jeudi 5 avril 2012

Urbaine 02 - 04 (cours 7)

Précédemment : Urbaine 26 - 03


Une des manifestations lycéennes de Lyon en 2010



Inégalités sociales devant la réussite scolaire : le rôle du quartier de résidence


On constate que le taux d’échec scolaire est plus élevé dans les quartiers pauvres que dans les autres quartiers. Il y a certes des exceptions mais globalement on peut percevoir ces résultats. Ainsi en étudiant le taux de redoublement en 5° en France, la moyenne s’élève à 4,1%, pour les 10% des établissements les plus mal lotis, on est à 8% avec un maximum à 34,8%. Dans les 10% des collèges les plus aisés, on est à 0,7% avec un seuil minimum de 0%.
Dans le cas du taux d’accès de la 6° à la 3°, soit le nombre d’élèves entrés en 6° et qu’on retrouve 3 ans plus tard en 3°, à l’échelle du pays ils sont 73,6%, dans le neuvième décile (mieux lotis) ils sont 84,4% avec un maximum de 100% et dans le premier décile (moins bien lotis) s’élève à 62,4% avec un minimum de 7,3%.
Un dernier indicateur porte sur le score moyen d’une évaluation qui note les élèves de 0 à 100, le niveau des élèves, les uns par rapport aux autres. En moyenne on est à 63,3, pour le neuvième décile on est à 71,2 avec un maximum de 85,7, tandis que dans le premier décile, on a une moyenne de 53,6 avec un minimum de 14,4.

Cela s’explique donc d’abord par des effets de structures, les établissements des quartiers défavorisés sont plus éloignés culturellement que les élèves des établissements de quartiers favorisés. Mais malgré cela, les effets de structure n’expliquent pas tout. Une partie reste largement invisible. Ainsi, il semble y avoir plus de risques dans les quartiers défavorisés. On peut donc se demander d’où vient ce sur-risque d’échec scolaire dans certains quartiers. La seconde question est plus empirique, comment peut-on mesurer ce sur-risque ?


I.                   Théories explicatives du sur-risque dans les quartiers défavorisés

1.      Sous-dotation en ressources

S’il y a un sur-risque d’échec scolaire dans ces quartiers défavorisés, ce serait une conséquence d’une qualité moindre de l’enseignement. Si l’enseignement est moins bon ce serait parce que les établissements scolaires seraient moins dotés dans ces quartiers, que c soit en ressources matérielles ou en ressources humaines.
Cette thèse nous vient essentiellement de Grande-Bretagne où le système éducatif est bien plus décentralisé. Il y a des disparités fortes pour les dotations entre des quartiers défavorisés et des quartiers favorisés. En France, l’éducation est si centralisée (c’est une affaire d’Etat) que si les disparités sont moins fortes, elles n’en restent pas moins présentes.

Concernant la sous-dotation en ressources matérielles, dans le cas de la banlieue parisienne on effectue une recherche dans les comptabilités des fonds publics alloués à deux établissements scolaires. Un de ces lycées est dans un quartier tranquille et le second est dans un quartier ZEP. Le second est censé recevoir plus d’aide financière par les collectivités publiques que le premier. Au total, il y aurait – 7% d’argent par élève entre le lycée tranquille et le lycée classé en ZEP. On a donc un aspect financier qui se fait au détriment des quartiers ZEP.

La sous-dotation en ressources humaines connait un plus grand nombre d’études.  Les enseignants en poste dans ces quartiers sont systématiquement plus jeunes, moins expérimentés (voire débutants) et moins gradés (on a peu d’agrégés) que la moyenne nationale. Là où les jeunes en difficulté devraient avoir un meilleur enseignement avec des profs plus anciens et meilleurs, on a au contraire une aide plus limitée.
Pour comprendre cette explication, il faut réfléchir à la manière dont se fait une carrière d’enseignant. Comme toute carrière, l’enseignant enchaine les postes à rémunération et à prestige croissant. Par rapport à ce schéma, le métier d’enseignant a une particularité puisque la carrière verticale est limitée. En effet, d’une part un enseignant évolue rarement du primaire au secondaire ou au-delà (carrière verticale), d’autre part, il y a une grande mobilité des professeurs dans leur carrière horizontale. Les enseignants enchaînent les postes dans des établissements scolaires de plus en plus attractifs et prestigieux. Or ce travail fonctionne avec l’ancienneté et le grade. Donc les premiers mutés sont les anciens enseignants qui demandent des postes attractifs, laissant aux jeunes enseignants les postes les moins intéressants et les moins prestigieux.
Pour un enseignant, ce qui fait le prestige d’un établissement ce sont les élèves. Plus un élève est bon travailleur et plus il est docile, plus le métier deviendrait intéressant. En conséquence, les autres élèves plus faibles et moins dociles ne sont pas privilégiés par les enseignants. Or le problème central vient de la corrélation constatée entre les élèves à forte valeur scolaire et le milieu social dont viennent les élèves. Ainsi les élèves d’origine défavorisées seraient pour les enseignants plus faibles scolairement. Ce n’est certes pas le cas de tous les enseignants, mais ce constat est majoritaire. Parce que les enseignants pensent que les élèves accueillis dans les quartiers défavorisés sont moins bons scolairement, alors les établissements sont fuis des enseignants et reçoivent une moins bonne côte. Par exemple, en Seine-Saint-Denis le département le plus pauvre de France qui représente 7% des élèves du secondaire en France se retrouvent avec 24% d’enseignants débutants dont c’est la première affectation.
Une autre conséquence de cette carrière horizontale, c’est d’amener à une forme d’instabilité chronique des enseignants en poste dans les quartiers défavorisés. Puisque ces établissements servent d’épouvantails pour les enseignants, les demandes de mutation sont très rapides et beaucoup d’enseignants restent en place moins d’un an. Ainsi dans les lycées très populaires, l’équipe est renouvelée aux 2/3 tous les 4 ans, à 90% tout les 7 ans. L’expérience acquise par ces enseignants n’est pas profitable à ces quartiers.

