mercredi 15 février 2012

CM n°1 Géographie sociale

Cours du lundi 6 février 2012

Cours d’introduction

I- Qu’est-ce que la géographie sociale ?

La géographie sociale est un champ de la géographie, c'est une façon de faire de la géographie.

L'expression a été longtemps synonyme de géographie humaine à l'opposé de la géographie physique. La géographie sociale est centrée sur les sociétés humaines et leurs relations à l'espace. Elle postule que l'explication des faits sociaux se fait par la société elle-même. De ce point de vue, on s'éloigne de la géographie classique qui exprime l'idée d'un déterminisme, de l'influence de la nature et du milieu naturel sur l'organisation humaine. On se focalise ici sur la dimension spatiale des sociétés. La géographie sociale fait le postulat que la distance physique entre différents groupes n'est pas sans effet, n'est pas anodine. L'absence de distance : la coprésence est aussi à traiter. Il y a donc plein d'échelles de la distance. Autrement dit, il existe toujours une absence de distance ou un éloignement. En règle générale, on travaille sur le monde social, les problèmes sociaux, les politiques territoriales, les pratiques culturelles ou les représentations. On s'intéresse aux aspects symboliques des rapports à l'espace.

Cette branche de la géographie s'est autonomisée et structurée dans les années 60 un peu partout dans le monde. C'est un moment de politisation croissante. Cette émergence est particulièrement vive aux USA avec la géographie radicale qui s'exprime dans la revue Antipode, a radical journal of geography. Revue crée en 1969 à l'université de Clark dans le Massachussetts. Radicale, ici, signifie qu'elle prend les choses à la racine, elle remet en cause les systèmes qui posent les inégalités sans les expliciter. La géographie raciale souhaite aussi mettre en évidence les causes cachées ou invisibles des inégalités. C'est donc une démarche scientifique mais qui se différencie de la théorie du complot.

Voici la définition de la géographie radicale que donne Roger Brunet dans Les mots de la géographie:

« Nom donné en pays anglophone aux approches contestataires (marxistes ou marxisantes, anarchistes) des phénomènes géographiques ; dans ses innombrables variétés, elle a mis un accent utile sur l'analyse des problèmes sociaux, l'étude des inégalités, des ségrégations. La revue Antipode en est le porte-drapeau. Son synonyme français serait plutôt la « géographie sociale ».

La question que l'on se pose alors est : Est-ce que la « géographie sociale » est vraiment synonyme de la « géographie radicale »?

Il nous apparait que la définition de géographie sociale est plus complexe que cela car il y a, en elle, aussi l'héritage de la géographie classique vidalienne (Vidal de la Blache). Néanmoins, la géographie marxiste en France a existé notamment au travers des écrits de Pierre Georges. Mais sa géographie était assez économique avec une vision assez plate des rapports de classes. La géographie sociale s'est donc complexifiée par l'apport d'autres sciences sociales et des géographies étrangères.

Il faut noter que d'une façon générale toute géographie sociale incorpore des postulats sociologiques. Certaines géographies sont centrées sur l'individu comme dans les analyses interactionnistes, ou inversement à des groupes, dans les analyses « stratificationnistes ». Cependant, la géographie sociale française manque de théorisation car Il n'y a pas vraiment de théories sociales, c'est plutôt une géographie empirique. C'est pourquoi, l'apport de la théorie de David Harvey est primordiale : son « matérialisme historico-géographique » intègre la théorie marxiste aux analyses menées en géographie. C'est donc une autre façon de faire de la géographie mais la géographie sociale ne se limite pas à cette conception marxiste que nous avons choisie pour réaliser les cours qui vont suivre.

II- Dans quelle société vivons-nous ?

Le cours est ici centré sur les rapports de domination (qui constitue le concept-clé). C'est ici une position, un choix, un parti-pris et pas une généralité assimilable à l'ensemble de la géographie sociale.

Avant de faire de la géographie sociale on doit analyser la société. La société dans laquelle on vit, la société française mais nous allons aussi parler de la société mondiale car les rapports de domination se jouent aussi à l'échelle du monde.

On part de deux postulats :

Ø Cette société se structure par un ensemble de rapports de dominations en liens les uns avec les autres.

Ø Les rapports de dominations sont fondés sur l'exploitation matérielle d'un groupe humain sur un autre. L'exploitation matérielle s'accompagne d'autres exploitations telles que celles des corps ou de la sexualité.

