Un sénateur mettant en évidence son laticlave
4.
Les critères de la domination locale
Le vocabulaire pour
qualifier ces notables est très mitigé : notables, élites, classes
dominantes, … Le problème est de savoir s’il faut les qualifier en priorité par
leur définition économique ou politique. En tout cas, il n’y a pas de
séparation entre les élites politiques, économiques, sociales et
intellectuelles. Les Romains eux-mêmes avaient un terme vague : les honestiores (les plus honorables) qui
s’opposent aux humiliores (les plus
humbles). Dans
le monde oriental on parle des prôtoï
(les premiers). La politique romaine a cherché à s’appuyer au maximum sur les
élites locales. Les Romains ont laissé les notables locaux gouverner
quotidiennement les cités. Chaque cité à
sa hiérarchie locale avec comme point commun des inégalités assez fortes
économiquement, les régions de grande propriété foncière en particulier.
A.
Le « régime des notables »
Cette expression
d’historiens qualifie une région ou un groupe de notables dominant tout les
milieux mais ce n’est pas une aristocratie héréditaire. Les notables sont élus
régulièrement mais sont généralement des élites urbaines avec une richesse
majoritairement d’origine agricole.
Le modèle romain est un système où le propriétaire foncier réside en ville et
fait exploiter ses terres par des travailleurs qui peuvent être des esclaves,
qualifiés de vilicus (intendants). Ce système est celui d’une exploitation indirecte
et le modèle type est celui de la villa romaine. Ces élites ont donc une
tendance à la concentration foncière mais exercent leur pouvoir en ville et y
vivent souvent.
Les villas ont deux
parties : la pars urbana plutôt le lieu des habitations
(cuisine, thermes, …) en particulier du maître ; la pars rustica en lien
avec la production agricole et l’artisanat. Ce modèle n’est pas exclusif, mais
c’est la tendance de l’époque.
Les notables ne
vivent pas que de la terre. Ils ont des activités complémentaires de commerce
ou de banques.
Les finances pour le grand commerce ne sont pas aux affranchis mais aux
notables traditionnels. Le prestige
reste pourtant associé à la propriété foncière avant tout. Ainsi, on minore
l’activité du commerce pour parler de la production agricole.
Sur le plan
juridique, ces notables appartiennent à un ordre particulier surtout en
Occident : les décurions
(sénateurs du niveau local). C’est ici que sont nommés les magistrats. Une fois
qu’on est décurion, on le reste à vie, ce qui distingue bien le peuple des
décurions. En Orient, l’évolution est moins achevée. L’équivalent des décurions
s’appellent des bouleutes. Mais le
fait qu’on reste bouleute à vie n’est pas présent partout.
Du coup, ces élites
locales acquièrent petit à petit la citoyenneté romaine sans perdre leur
citoyenneté romaine.
En tant que citoyen de Lutèce, on peut être élu magistrat localement. En étant
magistrat local on peut acquérir la citoyenneté romaine. En Occident, on devient plus rapidement citoyen romain avec le droit
latin, tandis qu’en Orient la concession viritane ralentie cette propagation.
Du coup, c’est un marqueur local qu’on
affiche sur les inscriptions civiques, sauf en 212
quand tout le monde devient citoyen romain.
Y’a-t-il un
renouvellement de ces groupes ? Avec la propriété foncière, il semble que
ces groupes soient stables, on a des dynasties de notables locaux qui
s’étendent sur plusieurs siècles. En revanche par le commerce international et
la grande finance on peut parvenir à s’intégrer à l’élite locale. Ainsi les affranchis qui
réussissent par les acticités commerciales peuvent sur deux ou trois
générations finir par être totalement intégrés à cette élite.
Autre
renouvellement, par l’armée.
Une fois démobilisé, un romain peut entrer dans l’ordre des notables locaux.
B.
