jeudi 5 avril 2012

Moderne 05 - 04 (cours 8)

Précédemment : Moderne 29 - 03


Pamphlet vantant les mérites de l'assassin du roi Charles IX



Circulation des écrits et politique : les pamphlets


Les pamphlets sont des écrits liés à une actualité et qui visent à intervenir dans cette actualité. Ils ont souvent un contenu politique ou un caractère religieux. L’objet pamphlet n’est pas toujours distinguable de l’information vu dans le cours précédent. Ils se distinguent néanmoins par leur forme. Les pamphlets sont un petit format avec un nombre de pages limitées et ils constituent un certain type de produit éditorial. A l’époque on parle aussi de libelle, et ceux qui sont diffusés sous forme d’affiches sont nommés placards.
Ces pamphlets sont présents dans toutes les crises politiques ou politico-religieuses de l’époque moderne. Ils donnent le ton de ces crises et le ton aux études qu’on peut faire de ces crises. On a donc des pamphlets luthériens, des pamphlets dans les guerres religieuses, des pamphlets dans la Révolution anglaise, les mazarinades de la Fronde, sous Louis XIV on a une guerre des pamphlets autour de l’édit de Nantes et de la politique impérialiste de Louis XIV, des pamphlets jansénistes, des pamphlets entre le roi et le Parlement, des pamphlets à l’approche de la Révolution avec les libelles sur Marie-Antoinette. Les pamphlets apparaissent comme des écrits qui s’opposent au pouvoir en place, ils sont le signe de la contestation de l’ordre politique. Beaucoup de pamphlets sont pourtant commandés par les pouvoirs en place.

Les pamphlets ont une importance pour les historiens qui les relient à l’entrée du peuple en politique. C’est un phénomène de masse, puisque beaucoup de pamphlets ont une visée populaire. Les pamphlets servent à saisir non pas la pensée du pouvoir mais plutôt le rapport du peuple à la politique ou des mentalités donnant la clé à la perception de la politique. Cette approche des pamphlets ignore alors la production et leurs auteurs. Ce sont de simples textes pris comme écrits et on ne se soucie guère de leur contexte de production, des visées qu’on lui attribuait et de ceux qu’ils touchaient.

On peut donc supposer que les pamphlets sont des écrits d’action qu’il faut observer non pas en tant qu’ils révèlent des mentalités populaires mais comme rouages de l’action politique. La notion de politisation est aussi essentielle, le pamphlet va se politiser en temps de crise du fait de la demande de certains lecteurs et il devient aussi le vecteur de cette politisation.


I.                   Les pamphlets de la Ligue

1.      Contexte

Les guerres de religion en France sont un grand moment d’explosion des pamphlets notamment après la Saint-Barthélemy avec des pamphlets et des traités monarchomaques, appelant à la destruction du roi Charles IX qui a laissé massacrer son peuple. Cela est repris avec la Ligue parisienne entre 1585 et 1594. C’est le second paroxysme des guerres de religions, lié à la montée des tensions entre protestants et catholiques et aussi entre Catholiques à cause de la succession d’Henri III.

La Ligue désigne d’abord une organisation d’aristocrates catholiques autour de la famille des frères Guise. C’est une réunion de grands seigneurs qui mènent une politique surtout guidée par les intérêts catholiques. Avec 1585, une autre ligue secrète et parisienne rassemble avocats, marchands et petits officiers qui sont soudés par l’opposition à la politique d’Henri III présenté comme un roi hérétique. En effet, de plus en plus ouvertement il penche par la loi salique a donné sa succession à Henri de Navarre chef des protestants. En 1584, François d’Alençon, petit frère du roi, meurt et donc Henri de Navarre devient le plus légitime des successeurs, scandale chez les Catholiques.

Au printemps 1588, la Ligue a le pouvoir à Paris et Henri III est chassé de la ville. En 1599, Henri III est assassiné par le moine Jacques Clément. Cet assassinat du roi par un ecclésiastique répond à un meurtre politique puisque Henri III avait assassiné les deux frères Guise, chefs de la Ligue. On a alors les grands Barons catholiques et la Ligue parisienne face aux armées protestantes et a des Catholiques qui se rallient à la légitimité dynastique (les Politiques). Durant ces années, on voit lentement le royaume basculé du coté d’Henri IV puisqu’il se convertira au catholicisme, il est vainqueur militairement, il va acheter les capitaines tenant des citadelles, il y a une lassitude des bourgeois catholiques qui se lassent de la dictature de la Ligue parisienne. L’apogée de la Ligue à Paris sont les années 1589 à 1591, on a alors un paroxysme dans la publication de pamphlets.

