Le marché aux esclaves, Auguste Boulanger, (dans le style grandiloquent)
Une société romaine, des sociétés romano-provinciales
La question est de
savoir s’il existe des caractéristiques communes aux sociétés provinciales. On
peut certes dire oui
au niveau des élites avec une aristocratie impériale à quoi s’ajoute des
critères généraux de classification sociale tels l’aristocratie, l’esclavage, l’aspect
rural ou encore la tendance à l’urbanisation. Les provinces ont cependant des physionomies différentes. On a
aussi des divisions sociales similaires sur des critères juridiques,
économiques et géographiques. En haut des pyramides sociales et économiques, on
trouve les chevaliers et les clarissimes (les sénateurs). Ces pyramides (dans
le fascicule) varient par provinces mais le schéma est globalement toujours le
même.
Les sources écrites
sont peu nombreuses, les écrivains romains s’intéressant peu au petit peuple. Les sources épigraphiques sont
aussi limitées puisque les maisons de bois ont disparu mais on retrouve les
maisons de pierre des élites. De plus, les sources épigraphiques honorent
surtout les élites non les gens de catégories modestes.
I.
Une société très
inégalitaire en droit et en fait
Les sociétés
antiques ne se conçoivent pas comme des sociétés égalitaires et une part des
inégalités est inscrite dans des lois. Les critères de cette inégalité sont en
grande partie communs aux sociétés provinciales. En tout cas inégalités
juridiques et inégalités économiques ne se correspondent pas complètement.
1.
Liberté et esclavage
Dans toute
l’antiquité gréco-romaine, la population est divisée en libres et esclaves,
mais cette proportion d’esclaves varie beaucoup selon les provinces de
l’Empire. En
revanche la donnée la moins variable se retrouve dans les villes. La
variabilité des campagnes est très forte pour sa part. Autre donnée qui varie
beaucoup selon les provinces : l’affranchissement.
A.
La diffusion de l’esclavage dans l’Empire
Sous la République,
la réduction en esclavage se fait avec des captures des ennemis lors des
guerres. Par ailleurs, il y a des marchés aux esclaves notamment sur l’île de Délos. On
sait que les Romains s’y fournissaient beaucoup en esclaves d’origine
orientale. On en trouve aussi en Occident puisque le Sud de la Gaule alimente
Rome en esclave Gaulois et Germains. Sous
l’Empire, on constate une baisse des sources d’esclavage puisqu’il y a moins de
conquêtes. Les captures sont alors beaucoup plus rares. Le commerce est
lui-même moins important que sous la République. Sur le plan du commerce on
trouve alors plusieurs esclaves Germains venus du Nord et au Sud des esclaves
Ethiopiens venus du Sud des zones africaines. On a alors une stabilisation du
nombre d’esclaves.
Une source
d’esclavage révélant des problèmes sociaux, consiste en l’esclavage volontaire avec des enfants vendus ou
abandonnés par leurs parents, ou alors des adultes se vendant eux-mêmes. Deux
régions sont connues pour ça : l’Egypte et la Phrygie (Anatolie). En
théorie, c’est censé être une pratique limitée dans le temps. L’esclave est
entretenu par le maître.
On trouve aussi des
esclaves nés en captivité qui prennent une plus grande importance sous
l’Empire, on parle des vernae. Enfin
on a assiste à des « élevages d’esclaves », une politique qui
favorise les naissances d’esclaves
en insistant sur un meilleur traitement des esclaves mères. De plus, on a des
esclaves nés sur place, que l’on connaît mieux et à qui on décharge des fonctions
à responsabilités.
Le prix des
esclaves est très variable,
pour vivre correctement, il faut 500 sesterces par personnes et par an. Et le
prix d’un esclave varie de 800 à 2 500 sesterces. Pour avoir son esclave, il faut une certaine aisance économique.
Les notables provinciaux moyens avec leurs 100 000 sesterces peuvent
n’avoir que quelques esclaves (moins de 10). Par contre dans la haute
aristocratie, on trouve des cas de gens qui ont jusqu’à quelques dizaines
d’esclaves. La diffusion est inégale
puisque certaines régions ont une proportion élevée d’esclaves et d’autres non.
