshommes qui peuvent la lire et en faire la lecture à haute voix pour ceux vivant sous leur toit. La lecture de la Bible est interdite aux femmes, aux apprentis, aux compagnons, aux agriculteurs et aux petits propriétaires. Les femmes nobles peuvent lire la Bible mais uniquement pour elle, donc sans pratiquer l’interprétation. Lors du concile de Trente, plusieurs personnes mettent en valeur le fait que lire seul la Bible permet de développer un avis et de d’élever son esprit.

Il va donc y avoir un travaille de retraduction de la Bible par Luther et elle parait en 1534 comme première traduction allemande, première Bible hollandaise en 1526, première Bible italienne 1532, première Bible française 1535. La Bible allemande de Luther a connu 400 rééditions entre 1534 et 1546. La Bible de Luther était davantage destinée aux pasteurs et aux clercs plutôt que directement aux fidèles. La Bible calviniste en revanche par son petit format n’est pas exclusivement réservée aux clercs.

2.      Les ouvrages de la Réforme

A.     Le cas de Wittemberg

A Wittemberg, la ville de Luther, on a un bon exemple de l’intense activité éditoriale. Cette petite ville universitaire n’a qu’un  modeste imprimeur. En quelques années, la ville deviendra un grand centre d’édition. Pareil avec l’installation de Calvin à Genève. Luther va faire venir des imprimeurs d’autres villes allemandes pour que les éditions suivent la production de Luther et de ses disciples comme Melanchthon. Ils représentent un marché très important et Wittemberg se spécialise dans la diffusion protestante. Pareil à Strasbourg à une moindre échelle. On a aussi des phénomènes de réimpressions sauvages, sans permissions. Face à cela Luther agira d’une manière ambivalente car cela souligne son succès et diffuse sa pensée tout en craignant une déformation de sa pensée par des éditeurs peu scrupuleux. Il va alors créer sa propre marque d’éditeur en apposant son nom.

B.     La multiplicité des types de livres

On publie donc la Bible avec de multiples déclinaisons, on retrouve aussi des catéchismes, des recueils de cantiques, des ouvrages de consolation (à propos de la mort) et les pamphlets. Ces derniers ont une certaine unité par leur mauvaise qualité typographique car ils sont imprimés rapidement. Dans les pamphlets on a des sermons, des dialogues, des lettres, des thèses universitaires ou des traités savants. Ces pamphlets défendent la réforme en condamnant les pratiques catholiques des indulgences au culte des saints et des reliques en passant par la croyance en le purgatoire.
Il y a aussi le problème des langues. On parle le bas allemand dans le Nord et un quart des livres publiés sont dans ce jargon. Avec les années 1530, le déclin du bas allemand se ressent dans la chute des publications dans ce patois.

C.     La question de l’adhésion des ouvriers du livre à la Réforme

Le fait qu’une ville devienne un foyer de l’édition n’est pas donné. Lorsqu’un centre d’édition devient protestant, cela se sent sur la pratique. Ainsi à Paris, tenu par le pouvoir royal, pas de souci. Les villes touchées seront Strasbourg qui publie surtout en allemand, Genève puis Lyon. A Lyon se forme un milieu militant d’éditeurs et d’ouvriers protestants dans les années 1550. Des imprimeurs défilent dans les rues en chantant des psaumes. Dans ces années, des assemblées clandestines réunissent ouvriers et éditeurs protestants lyonnais. On a donc un milieu professionnel fortement marqué par la réforme.
Il faut pourtant distinguer l’adhésion individuelle à la réforme, éditions protestantes et militantisme. A Lyon cela fusionne mais souvent cela reste séparé : adhérer à la Réforme ce n’est pas toujours travailler dans les officines protestantes.

3.      Vivre sa foi à travers les livres : Magdebourg (1548 – 1551)

La Saxe est reprise en main par les Catholiques et Magdebourg devient le lieu de résistance des Protestants. La ville a lutté contre l’évêque en place avec face à lui la municipalité bourgeoise luthérienne. Magdebourg devient le lieu de refuge de tout les réformés radicaux de la région. La ville devient un bastion et se sent menacée de disparition. En 1551, la ville sera assiégée par l’empereur qui la prendra, fin de l’aventure luthérienne. Pendant ces trois ans, la ville est sous une activité de l’écriture intense car on redoute le crépuscule de la Réforme. Tous les réformés protestants de Magdebourg vont s’efforcer de témoigner par la formule « Devenir la chancellerie du Seigneur ». La chancellerie étant le lieu de production des lois. Des livres et des pensées veulent témoigner de la vraie foi avant la venue de l’antéchrist (pour eux l’empereur). Ainsi, vivre sa foi c’est témoigner de sa foi et donc écrire et imprimer ce qu’on écrit. Il y a une collaboration intense entre auteur et éditeur. Une forte croyance est placée dans l’imprimé qui va durer. C’est leur dernière arme alors qu’ils se sentent tomber.


On a donc vu combien la pratique et la réflexion sur l’écriture et l’imprimerie tient une place centrale dans la réforme et la pensée de Luther. Face à l’intense production des Protestants, les Catholiques vont répondre et toute une partie de la réflexion et des débats des conciles de Trente visent à répondre sur le terrain de l’écriture, les Chrétiens doivent bien lire.

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