mardi 14 février 2012

Urbaine 12 - 02 (cours 2)


Précédemment : Urbaine 05 - 02


Bazar du Khan-El-Kalil au Caire


Bénéfices de la concentration spatiale : économie d’agglomération


Il semble qu’il y ait un lien entre performance des entreprises et agglomération : plus la ville est grande, plus les entreprises qui y sont localisées sont performantes. On a alors une surproductivité de Paris et de l’Ile de France vis-à-vis du pays, lui donnant 3 points de PIB par an. Quand on cherche d’où cela peut venir, on constate que la différence entre les bénéfices urbains et ceux de la province, on ne parvient pas à tout déterminer, il reste une inconnue.
Selon le langage des patrons, l’environnement urbain est propice à faire des affaires. On retrouve des facteurs favorables à la productivité. Ces facteurs favorables à la productivité sont nommés les sources d’externalités positives. Plus la ville est grande, plus ces externalités positives sont abondantes. Les grandes villes (Paris, Londres, New-York, Tokyo, …) sont les lieux les plus riches en externalités positives.
Les facteurs qu’on ne retrouve que dans les grandes villes sont nommés les avantages exclusifs.


I.                   La notion d’externalité

L’externalité est un transfert de valeur d’un agent vers un autre sans qu’il n’y ait de compensation monétaire. Cette définition économiste est un peu vague. On peut la définir aussi comme un effet que produit un agent A sur un agent B sans qu’il y ait de transactions marchandes derrière. Plus simple encore, les externalités peuvent être des avantages gratuits, ou des inconvénients pour lesquels on ne serait pas dédommagé. Les avantages gratuits sont nommés externalités positives (autoroute gratuite, si elle devient payante, on perd l’externalité et on parle d’internationalisation d’externalité). Les inconvénients non-dédommagés sont nommés externalités négatives (pollution, mais si elle cesse, ce n’est plus une externalité). C’est donc un effet extérieur à l’entreprise pour lequel nous ne sommes pas payés et nous ne payons pas.


II.                Externalités d’agglomération

Lorsque les agences économiques (salariés, consommateurs, entreprises, …) se concentrent dans les mêmes lieux alors ces aires produisent des externalités positives rapidement. On parle alors d’externalités d’agglomérations. Cela leur permet d’être plus performantes. Se localiser dans les villes, c’est bénéficier des avantages gratuits des agglomérations.
Ces externalités d’agglomérations sont de deux ordres :
·         Externalités d’échelles : elles sont simples de taille.
·         Externalités relationnelles : elles naissent des interactions sociales.

1.      Externalités d’échelles

Ces externalités sont liées a des effets de taille. Trois formes principales peuvent être aperçues, mais ce n’est pas une liste exhaustive.
Par un effet de taille, les entreprises améliorent la qualité de leur recrutement. En effet, cherchant des salariés, l’entreprise y parvient mieux dans des bassins où les marchés sont grands. Second effet de taille, la taille permet de mieux produire des infrastructures collectives indivisibles. Le système est plus efficace à produire des activités essentielles à l’activité économique. Enfin, troisième forme, l’agglomération spatiale et l’effet de taille permet de profiter des bénéfices des rendements croissants.



La meilleure qualité de recrutement :
Une grande agglomération permet de faire un grand marché du travail donc ainsi, on peut élargir les marges de choix lors d’un recrutement. Cela augmente aussi les chances de trouver plus précisément le profil qu’ils recherchent. On a plus de chances sur un marché du travail avec 5 millions d’actifs que sur un marché de 25 000 actifs. Enfin cela permet aussi de diminuer le temps de recrutement.
Les métropoles représentent donc les plus gros marchés du travail. Mais il y a d’autres avantages quasi-exclusifs aux métropoles : la variété des professions (à Paris, on trouve 447 CSP sur 454 ; dans une ville de moins de 100 000 habitants il n’y en a que 197), une très forte surreprésentation des hautes qualifications (un avocat sur deux est parisien, deux cadres de publicité et de relations publiques sur trois, …).