En Italie, cela s’élève à 30% de la population, plus encore en Sicile. D’une manière générale, les provinces les
plus anciennement romanisées et les régions grecques sont celles qui ont le
plus d’esclaves par tradition. Ainsi à Pergame dans le monde grec, Galien
médecin de gladiateurs parle de 40 000 esclaves sur une population de
200 000 citoyens. Dans les régions
récentes, l’esclavage est peu développé mais des formes d’obéissance
traditionnelle se sont maintenues. En Egypte, on a peu d’esclaves mais on a
un mode de fonctionnement qui est maintenu par les Romains. En Gaule centrale,
on ne trouve pas d’esclaves, mais il est possible de trouver des personnes sous
la dépendance de grands propriétaires. En Afrique proconsulaire, on trouve d’un
coté de grands systèmes esclavagistes et de l’autre avec des méthodes fonctionnant
grâce aux hommes libres. La continuité
se trouve dans les villes, puisque les sociétés urbaines ont de nombreux
esclaves domestiques.
D’ailleurs un autre
signe que cet esclavage est un problème sociétal, l’Etat central établi des
lois sur l’esclavage. La tendance est de limiter les abus et d’encadrer
davantage l’esclavage. La lex petronia en –
19, sous Auguste, limite les droits du maitre à condamner son esclave à
mort, l’Etat peut s’y opposer, notamment dans les cas des esclaves envoyés
contre les bêtes sauvages de l’amphithéâtre. Sous Claude, la mise à mort des
esclaves vieux et malades est considérée comme un meurtre, et s’ils sont
abandonnés, l’Etat les libère et les entretient en partie. Enfin Hadrien
dans les années 120 – 130, promulgue une loi dans laquelle les maîtres ont
interdiction de tuer leurs esclaves sans jugement.
Plus généralement,
des courants philosophiques soulignent le caractère humain de ces hommes qui
restent inférieurs.
Dans le courant stoïcien, Sénèque souligne que ces hommes n’ont pas eut de
chance en naissant esclaves mais il remet en cause leur traitement. Pline le jeune
au début du II° siècle, se questionne sur la nature des esclaves. Mais malgré tout, l’exploitation des esclaves reste
très dure dans les campagnes, en particulier dans les mines. L’avantage serait
alors d’être esclave dans une ville.
2.
Des affranchis et la mobilité sociale
L’originalité
romaine tient de la souplesse de cet affranchissement. Ainsi les affranchis ont
parfois une place importante dans les sociétés de campagnes. On a les libres de naissances, les
ingenuus ;
le libertus
est l’affranchi et l’esclave est le servus. L’affranchissement est un signe de mobilité sociale plutôt pratiqué
dans les villes. On est affranchi en général vers 30 ans.
L’affranchissement est libre, le maître le fait quand il le veut et en général
c’est par testament. Les affranchis ne
sont pas détachés de la famille de leurs maîtres puisqu’ils restent clients de
la famille de celui-ci (dons de services, de journée de travail, …). En échange, le maître assure la survie de
ses affranchis. Pline le Jeune très riches à une centaine d’affranchis à
qui il fournit 500 000 à 800 000 sesterces. L’affranchissement ne
brise pas tout les liens entre maîtres et esclaves.
Sur le plan
juridique, un affranchi n’est pas citoyen, ils gardent une trace de leur passé
servile. Ils ont
une restriction des droits politiques limités avec l’impossibilité, sauf
exception d’assurer une tâche de magistrat. Leurs fils gardent aussi une trace
encore plus faible. C’est la troisième
génération qui n’est plus affranchie. On leur garde tout de même quelques
postes pour les plus riches affranchis comme les seviri augustales. Ce sont des collèges de 6 affranchis qui
assurent le culte impérial. Cela rend ambigu la place des affranchis. Au bout
de deux ou trois générations, il y a un renouvellement du statut, ce qui
renouvelle les citoyens romains.
