Une rue de Buenos Aires, vous avez dit "européanisée" ?
Cette nouvelle
génération de libéraux est éclatante au Mexique dès 1856
– 1857, avec un mouvement presque révolutionnaire nommé la Réforme. Ce mouvement est mené par Benito Juarez qui par les armes conquiert
le pouvoir et réforme l’Etat mexicain par une nouvelle constitution en 1857,
très libérale (nationalisation des biens du clergé, liberté de la presse,
registre civil : enregistrement par l’Etat des naissances et des décès,
fermeture des couvents et désappropriations des terres paysannes). Ce pouvoir est pris et conservé par les
armes puisque cela dure 10 ans, qui sont aussi ceux d’une guerre civile contre
les conservateurs placés du coté de Maximilien.
On a donc deux
générations de libéraux ceux inspirés par les Révolutions françaises,
américaines, de 1830. Cette
génération est attachée à la promulgation de constitutions, des droits
libéraux, … Mais dans les années 1840,
une seconde génération émerge influencée par les Révolutions de 1848 qui renoue
avec les idées libérales en ajoutant des nouveautés : droit de réunion
pou r faire des partis, d’association pour faire des syndicats, droit de grève,
… Bref une popularisation du pouvoir politique, presque une vision démocratique
couplée à certaines revendications sociales. C’est le début d’une nouvelle
génération mais toujours à cheval entre le libéralisme et la démocratisation.
Cette seconde
génération apparaît puis prend le pouvoir et instaure des Républiques qui s’avèrent
stables. Ainsi,
l’Argentine qui n’avait pas de projet d’unification peut, sous l’action de ces
libéraux, naître une seconde fois sous un pouvoir libéral. Pour certains ces
libéraux seront au pouvoir tardivement, en 1880 pour le cas du Brésil où l’empereur
tenait bon. La pression des élites républicaines abolitionnistes, souvent
faites de jeunes militaires, fomentent un coup d’Etat militaire contre l’empereur
et instaurent une République.
1.
Stabilisation des régimes oligarchiques
Ces libéraux
mettent en place des républiques mais pas tant démocratiques qu’oligarchiques.
Les gouvernants arrivent au pouvoir avec des élites. Les limitations capacitaires
et censitaires disparaissent mais seulement 1% à 2% des gens votent. Cette très
faible participation électorale tient au fait que les acteurs qui entrent en
politique sont aux mains d’un nombre réduit de familles. La politique est considérée comme
le monopole de ces familles. Comme cela est couteux, demande des réseaux,
dépend du lieu de naissance, … Seules
les élites sociales et économiques peuvent faire des élites politiques. Ceux
qui votent agissent dans un rapport clientéliste avec l’Etat, les autres
individus non-concernés ne votent pas. On conserve donc un décalage entre les
idées libérales et démocratiques et la mise en pratique. Au Chili les
postes politiques à toutes les échelles sont toujours les quelques mêmes 1 000
personnes. On constate en plus que les liens de parenté relient la quasi-totalité
de ces élites politiques. Il y a une connexion familiale de cette élite
détenant la totalité du pouvoir politique.
La
plupart des constitutions n’empêchent pas le caractère démocratique mais les
conditions sociales et politiques bloquent la mise en pratique.
On a donc des partis
politiques très différents de ce qu’on trouve en Europe où les masses sont
entrées depuis longtemps en politique.
Les masses d’Amérique latine entreront seulement vers 1910 face à des partis
peu diversifiés, très personnalistes, centrés sur la personnalité du chef, les
élections ne sont que l’activation d’un réseau de clientèle. Ces relations
peuvent être plus ou moins dépendantes des conditions de travail (certains
propriétaires terriens donnent les votes de leurs péons en contraignant ceux-ci
à voter). Ce système est appelé caciquisme
en général, parfois coronelisme (Brésil) ou gamonalisme (Pérou). Ce n’est pas un simple clientélisme, le
caciquisme c’est le fait que l’ensemble du système agit dans ce sens.
