Un des hommes des couples pris en photo par Walker Evans
Walker Evans va à son tour redéfinir les notions de base de la photographie
documentaire. Il insiste sur la clarté, sur le cadrage avec un sujet au
centre, une neutralité des personnages, … Le photographe semble ne pas avoir
laissé sa marque sur les photos. Il s’intéresse
aux intérieurs, aux décors urbains, … Evans lance un véritable style
documentaire qui sera longtemps repris tout au long du XX° siècle. De
nombreux photographes se revendiquent d’Evans. Il se caractérise par les
grandes idées de la photographie documentaire ne pas influencer l’image, faire
le portrait de la société et ne pas retoucher. Il veut présenter la culture vernaculaire. Il acquiert sa
réputation avec un Let us now praise
famous men. Il a pris trois couples de farmers américains sur lesquels
il a enquêté avec le journaliste américain James Agee. Loin de Dorothea
Lange, il fait apparaître la réserve des personnages nus sans forcément de
légende. Il libère ainsi de tout statut
illustratif les photos de cet ouvrage. Il donne à voir des images neutres
proposées comme des constructions d’auteurs.
On a eut des
tentatives du courant de la Photo league
qui confie la prise des photos au sujet photographié. Le projet Harlem Document entre
1938 et 1940, crée un production photographique émanée des sujets eux-mêmes.
Le courant de la New photographics tient en 1975 un exposition intitulée
New topographics : Photographies
of a man-altered landscape. Le
sujet étudié est l’altération du territoire américain, l’emprise de l’homme sur
les territoires naturels. Plutôt que d’ériger un patrimoine collectif
américain, on nous montre dorénavant un paysage mité par l’extension urbaine,
un paysage désenchanté. Robert Adams en sera un bon représentant.
De même en France en
1984, la DATAR lance une expérience
photographique.
Elle recourt à une dizaine de photographes qu’elle lance au quatre coins de la France
et qui doivent ramener des photos de l’Etat de la France à cette époque. Certains
font dans le social, d’autres dans le paysage, … Raymond Depardon
fait aussi un reportage sur la Ferme de Goret à Villefranche sur Rhône.
Spécialisé en conséquence dans un profil rural, il va sillonner la France pour en
faire un portrait ciselé de la France. Il s’inspire directement de Walker Evans
dans la frontalité et la prise de lieux très quelconque.
Si
la photographie se présente comme un miroir de la réalité sans guère de
qualité, il ne faut pas s’imaginer que dès cette époque, le réalisme naïf du
XIX° siècle est déjà envolé. Certains
historiens ont insisté sur le lien de parenté qu’il aurait pu exister entre la
photographie et la démarche historique. On trouve alors un lien de parenté
entre la démarche photographique et la démarche historique, c’est un historien
allemand appelé Sigfried Kracauer qui avait
travaillé l’image cinématographique sous le III° Reich. Il étudie aussi Leopold
Von Ranke qui lui-même historien voulait se dégager de toute philosophie de l’histoire
pour « rendre les choses telles qu’elles
sont ». Il se compare aux photographes qui veulent se dégager des peintres,
en souhaitant quitter le carcan des philosophies dans les analyses historiques.
Or dans les deux cas pour Kracauer, le
photographe comme l’historien, opère un découpage dans le réel, il fait l’analogie
entre les deux. De même que les faits sont informés par l’historien. Les
images photographiques ne sont jamais aussi réalistes qu’elles n’y paraissent,
elles déforment la réalité comme le fait le discours de l’historien et c’est de
cette manipulation qu’il faut s’intéresser.
Les cadavres de la Civil War, Battle of Gettysburg, Timothy H. O'Sullivan
Représenter la guerre, les étapes d’une histoire de la vision
Les
guerres sont une part importante de l’activité humaine. Dans cette généalogie,
l’introduction des images mécaniques a constitué une rupture majeure avec la guerre
de Crimée de 1854 à 1855.
I.
L’irruption du
medium photographique : une transformation de la vision
1.
