Haya de la Torre
L’Amérique Latine et les deux guerres mondiales
La
première guerre mondiale a-t-elle représentée un tournant dans la politique de
l’Amérique Latine ? Dans le cas européens on est certain de cela, on
considère que ces deux guerres furent la matrice du XX° siècle européen. En
effet, de ces guerres sortirent le communisme et les fascismes, Georges Moss parlant de brutalisation de la
société. Or dans ce cours, les guerres
mondiales ne sont pas le tournant de l’Amérique Latine : il s’agit plutôt
de 1939. En revanche, ces guerres ont un impact non négligeable dans leur vie
politique, intellectuelle, économique, géopolitique et diplomatique. Cette
Première Guerre Mondiale va donner une indépendance à l’Amérique Latine vis à
vis de l’Europe, tout en les mettant sous la tutelle américaine. De plus, cette
guerre accroit l’importance de nouvelles catégories sociales qui vont contester
les régimes oligarchiques alors en place. Les contestations en marge des
régimes oligarchiques deviennent très fortes dans les années 1920. Plus qu’un
tournant, c’est une accélération des situations datant d’avant la guerre. On
constate en particulier une volonté de la région de se détacher de l’influence
européenne en trouvant des identités propres piochées dans leur histoire
(ethnisme, nationalisme, …). On a donc des années 1920 et 1930 qui font
exploser les contestations révolutionnaires, mais au final ce sont les pouvoirs
autoritaires qui gagnent puisque les élites politiques qui cherchaient une
nouvelle forme politique vont souvent devenir autoritaires voire totalitaires.
I.
Le contexte nouveau
de l’après Première Guerre Mondiale
1.
La Première Guerre Mondiale en Amérique Latine
A.
L’implication limitée de l’Amérique Latine dans la guerre
Initialement,
lorsqu’elle intervient, l’Amérique Latine
arrive dans un consensus neutraliste face à un conflit jugé seulement européen
et concernant peu les élites d’Amérique. En plus, ces élites ont des intérêts
un peu partout en Europe et donc pour ne s’allier personne contre soi, les pays
se placent neutres.
Cependant avec en
1917 l’entrée en guerre des USA, les pays d’Amérique Centrale et Caraïbes,
fortement soumis à la tutelle américaine, vont s’engager auprès de ce pays (Panama, Honduras, Nicaragua,
Costa Rica, Guatemala, …). En plus de ces petits pays soumis aux USA, le Brésil les suit car les intérêts
économiques américains y sont très importants.
Malgré l’entrée en
guerre, aucun pays n’enverra de troupes excepté le Brésil qui envoie 13 médecins à Paris et
quelques généraux dans la Royal Navy. C’est
une participation symbolique uniquement. Massivement, l’opinion publique est pourtant
du coté des alliés que ce soit chez les politiciens, dans la presse ou
ailleurs. Ainsi, en 1917 l’Uruguay fait du 14 juillet sa fête nationale pendant
quelques années. La plupart des pays rompent leurs relations avec l’Allemagne.
B.
L’impact de la Grande Guerre
L’Europe se
convertit à l’économie de guerre n’exportant plus ses produits de par le monde.
Cela empêche l’Amérique Latine d’avoir accès à ces produits et les pays doivent
alors les fabriquer sur place. Avec la Grande Guerre s’amorce l’industrialisation
par substitution aux importations (ISI). Les pays commencent donc leur industrialisation à
cette époque, s’enrichissent et accroissent leurs exportations traditionnelles
de produits bruts. L’Amérique Latine entre en Europe plus riche qu’elle n’y
était rentrée avec une ébauche d’un processus tourné vers l’intérieur.
En géopolitique, on
constate la portée de l’influence des USA dans l’entrée en guerre. On a une
évidence de la tutelle diplomatique américaine qui s’accompagne d’une perte
d’influence de l’Europe.
