lundi 2 avril 2012

Ancienne 28 - 03 (cours 7)

Précédemment : Ancienne 21 - 03


Le marché aux esclaves, Auguste Boulanger, (dans le style grandiloquent)


Une société romaine, des sociétés romano-provinciales


La question est de savoir s’il existe des caractéristiques communes aux sociétés provinciales. On peut certes dire oui au niveau des élites avec une aristocratie impériale à quoi s’ajoute des critères généraux de classification sociale tels l’aristocratie, l’esclavage, l’aspect rural ou encore la tendance à l’urbanisation. Les provinces ont cependant des physionomies différentes. On a aussi des divisions sociales similaires sur des critères juridiques, économiques et géographiques. En haut des pyramides sociales et économiques, on trouve les chevaliers et les clarissimes (les sénateurs). Ces pyramides (dans le fascicule) varient par provinces mais le schéma est globalement toujours le même.
Les sources écrites sont peu nombreuses, les écrivains romains s’intéressant peu au petit peuple. Les sources épigraphiques sont aussi limitées puisque les maisons de bois ont disparu mais on retrouve les maisons de pierre des élites. De plus, les sources épigraphiques honorent surtout les élites non les gens de catégories modestes.


I.                   Une société très inégalitaire en droit et en fait

Les sociétés antiques ne se conçoivent pas comme des sociétés égalitaires et une part des inégalités est inscrite dans des lois. Les critères de cette inégalité sont en grande partie communs aux sociétés provinciales. En tout cas inégalités juridiques et inégalités économiques ne se correspondent pas complètement.

1.      Liberté et esclavage

Dans toute l’antiquité gréco-romaine, la population est divisée en libres et esclaves, mais cette proportion d’esclaves varie beaucoup selon les provinces de l’Empire. En revanche la donnée la moins variable se retrouve dans les villes. La variabilité des campagnes est très forte pour sa part. Autre donnée qui varie beaucoup selon les provinces : l’affranchissement.

A.     La diffusion de l’esclavage dans l’Empire

Sous la République, la réduction en esclavage se fait avec des captures des ennemis lors des guerres. Par ailleurs, il y a des marchés aux esclaves notamment sur l’île de Délos. On sait que les Romains s’y fournissaient beaucoup en esclaves d’origine orientale. On en trouve aussi en Occident puisque le Sud de la Gaule alimente Rome en esclave Gaulois et Germains. Sous l’Empire, on constate une baisse des sources d’esclavage puisqu’il y a moins de conquêtes. Les captures sont alors beaucoup plus rares. Le commerce est lui-même moins important que sous la République. Sur le plan du commerce on trouve alors plusieurs esclaves Germains venus du Nord et au Sud des esclaves Ethiopiens venus du Sud des zones africaines. On a alors une stabilisation du nombre d’esclaves.
Une source d’esclavage révélant des problèmes sociaux, consiste en l’esclavage volontaire avec des enfants vendus ou abandonnés par leurs parents, ou alors des adultes se vendant eux-mêmes. Deux régions sont connues pour ça : l’Egypte et la Phrygie (Anatolie). En théorie, c’est censé être une pratique limitée dans le temps. L’esclave est entretenu par le maître.
On trouve aussi des esclaves nés en captivité qui prennent une plus grande importance sous l’Empire, on parle des vernae. Enfin on a assiste à des « élevages d’esclaves », une politique qui favorise les naissances d’esclaves en insistant sur un meilleur traitement des esclaves mères. De plus, on a des esclaves nés sur place, que l’on connaît mieux et à qui on décharge des fonctions à responsabilités.


