jeudi 5 avril 2012

Photo 05 - 04 (cours 16)

Précédemment : Photo 02 - 04


Et pourtant toujours héroïques
William Eugene Smith, American soldier and injured child in Saipan Island
Joe Rosenthal, Raising the flag on Iro Jiwa




Il en est de même pour l’image célèbre extraite du film de Léon Poirier, Verdun, vision d’histoire. Ce film avait un photographe de plateau qui avait à loisir l’occasion de prendre des photos. De plus, la technique utilisée par la photo n’est pas possible en 1916. Cette image fut reprise par des documentalistes sans souligner qu’elle est tirée d’un film. Elle donne l’impression d’être au cœur de la bataille. De plus, il y a un coté inter-iconicité avec l’image postérieur de l’espagnol touché par une balle. L’image représente le cœur d’une bataille de Verdun mais documente un film de 1928 qui reconstitue la bataille de Verdun et le poids de la guerre dans l’entre-deux guerres. Reproduite dans une brochure publicitaire pour le film, sa force a fait qu’on l’a reproduit dans des cartes postales puis dans des manuels scolaires, …

La structure du front lors de la Première Guerre Mondiale fait que l’on a de nombreuses représentations des tranchées. Les images extraites de The battle of the Somme, film anglais, montrent l’incapacité des cinéastes à accéder à autre chose que des visions partielles du front. On voit donc que le cinéaste est infirme puisqu’il ne peut imaginer ce qu’il se passe au-delà du départ de l’assaut. Les images tournées lors de la Première Guerre Mondiale sont alors systématiquement décevante puisqu’elles révèlent l’incapacité à mettre en évidence le front des combats. David Work Griffith grand réalisateur américain va réaliser en 1916 – 1917 un film sur la Première Guerre Mondiale. Il nomme son film Hearts of the worlds, et il emmène son équipe en France sur le champ de bataille de la Somme où il tourne 3 000 mètres de pellicule. A Hollywood, il veut tout monter mais réalise qu’on ne voit rien et décide de reconstituer à Hollywood le champ de bataille pour donner l’illusion qu’on est dans les combats.

L’existence du hors-champ renvoie à un autre élément du regard : la conception que se fait l’opérateur de ce qui est montrable ou pas. Cette idée des scènes qu’on peut ou pas prendre en photo. On a au cœur du conflit ce qui est montrable et ce qui ne l’est pas. On peut montrer le pittoresque du front, les lettres écrites, éplucher des patates, … En revanche, on ne veut pas montrer les conséquences de la première guerre industrielle avec des corps atrocement mutilés.
On peut pourtant nuancer ce jugement. Le Miroir, journal qui veut montrer ce qu’on ne montre pas, présente deux corps dans un trou d’obus (Allemand et Français) avec une légende soulignant l’héroïsation de leur mort (« Comme les guerriers de jadis », « un duel au corps à corps jusqu’à la mort ») tout en présentant avec un certain pathétisme le fait que cette guerre s’inscrit dans les guerres d’autrefois. On donne de la guerre une vision acceptable pour l’Arrière, on la présente comme une guerre traditionnelle alors que c’est une guerre industrielle. Il y a donc un refoulement, une pudeur du regard qui renvoie à la prise de conscience de cette mort industrielle.

Après la guerre en revanche, on est prêt à dévoiler la réalité en particulier avec les images les plus extrêmes : les gueules cassées. Ces images montrent des individus marqués dans leurs identités, ils n’ont plus de visages. La signification de ces images va être instrumentalisée en faveur du combat pacifiste.




II.                   « Faire sentir la poudre », de la guerre d’Espagne à la guerre du Vietnam

1.      La guerre d’Espagne, une guerre de l’image

C’est l’irruption au premier plan, du photographe de guerre. Il va former un couple infernal avec le combat. Depuis la guerre d’Espagne des règles vont s’établir pour un genre nouveau : le grand reportage de guerre avec la participation et l’engagement du photographe. On retrouve cela dans la devise de Robert Capa, l’idée d’une vision rapprochée. Il avait pour habitude de dire qu’une mauvaise photographie n’était pas assez prêt du sujet. On utilise du film souple dans des appareils photographiques plus maniables avec un appareil roi : le leïka. Le photographe à accès à l’instantanée, il s’engage physiquement auprès des civils. Le soldat devient le héros moderne au cotés des combattants. Robert Capa devient le mythe de ce genre de photographie mais décèdera sur une mine au Vietnam en 1954.

Ce succès tient aussi à l’importance de la demande portée par une presse illustrée qui révèle elle-même une demande d’images de la société. Jamais le poids de la commande ne fut aussi important pour les sujets portant sur les guerres. Le photographe est pris dans les chaînes de production parfois de véritables empires médiatique. L’attente du public est intériorisée par les photographes qui forment dans leur esprit un « prévu », une idée du type d’image qui satisfera le public. C’est « le poids des mots, le choc des photos » de Paris Match, « Faire sentir la poudre » pour Life, …

