3- Au-delà des modèles spatiaux, le principe d’invasion/succession (suite)
Comment évolue un quartier ? Comment se met en place la
division sociale de l’espace ?
Le processus d’invasion/succession est une métaphore, comme
si on comparait les êtres humains à des plantes de l’écosystème.
Quels sont les facteurs d’invasion ? De transformations
sociales ou économiques d’un quartier ?
Les chercheurs de l’Ecole de Chicago parle de
« failles ». Ce sont par exemple, les nœuds de transports, des lieux moins
appropriés que d’autres, ou les changements sont possibles. C’est la que l’on
va implanter une usine, des migrants d’une certaine origine. Le début du
processus d’invasion s'effectue par l’implantation de quelque choses de nouveaux (usine,
population migrante) puis cela transforme vraiment le quartier.
Spatialement,
l’extension devient visible.
C’est dans ce processus d’extension que les
conflits, les concurrences avec la population qui était là avant ou l’activité
qui dominait avant commencent. Il y a des frictions, une concurrence pour l’espace. Ce
processus d’invasion/ succession est donc forcément conflictuel.
La fin de ce processus s’effectue par une appropriation
totale, l’activité ou la population devient majoritaire et imprime son rythme.
Sur le plan social, selon l’Ecole de Chicago ce mécanisme va
toujours dans le sens d’une paupérisation, une dégradation de l’habitat. Ce
renouvellement va toujours dans un seul sens. C’est parce que l’habitat est
plus vestuste que des populations plus pauvres ont les moyens de se loger
dedans. C’est parce que ces habitats sont moins chers que des populations
plus pauvres s'y installent. Et c’est parce que ces
loyers sont moins chers, que les classes moyennes partent pour aller vivre
ailleurs.
Cette division sociale de l’espace passe par la mobilité des
populations qui est double avec l’arrivée des populations migrantes et le
départ des autres classes. C’est comme cela que se crée spatialement cette organisation des villes en oréoles concentriques.
C’est donc un
mouvement dynamique, qui n’est pas figé. Plus la ville s’étend plus la division
sociale de l’espace s’accentue : il y
a une distance réelle qui s’accroit.
4- Le cas des Noirs et la fuite des Blancs : une prophétie auto-réalisatrice
JF STASZAK, Détruire Détroit, la crise urbaine comme produit
culturel
L’auteur analyse dans cet ouvrage la migration interne des Etats-Unis. Celle des
populations noires qui se sont installées dans le nord après le processus
d’industrialisation et la ségrégation. Les noirs se sont installés dans un
quartier et progressivement dans ce même quartier les blancs sont partis. Les individus qui ont quitté le quartier sont ceux, plus aisés qui ont pu aller en périphérie. On parle
de « white flight ». C’est donc plus le départ massif des blancs
qui a entrainé la création d’un ghetto noir. Ce quartier noir se constitue
parce que les blancs (pas tous les blancs mais la majorité) s’en vont.
Pourquoi les blancs sont partis?
Pour expliquer cela, l’auteur parle de « prophétie
auto-réalisatrice ».
Ce n’est pas la
réalité qui détermine l’action humaine mais la représentation de cette réalité.
Ce qui est intéressant de constater, c'est qu'une représentation fausse peut guider notre action. Les blancs sont partis car la représentation des noirs par les blancs est très négative. Pour eux, ils estiment que s’il y a des noirs
dans le quartier, le prix de l’immobilier va baisser et le quartier va être
dévalorisé. Les blancs sont partis en anticipant et c’est ainsi que le prix des
loyers a baissé pour accueillir d’autres populations. Alors le quartier s’est
paupérisé. Donc cela finit par créer ce que l’on avait prévu mais néanmoins
c’est plus le départ massif des blancs que l’arrivé de quelques personnes noirs
qui a entraîné le ghetto noir. C’est
pour ça que l’on parle de prophétie auto-réalisatrice. Les blancs partent avec
une idée fausse en tête qui va tout de même conduire à une réalité.
Chapitre 4 : Les espaces de la bourgeoisie
Introduction :
Les dynamiques ségrégatives concernent l’ensemble de la
société mais ceux qui sont les plus ségrégés sont les plus riches. Ce sont les
logiques agrégatives de ces personnes qui a pour conséquence à la fin de la
chaine, la ségrégation des plus pauvres entre eux.
Cf : études des Pinçon-Charlot
v
Comment se forme les quartiers bourgeois ?
