Une des manifestations lycéennes de Lyon en 2010
Inégalités sociales devant la réussite scolaire : le rôle du
quartier de résidence
On constate que le
taux d’échec scolaire est plus élevé dans les quartiers pauvres que dans les
autres quartiers.
Il y a certes des exceptions mais globalement on peut percevoir ces résultats.
Ainsi en étudiant le taux de
redoublement en 5° en France, la moyenne s’élève à 4,1%, pour les 10% des
établissements les plus mal lotis, on est à 8% avec un maximum à 34,8%. Dans
les 10% des collèges les plus aisés, on est à 0,7% avec un seuil minimum de 0%.
Dans
le cas du taux d’accès de la 6° à la 3°,
soit le nombre d’élèves entrés en 6° et qu’on retrouve 3 ans plus tard en 3°, à
l’échelle du pays ils sont 73,6%, dans le neuvième décile (mieux lotis) ils
sont 84,4% avec un maximum de 100% et dans le premier décile (moins bien lotis)
s’élève à 62,4% avec un minimum de 7,3%.
Un
dernier indicateur porte sur le score
moyen d’une évaluation qui note les élèves de 0 à 100, le niveau des
élèves, les uns par rapport aux autres. En moyenne on est à 63,3, pour le
neuvième décile on est à 71,2 avec un maximum de 85,7, tandis que dans le
premier décile, on a une moyenne de 53,6 avec un minimum de 14,4.
Cela s’explique
donc d’abord par des effets de structures, les établissements des quartiers défavorisés
sont plus éloignés culturellement que les élèves des établissements de
quartiers favorisés. Mais malgré cela, les effets de structure n’expliquent pas
tout. Une partie
reste largement invisible. Ainsi, il semble y avoir plus de risques dans les quartiers
défavorisés. On peut donc se demander d’où vient ce sur-risque d’échec scolaire
dans certains quartiers. La seconde question est plus empirique, comment
peut-on mesurer ce sur-risque ?
I.
Théories
explicatives du sur-risque dans les quartiers défavorisés
1.
Sous-dotation en ressources
S’il y a un
sur-risque d’échec scolaire dans ces quartiers défavorisés, ce serait une
conséquence d’une qualité moindre de l’enseignement. Si l’enseignement est
moins bon ce serait parce que les établissements scolaires seraient moins dotés
dans ces quartiers, que c soit en ressources matérielles ou en ressources
humaines.
Cette
thèse nous vient essentiellement de Grande-Bretagne où le système éducatif est
bien plus décentralisé. Il y a des disparités fortes pour les dotations entre
des quartiers défavorisés et des quartiers favorisés. En France, l’éducation
est si centralisée (c’est une affaire d’Etat) que si les disparités sont moins
fortes, elles n’en restent pas moins présentes.
Concernant
la sous-dotation en ressources matérielles, dans le cas de la banlieue
parisienne on effectue une recherche dans les comptabilités des fonds publics
alloués à deux établissements scolaires. Un
de ces lycées est dans un quartier tranquille et le second est dans un quartier
ZEP. Le second est censé recevoir plus d’aide financière par les collectivités
publiques que le premier. Au total, il y aurait – 7% d’argent par élève
entre le lycée tranquille et le lycée classé en ZEP. On a donc un aspect
financier qui se fait au détriment des quartiers ZEP.
La sous-dotation en
ressources humaines connait un plus grand nombre d’études. Les enseignants en poste dans ces quartiers
sont systématiquement plus jeunes, moins expérimentés (voire débutants) et moins
gradés (on a peu d’agrégés) que la moyenne nationale. Là où les jeunes en
difficulté devraient avoir un meilleur enseignement avec des profs plus anciens
et meilleurs, on a au contraire une aide plus limitée.
Pour comprendre
cette explication, il faut réfléchir à la manière dont se fait une carrière
d’enseignant. Comme toute carrière, l’enseignant enchaine les postes à
rémunération et à prestige croissant. Par rapport à ce schéma, le métier
d’enseignant a une particularité puisque la carrière verticale est limitée. En effet, d’une part un
enseignant évolue rarement du primaire au secondaire ou au-delà (carrière
verticale), d’autre part, il y a une grande mobilité des professeurs dans leur
carrière horizontale. Les enseignants
enchaînent les postes dans des établissements scolaires de plus en plus
attractifs et prestigieux. Or ce travail fonctionne avec l’ancienneté et le
grade. Donc les premiers mutés sont les anciens enseignants qui demandent
des postes attractifs, laissant aux jeunes enseignants les postes les moins
intéressants et les moins prestigieux.
Pour un enseignant,
ce qui fait le prestige d’un établissement ce sont les élèves. Plus un élève
est bon travailleur et plus il est docile, plus le métier deviendrait
intéressant. En
conséquence, les autres élèves plus faibles et moins dociles ne sont pas
privilégiés par les enseignants. Or le
problème central vient de la corrélation constatée entre les élèves à forte
valeur scolaire et le milieu social dont viennent les élèves. Ainsi les élèves
d’origine défavorisées seraient pour les enseignants plus faibles scolairement.
Ce n’est certes pas le cas de tous les enseignants, mais ce constat est
majoritaire. Parce que les enseignants pensent que les élèves accueillis dans
les quartiers défavorisés sont moins bons scolairement, alors les
établissements sont fuis des enseignants et reçoivent une moins bonne côte. Par
exemple, en Seine-Saint-Denis le département le plus pauvre de France qui
représente 7% des élèves du secondaire en France se retrouvent avec 24%
d’enseignants débutants dont c’est la première affectation.