La guerre d’Espagne, c’est la première fois que la presse médiatise autant une guerre. On a des journaux qui se spécialisent sur cette guerre : l’Intransigeant et Paris-Soir affrètent chaque jour des reporters en Espagne. Ces journaux très lus vont produire plus de 200 clichés avec 50 clichés en une. Les photographes ne peuvent cependant pas être partout puisque Guernica ne fut jamais photographiée, d’où l’importance du tableau de Picasso.
On a aussi deux types de magazines : l’Illustration, vieux magazine conservateur, très distancié mais prenant parti pour Franco ; Vu et Regards en revanche sont plutôt de tendance républicaine et par leurs nouvelles représentations vont bouleverser la manière dont s’organisent les magazines. Ainsi Vu fera une Une avec le nom de Robert Capa en tête, signe qu’on assiste dorénavant à une importance de l’auteur des photos. On établit des photos-montages pour insister sur l’image, … On aura The falling soldier, publiée par Capa pour la première fois le 23 septembre 1936 dans le magazine Vu avant d’être reprise en couverture du livre Death in the making. Cette image fut très controversée puisqu’il s’agit d’une mise en scène. Un journaliste britannique en 1978 affirme avoir reçu la confidence de Capa de la mise en scène de cette image. Le doute a augmenté, surtout en 2007 où une institution américaine reçoit trois boîtes de négatifs de Capa qui révèle que cette photographie s’inscrit dans un ensemble de prise de vue. On apprend alors que cette photo fut prise dans un autre lieu que celui qu’avait attestait Robert Capa. En 2009, El periódico publie les résultats des diverses enquêtes.

2.      Photographier la Seconde Guerre Mondiale

Les images publiées après 1945 sont surtout celles des vainqueurs, on a donc cette volonté de montrer la vision du vainqueur en étouffant celle du vaincu. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les USA et l’URSS s’emploient à mettre en évidence leur succès. Life publiera ainsi les photos des champignons atomiques d’Hiroshima et Nagasaki. On a la vision du ciel de ces champignons qui sont très esthétiques, on ne voit rien des dégâts matériaux et humains de ces bombes. En effet, le Japon sous occupation américaine sera censuré pour ce genre d’images.

Les photographes de guerre sont des reporters en guerre, ils sont engagés dans ce milieu et sont souvent soumis à la discipline militaire à quelques exceptions prêts comme robert Capa qui suivra les alliés en Afrique du Nord, en Italie puis au premier jour du débarquement, à Omaha Beach, …



Dans ce conflit on trouve trois types d’images dans les deux camps :
·         Les images plus ou moins officielles, produites par les armées qui ont toute leur service photographique. Il y a une censure forcément très forte puisqu’elles sont de propagande.
·         Les images produites par les soldats, surtout les officiers de la Wermacht qui ont beaucoup d’images des exactions qu’ils ont commis auprès des civils, une forme de complaisance dans l’horreur.
·         Les images photographiques prises par des photos-journalistes envoyés par des magazines de presse : Life, Associated Press, … Ce sont les plus nombreuses et elles documentent surtout les derniers moments de la guerre. Ainsi, Lee Miller, correspondante pour ??? prend des photos lors du siège de Saint-Malo. Cette élève de Man Ray va couvrir la dernière phase de la Seconde Guerre Mondiale et sera embarquée dans ce conflit.

Ces images de fin de guerre sont très nombreuses et sont parmi les plus connues : William Eugene Smith qui prend en photo le coté oriental du conflit ; Enfant mourant trouvé par des soldats américains, Bataille d’Iwo Jiwa ; Joe Rosenthal, Les marines américains montant ??? ; Evgueni Khaldeï, Combattants soviétiques hissant le drapeau de la victoire au dessus du Reichstag ; … Mais c’est là un énorme problème, ces photographies ont phagocyté toutes les autres périodes et les autres aspects du conflit. Il ne reste que les combats et les victoires des vainqueurs. On manque d’images de la vie quotidienne par exemple. On a un énorme déséquilibre entre la fin du conflit très photographiée et le quotidien du conflit rarement enregistré. Sans parler du fait que certaines photos sont inexistantes : les résistants ne se sont jamais pris en photos et toutes les images qu’on a retrouvées d’eux, sont des faux, élaborés après la guerre et non pas pendant pour des raisons d’anonymat. Ce sont des demandes tant de la population que du personnel politique qui impulsent ces images de résistants.

Un cas reste particulier, celui des images des camps d’extermination. Ces photographies complexes posent le problème de la documentation sur l’extermination des Juifs d’Europe. On sait que les camps nazis sont des lieux de disparition générale (les corps, les êtres, les outils employés pour les tuer, les traces, les archives, …). Obsession des SS à la fin de la guerre fut de faire disparaître la mémoire de cette disparition y compris par la disparition des témoins de ces scènes avec les Sonder kommandos, détenus employés à bruler les cadavres des congénères gazés, qui sont supprimés tout les deux ou trois mois et renouvelés. Il fallait rendre invisible les Juifs comme leur destruction. On avait donc l’interdiction absolue de photographier les camps. Mais tout de même beaucoup d’images furent réalisées malgré l’interdiction. Ce sont des images « malgré tout » selon un spécialiste. Il est vrai cependant qu’à la fin du conflit, beaucoup d’images furent perdues, mais cette disparition caractérise bien les propos de Primo Lévi. On a des restes des traitements de l’arrivée et du tri des populations hongroises à Auschwitz jusqu’à leur entrée dans les chambres à gazes puis la crémation sauvage de leurs corps.

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