I- Agrégation et exclusivité sociale de la grande bourgeoisie
1- Les logiques résidentielles agrégatives de la bourgeoisie
Dans ce cours, lorsque l’on parle de « riches »,
on parle de bourgeoisie et même de grande bourgeoisie : les détenteurs des
moyens de productions, qui possèdent les entreprises et plus généralement, le
capital productif. Ceux qui font travailler les autres à leur profit. Car
effectivement, la richesse est très relative. On est plus ou moins riche par
rapport aux autres.
Les bourgeois sont aussi ceux qui décident de l’économie.
Ils choisissent comment ils emploient leur argent et comment on travaille. Ce
n’est pas donc de la richesse mais aussi du pouvoir. Employer le terme de
bourgeoisie est donc quelque chose de
plus large que de parler des gens « riches » dans le sens avoir de
l’argent.
Il y a plusieurs types de capitaux : la richesse est
multiforme
- --Capital économique (patrimoine)
- -- Capital culturel (la culture dite légitime, le
« bon gout » qui est bourgeois)
- -- Capital social : avoir dans son carnet
d’adresse des personnes importantes. C’est avec ce capital que se noue des
liens très nets entre le monde des affaires et
le monde politique. Lorsque ces liens sont très nets on parle
d’oligarchie.
- -- Capital symbolique : Le prestige.
La richesse est donc loin d'être que de l’argent. Le capital
culturel et capital social sont donc indispensables pour la reproduction
sociale du pouvoir des classes bourgeoises. La reproduction sociale fonctionne
dans toutes les classes sociales mais pour les grands bourgeois il n’y a pas de
mobilité possible hormis le déclassement.
Il y a une reproduction de l'aristocratie de fait et une ancienneté de la richesse. La
grande bourgeoisie tente de ne jamais se faire infiltrer par les
« nouveaux riches » qui ne connaissent pas les codes de la grande
bourgeoisie.
Aujourd’hui, s’est pourtant reformée une nouvelle élite héréditaire qui reproduit sa richesse depuis pas mal de temps (et ce n’est pas facile
d’entrer dans cette grande bourgeoisie).
Les individus qui ont au-dessus de 8 milles euros de
revenus représentent 560 milles
foyers fiscaux soit 2% des contribuables. Il y a de plus en plus d’individus qui
sont riches et d'ailleurs, ils sont de plus en plus riches.
En 2004 : les 10% des ménages qui ont les revenus les
plus élevés, détiennent la moitié de la richesse du pays.
La bourgeoisie est donc une classe très minoritaire de la
société. Cette classe est donc bien plus étroite que celle des personnes
aisées.
Mais la particularité de ces individus est de ne pas avoir
de contrainte pour l’achat de leur logement. Si l’espace était neutre, qu’il
n’y avait de ségrégation, on trouverait des grands bourgeois un peu partout dans l’espace.
Cette classe minoritaire est hyper concentrée.
1 contribuable sur 3 de l’I.S.F habite en Ile de France et
plus particulièrement à Neuilly-sur-Seine, Saint-Maure des Faussé, Boulogne
Billancourt. Dans Paris même, les endroits les plus ségrégés par les riches sont le 7-8 ème arrondissements,
16ème nord.
Il y a donc une très forte agrégation qui est
volontaire. C’est un choix extrêmement couteux car ils habitent là où les loyers sont les plus chers du pays.
C’est une logique d’entre soi et d’exclusivité sociale qui
est nécessaire à la reproduction sociale et à la logique dominante.
Il y a un lien entre la position sociale et la position
spatiale.
Le lieu où l’on habite renseigne sur la place que l’on a dans la société. Il y a un lien entre la « surface sociale » d’un individu et la
surface concrète que l’on occupe.
Le fait de vivre dans l’aisance modèle son rapport au monde.
C’est un rapport que l’on acquière depuis tout petit.
Pour les Pinçon-Charlot dans Les ghettos du Gotta :La ségrégation est largement dû à l’agrégation des plus
riches et cela renforce les injustices sociales.
Le fait d’habiter les beaux quartiers ne suffit pas à
l’entre soi.
2- Entre soi et exclusivité sociale
v
Comment fait-on pour garantir davantage l’entre
soi ?
Dans ces beaux quartiers il y a aussi des espaces de
loisirs : cf : les clubs.
Ex :
Le Rotary-Club, le Jockey Club. Pour entrer dans ces clubs il faut être
coopté mais aussi payer une adhésion à l’année (plus de 1000 euros).
Ce qui assure efficacement l’entre soi ce sont les normes
sociales, les règles de vie en société qui sont difficiles à acquérir pour d'autres classes. Ce qui
permet de faire beaucoup de filtres pour les individus qui ne font pas partie
de cette classe bourgeoise.
