lundi 20 février 2012

Contemporaine 20 - 02 (cours 3)

Précédemment : Contemporaine 13 - 02


Une rue de Buenos Aires, vous avez dit "européanisée" ?



Cette nouvelle génération de libéraux est éclatante au Mexique dès 1856 – 1857, avec un mouvement presque révolutionnaire nommé la Réforme. Ce mouvement est mené par Benito Juarez qui par les armes conquiert le pouvoir et réforme l’Etat mexicain par une nouvelle constitution en 1857, très libérale (nationalisation des biens du clergé, liberté de la presse, registre civil : enregistrement par l’Etat des naissances et des décès, fermeture des couvents et désappropriations des terres paysannes). Ce pouvoir est pris et conservé par les armes puisque cela dure 10 ans, qui sont aussi ceux d’une guerre civile contre les conservateurs placés du coté de Maximilien.

On a donc deux générations de libéraux ceux inspirés par les Révolutions françaises, américaines, de 1830. Cette génération est attachée à la promulgation de constitutions, des droits libéraux, … Mais dans les années 1840, une seconde génération émerge influencée par les Révolutions de 1848 qui renoue avec les idées libérales en ajoutant des nouveautés : droit de réunion pou r faire des partis, d’association pour faire des syndicats, droit de grève, … Bref une popularisation du pouvoir politique, presque une vision démocratique couplée à certaines revendications sociales. C’est le début d’une nouvelle génération mais toujours à cheval entre le libéralisme et la démocratisation.
Cette seconde génération apparaît puis prend le pouvoir et instaure des Républiques qui s’avèrent stables. Ainsi, l’Argentine qui n’avait pas de projet d’unification peut, sous l’action de ces libéraux, naître une seconde fois sous un pouvoir libéral. Pour certains ces libéraux seront au pouvoir tardivement, en 1880 pour le cas du Brésil où l’empereur tenait bon. La pression des élites républicaines abolitionnistes, souvent faites de jeunes militaires, fomentent un coup d’Etat militaire contre l’empereur et instaurent une République.

1.      Stabilisation des régimes oligarchiques

Ces libéraux mettent en place des républiques mais pas tant démocratiques qu’oligarchiques. Les gouvernants arrivent au pouvoir avec des élites. Les limitations capacitaires et censitaires disparaissent mais seulement 1% à 2% des gens votent. Cette très faible participation électorale tient au fait que les acteurs qui entrent en politique sont aux mains d’un nombre réduit de familles. La politique est considérée comme le monopole de ces familles. Comme cela est couteux, demande des réseaux, dépend du lieu de naissance, … Seules les élites sociales et économiques peuvent faire des élites politiques. Ceux qui votent agissent dans un rapport clientéliste avec l’Etat, les autres individus non-concernés ne votent pas. On conserve donc un décalage entre les idées libérales et démocratiques et la mise en pratique. Au Chili les postes politiques à toutes les échelles sont toujours les quelques mêmes 1 000 personnes. On constate en plus que les liens de parenté relient la quasi-totalité de ces élites politiques. Il y a une connexion familiale de cette élite détenant la totalité du pouvoir politique.
La plupart des constitutions n’empêchent pas le caractère démocratique mais les conditions sociales et politiques bloquent la mise en pratique.

On a donc des partis politiques très différents de ce qu’on trouve en Europe où les masses sont entrées depuis longtemps en politique. Les masses d’Amérique latine entreront seulement vers 1910 face à des partis peu diversifiés, très personnalistes, centrés sur la personnalité du chef, les élections ne sont que l’activation d’un réseau de clientèle. Ces relations peuvent être plus ou moins dépendantes des conditions de travail (certains propriétaires terriens donnent les votes de leurs péons en contraignant ceux-ci à voter). Ce système est appelé caciquisme en général, parfois coronelisme (Brésil) ou gamonalisme (Pérou). Ce n’est pas un simple clientélisme, le caciquisme c’est le fait que l’ensemble du système agit dans ce sens.

L’Etat dans ces Républiques oligarchiques conserve des prérogatives régaliennes : défense extérieure, maintien de l’ordre public intérieur, la justice, … C’est un Etat libéral qui ne mène pas de politique sociale avec redistribution des fruits de la croissance. La seule dépense autre que les fonctions régaliennes et l’appareil d’Etat lui-même, c’est dans l’éducation publique et laïque. Le projet est surtout laïc et commence une alphabétisation des populations.






I.                   Croissance économique et bouleversements sociaux

1.      La création des économies agro-exportatrices

Ces économies produisent et exportent leurs produits agricoles. On a simultanéité entre la mainmise sur les Républiques américaines et leur croissance économique. Déjà présentes mais peu riches auparavant, les élites dominantes vont brutalement s’enrichir.

La stabilisation politique des années 1860 – 1870 assure l’arrivée de capitaux étrangers, notamment anglais, allemands, français et américains ensuite. Ils parviennent massivement en Amérique latine et sont investis dans la politique locale dans les services suscitant une explosion dans la productivité agricole. On met les moyens dans l’exportation de ces produits agricoles (chemins de fer, ports, cargos frigorifiques, …).
Les pays les plus dynamiques dans cette production sont le cône sud et le Mexique. Cela se constate dans le changement des grandes villes qui se modernisent (tramway, grands magasins, théâtres, voitures, cafés, boutiques de luxe, …) et s’européanisent (Buenos Aires devient le Paris de l’Argentine).