L’évergétisme et la civilisation urbaine
L’idéal social
favorise la vie urbaine et l’activité politique. L’oisiveté est valorisée et le
travail répudié. Cela implique une certaine richesse avec en général un revenu
à coté. En effet,
la politique est une activité couteuse. D’une part lorsqu’on veut être
magistrat il faut payer la summa honoraria au début de son
année de magistrat ou lorsqu’on devient décurion. Cette taxe surtout en
Occident est variable selon les cités. De
plus, l’évergétisme entre en compte. Les individus prennent en charge à
titre personnel et privé des équipements personnels de la cité. Les actes
d’évergétisme se font sous de multiples aspects : dédicaces de statues
impériales, de statues de divinités, des spectacles et des fondations, nourrir
la population, faire des travaux publics, … En échange de ses actes les
notables bénéficient d’un prestige en particulier avec des statues qui leur
sont dédiées.
Ces notables
locaux, ces élites urbaines peuvent être soumises à une pression populaire lors
des crises alimentaires
en particulier ce qui peut faire exploser les révoltes. Le petit peuple des
campagnes en revanche intervient beaucoup moins.
II.
Les cadres de
l’Empire
Cette élite
impériale romaine traditionnelle qui s’occupe des activités de l’Empire se
renouvelle avec les notables de provinces sous l’Empire.
1.
Les ordres romains : recrutement et fonctions
On parle d’ordre
pour parler des chevaliers et des sénateurs. A chaque ordo est attaché un niveau de dignité, un dignitas.
Appartenir à un ordre confère des
privilèges sociaux et juridiques. Un sénateur qui a fait un acte grave
n’est pas condamné à mort mais est exilé. Les décurions ne peuvent pas non plus
avoir de peines infamantes, on ne peut les torturer (coups de fouet, …). Même
entre eux, il y a hiérarchie. Un chevalier ne peut insulter un sénateur, les
mariages entre les ordres sont aussi très mal vus. L’appartenance à un ordre
est en partie héréditaire puisque les biens personnels et la carrière
politiques priment avant tout.
A.
Des ordres dans la cité ?
Dans l’Occident, il
y a un ordre décurional par cité. En Orient, ce système ne se retrouve que dans
certaines provinces.
Parfois les Romains ont institutionnalisé le fait qu’ils ont des constitutions
aristocratiques. En Bythinie, Pompée prend une loi qui impose que chaque cité ait
des bouleutes à vie et forment donc un ordre. Dans la province d’Asie, juste à
coté, ce n’est pas le cas. La conquête fut difficile en Asie, donc on y laisse
le renouvellement des bouleutes. Les Romains n’ont pas supprimé partout toutes
les institutions démocratiques.
B.
Les chevaliers
L’ordre équestre
fut organisé par Auguste avec un cens de 400 000 sesterces. Ils ont des signes
distinctifs :
un anneau d’or, des cérémonies, … Cet
ordre équestre forme un vivier d’administrateurs de l’Empire. Petit à petit,
une carrière équestre se constitue.
On peut devenir
chevaliers par naissance
si l’on descend d’un chevalier et qu’on
a le cens. On peut le devenir aussi
par l’armée (en devenant primipile par exemple). Enfin les notables locaux peuvent aussi postuler dans l’ordre
équestre. Quoiqu’il en soit, il faut
obtenir le brevet équestre donné par l’empereur en personne et assurant son
statut.
Une
fois cela acquis, on trouve des
fonctions pour l’ordre équestre :
·
Militaires : primipilat (premier centurion de la première cohorte d’une légion),
ou des tribunats militaires (cohorte, aile, légion) et des préfectures
militaires. En général il faut au minimum 3 postes (souvent on parle des trois
milices).
·
Administratives : la carrière est alors
marquée par le salaire, on parle de procuratèles (sexagénaires 60 000,
centenaires 100 000, ducénaires 200 000 et tricénaires 300 000).
·
Préfectures : il en existe 4 très prestigieuses : la
préfecture des vigiles à Rome (gérer les incendies et la police), la préfecture
du prétoire (garde personnelle de l’empereur), préfecture de l’annone
(approvisionnement de Rome) et la préfecture d’Egypte (administrer la
province).
C’est
donc une catégorie sociale créée par les empereurs et qui permet à ceux entrés
dans l’armée de d’acquérir un statut plus prestigieux même si généralement tout
les chevaliers ne font pas carrière.
C.
Les Sénateurs
Moins contrôlé par
le prince, ils sont tout de même encadrés, puisque celui-ci contrôle les
carrières avec son avis en ultime recours. Il peut aussi aider financièrement
quelqu’un à avoir le cens, peut destituer un autre, ....