L’Etat dans ces
Républiques oligarchiques conserve des prérogatives régaliennes : défense
extérieure, maintien de l’ordre public intérieur, la justice, … C’est un Etat
libéral qui ne mène pas de politique sociale avec redistribution des fruits de la croissance. La
seule dépense autre que les fonctions régaliennes et l’appareil d’Etat
lui-même, c’est dans l’éducation
publique et laïque. Le projet est surtout laïc et commence une alphabétisation
des populations.
I.
Croissance
économique et bouleversements sociaux
1.
La création des économies agro-exportatrices
Ces économies
produisent et exportent leurs produits agricoles. On a simultanéité entre la
mainmise sur les Républiques américaines et leur croissance économique. Déjà
présentes mais peu riches auparavant, les élites dominantes vont brutalement s’enrichir.
La stabilisation
politique des années 1860 – 1870 assure l’arrivée
de capitaux étrangers,
notamment anglais, allemands, français et américains ensuite. Ils parviennent
massivement en Amérique latine et sont investis dans la politique locale dans
les services suscitant une explosion dans la productivité agricole. On met les moyens dans l’exportation de ces
produits agricoles (chemins de fer, ports, cargos frigorifiques, …).
Les pays les plus
dynamiques dans cette production sont le cône sud et le Mexique. Cela se
constate dans le changement des grandes villes qui se modernisent (tramway, grands magasins,
théâtres, voitures, cafés, boutiques de luxe, …) et s’européanisent (Buenos Aires devient le Paris de l’Argentine).
2.
Des sociétés en mutations
Ces sociétés sont
peu denses démocratiquement.
En 1900 on a 61 millions d’habitants avec une densité très faible et un
accroissement naturel important (on a doublé depuis 1860). Ces territoires vont tenter d’être peuplés par les Etats. On favorise
donc surtout l’immigration massive dans le Cône Sud et le Mexique. Ainsi
entre 1870 et 1914, 3 millions d’immigrants s’installent en Argentine. Entre
1890 et 1900, 900 000 immigrants s’installent au Brésil. Tous sont des immigrants européens surtout d’Europe du Sud (Espagnols et
Italiens), des ruraux fuyant la
désertification rurale et des urbains, ouvriers qualifiés qui fuient les crises
de Juglar en cherchant du travail dans les industries en création en
Amérique latine. Tous vont dans les
villes d’Amérique latine où les industries émergent. On a donc une
explosion des villes (Buenos Aires en 1914 détient 1,4 millions d’habitants
soit la moitié des habitants d’Argentine). Cette
urbanisation rapide concerne les pays les plus dynamiques et c’est l’apparition
de très grandes villes dans certaines régions d’Amérique latine. C’est au sein de ces villes que de nouveaux
groupes sociaux émergent avec une autre conception de la politique.
De nouvelles
classes apparaissent,
dans lesquelles on trouve les catégories moyennes d’employés de magasins, de
commerce de détail, de banques, d’administrations publiques, … On a des
enclaves ouvrières dans des villes qui sont liées à l’économie d’agro-exportation
(quartier des ports) ou aux régions minières. Ces immigrants de fraîche date
vivent et travaillent dans des conditions particulières. Alors qu’au milieu des
années 1890, on a de vrais travaux ouvriers, aucun salariat n’émerge, les
rémunérations sont en bons d’achat de boutiques liées à l’entreprise. On a donc une dépendance absolue à l’égard
du patron, un endettement important et qui bloque la mobilisation politique de
ces classes ouvrières.
Le reste de la
population est rurale, paysanne, marquée par l’inégalité de la propriété
terrienne entre latifundio et microfundio. C’est donc un quasi-servage de ces paysans soumis
au propriétaire terrien que ce soit l’Eglise ou un riche blanc.
3.