On a donc une prise de conscience de la tutelle des USA au moment où on
constate qu’ils ont une participation économique phénoménale dans l’économie
des pays d’Amérique Latine. Ces deux phénomènes (enrichissement économique et
tutelle américaine vont nourrir la
contestation idéologique et politique qui est une réaction à l’omnipotence de
ce voisin encombrant. On a donc une explosion des nationalismes
latino-américains. Ce nationalisme souvent associé à l’anti-impérialisme
américain qui avait déjà des antécédents. Ainsi José
Marti, héros de l’indépendance cubaine dans les années 1890, va
devenir un grand théoricien pour trouver une identité latino-américaine. Il
trouve que ces populations sont affublées de masques étrangers. Anti-impérialisme, nationalisme et autres
ne naissent pas à ce moment là mais s’y développent de manière accélérée.
2.
Les mutations sociales
A.
Urbanisation
Cette urbanisation
s’accroit fin XIX° siècle et s’accélère par la Grande Guerre.
Pour
plus d’informations, revoir le cours qui en parle.
B.
Nouvelles couches sociales
Ces nouvelles
classes sont les classes moyennes et la classe ouvrière qui étaient déjà
présentes auparavant bien que faibles et peu visibles. Avec la Première Guerre
Mondiale, on a une forte visibilité en particulier de la classe ouvrière grâce
à l’ISI. La croissance économique met en
évidence le mauvais traitement de ces classes qui se soulèvent et multiplient
les grèves massives, les manifestations violemment réprimées, … La classe
ouvrière se mobilise aussi durant cette période.
3.
De nouveaux acteurs politiques
Ces
nouveaux acteurs interviennent dans des démocraties de façades, oligarchiques
ou autoritaires, ces pays sont agités par les nouvelles couches sociales.
Celles-ci s’organisent autour de trois axes.
A.
Les partis de masse
Les partis déjà
apparus autour de 1900 vont bénéficier de la Grande Guerre. Par exemple, en Argentine,
l’Union Civique Radicale, fondée en 1891 qui arrive au pouvoir en 1916 avec à
sa tête Hipolito
Yrigoyen (1916 – 1922 ; 1928 – 1930). Menant un libéralisme
politique radical, des lois sociales (journée de 8 heures, …), des réformes
universitaires d’envergure, … Et tout cela est poussé par un parti comptant des centaines de milliers de militants
et qui inclut donc une nouvelle figure
dans le paysage politique, le parti de masse.
B.
Les armées
Les armées sont
constituées de classes moyennes chez les officiers. Elles vont connaître de
fortes mutations dans années 1920. En particulier elles se professionnalisent sous l’influence d’Européens qui
vont envoyer des missions pour former ces militaires. Avec cette
professionnalisation, on impose des
normes, un règlement dans les évolutions de carrière, une hiérarchie stricte et
rationnelle, un système de recrutement, …
Cette
professionnalisation va donner aux officiers l’impression d’être la seule
corporation organisée dans des pays instables. D’où plusieurs interventions
militaires des généraux qui se sentent supérieurs intellectuellement et
moralement au reste de la société et y trouvent par là une certaine légitimité.
Ce sont des
officiers modernistes, très éduqués parfois progressistes. Au Brésil c’est le Tenentismo
(lieutenantisme) qui a lieu en 1922 et 1927. Ces jeunes de 22 – 23 ans contestent
l’oligarchie brésilienne et menacent de prendre le pouvoir, sans succès.
C.
Les étudiants
Présents assez
tardivement, les étudiants apparaissent soudainement et jouent un rôle en
politique. Ils
se soulèvent alors régulièrement en plusieurs endroits d’Amérique Latine.
Même si il semble
que ces acteurs ont pour seule source de points communs leur apparition, ils sont
surtout toujours nationalistes, toujours industrialistes, toujours modernistes
et souvent progressistes.
Ils sont l’influence de facteurs proprement politiques à l’Amérique du Sud et
liés à la Première Guerre Mondiale et à la Révolution mexicaine.
II.
Des contestations
continentales
1.
Le mouvement de la réforme universitaire (1918)
Mouvement étudiant
débutant dans l’université de Cordoba,
seconde ville après Buenos Aires. Loin d’être modernisée, la faculté est très
hiérarchisée et conservatrice (pas de Marx ou de Darwin). Cette université qui
s’agrandit avec la hausse des classes moyennes va entraîner une explosion dans
un mouvement étudiant. Dans ce mouvement les jeunes ont entre 18 et 25 ans et
ressemblent aux revendications propres
au milieu universitaire : contrôle continu, fin de l’assistance
obligatoire à l’enseignement, espaces de dialogues à coté des cours magistraux,
élection des profs, laïcisation des enseignements, participation accrue des
enseignants et des personnels dans le gouvernement et surtout une université
ouverte au peuple donc moins chère mais pas gratuite non plus.
