Pamphlet vantant les mérites de l'assassin du roi Charles IX
Circulation des écrits et politique : les pamphlets
Les pamphlets sont des écrits
liés à une actualité et qui visent à intervenir dans cette actualité. Ils ont
souvent un contenu politique ou un caractère religieux. L’objet pamphlet n’est pas toujours
distinguable de l’information vu dans le cours précédent. Ils se distinguent
néanmoins par leur forme. Les pamphlets sont un petit format avec un nombre de
pages limitées et ils constituent un certain type de produit éditorial. A
l’époque on parle aussi de libelle, et ceux qui sont diffusés sous forme
d’affiches sont nommés placards.
Ces pamphlets sont présents dans
toutes les crises politiques ou politico-religieuses de l’époque moderne. Ils
donnent le ton de ces crises
et le ton aux études qu’on peut faire de ces crises. On a donc des pamphlets
luthériens, des pamphlets dans les guerres religieuses, des pamphlets dans la
Révolution anglaise, les mazarinades de la Fronde, sous Louis XIV on a une
guerre des pamphlets autour de l’édit de Nantes et de la politique impérialiste
de Louis XIV, des pamphlets jansénistes, des pamphlets entre le roi et le
Parlement, des pamphlets à l’approche de la Révolution avec les libelles sur
Marie-Antoinette. Les pamphlets
apparaissent comme des écrits qui s’opposent au pouvoir en place, ils sont le
signe de la contestation de l’ordre politique. Beaucoup de pamphlets sont
pourtant commandés par les pouvoirs en place.
Les pamphlets ont une importance
pour les historiens qui les relient à l’entrée du peuple en politique. C’est un
phénomène de masse, puisque beaucoup de pamphlets ont une visée populaire. Les
pamphlets servent à saisir non pas la pensée du pouvoir mais plutôt le rapport
du peuple à la politique
ou des mentalités donnant la clé à la perception de la politique. Cette
approche des pamphlets ignore alors la production et leurs auteurs. Ce sont de
simples textes pris comme écrits et on ne se soucie guère de leur contexte de
production, des visées qu’on lui attribuait et de ceux qu’ils touchaient.
On peut donc supposer que les
pamphlets sont des écrits d’action qu’il faut observer non pas en tant qu’ils
révèlent des mentalités populaires mais comme rouages de l’action politique. La
notion de politisation est aussi essentielle, le pamphlet va se politiser en
temps de crise du fait de la demande de certains lecteurs et il devient aussi
le vecteur de cette politisation.
I.
Les pamphlets de la
Ligue
1.
Contexte
Les guerres de religion en France
sont un grand moment d’explosion des pamphlets notamment après la Saint-Barthélemy
avec des pamphlets et des traités monarchomaques, appelant à la destruction du
roi Charles IX qui a laissé
massacrer son peuple. Cela est repris avec la Ligue parisienne entre 1585 et 1594.
C’est le second paroxysme des guerres de religions, lié à la montée des
tensions entre protestants et catholiques et aussi entre Catholiques à cause de
la succession d’Henri III.
La Ligue désigne d’abord une
organisation d’aristocrates catholiques autour de la famille des frères Guise. C’est une réunion de grands
seigneurs qui mènent une politique surtout guidée par les intérêts catholiques.
Avec 1585, une autre ligue secrète et
parisienne rassemble avocats, marchands et petits officiers qui sont soudés par
l’opposition à la politique d’Henri III présenté comme un roi hérétique. En effet,
de plus en plus ouvertement il penche par la loi salique a donné sa succession
à Henri de
Navarre chef des protestants. En 1584, François d’Alençon, petit
frère du roi, meurt et donc Henri de Navarre devient le plus légitime des
successeurs, scandale chez les Catholiques.
Au printemps
1588, la Ligue a le pouvoir à Paris et Henri III est chassé de la ville.
En 1599, Henri III est assassiné par le
moine Jacques
Clément. Cet assassinat du roi par un ecclésiastique répond à un meurtre
politique
puisque Henri III avait assassiné les deux frères Guise, chefs de la Ligue. On
a alors les grands Barons catholiques et la Ligue parisienne face aux armées
protestantes et a des Catholiques qui se rallient à la légitimité dynastique (les
Politiques). Durant ces années, on voit
lentement le royaume basculé du coté d’Henri IV puisqu’il se convertira au
catholicisme, il est vainqueur militairement, il va acheter les capitaines
tenant des citadelles, il y a une lassitude des bourgeois catholiques qui se
lassent de la dictature de la Ligue parisienne. L’apogée de la Ligue à Paris sont les années 1589
à 1591, on a alors un paroxysme dans la
publication de pamphlets.
2.
L’explosion des libelles sous la Ligue
Denis Pallier a étudié cette publication. Il
voit un déplacement de la controverse Catholiques – Protestants vers une
controverse au sein du camp catholique. On pense qu’un millier de libelles
ont été publiés.
Du
coté de la Ligue, on trouve l’idée que la France est rongée par le péché et que
la colère de Dieu s’abattra sur la France. Le Jugement Dernier est proche.
