Précédemment : Urbaine 05 - 02
Bazar du Khan-El-Kalil au Caire
Bénéfices de la concentration spatiale : économie
d’agglomération
Il semble qu’il y
ait un lien entre performance des entreprises et agglomération : plus la
ville est grande, plus les entreprises qui y sont localisées sont performantes. On a alors une surproductivité
de Paris et de l’Ile de France vis-à-vis du pays, lui donnant 3 points de PIB
par an. Quand on cherche d’où cela peut venir, on constate que la différence
entre les bénéfices urbains et ceux de la province, on ne parvient pas à tout
déterminer, il reste une inconnue.
Selon
le langage des patrons, l’environnement
urbain est propice à faire des affaires. On retrouve des facteurs favorables à
la productivité. Ces facteurs favorables à la productivité sont nommés les
sources d’externalités positives. Plus la ville est grande, plus ces
externalités positives sont abondantes. Les grandes villes (Paris, Londres,
New-York, Tokyo, …) sont les lieux les plus riches en externalités positives.
Les
facteurs qu’on ne retrouve que dans les grandes villes sont nommés les
avantages exclusifs.
I.
La notion
d’externalité
L’externalité est
un transfert de valeur d’un agent vers un autre sans qu’il n’y ait de
compensation monétaire.
Cette définition économiste est un peu vague. On peut la définir aussi comme un
effet que produit un agent A sur un agent B sans qu’il y ait de transactions
marchandes derrière. Plus simple encore,
les externalités peuvent être des avantages gratuits, ou des inconvénients pour
lesquels on ne serait pas dédommagé. Les avantages gratuits sont nommés
externalités positives (autoroute gratuite, si elle devient payante, on
perd l’externalité et on parle d’internationalisation d’externalité). Les inconvénients non-dédommagés sont
nommés externalités négatives (pollution, mais si elle cesse, ce n’est plus
une externalité). C’est donc un effet extérieur à l’entreprise pour lequel nous
ne sommes pas payés et nous ne payons pas.
II.
Externalités
d’agglomération
Lorsque les agences
économiques (salariés, consommateurs, entreprises, …) se concentrent dans les mêmes
lieux alors ces aires produisent des externalités positives rapidement. On
parle alors d’externalités d’agglomérations. Cela leur permet d’être plus
performantes. Se localiser dans les villes, c’est bénéficier des avantages gratuits
des agglomérations.
Ces
externalités d’agglomérations sont de deux ordres :
·
Externalités d’échelles : elles sont simples de
taille.
·
Externalités relationnelles : elles naissent des
interactions sociales.
1.
Externalités d’échelles
Ces
externalités sont liées a des effets de taille. Trois formes principales
peuvent être aperçues, mais ce n’est pas une liste exhaustive.
Par un effet de
taille, les entreprises améliorent la qualité de leur recrutement. En effet, cherchant des
salariés, l’entreprise y parvient mieux dans des bassins où les marchés sont
grands. Second effet de taille, la
taille permet de mieux produire des infrastructures collectives indivisibles.
Le système est plus efficace à produire des activités essentielles à l’activité
économique. Enfin, troisième forme,
l’agglomération spatiale et l’effet de taille permet de profiter des bénéfices
des rendements croissants.
La meilleure qualité de recrutement :
Une grande
agglomération permet de faire un grand marché du travail donc ainsi, on peut
élargir les marges de choix lors d’un recrutement. Cela augmente aussi les
chances de trouver plus précisément le profil qu’ils recherchent. On a plus de chances sur un
marché du travail avec 5 millions d’actifs que sur un marché de 25 000
actifs. Enfin cela permet aussi de
diminuer le temps de recrutement.
Les
métropoles représentent donc les plus gros marchés du travail. Mais il y a d’autres avantages quasi-exclusifs
aux métropoles : la variété des professions (à Paris, on trouve 447 CSP
sur 454 ; dans une ville de moins de 100 000 habitants il n’y en a
que 197), une très forte
surreprésentation des hautes qualifications (un avocat sur deux est
parisien, deux cadres de publicité et de relations publiques sur trois, …).