2.      Des sociétés en mutations

Ces sociétés sont peu denses démocratiquement. En 1900 on a 61 millions d’habitants avec une densité très faible et un accroissement naturel important (on a doublé depuis 1860). Ces territoires vont tenter d’être peuplés par les Etats. On favorise donc surtout l’immigration massive dans le Cône Sud et le Mexique. Ainsi entre 1870 et 1914, 3 millions d’immigrants s’installent en Argentine. Entre 1890 et 1900, 900 000 immigrants s’installent au Brésil. Tous sont des immigrants européens surtout d’Europe du Sud (Espagnols et Italiens), des ruraux fuyant la désertification rurale et des urbains, ouvriers qualifiés qui fuient les crises de Juglar en cherchant du travail dans les industries en création en Amérique latine. Tous vont dans les villes d’Amérique latine où les industries émergent. On a donc une explosion des villes (Buenos Aires en 1914 détient 1,4 millions d’habitants soit la moitié des habitants d’Argentine). Cette urbanisation rapide concerne les pays les plus dynamiques et c’est l’apparition de très grandes villes dans certaines régions d’Amérique latine. C’est au sein de ces villes que de nouveaux groupes sociaux émergent avec une autre conception de la politique.

De nouvelles classes apparaissent, dans lesquelles on trouve les catégories moyennes d’employés de magasins, de commerce de détail, de banques, d’administrations publiques, … On a des enclaves ouvrières dans des villes qui sont liées à l’économie d’agro-exportation (quartier des ports) ou aux régions minières. Ces immigrants de fraîche date vivent et travaillent dans des conditions particulières. Alors qu’au milieu des années 1890, on a de vrais travaux ouvriers, aucun salariat n’émerge, les rémunérations sont en bons d’achat de boutiques liées à l’entreprise. On a donc une dépendance absolue à l’égard du patron, un endettement important et qui bloque la mobilisation politique de ces classes ouvrières.
Le reste de la population est rurale, paysanne, marquée par l’inégalité de la propriété terrienne entre latifundio et microfundio. C’est donc un quasi-servage de ces paysans soumis au propriétaire terrien que ce soit l’Eglise ou un riche blanc.

3.      Les premières contestations des régimes oligarchiques

On assiste à une diversification des partis avec autre chose que les binaires républicains et libéraux. On trouve des Radicaux mais plus républicains que socialistes. Ils veulent le respect du suffrage. On trouve des partis socialistes, anarcho-syndicalistes, … Les partis radicaux finissent par acquérir une certaine audience dans les années 1910. En Argentine, l’Union Civique Radicale parvient à faire voter une loi électorale de 1912 (loi Sàenz Peña) qui instaure un suffrage universel obligatoire avec des sanctions derrière dans le cas contraire. Immédiatement, cela brise le pouvoir alternant entre libéraux et conservateurs pour porter au pouvoir un radical en 1916 : Hipolito Yrigoyen.
Les autres partis socialistes et anarcho-syndicalistes parviennent modestement à pénétrer les groupes ouvriers de cette époque autour des syndicats via les migrants. Les migrants Italiens en particulier jouent un rôle dans ce sens puisqu’en Italie l’anarchisme était développé à cette époque là.


La modernité économique et sociale de cette époque est une modernité d’enclave et d’îlots au milieu d’une société rurale et traditionnelle car l’Amérique latine reste à 80% rurale avec un système encore très seigneurial avec soumission des péons à leur propriétaire. Les villes sont des îlots de modernité et les vitrines de celle-ci (avec l’idée d’une richesse formidable). En réalité ces richesses ne bénéficient qu’aux élites traditionnelles qui commencent tout juste à être bousculées par de nouveaux partis et groupes sociaux. Mais la non-représentation politique de ces groupes sociaux et l’entrée en marche forcée de communautés traditionnelles dans un monde moderne en début de mondialisation, vont créer de fortes tensions sociales autour de la Première Guerre Mondiale débouchant au Mexique sur une Révolution et puis partout ailleurs dans les années 1920.




La Révolution Mexicaine, le Mexique de 1910 à 1940


Ce processus débute en 1910 alors que personne ne l’avait prévu. Le président alors au pouvoir Porfirio Diaz, un vieux général est réélu pour la huitième fois (depuis 1876) président de la République. Agé de 80 ans à l’époque, il fête le centenaire de l’indépendance mexicaine durant ce mandat. Une grande fête est organisée pour l’occasion avec des expositions, des invités internationaux, … On s’inspire de la commémoration de 1889 en France (centenaire de la Révolution Française). Il apparait que le régime est stable et prospère.
Deux mois plus tard en novembre 1910 éclate une révolte qui fait tomber Diaz au printemps 1911 et qui débute le processus révolutionnaire, le premier évènement révolutionnaire du XX° siècle. Deux phases auront lieu de 1910 à 1917 suivie d’une phase d’institutionnalisation de la Révolution (un idéal de la Révolution qui doit s’inscrire dans les institutions).

Cette Révolution propose un modèle révolutionnaire pour l’Amérique latine, mais pas à l’échelle mondiale comme ce peut être le cas pour les autres révolutions du XX° siècle (bolchevik, chinoise, cubaine, …). Elle donne les directives de la gauche d’Amérique latine qui restera toujours inscrites dans cette révolution. La Révolution et ses idéaux marqueront durablement les esprits : elle sera sociale et nationale, tout en conservant une forme de libéralisme.
De plus, elle rompt avec les modèles révolutionnaires attachés à un corpus d’idéaux voire une théorie politique et dont la Révolution est une traduction (théorie des Lumières, écrits de Marx, …). Or dans le cas de la révolution mexicaine il n’y a pas de grands penseurs, de théories nationalistes, … Cette révolution s’invente en cours de route. Elle se présente comme une révolution libérale est uniquement comme telle. Le reste s’invente par les rapports de force, par les gouvernements qui se mettent en place et qui vont s’inventer au fil de l’avancée de cette Révolution.

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