L’autre thème est celui d’Henri III roi corrompu et hérétique. A l’opposé,
après l’assassinat des Guise, les deux frères deviennent des martyrs, tout
comme l’assassin d’Henri III.
Ces
très nombreux pamphlets ont mené Denis Crouzet à écrire Les guerriers de Dieu, dans lequel il utilise les pamphlets comme reflet de la mentalité de l’époque. Il
y voit un rapport palique, la population française est plongée dans une
angoisse extrême à cause de la division confessionnelle et de l’annonce de la
fin du monde. Ces pamphlets sont des
opérateurs, des vecteurs et des propagateurs de cette mentalité. Ils accentuent
et dramatisent les sentiments de la population. Son analyse thématique ne prend
pas en compte la dimension imprimée des pamphlets (qui les produit, …). Sa
lecture gagne à être contester par les travaux de Denis Pallier.
3.
La politique de l’imprimé ligueur
Pour Pallier, les ligueurs créent
un réseau d’imprimeurs amis qui vont se charger des publications clandestines. Avec ce système sera imprimée
une bulle d’excommunication du pape de l’époque qui mit les choses au point
pour les membres de la Ligue. Un témoignage raconte l’évènement de la
publication de cette bulle. La technique consiste à faire imprimer un petit nombre d’exemplaires de la bulle pour faire de
celle-ci une curiosité. Pour Palma Cayet, contemporain des évènements et
protestants, c’est un moyen de manipuler le peuple.
L’imprimé sous la Ligue apparaît par
des évènements précis. Les ligeurs se mettent à faire des textes aux buts
politiques et paraissent dans des moments cruciaux de la crise politique. Et de fait, ces pamphlets ne représentent que 60% des imprimés. Le
reste ce sont des imprimés officiaux de la Ligue puisque Henri III et Henri de
Navarre font entrer clandestinement leurs propres pamphlets dans Paris. C’est
une forme de bataille par l’imprimé. La plupart des libraires parisiens
vont tout de même publier des pamphlets ligueurs soit par accord avec les idées
soit pour avoir un brevet catholique ce qui en période de recherche des
« mauvais Catholiques » peut être utile.
Malgré tout, dans cette période
on a surtout beaucoup de prêches en faveur de la Ligue contre Henri III et
Henri de Navarre. Les pamphlets reprennent les discours des prédicateurs et en
retour les discours des prédicateurs préparent la réception des pamphlets. On a aussi une grande politique de processions sous la Ligue durant
lesquelles on brandit des images de Jacques Clément imprimées dans les
pamphlets. Le pamphlet devient un élément de la cérémonie, certains consistent
en des récits de processions ligueuses.
II.
Le peuple et les pamphlets
1.
Des pamphlets pour le peuple ?
Pouvant
prendre la forme d’une parodie de textes officielles, de chansons, de livres
saints, de livres religieux, de livres de morales, … Ce sont donc des écrits pouvant se couler dans toutes les formes des
écrits de grande distribution. De plus, ils intègrent des images plutôt associées
à la destination d’un large public.
Les pamphlets sont des écrits de
mauvaise qualité, imprimés vite, sur du papier de second choix et peu chers.
Ainsi cela accrédite l’idée que ce sont des documents populaires. On a retrouvé le journal intime
de Pierre
de l’Estoille qui collectionnait les libelles de son époque bien qu’il
les méprisait fortement. Pendant la Fronde, on assiste aussi à une collection
des Mazarinades, associée à des discours très négatifs qui les jugent comme de
mauvais écrits qui trompent la populace.
2.
Analyse d’un placard autour de l’assassinat de Concini
Concini,
favori de la Reine Marie de Médicis,
régente après l’assassinat d’Henri IV en 1610. En 1617, Louis XIII fait assassiner
Concini dans la cour du Louvre par Vitry.
C’est un coup de majesté de Louis XIII qui devient ainsi réellement roi. Cet
assassinat politique va être interprété par la politique du temps comme un coup d’Etat permettant au roi de véritablement
régner. Cela crée un vaste mouvement populaire dans la capitale, joie qui
s’exprime le lendemain en déterrant son cadavre, le trainant dans les rues
de Paris, puis il est pendu, dépendu, puis démembré, émasculé, vendu, mangé par
des animaux avant que le reste ne soit brulé. Le peuple juge ainsi Concini ce
que le roi n’avait pas fait, et le peuple fait subir au corps les sentences de
l’époque.
Pour Christian Jouhaud dans Les usages de l’imprimé, il analyse un pamphlet contre Concini.
Ce placard se nomme Mythologie des emblèmes du coyon. Ce placard est
constitué d’images que l’on peut décrypter et qui est complété par un texte
explicitant les images. On y voit des noms de ministres travestis mais encore
discernables : ceux d’avant Concini et ceux sous Concini. (Roue de la
Fortune, Vase de fleurs de lys qui tombe, vitrail et fleur de lys représentant
le meurtre symboliquement, déterrement, pendaison, crémation). On associe donc Concini à l’écureuil mais
aussi au terme coyon. Le coyon est en fait un bouffon ridicule de comédies
italiennes, le rapport est fait avec les origines italiennes de Concini. Par la
détestation de Concini, on renvoie à la détestation de l’étranger. L’écureuil
par contre est plus gênant, on l’associe plutôt à des vertus qu’autre chose.