Mais ce mouvement
s’ouvre vite à d’autres tendances : nationaliste, anti-impérialiste,
anti-clérical, anti-militariste et anti-oligarchique. Malgré des origines sociales
communes, les militaires et la conception de guerre sont un point noir chez les
étudiants. Dans la déclaration contre l’impérialisme mondial, la fédération y
résume l’ensemble de ses convictions et assure la diffusion de ce mouvement en
Amérique Latine dans les années 1920 (Pérou, Venezuela, Colombie, Cuba et
Uruguay). A la même période Mexico accueille le premier Congrès International
Etudiant en 1921.
Dans ce mouvement,
des jeunes se forment qui vont revenir en politique tout au long du XX° siècle.
2.
La matrice péruvienne
Au Pérou, le même
mouvement arrive en 1919 de manière très importante. Il devient un espace de
formation de nouvelles générations politiques comme Victor Raul Haya de la Torre (1895 – 1979) fondateur du
principal mouvement politique péruvien réformiste, l’Alliance Populaire
Révolutionnaire Américaine (APRA) ; et
José
Carlos Mariategui (1894 – 1930) un communiste qui tente de créer un
communisme indigène, forme de communisme adapté au continent et non pas uniquement
importé de Moscou.
A.
L’aprisme
L’APRA est fondé en
1924 par Haya
de la Torre pour lutter contre l’impérialisme Nord-Américain sur
l’Amérique du Sud.
On a tout un tas de lutte sémantique pour se réapproprier le terme d’Amérique.
Ayant une filiation avec le marxisme, sa dimension internationaliste est liée à
l’idée d’une Révolution Mondiale. Haya de la Torre est invité en 1926 au
Congrès de l’Internationale Communiste en qualité de délégué. (Le Guomindang de Tchang-Kaï-Chek
n’est pas communiste mais y sera lié car le Komintern souhaite aidé les pays dans
leur indépendance à cette époque.)
L’aprisme s’inscrit dans ce sens. C’est
un mouvement nouveau qui récupère du marxisme la nécessité d’une révolution
internationale, la lutte contre l’impérialisme sans défendre le communisme
et d’ailleurs dés 1927, les objectifs s’éloignent de la révolution violente
pour une logique plus réformiste. Ils entrent alors dans le jeu politique
péruvien en se plaçant dans une gauche réformiste.
B.
Mariategui
Inspiré de
l’aprisme, Mariategui va être convaincu de former un parti révolutionnaire, le
Parti Socialiste Péruvien en 1928 qui disparait avec son chef en
1930. En deux ans, son impact sera immense. Mariategui est communiste mais il va prétendre qu’il faut adapter la
doctrine au contexte social et culturel latino-américain, en particulier à
l’héritage indien. Les communistes américains ne peuvent alors prendre leurs
ordres de Moscou car ce serait une forme d’impérialisme. Par cette idée,
Mariategui va donner les bases de la division du parti communiste au XX°
siècle : comment être à la fois national et participer à la révolution
internationale ? Rejeté par l’Internationale, Mariategui meurt deux ans
plus tard de tuberculose. L’Amérique Latine est un des continents qui fera
beaucoup de révolutions mais ce seront essentiellement des paysans, des
militaires ou des classes moyennes mais pas des ouvriers.
3.
L’émergence des Partis Communistes Latino-Américains
A.
La formation des Partis Communistes
Créés dans le début
des années 1920, sur pression de
l’Internationale Communiste, chaque pays a le sien. Mais ils restent
groupusculaires
comme au Chili qui en 1929 n’a que 5 000 membres. Seuls deux pays leur
donnent une importance assez forte.
B.