Une autre
conséquence de cette carrière horizontale, c’est d’amener à une forme
d’instabilité chronique des enseignants en poste dans les quartiers défavorisés.
Puisque ces
établissements servent d’épouvantails pour les enseignants, les demandes de
mutation sont très rapides et beaucoup d’enseignants restent en place moins
d’un an. Ainsi dans les lycées très populaires, l’équipe est renouvelée aux 2/3
tous les 4 ans, à 90% tout les 7 ans. L’expérience acquise par ces enseignants
n’est pas profitable à ces quartiers.
Mais
la qualité de l’enseignement est-elle seulement liée à la dotation en
ressources ? Les jeunes enseignants inexpérimentés sont-ils les seuls responsables
de ce risque d’échec scolaire ?
2.
Comportements « déviants » et
« anti-scolaires »
D’autres théories
soulignent que ces quartiers défavorisés sont plus favorables aux interactions
de « déviance anti-scolaire ». Ce n’est pas de la délinquance mais
une forme de caractère anti-scolaire, on rejette les comportements attendus par
l’école. Le facteur responsable vient du fait que
les élèves anti-scolaires sont plus nombreux dans ces quartiers et en
conséquence, ils ont un effet sur les autres élèves. Du coup, les élèves qui
ont un potentiel de réussite peuvent basculer plus facilement sous la pression
des pairs.
Granovetter a établi la théorie des effets de seuil dans des comportements collectifs qui correspond à ce cas-là. Au départ, les individus ont le choix entre
deux alternatives : agir ou ne pas agir. Dans les deux cas, les
alternatives ont des avantages et des inconvénients. L’individu est alors face
à un dilemme. Le coût de l’action dépend alors du nombre d’individus qui
choisissent une option. Plus le nombre d’individus est élevé dans une
situation, moins les inconvénients de la situation semblent couteux pour ceux
qui arrivent ensuite.
Ainsi
selon Granovetter, dans une situation de tensions sociales opposant des
mécontents à des forces de l’ordre, une forme de pré-émeute, les individus
peuvent agir (entrer en émeute) ce qui leur permet d’exprimer leur
mécontentement au risque de se faire arrêter ; ou ne pas agir (rester
simples contestataires) ce qui ne procure aucun risque mais qui en revanche
laisse un gout de frustration. De plus, plus le nombre de personnes entrant en
action est grand et enfle, plus l’inconvénient lié à cette option diminue pour
les suivants. Dans le cas de l’émeute, on a moins de risque d’être arrêté si on
est nombreux. Le coût marginal va décroissant avec le nombre de participants.
Pour Granovetter,
il y a un seuil où les inconvénients liés à l’action sont suffisamment faible
pour que cela vaille le coup d’y aller à son tour. Ce seuil est atteint lorsque le nombre de participants à l’action
réduit suffisamment le coup. Ce seuil d’action est variable selon les individus
certains téméraires peuvent agir avec un seuil très bas, tandis que
d’autres plus prudents attendent un seuil plus élevé.
Ainsi, les choix
d’un individu dans une situation donnée dépendent des choix des autres
individus confrontés à la même situation. De plus cela montre que selon le contexte, un même
individu peut faire des choix différents. Finalement le choix d’un individu
dépend des caractéristiques des autres individus en présence. Selon de toutes
petites modifications dans le contexte, la différence entre agir ou ne pas agir
peut être très grand.
Cette théorie
permet donc d’éclairer le processus d’interactions qui augmente avec le risque
de déviance anti-scolaire dans les quartiers pauvres. Agnès Van Zanten a notamment théorisé cela. Ainsi, tout les élèves balancent entre le
fait d’être travailleur et sérieux, et celui d’être distrait et amusant. La
seule exception consiste en des classes faibles, où la densité d’élèves faibles
et perturbateurs est plus élevée. Dans ce cas, la distraction l’emporte à la
longue quand dans les autres classes, c’est le travail qui l’emporte. Les
distractions enchainées provoquent une spirale de perturbation et même les
éléments les plus dynamiques du groupe finissent par basculer dans un système
de déviance anti-scolaire.
Donc
on peut dire que ce qui fait la particularité des classes faibles c’est qu’il y
a un nombre anormalement élevé d’élèves à seuil d’entrée en distraction bas. Ce
nombre élevé a pour effet de réduire le coût des inconvénients du non-travail
pour les autres élèves. Le seuil d’entrée en distraction a plus de chances
d’être atteint pour n’importe quel élève. On a donc une tendance plus forte à
basculer dans le non-travail. Dans un contexte plus ordinaire cela n’aurait pas
lieu, ils choisiraient plus surement le travail que la distraction.
II.
Mesures du
Sur-risques
1.
Une analyse statistique en France
Cette
recherche représente l’essentiel du type de recherches sur le sujet. Pour des
individus de 16 à 20 ans vivant depuis au moins neuf ans dans la même commune
de résidence, on a cherché à mesurer le risque de quitter le système scolaire
sans avoir obtenu un diplôme. On mesure aussi effet de la commune de résidence.
Au final, il semblerait que tout concorde. Pour
un profil moyen, la probabilité moyenne est de 7,2%
d’abandonner les études sans le moindre diplôme. Pour ce même jeune, issu d’une
commune défavorisée on monte à 8% et si on
s’intéresse à une commune favorisée on est à 4%.
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