Les affranchis ont
un rôle important dans le commerce et l’artisanat, pratiques urbaines. L’aristocratie participe à ces
milieux mais se spécialise dans les grands commerces. En revanche, les petits
commerces sont tenus par des affranchis. On constate alors qu’ils ont une forte mobilité géographique du fait de
leurs activités commerciales. Certains ont aussi en charge l’administration
d’un domaine de leur maître. On trouve
même une élite d’affranchis qui peuvent avoir des esclaves. Cela reste des
classes moyennes au mieux. Symbole de cette minorité d’affranchis, Trimalcion, roman de Pétrone
auteur sous Néron, dont le héros éponyme donne un banquet très luxueux et
raconte sa vie à ses hôtes. Cet esclave grec venu d’Asie fut acheté par un
riche sénateur dont il est devenu l’homme de confiance. Par testament son
maître l’affranchit et lui lègue une partie de sa fortune. Les terres données à
Trimalcion
sont aussitôt revendues et il se lance dans un commerce qui l’enrichit. Il
devient un symbole de la bonne société et rachète des terres pour vivre comme
un rentier. Mais il reste un parvenu et ancien esclave malgré sa richesse et ne
s’intègre pas aux sommets de la société.
Les esclaves et
affranchis impériaux forment une catégorie à part. L’empereur à énormément
d’esclaves, surtout
employés dans les terres et les mines. Les affranchis le furent pour servir
l’Etat et ils sont nombreux dans l’administration impériale voire régionale. On
parle alors de la familia Caesaris, ces dizaines de milliers de personnes au
service de l’empereur. Les affranchis
sont alors les Augusti libertus.
Ainsi, les procurateurs peuvent être des affranchis impériaux. Au I° siècle, on
est même allé à faire des affranchis des ministres. Ainsi, Pallas
était un affranchi de la famille de Claude (affranchi de la mère de
l’empereur), qui devint proche de l’empereur et était en charge des comptes de celui-ci.
Claude finit par en faire un chevalier romain. Il joua un rôle très important
dans la gestion des finances de l’empereur. Sous Claude et Néron, un nombre assez importants d’affranchis se
retrouvent à la tête de hauts postes (on aura Narcisse, affranchi de Néron
à la tête du courrier impérial, Calliste s’occupera du bureau des requêtes, …). Ils
sont progressivement remplacés par les chevaliers romains surtout au II° siècle. Les postes qu’ils occupent alors
sont moins prestigieux. Les affranchis furent utilisés pour assurer le début du
fonctionnement de l’administration impériale.
3.
Liberté, inégalité
A.
Citoyens et pérégrins
Les pérégrins n’ont
pas la citoyenneté romaine. Ils peuvent avoir la citoyenneté locale, mais ne
peuvent pas toujours être citoyens romains. Cela a des
conséquences importantes puisque si l’on est citoyen romain on a le droit
romain inaccessible sans cette citoyenneté. On peut avoir le droit citoyen
local et le droit romain qui parfois, par leurs contradictions, peuvent être
utiles.
La citoyenneté se
transmet par le père dans le cadre d’un mariage légal. S’il naît d’une relation
non-légale, l’enfant prend le statut de sa mère. De même, on trouve peu de mariages entre citoyens et pérégrins. En
général, on s’assure que la pérégrine acquiert la citoyenneté romaine ce qui
assure le statut des enfants.
Dans le cas des
concessions collectives, une cité peut devenir cité romaine, ce qui donne
automatiquement le statut de citoyen à ceux qui habitent sur place. Un magistrat d’une cité de droit
latin qui finit son mandat de magistrat devient automatiquement citoyen romain
en fin de mandat. Dans l’armée composée à moitié de citoyens et de
pérégrins, les pérégrins qui finissent
leurs carrières acquiert le statut. On trouve aussi d’autres charges du même
type comme les nautes, …
Il est aussi
possible pour les pérégrins d’acquérir personnellement le droit romain. En Grèce et en Asie mineure, on
cherche à acquérir personnellement la citoyenneté romaine. Il n’y a pas de
procédure classique, on demande au gouverneur qui examine la demande et s’il
est d’accord, on la transmet à Rome et l’empereur doit approuver. On parle d’une concession viritane. Dans ce cas, la citoyenneté acquise impose
qu’on prenne le nom et le prénom de l’empereur. C’est gênant historiquement,
mais à l’époque, on valorisait cet aspect qui montrait qu’on était de l’élite.