Mais la qualité de l’enseignement est-elle seulement liée à la dotation en ressources ? Les jeunes enseignants inexpérimentés sont-ils les seuls responsables de ce risque d’échec scolaire ?

2.      Comportements « déviants » et « anti-scolaires »

D’autres théories soulignent que ces quartiers défavorisés sont plus favorables aux interactions de « déviance anti-scolaire ». Ce n’est pas de la délinquance mais une forme de caractère anti-scolaire, on rejette les comportements attendus par l’école. Le facteur responsable vient du fait que les élèves anti-scolaires sont plus nombreux dans ces quartiers et en conséquence, ils ont un effet sur les autres élèves. Du coup, les élèves qui ont un potentiel de réussite peuvent basculer plus facilement sous la pression des pairs.

Granovetter a établi la théorie des effets de seuil dans des comportements collectifs qui correspond à ce cas-là. Au départ, les individus ont le choix entre deux alternatives : agir ou ne pas agir. Dans les deux cas, les alternatives ont des avantages et des inconvénients. L’individu est alors face à un dilemme. Le coût de l’action dépend alors du nombre d’individus qui choisissent une option. Plus le nombre d’individus est élevé dans une situation, moins les inconvénients de la situation semblent couteux pour ceux qui arrivent ensuite.
Ainsi selon Granovetter, dans une situation de tensions sociales opposant des mécontents à des forces de l’ordre, une forme de pré-émeute, les individus peuvent agir (entrer en émeute) ce qui leur permet d’exprimer leur mécontentement au risque de se faire arrêter ; ou ne pas agir (rester simples contestataires) ce qui ne procure aucun risque mais qui en revanche laisse un gout de frustration. De plus, plus le nombre de personnes entrant en action est grand et enfle, plus l’inconvénient lié à cette option diminue pour les suivants. Dans le cas de l’émeute, on a moins de risque d’être arrêté si on est nombreux. Le coût marginal va décroissant avec le nombre de participants.
Pour Granovetter, il y a un seuil où les inconvénients liés à l’action sont suffisamment faible pour que cela vaille le coup d’y aller à son tour. Ce seuil est atteint lorsque le nombre de participants à l’action réduit suffisamment le coup. Ce seuil d’action est variable selon les individus certains téméraires peuvent agir avec un seuil très bas, tandis que d’autres plus prudents attendent un seuil plus élevé.
Ainsi, les choix d’un individu dans une situation donnée dépendent des choix des autres individus confrontés à la même situation. De plus cela montre que selon le contexte, un même individu peut faire des choix différents. Finalement le choix d’un individu dépend des caractéristiques des autres individus en présence. Selon de toutes petites modifications dans le contexte, la différence entre agir ou ne pas agir peut être très grand.

Cette théorie permet donc d’éclairer le processus d’interactions qui augmente avec le risque de déviance anti-scolaire dans les quartiers pauvres. Agnès Van Zanten a notamment théorisé cela. Ainsi, tout les élèves balancent entre le fait d’être travailleur et sérieux, et celui d’être distrait et amusant. La seule exception consiste en des classes faibles, où la densité d’élèves faibles et perturbateurs est plus élevée. Dans ce cas, la distraction l’emporte à la longue quand dans les autres classes, c’est le travail qui l’emporte. Les distractions enchainées provoquent une spirale de perturbation et même les éléments les plus dynamiques du groupe finissent par basculer dans un système de déviance anti-scolaire.
Donc on peut dire que ce qui fait la particularité des classes faibles c’est qu’il y a un nombre anormalement élevé d’élèves à seuil d’entrée en distraction bas. Ce nombre élevé a pour effet de réduire le coût des inconvénients du non-travail pour les autres élèves. Le seuil d’entrée en distraction a plus de chances d’être atteint pour n’importe quel élève. On a donc une tendance plus forte à basculer dans le non-travail. Dans un contexte plus ordinaire cela n’aurait pas lieu, ils choisiraient plus surement le travail que la distraction.


II.                Mesures du Sur-risques

1.      Une analyse statistique en France

Cette recherche représente l’essentiel du type de recherches sur le sujet. Pour des individus de 16 à 20 ans vivant depuis au moins neuf ans dans la même commune de résidence, on a cherché à mesurer le risque de quitter le système scolaire sans avoir obtenu un diplôme. On mesure aussi effet de la commune de résidence. Au final, il semblerait que tout concorde. Pour un profil moyen, la probabilité moyenne est de 7,2% d’abandonner les études sans le moindre diplôme. Pour ce même jeune, issu d’une commune défavorisée on monte à 8% et si on s’intéresse à une commune favorisée on est à 4%.

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