Les premières contestations des régimes oligarchiques
On assiste à une
diversification des partis avec autre chose que les binaires républicains et
libéraux. On trouve des Radicaux
mais plus républicains que socialistes. Ils
veulent le respect du suffrage. On trouve des partis socialistes, anarcho-syndicalistes,
… Les partis radicaux finissent par
acquérir une certaine audience dans les années 1910.
En Argentine, l’Union Civique Radicale parvient à faire voter une loi
électorale de 1912 (loi Sàenz Peña) qui instaure un suffrage universel
obligatoire avec des sanctions derrière dans le cas contraire. Immédiatement,
cela brise le pouvoir alternant entre libéraux et conservateurs pour porter au
pouvoir un radical en 1916 : Hipolito Yrigoyen.
Les autres partis
socialistes et anarcho-syndicalistes parviennent modestement à pénétrer les
groupes ouvriers de cette époque autour des syndicats via les migrants. Les migrants Italiens en
particulier jouent un rôle dans ce sens puisqu’en Italie l’anarchisme était
développé à cette époque là.
La modernité
économique et sociale de cette époque est une modernité d’enclave et d’îlots au
milieu d’une société rurale et traditionnelle car l’Amérique latine reste à 80% rurale avec un
système encore très seigneurial avec soumission des péons à leur propriétaire. Les villes sont des îlots de modernité et
les vitrines de celle-ci (avec l’idée d’une richesse formidable). En réalité
ces richesses ne bénéficient qu’aux élites traditionnelles qui commencent tout
juste à être bousculées par de nouveaux partis et groupes sociaux. Mais la non-représentation
politique de ces groupes sociaux et l’entrée en marche forcée de communautés
traditionnelles dans un monde moderne en début de mondialisation, vont créer de
fortes tensions sociales autour de la Première Guerre Mondiale débouchant
au Mexique sur une Révolution et puis partout ailleurs dans les années 1920.
La Révolution Mexicaine, le Mexique de 1910 à 1940
Ce processus débute
en 1910 alors que personne ne l’avait prévu. Le président alors au pouvoir Porfirio Diaz, un vieux général est réélu
pour la huitième fois (depuis 1876) président de la République. Agé de 80 ans à
l’époque, il fête le centenaire de l’indépendance mexicaine durant ce mandat.
Une grande fête est organisée pour l’occasion avec des expositions, des invités
internationaux, … On s’inspire de la commémoration de 1889 en France (centenaire
de la Révolution Française). Il apparait que le régime est stable et prospère.
Deux mois plus tard
en novembre 1910 éclate une révolte qui fait
tomber Diaz au printemps 1911 et qui débute
le processus révolutionnaire,
le premier évènement révolutionnaire du XX° siècle. Deux phases auront lieu de 1910 à 1917 suivie d’une phase d’institutionnalisation
de la Révolution (un idéal de la Révolution qui doit s’inscrire dans les
institutions).
Cette Révolution
propose un modèle révolutionnaire pour l’Amérique latine, mais pas à l’échelle
mondiale comme
ce peut être le cas pour les autres révolutions du XX° siècle (bolchevik,
chinoise, cubaine, …). Elle donne les directives de la gauche d’Amérique latine
qui restera toujours inscrites dans cette révolution. La Révolution et ses idéaux marqueront durablement les esprits :
elle sera sociale et nationale, tout en conservant une forme de libéralisme.
De plus, elle rompt
avec les modèles révolutionnaires attachés à un corpus d’idéaux voire une
théorie politique et dont la Révolution est une traduction (théorie des Lumières, écrits de
Marx, …). Or dans le cas de la révolution mexicaine il n’y a pas de grands
penseurs, de théories nationalistes, … Cette
révolution s’invente en cours de route. Elle se présente comme une
révolution libérale est uniquement comme telle. Le reste s’invente par les
rapports de force, par les gouvernements qui se mettent en place et qui vont s’inventer
au fil de l’avancée de cette Révolution.
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