En 212, le processus s’achève puisque l’empereur Caracalla
donne la citoyenneté à tout les habitants de l’Empire. On parle de l’édit de Caracalla,
la constitution de Caracalla, la constitution antoninienne. C’est là que
s’ouvre la voie à d’autres pratiques. La
raison officielle de l’empereur est une raison religieuse, faire plus de
fidèles. Il donne le droit romain à tout les pérégrins avec y compris les
droits locaux. Seuls les déditices,
probablement des barbares insoumis, ne l’acquiert pas. Les raisons officieuses sont peut être fiscales avec des taxes aux
citoyens. Peut être aussi des raisons politiques, puisque Caracalla tente
de s’allier les provinciaux en restaurant son prestige après l’assassinat de
son frère. Peut être aussi une
simplification administrative voire sous l’influence du stoïcisme, une
réflexion philosophique. C’est une étape majeure après deux siècles de
diffusion progressive de la citoyenneté. Du coup, on a une quantité innombrable
de Marcus Aurelius, puisqu’ils prennent le nom de l’empereur. En conséquence,
comme la citoyenneté romaine n’est plus discriminante, les noms devenant plus
futiles, on se sépare d’un d’entre eux.
B.
La plèbe urbaine
Par
plèbe urbaine, on entend un sens différent de celui entendu sous la République.
Quand on opposait patricien à plébéien, ici plèbe évoque une composition tant de citoyens que de pérégrins. Cette
plèbe urbaine se développe donc dans les villes, qui elles-mêmes se développent
profitant du commerce et de l’artisanat qui prennent leur essor. On a avant
tout un monde de petits métiers. Le salariat existe en ville et on trouve
plusieurs dizaines de salariés, dont certains qui ont du mal à vivre et vivent
des dons publics. Officieusement, on a
la plèbe supérieure et la plèbe inférieure, cette dernière dépendante des
distributions publiques. La morale dominante est de vivre de ses rentes
pour pratiquer la politique et les sciences. On ne sait rien de la mentalité de
la plèbe urbaine vis-à-vis du travail.
Dans
la partie la plus pauvre de la plèbe, une partie est indépendante de la
production et le modèle romain se serait étendu avec la plèbe frumentaire qui
atteint les autres villes. Ces distributions
publiques doivent être alimentées par des notables qui le font sur des
initiatives privées. Il est difficile de déterminer si les gens qui en
bénéficient ne vivent que de ça ou vivent aussi d’autres travaux. C’est difficile à évaluer et cela varie
selon les lieux et les temps. De plus, les dons sont faits aux catégories
sociales légalement définies pas aux pauvres en général.
C.
La population des campagnes
Les ruraux libres
ou esclaves forment partout la majorité de la population. Cela évolue en fonction
des régions de 90 % à 70 %. En revanche les modèles sont très divers. Une
tendance générale semble être celle de la grande propriété avec des paysans payant des
redevances au propriétaire. Ces paysans sont libres. En Egypte, ils sont libres
mais ne sont pas propriétaires puisque l’empereur détient toutes les terres
sauf les terres sacrées qui appartiennent aux temples. La petite propriété agricole existe peu, uniquement chez des Grecs
installés en Egypte.
Sur
le plan des inégalités sociales des campagnes, il y a très peu d’épigraphie.
Quant aux conditions de vie, cela est difficile à déterminer. On a donc des
régions très pauvres en Egypte, tandis qu’en Gaule la petite paysannerie semble
vivre de manière frugal mais suffisante.
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