L’ère des peintures de bataille
Dans
Bataille de Joseph Parrocel,
on a un tableau organisé autour de la figure du prince avec un déluge de corps,
un déluge de couleur, … On est à un moment paroxistique de la lutte avec le
moment ou tout se joue. En un rien, tout peut se jouer. Le Combat de Montebello d’Henri Félix Philippoteaux, met
en évidence l’accumulation de phases successives. On a en résumé tout les
aspects de la bataille : l’assaut, les ambulances, … Cela est peu réaliste
dans un si petit cadre, le peintre fait un raccourci. Le peintre cherche à ordonner les éléments figuratifs pour produire du
sens et une émotion. Un sujet revient souvent celui des cadavres et des morts
héroïsés dans leur stature. On a les morts représentés forcément dans des
corps glorieux. La relation est codifiée et lointaine face à la réalité.
2.
La guerre photographiée : une révolution visuelle
La photographie de
la guerre va littéralement faire exploser ce modèle pictural dans un moment de
révolution visuelle.
Cela débute avec la
guerre de Crimée
prise en photographie par Roger Fenton qui a fait 300 vues mais on ne
distingue quasiment rien. Les images qu’il
rapporte sont très conventionnelles et témoignent d’images pittoresques. Ces
images sont de plus très posées avec la chambre au collodion. Pour le reste, on
a des vues très générales de l’arrière : dépôts, matériel, … Enfin, l’autre
type d’images concerne les restes après la guerre. Il s’agit d’une esthétique
des traces. Par ailleurs, on a une première guerre de position avec cette
guerre de Crimée et un sujet est occulté :
les cadavres.
Cela continue entre 1861 et 1865 avec les photos de la Civil
War. Proche de la guerre de Crimée dans les techniques, on va cependant voir
émerger les cadavres.
Pour la première fois des dizaines de photographes ont saisi tous les aspects
de la guerre sauf les combats eux-mêmes qu’on ne peut prendre. Matthew Brady
et Alexander
Gardner vont s’illustrer alors que la société américaine demande des nouvelles
de la guerre. Deux thèmes reviennent :
la vie quotidienne prise sur le vif, on documente l’ensemble de cette vie quotidienne, du général au soldat.
On assiste aussi aux effets de la guerre
avec une nouveauté : les cadavres. De plus, pour la première fois on voit
un succès photographique puisque des albums sont créés et se vendent très bien.
Mais les photos de cadavres vont
grandement choquer le public car on n’arrive pas à mettre de sens derrière.
L’image n’est plus héroïsée et la rupture est brusque et nette. Ces images sont
alors inouïes, impossible pour les contemporains de voir cette représentation
de la réalité de la guerre qui ne fait pas sens.
La Première Guerre
Mondiale est une transition, c’est la dernière guerre peinte et une des
premières photographiée.
Un nombre considérable de photos sont
prises dans les deux camps sous plusieurs aspects. Les images seront
reproduites sur divers supports (carte postale, …). Des organisations propagandistes sont instaurées pour collationner des
images de la guerre. En France, ce sera la Section Photographique et
Cinématographique de l’Armée (SPCA). Cette organisation va détenir une
soixantaine d’opérateurs qui vont aller sur le front et qui vont produire pour
l’arrière des photographies labellisées par l’armée. C’est ici que le hors-champ
prend son importance. On va voir la barbarisation ennemie mais aussi la
puissance de l’armée alliée (canon 75). On
a aussi beaucoup de photographie de l’arrière : le coté pittoresque guerre
(corvées, repos, écriture de guerre, …),
le matériel. On a très peu d’images des désertions, des mutilations, des
mutineries, des fusillés pour l’exemple et de la mort elle-même. Enfin on n’a
aucune image du combat, celles qui existent sont des faux. Il s’agit
surtout de mobiliser une société pour qu’elle conduise le conflit vers la
victoire.
Pour expliquer le
hors-champ, il faut étudier la représentation du combat. A cette époque toujours, la
représentation de la bataille n’est pas récupérable. Ce ne sont pas des
conditions techniques mais leurs usages qui est limité. Les soldats ont un
usage strict de leurs appareils photographiques. Et pourtant cela est une
demande très forte du reste de la société. On a donc des images fabriquées
comme la Prise de l’éperon de Notre-Dame-de-Lorette, le 15 avril 1915. Cette photo reprend les codes de la
peinture de bataille ce qui la rend suspecte par trois points, l’assaut aggloméré,
les positions héroïques ou encore l’exposition du photographe sur la zone.
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