La meilleure capacité à produire des infrastructures collectives indivisibles :
Si une entreprise U a besoin d’une machine produisant 2 000 pièces par jour sur son marché, que la seule machine disponible produit 10 000 pièces par jour. De plus l’entreprise fixe 60 000 € pour la machine mais celle-ci coûte 100 000 €. L’entreprise U en a besoin, mais ne peut se le permettre. Si on rajoute une entreprise V qui est dans la même situation et est très éloignée de l’entreprise U. Alors il est possible que les deux entreprises se rapprochent spatialement en co-investissant leurs frais pour cette machine. Chaque entreprise met 50 000 € et les deux entreprises peuvent produire leurs pièces. Elles peuvent donc acquérir une machine qui leur est nécessaire en investissant ensemble, mais cela n’est possible que si la proximité spatiale est là.
Les infrastructures n’ont pas de dimension modulable : leur coût ne peut pas être dans les moyens d’une entreprise isolée et la capacité de production de l’infrastructure est largement supérieure à celle de l’entreprise. La solution est donc d’effectuer un coût partagé (public ou privé) qui décharge le prix mais qui permet aussi d’utiliser la machine en adéquation avec ces capacités. Cela touche les centres de Recherche et de Développement, les infrastructures des TICs, les universités, … C’est le cas souvent avec les aéroports internationaux dont la rentabilité et la diversité dépendent du nombre d’usagers.

Les rendements croissants :
Les économistes parlent de rendements croissants quand les coûts sont de moins en moins élevés. Les industries à coûts fixes élevés. Par exemple, les usines de voiture coutent très cher, si on produit une voiture elle sera très cher, si on étale les coûts sur de nombreuses voitures, alors on progresse. Il y a possibilité de concentrer sa production pour être plus productif.

2.      Externalités relationnelles

Ce sujet a longtemps été réduit au monde économique et perçu comme asocial. En réalité il n’en est rien. Le monde économique est une « gigantesque discussion » selon Scott. C’est au sein de cette technique que des millions d’échanges et de conflits se déroulent. Il s’agit donc d’une forme de réseau social monumental avec un maximum d’interactions sociales entre agents économiques. Les externalités relationnelles sont générées par l’ensemble de ces interactions au sein de ce réseau.

De nouveau, l’agglomération spatiale des agents économiques est un facteur majeur pour réduire les coûts de l’interaction. Non seulement la distance des interactions est réduite, mais celle-ci est aussi de meilleure qualité (en particulier les interactions de face à face : elles sont plus fréquentes, plus diverses, mais surtout plus répétées ; dont certaines aléatoires et ce sont les plus intéressantes).  Cela est donc un formidable catalyseur relationnel.
Les interactions en face à face sont une source d’externalité. En effet, la production et la circulation d’information par canaux informels est plus pertinente que celle des canaux formels (cf le scoop). Le partage d’expérience et la mutualisation des savoirs est plus efficace aussi en face à face. De plus, ces interactions de face à face conduisent à des hybridations, des fertilisations croisées des idées pouvant permettre d’innover au sein des entreprises. De tout cela les entreprises acquièrent de meilleures capacités d’innovation et de meilleures capacités d’apprentissage.
Ces interactions de face à face fréquentes et répétées permettent l’émergence de relations personnelles qui à terme peut amener à des relations de confiance. Cela permet aussi de construire une culture commune (langage, codes de conduite, manières de penser et d’agir, …). Au final les entreprises réduisent les incertitudes et augmentent les prévisibilités. De cette manière, elles limitent aussi la bureaucratie ce qui au final, leur permettent d’âtre plus réactives et plus rapides dans leurs décisions.