1- Quels sont ces différents rapports de domination ? :

Dans la géographie sociale marxiste, trois grands rapports de domination sont à considérer.

a) Le rapport de classe qui s’inscrit dans le système capitaliste

Le système capitaliste est un système économique de production dans lequel vit la plupart des sociétés aujourd'hui. Le principe fondamental de l'exploitation capitaliste est le rapport de classe. C'est-à-dire : un groupe très minoritaire en nombre détient les moyens de productions (la terre, le capital, les usines) et la majorité de la population ne détient que sa force de travail et un tout petit peu de biens matériels. Il y a donc d'un côté la bourgeoisie ou la classe capitaliste et d'un autre ce que Marx appelle le prolétariat. La bourgeoisie faisant travailler le prolétariat à son profit. Un travailleur produit une certaine valeur mais gagne un peu ou beaucoup moins de ce qu'il rapporte à son patron : c'est l'extorsion de la plus-value selon Marx. C'est pourquoi, dans ce système, tous les salariés sont exploités (même les mieux rémunérés) car ils gagnent moins que ce qu’ils rapportent au patron. Là se dessine alors deux classes sociales aux intérêts antagonistes.

Car les patrons ont intérêt à payer moins possible les employés mais aussi à réduire les charges sociales et pouvoir licencier quand ils le souhaitent. De l'autre, les salariés ont intérêts à être payé le plus possible et à avoir une protection au travail qui passe par un maintien dans la durée de leur emploi. Cette lutte des classes est une des contradictions du système capitaliste.

Pour Marx c'est l'évolution de ces contradictions qui rythme nos sociétés actuelles. Dans sa conception historique, le salariat fait suite à d'autres systèmes d'exploitation que sont l'esclavage (travail contraint et non rémunéré : l'esclave est la propriété de son maitre, un bien mobilier) et le servage (le serf est considéré comme une personne, il a des droits mais travaille toujours gratuitement). Dans le salariat, le travailleur à la liberté de refuser l'exploitation, liberté toute relative car il a besoin de travailler pour survivre. On parle de rapport social d'exploitation car ce n'est pas un rapport interindividuel de domination. Le système capitaliste repose sur la base juridique de la démocratie libérale, on garantit les droits mais aussi le droit de propriété dans l'héritage. L'égalité est en droit mais il existe des inégalités de faits. L'Etat joue un rôle fondamental dans ce système économique.

De plus, il y a d'autres systèmes d'exploitation que le rapport de domination capitaliste.

b) Le rapport de sexe dans le système patriarcal

Le système patriarcal a été mis en lumière notamment par le féministe matérialiste. Dans ce point de vue, le patriarcat est d'abord un système économique, appelé aussi mode de production domestique. C'est un système qui concerne un travail accomplie au sein de la famille. Ce sont les tâches ménagères mais aussi le soin et l'éducation des enfants et plus généralement toutes les activités réalisées vis-à-vis des personnes dépendantes (les personnes âgées, les personnes handicapées), ce que l'on nomme aussi le care. C'est un travail gratuit majoritairement accomplie par les femmes. Aujourd'hui en France ce sont les femmes qui assurent 80% du travail domestique. L'homme s'accapare l'entièreté du travail de la femme.

Pourquoi c’est taches sont gratuites ? Cela n’est pas lié à la nature des tâches accomplies mais le fait que ce soit accomplie par une femme pour son conjoint quel que soit le type d’union. Les femmes pendant longtemps n’avaient pas d’autorité juridique elles étaient dépendantes de leur père puis ensuite de leur mari. Cette dépendance totale, juridique implique l’appropriation du corps, liée à la sexualité et la procréation. S’exerce aussi sur elles, une dépendance affective.

L’Etat a aussi un rôle très important dans cette appropriation par les hommes. Même si le mouvement féministe a permis une évolution et qu’il reste de ce fait, de moins en moins de discriminations légales. Pour autant, ce système perdure. Cela se voit dans le travail domestique ou les violences conjugales et le harcèlement au travail. Cette domination s’effectue dans la sous-rémunération des femmes, condition intrinsèque du salariat. Les femmes occupent majoritairement les temps partiels, des horaires décalées et des emplois moins prestigieux. Et tout cela se réalise, souvent au nom du système patriarcal.

Les femmes sont assignées à une identité de genre dévalorisée, l’image des hommes et plus positive que celle des femmes. Il existe encore aujourd’hui tout un ensemble de stéréotypes sexistes dans lequel sont enfermées les femmes.