La meilleure capacité à produire des infrastructures
collectives indivisibles :
Si
une entreprise U a besoin d’une machine produisant 2 000 pièces par jour
sur son marché, que la seule machine disponible produit 10 000 pièces par
jour. De plus l’entreprise fixe 60 000 € pour la machine mais celle-ci coûte
100 000 €. L’entreprise U en a besoin, mais ne peut se le permettre. Si on
rajoute une entreprise V qui est dans la même situation et est très éloignée de
l’entreprise U. Alors il est possible que les deux entreprises se rapprochent
spatialement en co-investissant leurs frais pour cette machine. Chaque
entreprise met 50 000 € et les deux entreprises peuvent produire leurs
pièces. Elles peuvent donc acquérir une machine qui leur est nécessaire en
investissant ensemble, mais cela n’est possible que si la proximité spatiale
est là.
Les infrastructures
n’ont pas de dimension modulable : leur coût ne peut pas être dans les
moyens d’une entreprise isolée et la capacité de production de l’infrastructure
est largement supérieure à celle de l’entreprise. La solution est donc
d’effectuer un coût partagé (public ou privé) qui décharge le prix mais qui
permet aussi d’utiliser la machine en adéquation avec ces capacités. Cela touche les centres de
Recherche et de Développement, les infrastructures des TICs, les universités, …
C’est le cas souvent avec les aéroports internationaux dont la rentabilité et
la diversité dépendent du nombre d’usagers.
Les rendements croissants :
Les économistes
parlent de rendements croissants quand les coûts sont de moins en moins élevés.
Les industries à coûts fixes élevés.
Par exemple, les usines de voiture coutent très cher, si on produit une voiture
elle sera très cher, si on étale les coûts sur de nombreuses voitures, alors on
progresse. Il y a possibilité de
concentrer sa production pour être plus productif.
2.
Externalités relationnelles
Ce
sujet a longtemps été réduit au monde économique et perçu comme asocial. En
réalité il n’en est rien. Le monde
économique est une « gigantesque discussion » selon Scott.
C’est au sein de cette technique que des millions d’échanges et de conflits se
déroulent. Il s’agit donc d’une forme de réseau social monumental avec un
maximum d’interactions sociales entre agents économiques. Les externalités
relationnelles sont générées par l’ensemble de ces interactions au sein de ce
réseau.
De nouveau,
l’agglomération spatiale des agents économiques est un facteur majeur pour
réduire les coûts de l’interaction. Non seulement la distance des interactions
est réduite, mais celle-ci est aussi de meilleure qualité (en particulier les interactions
de face à face : elles sont plus fréquentes, plus diverses, mais surtout
plus répétées ; dont certaines aléatoires et ce sont les plus
intéressantes). Cela est donc un formidable
catalyseur relationnel.
Les interactions en
face à face sont une source d’externalité. En effet, la production et la
circulation d’information par canaux informels est plus pertinente que celle
des canaux formels (cf
le scoop). Le partage d’expérience et la
mutualisation des savoirs est plus efficace aussi en face à face. De plus,
ces interactions de face à face conduisent à des hybridations, des fertilisations croisées des idées pouvant
permettre d’innover au sein des entreprises. De tout cela les entreprises
acquièrent de meilleures capacités d’innovation et de meilleures capacités
d’apprentissage.
Ces interactions de
face à face fréquentes et répétées permettent l’émergence de relations
personnelles qui à terme peut amener à des relations de confiance. Cela permet
aussi de construire une culture commune (langage, codes de conduite, manières de penser et
d’agir, …). Au final les entreprises
réduisent les incertitudes et augmentent les prévisibilités. De cette manière,
elles limitent aussi la bureaucratie ce qui au final, leur permettent d’âtre
plus réactives et plus rapides dans leurs décisions.