2.      L’explosion des libelles sous la Ligue

Denis Pallier a étudié cette publication. Il voit un déplacement de la controverse Catholiques – Protestants vers une controverse au sein du camp catholique. On pense qu’un millier de libelles ont été publiés.
Du coté de la Ligue, on trouve l’idée que la France est rongée par le péché et que la colère de Dieu s’abattra sur la France. Le Jugement Dernier est proche. L’autre thème est celui d’Henri III roi corrompu et hérétique. A l’opposé, après l’assassinat des Guise, les deux frères deviennent des martyrs, tout comme l’assassin d’Henri III.

Ces très nombreux pamphlets ont mené Denis Crouzet à écrire Les guerriers de Dieu, dans lequel il utilise les pamphlets comme reflet de la mentalité de l’époque. Il y voit un rapport palique, la population française est plongée dans une angoisse extrême à cause de la division confessionnelle et de l’annonce de la fin du monde. Ces pamphlets sont des opérateurs, des vecteurs et des propagateurs de cette mentalité. Ils accentuent et dramatisent les sentiments de la population. Son analyse thématique ne prend pas en compte la dimension imprimée des pamphlets (qui les produit, …). Sa lecture gagne à être contester par les travaux de Denis Pallier.

3.      La politique de l’imprimé ligueur

Pour Pallier, les ligueurs créent un réseau d’imprimeurs amis qui vont se charger des publications clandestines. Avec ce système sera imprimée une bulle d’excommunication du pape de l’époque qui mit les choses au point pour les membres de la Ligue. Un témoignage raconte l’évènement de la publication de cette bulle. La technique consiste à faire imprimer un petit nombre d’exemplaires de la bulle pour faire de celle-ci une curiosité. Pour Palma Cayet, contemporain des évènements et protestants, c’est un moyen de manipuler le peuple.

L’imprimé sous la Ligue apparaît par des évènements précis. Les ligeurs se mettent à faire des textes aux buts politiques et paraissent dans des moments cruciaux de la crise politique. Et de fait, ces pamphlets ne représentent que 60% des imprimés. Le reste ce sont des imprimés officiaux de la Ligue puisque Henri III et Henri de Navarre font entrer clandestinement leurs propres pamphlets dans Paris. C’est une forme de bataille par l’imprimé. La plupart des libraires parisiens vont tout de même publier des pamphlets ligueurs soit par accord avec les idées soit pour avoir un brevet catholique ce qui en période de recherche des « mauvais Catholiques » peut être utile.

Malgré tout, dans cette période on a surtout beaucoup de prêches en faveur de la Ligue contre Henri III et Henri de Navarre. Les pamphlets reprennent les discours des prédicateurs et en retour les discours des prédicateurs préparent la réception des pamphlets. On a aussi une grande politique de processions sous la Ligue durant lesquelles on brandit des images de Jacques Clément imprimées dans les pamphlets. Le pamphlet devient un élément de la cérémonie, certains consistent en des récits de processions ligueuses.




II.                Le peuple et les pamphlets

1.       Des pamphlets pour le peuple ?

Pouvant prendre la forme d’une parodie de textes officielles, de chansons, de livres saints, de livres religieux, de livres de morales, … Ce sont donc des écrits pouvant se couler dans toutes les formes des écrits de grande distribution. De plus, ils intègrent des images plutôt associées à la destination d’un large public.

Les pamphlets sont des écrits de mauvaise qualité, imprimés vite, sur du papier de second choix et peu chers. Ainsi cela accrédite l’idée que ce sont des documents populaires. On a retrouvé le journal intime de Pierre de l’Estoille qui collectionnait les libelles de son époque bien qu’il les méprisait fortement. Pendant la Fronde, on assiste aussi à une collection des Mazarinades, associée à des discours très négatifs qui les jugent comme de mauvais écrits qui trompent la populace.

2.      Analyse d’un placard autour de l’assassinat de Concini

Concini, favori de la Reine Marie de Médicis, régente après l’assassinat d’Henri IV en 1610. En 1617, Louis XIII fait assassiner Concini dans la cour du Louvre par Vitry. C’est un coup de majesté de Louis XIII qui devient ainsi réellement roi. Cet assassinat politique va être interprété par la politique du temps comme un coup d’Etat permettant au roi de véritablement régner. Cela crée un vaste mouvement populaire dans la capitale, joie qui s’exprime le lendemain en déterrant son cadavre, le trainant dans les rues de Paris, puis il est pendu, dépendu, puis démembré, émasculé, vendu, mangé par des animaux avant que le reste ne soit brulé. Le peuple juge ainsi Concini ce que le roi n’avait pas fait, et le peuple fait subir au corps les sentences de l’époque.