Le prix des esclaves est très variable, pour vivre correctement, il faut 500 sesterces par personnes et par an. Et le prix d’un esclave varie de 800 à 2 500 sesterces. Pour avoir son esclave, il faut une certaine aisance économique. Les notables provinciaux moyens avec leurs 100 000 sesterces peuvent n’avoir que quelques esclaves (moins de 10). Par contre dans la haute aristocratie, on trouve des cas de gens qui ont jusqu’à quelques dizaines d’esclaves. La diffusion est inégale puisque certaines régions ont une proportion élevée d’esclaves et d’autres non. En Italie, cela s’élève à 30% de la population, plus encore en Sicile. D’une manière générale, les provinces les plus anciennement romanisées et les régions grecques sont celles qui ont le plus d’esclaves par tradition. Ainsi à Pergame dans le monde grec, Galien médecin de gladiateurs parle de 40 000 esclaves sur une population de 200 000 citoyens. Dans les régions récentes, l’esclavage est peu développé mais des formes d’obéissance traditionnelle se sont maintenues. En Egypte, on a peu d’esclaves mais on a un mode de fonctionnement qui est maintenu par les Romains. En Gaule centrale, on ne trouve pas d’esclaves, mais il est possible de trouver des personnes sous la dépendance de grands propriétaires. En Afrique proconsulaire, on trouve d’un coté de grands systèmes esclavagistes et de l’autre avec des méthodes fonctionnant grâce aux hommes libres. La continuité se trouve dans les villes, puisque les sociétés urbaines ont de nombreux esclaves domestiques.

D’ailleurs un autre signe que cet esclavage est un problème sociétal, l’Etat central établi des lois sur l’esclavage. La tendance est de limiter les abus et d’encadrer davantage l’esclavage. La lex petronia en – 19, sous Auguste, limite les droits du maitre à condamner son esclave à mort, l’Etat peut s’y opposer, notamment dans les cas des esclaves envoyés contre les bêtes sauvages de l’amphithéâtre. Sous Claude, la mise à mort des esclaves vieux et malades est considérée comme un meurtre, et s’ils sont abandonnés, l’Etat les libère et les entretient en partie. Enfin Hadrien dans les années 120 – 130, promulgue une loi dans laquelle les maîtres ont interdiction de tuer leurs esclaves sans jugement.
Plus généralement, des courants philosophiques soulignent le caractère humain de ces hommes qui restent inférieurs. Dans le courant stoïcien, Sénèque souligne que ces hommes n’ont pas eut de chance en naissant esclaves mais il remet en cause leur traitement. Pline le jeune au début du II° siècle, se questionne sur la nature des esclaves. Mais malgré tout, l’exploitation des esclaves reste très dure dans les campagnes, en particulier dans les mines. L’avantage serait alors d’être esclave dans une ville.

2.      Des affranchis et la mobilité sociale

L’originalité romaine tient de la souplesse de cet affranchissement. Ainsi les affranchis ont parfois une place importante dans les sociétés de campagnes. On a les libres de naissances, les ingenuus ; le libertus est l’affranchi et l’esclave est le servus. L’affranchissement est un signe de mobilité sociale plutôt pratiqué dans les villes. On est affranchi en général vers 30 ans. L’affranchissement est libre, le maître le fait quand il le veut et en général c’est par testament. Les affranchis ne sont pas détachés de la famille de leurs maîtres puisqu’ils restent clients de la famille de celui-ci (dons de services, de journée de travail, …). En échange, le maître assure la survie de ses affranchis. Pline le Jeune très riches à une centaine d’affranchis à qui il fournit 500 000 à 800 000 sesterces. L’affranchissement ne brise pas tout les liens entre maîtres et esclaves.

Sur le plan juridique, un affranchi n’est pas citoyen, ils gardent une trace de leur passé servile. Ils ont une restriction des droits politiques limités avec l’impossibilité, sauf exception d’assurer une tâche de magistrat. Leurs fils gardent aussi une trace encore plus faible. C’est la troisième génération qui n’est plus affranchie. On leur garde tout de même quelques postes pour les plus riches affranchis comme les seviri augustales. Ce sont des collèges de 6 affranchis qui assurent le culte impérial. Cela rend ambigu la place des affranchis. Au bout de deux ou trois générations, il y a un renouvellement du statut, ce qui renouvelle les citoyens romains.