Coleman
a fait des études sur ces relations de face à face. Le premier concerne le
marché de diamants à New-York, le second la marché Kahn-el-Khalil du Caire. Dans le premier cas, il a assisté
aux échanges de diamants. La relation semble étrange vu de l’extérieur. Le
vendeur livre la matière très précieuse concernée à l’acheteur potentiel qui va
l’examiner dans un cadre privé sans le vendeur. Il y a donc de manière
totalement non-officielle un échange de fortune, le risque de fraude est
immense. Cette attitude permet cependant d’éviter de perdre du temps et de
l’argent en assurances. Cette absence des assurances est préférée de tous. En
effet, ce marché a un fonctionnement communautaire très fort par la communauté
juive notamment. Les relations interprofessionnelles se doublent de relations
interpersonnelles. Liens professionnels
et liens privés sont très liés. Et ce statut s’est construit par des liens
de confiance acquis dans des relations de face à face de très long terme. Cela fut renforcé par la proximité spatiale
au sein de la ville.
Dans
le second cas, au bazar on ne distingue pas les frontières entre les commerces.
Une pratique généralisée s’est construite puisque si un client se trompe de
boutique, le commerçant le guide au bon commerçant et cela permet à ces
commerçants de gagner davantage. Cela se fait sur le principe de la confiance
réciproque « J’aide un collègue en attendant un geste de retour de sa
part ». De nouveau c’est un
fonctionnement communautaire avec des commerçants qui se connaissent depuis
longtemps, se côtoient hors du travail, vivent dans les mêmes quartiers, … Un
minimum d’agglomération spatiale est là aussi nécessaire à la croissance des
affaires.
Les externalités
relationnelles sont donc générées dans des cadres urbains. Parce que l’agglomération
spatiale est forte, parce que la ville est grande, alors les externalités
relationnelles seront plus riches. Les grandes villes sont sources de
productivité pour les entreprises.
Dans ses recherches, Saxenian,
dans Regional
Advantage publié en 1999, compare sur le temps deux districts
industriels : Silicon Valley à San
Francisco et Route 128 près de Boston. Les deux sont dans le même domaine,
la technologie de pointe et d’informatique, et dans les mêmes points de départ
les années 1920 – 1930 par des contrats avec le ministère de la Défense. Ils se
sont longtemps combattus et finalement Silicon Valley a fini par faire oublier
la Route 128. Saxenian recherche les raisons de l’échec de la Route 128 et du
succès de Silicon Valley. Silicon Valley
a bénéficié de son environnement urbain, c’est une ville très orienté dans le
travail mais aussi avec des espaces publics, des habitants, … Route 128 par
contre n’est pas un tissu dense et urbain mais une autoroute sur laquelle
se sont construites les entreprises. La grande proximité spatiale de Silicon
Valley a joué pour beaucoup selon Saxenian, puisque cela a permis des relations professionnelles mais aussi
personnelles. A Route 128, ce n’était pas le cas. A Silicon Valley, tout le
monde parle à tout le monde et partout, le face à face est la norme. Par ces
pratiques de collaborations et de partages de connaissances, les entreprises
ont prospéré sur cette culture commune. La
Route 128 qui était dans une logique de concurrence entre les individus a donc
échoué par manque de culture commune et de solidarité. Les entreprises de la
Silicon Valley ont abondamment bénéficié des externalités relationnelles.
L’agglomération
spatiale des agents économiques permet de réduire les coûts d’échanges, de
communication ou d’interaction. Ce coût plus simple et moins couteux permet aux
entreprises d’être plus compétitives.
Ainsi aujourd’hui les métropoles sont devenues incontournables pour les
activités à forte dose d’Echange, de Communication et d’Interactions. Si elles
se placent ailleurs, ces entreprises ont peu de chance de réussir. On constate
donc dans les grandes villes les fonctions de commandement, les services
supérieurs aux entreprises ou encore les domaines de recherche et de
développement.
Mais les grosses
agglomérations produisent aussi des déséconomies d’agglomération puisqu’ils
existent des coûts qui peuvent effrayer les entreprises. Ainsi les prix du sol élevés, les
coûts de travail plus élevés, les encombrements ou encore la plus forte
exposition à la concurrence : tout ça forme des déséconomies
d’agglomération.
Tout
l’enjeu est donc de savoir si la différence entre EA et DA est avantageuse. Si
EA – DA > 0, alors l’entreprise connaît un mouvement de d’agglomération
dans la ville et s’y implante. Si EA – DA < 0, alors l’entreprise connaît un
mouvement de dispersion et préfère s’implanter en périphérie.
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