Coleman a fait des études sur ces relations de face à face. Le premier concerne le marché de diamants à New-York, le second la marché Kahn-el-Khalil du Caire. Dans le premier cas, il a assisté aux échanges de diamants. La relation semble étrange vu de l’extérieur. Le vendeur livre la matière très précieuse concernée à l’acheteur potentiel qui va l’examiner dans un cadre privé sans le vendeur. Il y a donc de manière totalement non-officielle un échange de fortune, le risque de fraude est immense. Cette attitude permet cependant d’éviter de perdre du temps et de l’argent en assurances. Cette absence des assurances est préférée de tous. En effet, ce marché a un fonctionnement communautaire très fort par la communauté juive notamment. Les relations interprofessionnelles se doublent de relations interpersonnelles. Liens professionnels et liens privés sont très liés. Et ce statut s’est construit par des liens de confiance acquis dans des relations de face à face de très long terme. Cela fut renforcé par la proximité spatiale au sein de la ville.
Dans le second cas, au bazar on ne distingue pas les frontières entre les commerces. Une pratique généralisée s’est construite puisque si un client se trompe de boutique, le commerçant le guide au bon commerçant et cela permet à ces commerçants de gagner davantage. Cela se fait sur le principe de la confiance réciproque « J’aide un collègue en attendant un geste de retour de sa part ». De nouveau c’est un fonctionnement communautaire avec des commerçants qui se connaissent depuis longtemps, se côtoient hors du travail, vivent dans les mêmes quartiers, … Un minimum d’agglomération spatiale est là aussi nécessaire à la croissance des affaires.

Les externalités relationnelles sont donc générées dans des cadres urbains. Parce que l’agglomération spatiale est forte, parce que la ville est grande, alors les externalités relationnelles seront plus riches. Les grandes villes sont sources de productivité pour les entreprises. Dans ses recherches, Saxenian, dans Regional Advantage publié en 1999, compare sur le temps deux districts industriels : Silicon Valley à San Francisco et Route 128 près de Boston. Les deux sont dans le même domaine, la technologie de pointe et d’informatique, et dans les mêmes points de départ les années 1920 – 1930 par des contrats avec le ministère de la Défense. Ils se sont longtemps combattus et finalement Silicon Valley a fini par faire oublier la Route 128. Saxenian recherche les raisons de l’échec de la Route 128 et du succès de Silicon Valley. Silicon Valley a bénéficié de son environnement urbain, c’est une ville très orienté dans le travail mais aussi avec des espaces publics, des habitants, … Route 128 par contre n’est pas un tissu dense et urbain mais une autoroute sur laquelle se sont construites les entreprises. La grande proximité spatiale de Silicon Valley a joué pour beaucoup selon Saxenian, puisque cela a permis des relations professionnelles mais aussi personnelles. A Route 128, ce n’était pas le cas. A Silicon Valley, tout le monde parle à tout le monde et partout, le face à face est la norme. Par ces pratiques de collaborations et de partages de connaissances, les entreprises ont prospéré sur cette culture commune. La Route 128 qui était dans une logique de concurrence entre les individus a donc échoué par manque de culture commune et de solidarité. Les entreprises de la Silicon Valley ont abondamment bénéficié des externalités relationnelles.


L’agglomération spatiale des agents économiques permet de réduire les coûts d’échanges, de communication ou d’interaction. Ce coût plus simple et moins couteux permet aux entreprises d’être plus compétitives. Ainsi aujourd’hui les métropoles sont devenues incontournables pour les activités à forte dose d’Echange, de Communication et d’Interactions. Si elles se placent ailleurs, ces entreprises ont peu de chance de réussir. On constate donc dans les grandes villes les fonctions de commandement, les services supérieurs aux entreprises ou encore les domaines de recherche et de développement.
Mais les grosses agglomérations produisent aussi des déséconomies d’agglomération puisqu’ils existent des coûts qui peuvent effrayer les entreprises. Ainsi les prix du sol élevés, les coûts de travail plus élevés, les encombrements ou encore la plus forte exposition à la concurrence : tout ça forme des déséconomies d’agglomération.
Tout l’enjeu est donc de savoir si la différence entre EA et DA est avantageuse. Si EA – DA > 0, alors l’entreprise connaît un mouvement de d’agglomération dans la ville et s’y implante. Si EA – DA < 0, alors l’entreprise connaît un mouvement de dispersion et préfère s’implanter en périphérie.

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