Les affranchis ont un rôle important dans le commerce et l’artisanat, pratiques urbaines. L’aristocratie participe à ces milieux mais se spécialise dans les grands commerces. En revanche, les petits commerces sont tenus par des affranchis. On constate alors qu’ils ont une forte mobilité géographique du fait de leurs activités commerciales. Certains ont aussi en charge l’administration d’un domaine de leur maître. On trouve même une élite d’affranchis qui peuvent avoir des esclaves. Cela reste des classes moyennes au mieux. Symbole de cette minorité d’affranchis, Trimalcion, roman de Pétrone auteur sous Néron, dont le héros éponyme donne un banquet très luxueux et raconte sa vie à ses hôtes. Cet esclave grec venu d’Asie fut acheté par un riche sénateur dont il est devenu l’homme de confiance. Par testament son maître l’affranchit et lui lègue une partie de sa fortune. Les terres données à Trimalcion sont aussitôt revendues et il se lance dans un commerce qui l’enrichit. Il devient un symbole de la bonne société et rachète des terres pour vivre comme un rentier. Mais il reste un parvenu et ancien esclave malgré sa richesse et ne s’intègre pas aux sommets de la société.

Les esclaves et affranchis impériaux forment une catégorie à part. L’empereur à énormément d’esclaves, surtout employés dans les terres et les mines. Les affranchis le furent pour servir l’Etat et ils sont nombreux dans l’administration impériale voire régionale. On parle alors de la familia Caesaris, ces dizaines de milliers de personnes au service de l’empereur. Les affranchis sont alors les Augusti libertus. Ainsi, les procurateurs peuvent être des affranchis impériaux. Au I° siècle, on est même allé à faire des affranchis des ministres. Ainsi, Pallas était un affranchi de la famille de Claude (affranchi de la mère de l’empereur), qui devint proche de l’empereur et était en charge des comptes de celui-ci. Claude finit par en faire un chevalier romain. Il joua un rôle très important dans la gestion des finances de l’empereur. Sous Claude et Néron, un nombre assez importants d’affranchis se retrouvent à la tête de hauts postes (on aura Narcisse, affranchi de Néron à la tête du courrier impérial, Calliste s’occupera du bureau des requêtes, …). Ils sont progressivement remplacés par les chevaliers romains surtout au II° siècle. Les postes qu’ils occupent alors sont moins prestigieux. Les affranchis furent utilisés pour assurer le début du fonctionnement de l’administration impériale.

3.      Liberté, inégalité

A.     Citoyens et pérégrins

Les pérégrins n’ont pas la citoyenneté romaine. Ils peuvent avoir la citoyenneté locale, mais ne peuvent pas toujours être citoyens romains. Cela a des conséquences importantes puisque si l’on est citoyen romain on a le droit romain inaccessible sans cette citoyenneté. On peut avoir le droit citoyen local et le droit romain qui parfois, par leurs contradictions, peuvent être utiles.

La citoyenneté se transmet par le père dans le cadre d’un mariage légal. S’il naît d’une relation non-légale, l’enfant prend le statut de sa mère. De même, on trouve peu de mariages entre citoyens et pérégrins. En général, on s’assure que la pérégrine acquiert la citoyenneté romaine ce qui assure le statut des enfants.
Dans le cas des concessions collectives, une cité peut devenir cité romaine, ce qui donne automatiquement le statut de citoyen à ceux qui habitent sur place. Un magistrat d’une cité de droit latin qui finit son mandat de magistrat devient automatiquement citoyen romain en fin de mandat. Dans l’armée composée à moitié de citoyens et de pérégrins,  les pérégrins qui finissent leurs carrières acquiert le statut. On trouve aussi d’autres charges du même type comme les nautes, …

Il est aussi possible pour les pérégrins d’acquérir personnellement le droit romain. En Grèce et en Asie mineure, on cherche à acquérir personnellement la citoyenneté romaine. Il n’y a pas de procédure classique, on demande au gouverneur qui examine la demande et s’il est d’accord, on la transmet à Rome et l’empereur doit approuver. On parle d’une concession viritane. Dans ce cas, la citoyenneté acquise impose qu’on prenne le nom et le prénom de l’empereur. C’est gênant historiquement, mais à l’époque, on valorisait cet aspect qui montrait qu’on était de l’élite.

