lundi 2 avril 2012

Photo 02 - 04 (cours 15)

Précédemment : Photo 30 - 03


Un des hommes des couples pris en photo par Walker Evans



Walker Evans va à son tour redéfinir les notions de base de la photographie documentaire. Il insiste sur la clarté, sur le cadrage avec un sujet au centre, une neutralité des personnages, … Le photographe semble ne pas avoir laissé sa marque sur les photos. Il s’intéresse aux intérieurs, aux décors urbains, … Evans lance un véritable style documentaire qui sera longtemps repris tout au long du XX° siècle. De nombreux photographes se revendiquent d’Evans. Il se caractérise par les grandes idées de la photographie documentaire ne pas influencer l’image, faire le portrait de la société et ne pas retoucher. Il veut présenter la culture vernaculaire. Il acquiert sa réputation avec un Let us now praise famous men. Il a pris trois couples de farmers américains sur lesquels il a enquêté avec le journaliste américain James Agee. Loin de Dorothea Lange, il fait apparaître la réserve des personnages nus sans forcément de légende. Il libère ainsi de tout statut illustratif les photos de cet ouvrage. Il donne à voir des images neutres proposées comme des constructions d’auteurs.

On a eut des tentatives du courant de la Photo league qui confie la prise des photos au sujet photographié. Le projet Harlem Document entre 1938 et 1940, crée un production photographique émanée des sujets eux-mêmes.
Le courant de la New photographics tient en 1975 un exposition intitulée New topographics : Photographies of a man-altered landscape. Le sujet étudié est l’altération du territoire américain, l’emprise de l’homme sur les territoires naturels. Plutôt que d’ériger un patrimoine collectif américain, on nous montre dorénavant un paysage mité par l’extension urbaine, un paysage désenchanté. Robert Adams en sera un bon représentant.
De même en France en 1984, la DATAR lance une expérience photographique. Elle recourt à une dizaine de photographes qu’elle lance au quatre coins de la France et qui doivent ramener des photos de l’Etat de la France à cette époque. Certains font dans le social, d’autres dans le paysage, …  Raymond Depardon fait aussi un reportage sur la Ferme de Goret à Villefranche sur Rhône. Spécialisé en conséquence dans un profil rural, il va sillonner la France pour en faire un portrait ciselé de la France. Il s’inspire directement de Walker Evans dans la frontalité et la prise de lieux très quelconque.

Si la photographie se présente comme un miroir de la réalité sans guère de qualité, il ne faut pas s’imaginer que dès cette époque, le réalisme naïf du XIX° siècle est déjà envolé. Certains historiens ont insisté sur le lien de parenté qu’il aurait pu exister entre la photographie et la démarche historique. On trouve alors un lien de parenté entre la démarche photographique et la démarche historique, c’est un historien allemand appelé Sigfried Kracauer qui avait travaillé l’image cinématographique sous le III° Reich. Il étudie aussi Leopold Von Ranke qui lui-même historien voulait se dégager de toute philosophie de l’histoire pour « rendre les choses telles qu’elles sont ». Il se compare aux photographes qui veulent se dégager des peintres, en souhaitant quitter le carcan des philosophies dans les analyses historiques. Or dans les deux cas pour Kracauer, le photographe comme l’historien, opère un découpage dans le réel, il fait l’analogie entre les deux. De même que les faits sont informés par l’historien. Les images photographiques ne sont jamais aussi réalistes qu’elles n’y paraissent, elles déforment la réalité comme le fait le discours de l’historien et c’est de cette manipulation qu’il faut s’intéresser.


Les cadavres de la Civil War, Battle of Gettysburg, Timothy H. O'Sullivan


Représenter la guerre, les étapes d’une histoire de la vision


Les guerres sont une part importante de l’activité humaine. Dans cette généalogie, l’introduction des images mécaniques a constitué une rupture majeure avec la guerre de Crimée de 1854 à 1855.


