Mort d'un soldat républicain, Capa
La
texture de la photographie fait aussi sens : le sépia évoque la
nostalgie, le noir et blanc donne un effet de réalité indéniable
(car longtemps associé à la photographie journalistique). Prendre
une photographie c'est faire des choix. En pratique la
photographie c'est faire le tri entre le champ et le hors-champ,
c'est choisir ce que l'on veut. Viennent ensuite les
caractéristiques, la sensibilité, le ton, … Les temps de pose qui
étaient de plusieurs secondes au début du XX° siècle,
permettaient au photographe de choisir leurs scènes, elles sont
d'ailleurs régulièrement construites. Dans les ateliers de
photographes, les photos étaient mises sur le niveau des portraits
puisqu'il y avait des normes à respecter. Tout cela montre que la
photographie obéit à des choix, renvoie à une histoire.
Certaines
images ont longtemps été prises comme des témoignages historiques
très forts, mais sont maintenant remises en cause. Ainsi dans
Harvest of death, Timothy
O'Sullivan illustre la Civil War avec une image montrant
la réalité de la guerre sans fard. Ce fut une douche froide pour
les USA, puisqu'on ne voyait pas de corps héroïsés et de soldats
se sacrifiant pour la cause. On a donc un alignement de corps sur un
champ de bataille. Longtemps ce fut l'archétype d'une image
documentaire, mais on pense dorénavant que les corps furent mis en
scène par O'Sullivan. De même, la photographie de Robert
Capa, Mort d'un soldat républicain,
est l'archétype de l'instantanée d'un homme qui meurt sur le vif.
Capa n'était pas toujours au combat et par ennui, il effectuait des
photographies de mise en scène. Ainsi, ses camarades de combat
mimaient des actes de guerre et le caractère documentaire est
aujourd'hui remis en question. A l'époque de l'appareil à visée
télémétrique (/ appareil à visée réflexe) apparaît le Leica,
qui permet au photographe de faire un instantanée.
On
peut donc avancer l'idée que les photographies ne sont pas un
témoignage objectif de l'histoire, ce sont des sources qu'il faut
soumettre au regard critique historique. Ces images ne sont
jamais aussi réalistes qu'elles ne paraissent. Elles distordent
autant la réalité que le fait la peinture. On est donc en présence
d'un processus de distorsion de la réalité. L'histoire par
la photographie, c'est s'intéresser au phénomène de distorsion de
l'image. Pour Gisèle Freund, la photographie sur superpose à la vie
sociale et sa reproduction exacte pousse à croire à la fiabilité
de ce document. C'est comme le cinéma dont les premiers films
représentaient la réalité quotidienne jusqu'à Méliès qui lance
la fiction dans le cinéma, toujours valables aujourd'hui. La
photographie de son coté s'est placée du coté du documentaire.
Avec Susan Sontag, la photographie se présente comme autre chose que
ce qu'elle est réellement. Elle serait une proposition sur le monde
avec une apparence d'objectivité et d'impartialité. Cet obstacle va
longtemps faire reculer les historiens.
C.
L'émergence d'une histoire
par l'image
Cela
apparaît d'abord aux USA dans les années 1980 par un historien
américain venu du Brésil, Robert Levine,
Images of History XIX° and early XX° Century Latin American
photographs us documents, en 1989. Il s'inspire du travail
d'un sociologue qui avait étudié les photographies d'un milieu
particulier. Il se sert de la photographie comme témoignage,
comme source historique et met en évidence les problèmes techniques
qui découlent de cette analyse. Alan
Trachtenberg fera de même avec Reading Americain
photographs, Images us History, mathew Brady, to Walker Evans,
en 1989 aussi.
En
France cela rentre plus tard avec l'influence des Visual
Studies dans notre pays. En 1996, paraît Études
photographiques, le magazine, vient ensuite le LHIVIC d'André
Gunter (???) puis Culture Visuelle et ARHV (Actualités de
la Recherche en Histoire Visuelle). Entre 2001 et 2005, il y a un
tournant dans le traitement photographique via des expositions.
Mémoires des camps en 2001, qui fit émerger la
polémique autour de l'étude critique des images de ces camps.
Photographier la guerre d'Algérie, en 2005 va de
nouveau privilégier un regard d'historien sur les photographies
de cette époque, les photographies deviennent un support historique.
Enfin en 2001 est publié Voir ou ne pas voir la guerre.
Site et laboratoires sur l'étude des photographies est toujours
présent.
Chambre noire
1839 : L’invention de la photographie
La photographie
surgit de façon brutale et inattendue sur la scène publique. Très vite, la
photographie devient un objet du quotidien dans les vitrines des magasins, les salons
bourgeois. 1839 c’est le basculement, un contact avec un nouveau type d’images
dont les caractéristiques sont radicalement différentes de tout ce qui était
alors connu. Une rupture très forte a lieu.
1839,
c’est l’invention du daguerréotype, nouveau médium photographique qui va frapper
les esprits par sa précision et la définition de l’image. Cela va être la marqueur du
caractère inédit de la photographie. Daguerre
donne à tous ses clients une loupe pour qu’ils constatent la puissance de cette
nouvelle image, invisible à l’œil nu (comme le reflet du photographe dans la
pupille du sujet). Jules Janin publie un article en 1839, dans lequel il est
émerveillé par les détails. De même Alexander Von Humboldt, est surpris par le
détail de la paille au Louvre. On traque
alors dans l’image les détails de la photographie. Mais on parle encore de
tableau pour le résultat produit par le daguerréotype. Morse
compare l’image à un télescope, faisant un parallèle avec la réalité. On
imagine qu’on peut aller très loin dans l’étude de l’image. Ce qui intéresse
alors se sont les détails (la paille, une ombre passée, …). Leur présence
atteste finalement que la photographie appartient à un autre monde que le
tableau, il y a une part de bruit en surplus du signal (information essentielle
que l’on met dans la photo). On est dans
un autre registre de l’image, dorénavant on est dans un enregistrement. Le
tableau est dans un cadre esthétique, la photo dans celui d’un enregistrement.
L’art du tableau devient la science de la photographie.
I.
Fixer les images
dans la chambre noire
1.
A l’origine : la camera
obscura
Cette chambre noire
est un dispositif au cœur de l’acte photographique qui sert de dénominateur commun
à tous les appareils photographiques, même aujourd’hui. Tout découle du même
phénomène optique. Cette technique est
connue depuis longtemps et était parfois utilisée par les peintres. Mais l’invention
de la photographie passe par un défi. Il faut répondre à une double difficulté :
les optiques pas très opératoires et il faut un processus physico-chimique qui
permette de fixer rapidement l’image.
Les premiers
travaux renvoient tous au procédé d’utilisation du négatif (film d’argent) et du positif
(pratique inversée).
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