Pour les Pinçon-Charlot il y a deux capitaux spécifiques à la grande
bourgeoisie :
- - Le capital patrimonial : mélange entre
capital culturel, symbolique, social. Mais c’est aussi du capital familial. Ce
n’est pas juste du patrimoine mais tout un ensemble de choses qui permet aux
individus d’avoir du pouvoir.
- - Le capital mondain : Entrer dans le
« beaux monde ». Comme par exemple les rallyes qui sont fondamentaux
pour éviter la mésalliance et favoriser la reproduction sociale.
Pour les sociologues, la grande bourgeoisie bénéficie d’une
richesse collective. Les capitalistes
sont en concurrence mais mettent d’un point de vue symbolique leurs richesses
en commun. En mettant leurs enfants dans les mêmes écoles par exemple. La
transmission de la richesse se fait donc collectivement.
La reproduction de la richesse est donc un élément très
important pour ces classes.
« l’entre-soi
grand-bourgeois est décisif pour la reproduction des positions dominantes, d’une
génération à l’autre, parce qu’il est un éducateur efficace. Il incite à éviter
les mésalliances et permet de cultiver et d’enrichir les relations
héritées ».
L’agrégation spatiale est un facteur de reproduction du
pouvoir de classe absolument nécessaire.
II- Les beaux quartiers, construction et défense d’espaces privilégiés
v
Quelles sont les caractéristiques de ces beaux
quartiers ?
1- Origine et caractéristiques des beaux quartiers parisiens
La localisation des beaux quartiers à évoluer dans le temps.
Le premier quartier aristocratique identifié comme tel est celui du Marais aux
15 ème-16ème siècles. Le Marais est donc un quartier qui a été mis en valeur à
la renaissance et qui a été renforcé par le pouvoir royale avec la création de
la place des Vosges proche du Louvre : palais royale. Il y a déjà un lien entre richesse économique et
pouvoir politique.
Lorsque Louis XIV a déménagé le palais royal à Versailles,
les quartiers des grands bourgeois se sont installés à l’ouest. L’évolution du bâtie suit l’évolution
sociale.
L’installation du palais royal explique pourquoi aujourd’hui
les lieux de pouvoirs de la république se trouvent dans les beaux quartiers.
L’ancienneté de la division sociale de l’espace est liée à l’origine au
déplacement du palais royal vers l’ouest.
La caractéristique fondamentale des beaux quartiers c’est
qu’ils sont toujours construits ex-nihilo pour et par les grands bourgeois. Ce
ne sont pas quartiers planifiés par les pouvoirs publics mais par les individus
qui vont y habiter.
Les grands-bourgeois maîtrisent entièrement le droit à la ville, c'est à dire le fait que les habitants d’une ville contrôle eux-mêmes l’organisation et la construction de leurs logements. Il y a par là une remise en cause de la propriété privée et une gestion horizontale
des quartiers.
Dans ces beaux quartiers, ce sont les grands bourgeois qui
aménagent leur quartier. Ce sont les seuls qui ont véritablement le droit à la
ville.
- Qu’est-ce qui fait la qualité urbaine d’un beau quartier ?
Des immeubles avec tout le confort mais aussi un quartier
qui n’est pas trop dense, sans trop d’encombrements du fait d’importants
espaces verts. On est aussi pas très loin des hauts lieux de cultures et des
commerces de luxes.
Ces quartiers sont duales avec deux groupes distincts :
- le personnel : les domestiques, les gardiens
- les grands bourgeois.
Comment se passe la coexistence de ces deux groupes ?
Les individus ne se
rencontrent pas hors du cadre de leur travail.
Ex : escalier de service permet de ne pas croiser les
bonnes de maisons qui sont dans les pièces étroites au dernier étage.
Caddy-boys : services adaptés aux modes de vies bourgeoise : une personne est là pour
pousser le caddy des individus grands bourgeois qui font leurs courses.
Tendance à la privatisation de l’espace public.
Des
petits passages sont fermés voir même des quartiers entiers qui sont privés.
Ex : La Villa Montmorency : quartier d’un
kilomètre carré, surveillé jour et nuit par des gardiens. Sont prohibés les
bruits et les fêtes.
Privatisation d’un espace privé dans le bois de Boulogne ou
dans les tribunes des stades et des hippodromes.
Les choix des manuels dans les écoles de Neuilly sont
effectués par les parents des quartiers bourgeois.
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