I.                   L’irruption du medium photographique : une transformation de la vision

1.       L’ère des peintures de bataille

Dans Bataille de Joseph Parrocel, on a un tableau organisé autour de la figure du prince avec un déluge de corps, un déluge de couleur, … On est à un moment paroxistique de la lutte avec le moment ou tout se joue. En un rien, tout peut se jouer. Le Combat de Montebello d’Henri Félix Philippoteaux, met en évidence l’accumulation de phases successives. On a en résumé tout les aspects de la bataille : l’assaut, les ambulances, … Cela est peu réaliste dans un si petit cadre, le peintre fait un raccourci. Le peintre cherche à ordonner les éléments figuratifs pour produire du sens et une émotion. Un sujet revient souvent celui des cadavres et des morts héroïsés dans leur stature. On a les morts représentés forcément dans des corps glorieux. La relation est codifiée et lointaine face à la réalité.

2.      La guerre photographiée : une révolution visuelle

La photographie de la guerre va littéralement faire exploser ce modèle pictural dans un moment de révolution visuelle.

Cela débute avec la guerre de Crimée prise en photographie par Roger Fenton qui a fait 300 vues mais on ne distingue quasiment rien. Les images qu’il rapporte sont très conventionnelles et témoignent d’images pittoresques. Ces images sont de plus très posées avec la chambre au collodion. Pour le reste, on a des vues très générales de l’arrière : dépôts, matériel, … Enfin, l’autre type d’images concerne les restes après la guerre. Il s’agit d’une esthétique des traces. Par ailleurs, on a une première guerre de position avec cette guerre de Crimée et un sujet est occulté : les cadavres.

Cela continue entre 1861 et 1865 avec les photos de la Civil War. Proche de la guerre de Crimée dans les techniques, on va cependant voir émerger les cadavres. Pour la première fois des dizaines de photographes ont saisi tous les aspects de la guerre sauf les combats eux-mêmes qu’on ne peut prendre. Matthew Brady et Alexander Gardner vont s’illustrer alors que la société américaine demande des nouvelles de la guerre. Deux thèmes reviennent : la vie quotidienne prise sur le vif, on documente l’ensemble de  cette vie quotidienne, du général au soldat. On assiste aussi aux effets de la guerre avec une nouveauté : les cadavres. De plus, pour la première fois on voit un succès photographique puisque des albums sont créés et se vendent très bien. Mais les photos de cadavres vont grandement choquer le public car on n’arrive pas à mettre de sens derrière. L’image n’est plus héroïsée et la rupture est brusque et nette. Ces images sont alors inouïes, impossible pour les contemporains de voir cette représentation de la réalité de la guerre qui ne fait pas sens.

La Première Guerre Mondiale est une transition, c’est la dernière guerre peinte et une des premières photographiée. Un nombre considérable de photos sont prises dans les deux camps sous plusieurs aspects. Les images seront reproduites sur divers supports (carte postale, …). Des organisations propagandistes sont instaurées pour collationner des images de la guerre. En France, ce sera la Section Photographique et Cinématographique de l’Armée (SPCA). Cette organisation va détenir une soixantaine d’opérateurs qui vont aller sur le front et qui vont produire pour l’arrière des photographies labellisées par l’armée. C’est ici que le hors-champ prend son importance. On va voir la barbarisation ennemie mais aussi la puissance de l’armée alliée (canon 75). On a aussi beaucoup de photographie de l’arrière : le coté pittoresque guerre (corvées, repos, écriture de guerre, …), le matériel. On a très peu d’images des désertions, des mutilations, des mutineries, des fusillés pour l’exemple et de la mort elle-même. Enfin on n’a aucune image du combat, celles qui existent sont des faux. Il s’agit surtout de mobiliser une société pour qu’elle conduise le conflit vers la victoire.
Pour expliquer le hors-champ, il faut étudier la représentation du combat. A cette époque toujours, la représentation de la bataille n’est pas récupérable. Ce ne sont pas des conditions techniques mais leurs usages qui est limité. Les soldats ont un usage strict de leurs appareils photographiques. Et pourtant cela est une demande très forte du reste de la société. On a donc des images fabriquées comme la Prise de l’éperon de Notre-Dame-de-Lorette, le 15 avril 1915. Cette photo reprend les codes de la peinture de bataille ce qui la rend suspecte par trois points, l’assaut aggloméré, les positions héroïques ou encore l’exposition du photographe sur la zone.

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