Les féministes parlent aussi d’une contrainte à l’hétérosexualité et selon les théories féministes, cette hétérosexualité sert aussi à la famille patriarcale.

Le genre ou « sexe social » est un système binaire, hiérarchique et complémentaire. Dans cette approche, le genre est une construction sociale qui sert à une exploitation matérielle. Cette construction sociale est le résultat d’un système d’exploitation fondé sur le patriarcat associé au capitalisme. Le patriarcat est autonome au capitalisme car il lui préexistait mais actuellement, il se combine avec ce dernier.

c) Le rapport de race dans le système raciste.

Le racisme est un système d’exploitation des populations non-blanches, des populations « racisées ». Ce néologisme définit les populations « racisées » comme des populations auxquelles on a assignées une race en dehors de toute nationalité. Le système de domination s’exprime aussi à des fins d’exploitation économique. Ce système est évident dans la colonisation qui a concourue à la richesse des populations des pays aujourd’hui dominants. Cela concerne actuellement, l’exploitation des étrangers ou minorités ethniques qui sont assignés à des taches considérées comme inférieurs, dégradantes. La pire des conditions et donc celles des femmes étrangères qui subissent l’esclavage moderne, la surexploitation et les formes les plus flexibles du salariat.

Le sexe comme la race sont des construits et ne doivent rien à la nature. Il n’y a pas de race humaine. Mais pour autant cela existe de manière assez durable. Les races existent socialement car elles ont été produites par le racisme et cela ne se limite pas à la question des étrangers. Il y a bien une discrimination très claire de français de couleur donc ce n’est pas une question de nationalité. On utilise une différence physique pour permettre une exploitation. Mais cela n’est pas qu’une question de couleur de peau. En France on a par exemple les immigrés italiens, polonais, espagnols qui sont pourtant blancs de peau. Dans ce cas on a accolé des stéréotypes culturels pour expliquer une surexploitation.

Cette réflexion sur la construction sociale de la race vient des USA car s’est effectivement dans ce cas que la couleur de peau intervient dans la discrimination des populations de couleurs sur le sol américain .Le racisme est un système d’oppression. C’est un système qui s’appuie également sur l’Etat. Par exemple, aux USA, les lois Jim Crow organisent la ségrégation entre les noirs et les blancs dans les Etats du Sud entre 1876 et 1965.

Le racisme est donc bien plus qu’une attitude individuelle mais un système collectif, global.

Au-delà du terme de race c’est la réflexion de la construction de l’altérité. Tous ces systèmes sont des systèmes de classement des êtres humains dans des catégories exclusives et hiérarchiques qui servent l’exploitation des uns et des autres. Elles font le lien entre la culture, l’économie et les rapports sociaux.

On observe aussi une imbrication des rapports d’oppressions< « l’intersactionnalité des différents rapports sociaux de dominations ». C’est une théorie mais aussi une question politique. Dans cette théorie, les opprimés sont aussi oppresseurs à certains degrés.

2- Exploitation et oppression, les différents aspects des rapports de pouvoir

Il n’y a pas de bonne nature humaine. La seule nature propre à l’humanité est une certaine habilité technique dû à l’utilisation du pouce, le langage et le fait qu’ils vivent en société. C’est à travers cette vie en société que les êtres humains fondent leur identité, à travers de multiples déterminations notamment de déterminations de sexe, de classes qui est construites socialement et ne sont donc pas naturelles. On peut changer cela mais ce n’est pas pour autant facile. Cette théorie qui explique que les déterminations sont construites relève du constructivisme= Le social est tissé d’éléments construits. Ces théories s’opposent aux théories structuralistes qui expliquent qu’il y a des structures permanentes dans toutes les sociétés humaines comme la famille par exemple.

Bourdieu se place comme constructiviste structuraliste car pour lui ces déterminations sont des structures qui sont construites.

Les violences symboliques, la dépendance économique : l’aliénation, sont aussi de l’exploitation. L’intériorisation de la domination (les dominés se croient responsables de leurs domination) à travers la dévalorisation de soi, des croyances religieuses mais pas seulement, servent à la domination. Notre identité intègre ces éléments de domination et il est donc difficile de les remettre en cause.

Ces théories matérialistes s’opposent aux théories idéalistes qui pensent que les idées existent et ont des conséquences matérielles. Alors que les matérialistes pensent que ce sont les structures matérielles qui organisent la société.

III- La place de l’espace dans la société

Suite au prochain cours.

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