Ils doivent avoir
un million de sesterces, ont des signes distinctifs : le laticlave, bande de
pourpre vive rouge sur la toge ou le nom de clarissime. On devient sénateur par hérédité d’une part, mais aussi par son
engagement dans une carrière politique. Le fils de sénateur qui ne fait pas
carrière à un statut intermédiaire entre les chevaliers et les sénateurs. Pour un jeune sénateur, on va lui donner
des fonctions de formation : des postes dans l’armée réservés aux
sénateurs : tribunat militaire laticlave, vigintivirat (tâches préparatoires dans certains domaines qui
dirigent vers une orientation particulière), … Vient ensuite le cursus honorum
classique de l’ordre républicain : questure, tribunat de la plèbe,
préture, consulat qui est abaissé à 33 ans au lieu de 45 ans. Entre deux magistratures s’insèrent des
fonctions nouvelles données par l’empereur et qui dépend de son cursus et
du prestige qui est associé au cursus (un questeur peut effectuer une fonction
questorienne, préteur à fonction prétorienne, consul à fonction consulaire).
Les carrières sont
plus riches et plus diversifiées mais très contrôlées par l’empereur.
On compte environ
600 sénateurs au Sénat, leurs fonctions se sont diversifiées mais ils sont tous
propriétaires fonciers.
L’empereur ralenti ou accélère les carrières des sénateurs. Ils restent le
sommet de la hiérarchie sociale dans l’Empire romain. On peut aussi passer du
statut de chevaliers à celui de sénateur, les deux fonctions se superposant.
2.
Le renouvellement de l’aristocratie impériale
A.
Les provinciaux au Sénat
Au début de
l’Empire, les sénateurs sont d’abord Romains et au grand maximum Italiens. Deux siècles plus tard, les sénateurs de provinces passent de quelques
uns à la moitié du Sénat. Les notables locaux sont intégrés à la vie de Rome.
La politique romaine est donc beaucoup plus ouverte.
Toutes les provinces
ne donnent pas des sénateurs à égalité. Les premières provinces donnant des
sénateurs sont les plus vieilles provinces occidentales, pour une raison
linguistique.
Ils viennent d’Espagne, de Gaule narbonnaise, d’Afrique proconsulaire. Le
premier consul provincial fut Lucius Cornelius
Balbus venu de Gadès (Cadix) sous la République. Il est connu
puisqu’un habitant de Gadès lui fit un procès pour dénoncer l’incompatibilité
de la double citoyenneté : Gadès et Rome. Il fut défendu par Cicéron. Il a
été nommé par Pompée puis devint proche de César. Il était extrêmement riche et
donna 25 deniers à tout les Romains.
César fut le premier à
ouvrir le Sénat avec des Gaulois de Gaule Cisalpine et de Gaule Narbonnaise,
des alliés de César. Claude plaida aussi à son tour pour d’autres
provinces dans la table claudienne.
Il y réussit. Cependant, ce sont généralement de vieilles provinces et il faut nuancer puisque certains sénateurs
provinciaux descendaient de sénateurs romains installés en province. Ainsi Trajan né à Italica en Espagne descend
d’une famille italienne venu colonisé la ville, Trajan vivra essentiellement à
Rome d’ailleurs. Hadrien au
contraire, est d’origine espagnole par sa mère et vécu beaucoup en Espagne.
Viennent ensuite dans
une deuxième vague, les provinces africaines. A la fin du II° siècle, les sénateurs africains représentent
15% des sénateurs.
Enfin une troisième
vague touche la Grèce sous Vespasien mais de manière plus ponctuelle, beaucoup viennent d’Ephèse ou
d’Athènes mais peu d’autres cités. Au II° siècle, ces sénateurs grecs deviennent
très importants pour leur région. Claudius Anitus A. Iulius Quadratus descend
d’un roi de Pergame et par proximité avec Trajan devient sénateur. Hérode
Atticus, athénien, actif sous Antonin et Marc-Aurèle fera comme Caius Antius en
se mariant avec une femme romaine et en acquérant des terres en Italie. Ils
louent des alliances avec les familles romaines et forment une vraie dynastie
d’Empire. Ils ne rompent jamais les relations avec leurs cités d’origine dont
ils deviennent les bienfaiteurs.
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