En 212, le processus s’achève puisque l’empereur Caracalla donne la citoyenneté à tout les habitants de l’Empire. On parle de l’édit de Caracalla, la constitution de Caracalla, la constitution antoninienne. C’est là que s’ouvre la voie à d’autres pratiques. La raison officielle de l’empereur est une raison religieuse, faire plus de fidèles. Il donne le droit romain à tout les pérégrins avec y compris les droits locaux. Seuls les déditices, probablement des barbares insoumis, ne l’acquiert pas. Les raisons officieuses sont peut être fiscales avec des taxes aux citoyens. Peut être aussi des raisons politiques, puisque Caracalla tente de s’allier les provinciaux en restaurant son prestige après l’assassinat de son frère. Peut être aussi une simplification administrative voire sous l’influence du stoïcisme, une réflexion philosophique. C’est une étape majeure après deux siècles de diffusion progressive de la citoyenneté. Du coup, on a une quantité innombrable de Marcus Aurelius, puisqu’ils prennent le nom de l’empereur. En conséquence, comme la citoyenneté romaine n’est plus discriminante, les noms devenant plus futiles, on se sépare d’un d’entre eux.

B.     La plèbe urbaine

Par plèbe urbaine, on entend un sens différent de celui entendu sous la République. Quand on opposait patricien à plébéien, ici plèbe évoque une composition tant de citoyens que de pérégrins. Cette plèbe urbaine se développe donc dans les villes, qui elles-mêmes se développent profitant du commerce et de l’artisanat qui prennent leur essor. On a avant tout un monde de petits métiers. Le salariat existe en ville et on trouve plusieurs dizaines de salariés, dont certains qui ont du mal à vivre et vivent des dons publics. Officieusement, on a la plèbe supérieure et la plèbe inférieure, cette dernière dépendante des distributions publiques. La morale dominante est de vivre de ses rentes pour pratiquer la politique et les sciences. On ne sait rien de la mentalité de la plèbe urbaine vis-à-vis du travail.

Dans la partie la plus pauvre de la plèbe, une partie est indépendante de la production et le modèle romain se serait étendu avec la plèbe frumentaire qui atteint les autres villes. Ces distributions publiques doivent être alimentées par des notables qui le font sur des initiatives privées. Il est difficile de déterminer si les gens qui en bénéficient ne vivent que de ça ou vivent aussi d’autres travaux. C’est difficile à évaluer et cela varie selon les lieux et les temps. De plus, les dons sont faits aux catégories sociales légalement définies pas aux pauvres en général.

C.     La population des campagnes

Les ruraux libres ou esclaves forment partout la majorité de la population. Cela évolue en fonction des régions de 90 % à 70 %. En revanche les modèles sont très divers. Une tendance générale semble être celle de la grande propriété avec des paysans payant des redevances au propriétaire. Ces paysans sont libres. En Egypte, ils sont libres mais ne sont pas propriétaires puisque l’empereur détient toutes les terres sauf les terres sacrées qui appartiennent aux temples. La petite propriété agricole existe peu, uniquement chez des Grecs installés en Egypte.

Sur le plan des inégalités sociales des campagnes, il y a très peu d’épigraphie. Quant aux conditions de vie, cela est difficile à déterminer. On a donc des régions très pauvres en Egypte, tandis qu’en Gaule la petite paysannerie semble vivre de manière frugal mais suffisante.

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