Son seul vice est la luxure et l’écureuil possède une longue queue touffue.
Concini et l’écureuil sont associés pour rappeler ce qui a été fait de plus
honteux à son cadavre, sa castration.
On a donc un pamphlet qui
minimise ce qu’il s’est passé. Le pamphlet euphémise le déchaînement populaire.
La mise à mort de l’écureuil ramène la série d’évènements populaires autour du
cadavre à un évènement carnavalesque sans gravité. Ce pamphlet ne peut venir du
peuple, c’est un imprimé très savant qui vise à rétablir de l’ordre après le
meurtre politique. Après
pour la destination du placard, on ne peut savoir qui l’a lu, on reste dans
l’incertitude. L’objet a été produit dans le feu de l’action, pour ramener
l’ordre et on penser qu’il est du coté du pouvoir.
III.
Les mazarinades de
la Fronde
1.
Rappel : la Fronde
Grande guerre civile du milieu du XVIII° siècle, on a un ensemble de
troubles avec une Fronde qui recouvre une autre Fronde. La Fronde au départ
c’est une politique de guerre et de hausse des impôts de la monarchie absolue.
Ce qui en fait une crise politique, c’est la conjonction de plusieurs
phénomènes : une opposition populaire de longue date et des membres des élites
lésés dans leurs intérêts par le pouvoir royal (qui augmente les taxes sur les
offices et les maîtres des requêtes).
La Fronde se tourne vers le
représentant du pouvoir de l’époque, le Cardinal Mazarin représentant d’Anne d’Autriche.
En 1649,
ce premier conflit politique (guerre ou paix, hausse ou baisse des impôts, …)
se recouvre d’un nouveau conflit, la
lutte de factions qui se battent contre le pouvoir. Ces factions sont menées
par des Princes comme le prince de Condé ou le Cardinal de Retz, archevêque
de Paris. Dans cette lutte le contrôle des villes est essentiel en particulier
celui de Paris. Or les villes sont en effervescence populaire avec des émeutes,
des révoltes, … Le phénomène des
mazarinades est alors souvent associé à l’arrivée du peuple sur la scène de
l’imprimé. Cela est renforcé par des Mazarinades qui sont anonymes.
2.
Mazarinades et action politique
La Fronde a permis à des
individus de s’exprimer par les imprimés puisque la censure royale a fléchi et
d’autre part parce qu’il y avait une demande d’imprimés politiques du public. Les imprimeurs cherchaient alors
des auteurs qui avaient des choses à faire imprimer. Les Mazarinades n’expriment pas les idées politiques du peuple. Quand
on retrouve leurs auteurs, ce sont non pas des membres du peuple mais des
spécialistes de la production imprimée. Ces professionnels n’expriment pas
leurs idées à eux mais en tant que domestiques des chefs de faction. Ils ne
défendent pas leurs idées mais celles de leurs patrons. Lire dans ces pamphlets les idées politiques du peuple, c’est commettre
un contresens. Les pamphlets sont une arme durant cette période.
Certains pamphlets se démarquent
par leur contestation sociale violente appelant au renversement des Grands. Si l’on croit qu’il s’agit d’un
reflet d’une mentalité politique, alors on compare avec les pamphlets avant et
après. Mais en sachant que certains des auteurs sont au service des Princes, on
réalise que l’enjeu réel du moment est la bourgeoisie parisienne et d’autres
grandes villes. Cette bourgeoisie va-t-elle soutenir Mazarin ou le camp du
Prince de Condé. Ce pamphlet appelant au
renversement des puissants veut effrayer les Bourgeois en soulignant le risque
de désordre social. On cherche à faire peur aux Bourgeois pour les allier au
prince de Condé, plus que de s’allier au peuple.
Le peuple pendant la fronde va
jouer un certain rôle politique avec des émeutes populaires liées à la faim et à la
recherche de nourriture. Quand on saisit l’action des gens du peuple, on
découvre que ce sont des gens payés pour aller crier « A bas Mazarin /
vive Mazarin ». Le peuple est
utilisé pour vendre des pamphlets et montrer la force de tel ou tel parti. En
soit, le peuple n’est guère impliqué dans la politique. Cette visibilité
doit permettre de démontrer sa force et de s’allier les Bourgeois.
Il y a bien dans les pamphlets
une mise en scène populaire. Certains se donnent comme explicitement adressés
au peuple et d’autres se veulent émanant du peuple. Cette mise en scène stratégique a
bien marché sur les historiens qui cherchaient à rencontrer l’émergence d’un
sentiment populaire. Les pamphlets ont
moins un aspect politique populaire qu’une visée vis-à-vis d‘une catégorie de
la population qui peut jouer dans la révolte politique.
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