L’insurrection salvadorienne de 1932
Le Salvador en
Amérique centrale est très marqué par le poids politique, militaire et
économique des USA. Le Parti Communiste est formé par Agustin Marti qui est communiste mais qui a
déjà combattu auprès de l’anti-impérialiste Augusto Sandino. Il a mené une lutte au Nicaragua de 1927 à 1933 avec une guérilla paysanne pour
lutter contre les Américains avec succès.
Au
Salvador cela fera parti de la politique menée. En effet, Marti lève une armée
paysanne de 40 000 combattants et va partir à l’assaut du pouvoir
autoritaire en place. C’est un échec avec 20 000 morts, on parlera de matanza (boucherie). Cela reste
l’exemple d’une tentative de révolution communiste.
C.
La révolution brésilienne de 1935
Menée par Luis Carlos
Prestes, cette révolution prend pace alors que Getulio Vargas a pris le
pouvoir en 1930
jusqu’en 1938 avec une élite philo-fasciste gravitant autour de lui. Cela va
entraîner une forme de Front
Populaire : l’Alliance Nationale de Libération (ANL). Elle veut lutter
contre le fascisme par des manifestations pacifiques et devient vite énorme
avec 300 000 personnes très rapidement. Effrayant le pouvoir, elle va être
sévèrement réprimée. Prestes, alors chef
du Parti Communiste brésilien, va s’en inspirer pour faire une insurrection
communiste avec Olga Benario, tchèque juive, puisqu’il y a un terreau social.
Mais c’est un échec.
La
scène politique communiste d’Amérique du Sud est alors similaire au cas
européen, mais par contre on constate qu’il y a toujours la revendication
anti-impérialiste et la recherche d’une voie propre.
III.
Entre autoritarisme
et démocratie
1.
Régimes autoritaires et fascismes exotiques
A.
Des pouvoirs autoritaires et nationalistes
A cette époque, on
a un tournant dans la politique de droite puisque dorénavant, le pouvoir doit
être fort, personnaliste et nationaliste. Avec ces pouvoirs autoritaires et
nationalistes on constate le retour de guerres nationalistes. On aura la guerre étrangère
entre le Paraguay et la Bolivie : la guerre du Chaco qui fera 100 000
morts. L’exaltation nationaliste a abouti à cela. On a donc un renouvellement
de l’autoritarisme avec deux filons. Les
pensées conservatrices brésiliennes (Oliveira Vianna et Alberto Torres) qui
sont xénophobes (parfois racistes), nationalistes, … Et le marquis de Montealegre qui a la particularité d’avoir beaucoup
séjourné en France notamment auprès de Charles Maurras qui l’a influencé.
Ce glissement
autoritaire et nationaliste de la droite va nourrir les coups d’Etats dont ceux
en 1930 : Brésil, Argentine et Pérou et qui vont amener l’instauration
d’un pouvoir autoritaire.
B.
Des mouvements fascistes latino-américains
Parallèlement à la
nationalisation de la droite, on a des partis fascistes qui émergent comme le parti nazi chilien
fondé en 1932, copie conforme du NSDAP. Il y a de nouvelles inspirations,
des mouvements synchrétiques avec au
Brésil, l’Action Intégraliste qui est fasciste et nationaliste. Inspiré du NSDAP,
ils l’actualisent à la sauce latino-américaine avec un très fort catholicisme
et une volonté de métissage (ils mélangent Indiens, Européens, Brésiliens, …).
Partout où ces
mouvements s’installent, ils vont être très proches du pouvoir.
2.
Entrer ou non en guerre ?
Avec le début de la
Seconde Guerre Mondiale, presque toute l’Amérique Latine est dominée par des
pouvoirs autoritaires fascisant. Mais la domination américaine s’est malgré
tout accrue sur le Sud du continent. On a donc une situation paradoxale avec
des pays qui vont entrer en guerre coté alliés alors même que ce sont des
partis fascisants.
Le Brésil de Vargas est devenu une dictature fasciste et très germanophile
voire nazie et va assurer son entrée en guerre avec les USA en échange d’un
financement massif des USA dans une industrie sidérurgique à la fin de la
guerre. L’entrée en guerre sera effective, 25 000 soldats brésiliens
combattront en Italie avec les Américains. Les autres pays donneront surtout
des grands fonds pour soutenir l’effort de guerre.
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