Pour Christian Jouhaud dans Les usages de l’imprimé, il analyse un pamphlet contre Concini. Ce placard se nomme Mythologie des emblèmes du coyon. Ce placard est constitué d’images que l’on peut décrypter et qui est complété par un texte explicitant les images. On y voit des noms de ministres travestis mais encore discernables : ceux d’avant Concini et ceux sous Concini. (Roue de la Fortune, Vase de fleurs de lys qui tombe, vitrail et fleur de lys représentant le meurtre symboliquement, déterrement, pendaison, crémation). On associe donc Concini à l’écureuil mais aussi au terme coyon. Le coyon est en fait un bouffon ridicule de comédies italiennes, le rapport est fait avec les origines italiennes de Concini. Par la détestation de Concini, on renvoie à la détestation de l’étranger. L’écureuil par contre est plus gênant, on l’associe plutôt à des vertus qu’autre chose. Son seul vice est la luxure et l’écureuil possède une longue queue touffue. Concini et l’écureuil sont associés pour rappeler ce qui a été fait de plus honteux à son cadavre, sa castration.
On a donc un pamphlet qui minimise ce qu’il s’est passé. Le pamphlet euphémise le déchaînement populaire. La mise à mort de l’écureuil ramène la série d’évènements populaires autour du cadavre à un évènement carnavalesque sans gravité. Ce pamphlet ne peut venir du peuple, c’est un imprimé très savant qui vise à rétablir de l’ordre après le meurtre politique. Après pour la destination du placard, on ne peut savoir qui l’a lu, on reste dans l’incertitude. L’objet a été produit dans le feu de l’action, pour ramener l’ordre et on penser qu’il est du coté du pouvoir.


III.             Les mazarinades de la Fronde

1.      Rappel : la Fronde

Grande guerre civile du milieu du XVIII° siècle, on a un ensemble de troubles avec une Fronde qui recouvre une autre Fronde. La Fronde au départ c’est une politique de guerre et de hausse des impôts de la monarchie absolue. Ce qui en fait une crise politique, c’est la conjonction de plusieurs phénomènes : une opposition populaire de longue date et des membres des élites lésés dans leurs intérêts par le pouvoir royal (qui augmente les taxes sur les offices et les maîtres des requêtes).

La Fronde se tourne vers le représentant du pouvoir de l’époque, le Cardinal Mazarin représentant d’Anne d’Autriche. En 1649, ce premier conflit politique (guerre ou paix, hausse ou baisse des impôts, …) se recouvre d’un nouveau conflit, la lutte de factions qui se battent contre le pouvoir. Ces factions sont menées par des Princes comme le prince de Condé ou le Cardinal de Retz, archevêque de Paris. Dans cette lutte le contrôle des villes est essentiel en particulier celui de Paris. Or les villes sont en effervescence populaire avec des émeutes, des révoltes, … Le phénomène des mazarinades est alors souvent associé à l’arrivée du peuple sur la scène de l’imprimé. Cela est renforcé par des Mazarinades qui sont anonymes.

2.      Mazarinades et action politique

La Fronde a permis à des individus de s’exprimer par les imprimés puisque la censure royale a fléchi et d’autre part parce qu’il y avait une demande d’imprimés politiques du public. Les imprimeurs cherchaient alors des auteurs qui avaient des choses à faire imprimer. Les Mazarinades n’expriment pas les idées politiques du peuple. Quand on retrouve leurs auteurs, ce sont non pas des membres du peuple mais des spécialistes de la production imprimée. Ces professionnels n’expriment pas leurs idées à eux mais en tant que domestiques des chefs de faction. Ils ne défendent pas leurs idées mais celles de leurs patrons. Lire dans ces pamphlets les idées politiques du peuple, c’est commettre un contresens. Les pamphlets sont une arme durant cette période.

Certains pamphlets se démarquent par leur contestation sociale violente appelant au renversement des Grands. Si l’on croit qu’il s’agit d’un reflet d’une mentalité politique, alors on compare avec les pamphlets avant et après. Mais en sachant que certains des auteurs sont au service des Princes, on réalise que l’enjeu réel du moment est la bourgeoisie parisienne et d’autres grandes villes. Cette bourgeoisie va-t-elle soutenir Mazarin ou le camp du Prince de Condé. Ce pamphlet appelant au renversement des puissants veut effrayer les Bourgeois en soulignant le risque de désordre social. On cherche à faire peur aux Bourgeois pour les allier au prince de Condé, plus que de s’allier au peuple.

Le peuple pendant la fronde va jouer un certain rôle politique avec des émeutes populaires liées à la faim et à la recherche de nourriture. Quand on saisit l’action des gens du peuple, on découvre que ce sont des gens payés pour aller crier « A bas Mazarin / vive Mazarin ». Le peuple est utilisé pour vendre des pamphlets et montrer la force de tel ou tel parti. En soit, le peuple n’est guère impliqué dans la politique. Cette visibilité doit permettre de démontrer sa force et de s’allier les Bourgeois.


Il y a bien dans les pamphlets une mise en scène populaire. Certains se donnent comme explicitement adressés au peuple et d’autres se veulent émanant du peuple. Cette mise en scène stratégique a bien marché sur les historiens qui cherchaient à rencontrer l’émergence d’un sentiment populaire. Les pamphlets ont moins un aspect politique populaire qu’une visée vis-à-vis d‘une catégorie de la population qui peut jouer dans la révolte politique.

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