- La difficile prise en compte des images d'enregistrement par les historiens du contemporain
A l'époque où la
production d'image mécanique est considérable, les contemporanistes
restent très peu portés sur l'utilisation de ces images.
On peut donc dire qu'il y a une invisibilité du visible dans la
discipline historique et des historiens du XX° siècle. On a une
difficile prise en compte des images d'enregistrement contemporaines.
A.
La
vitalité des études cinématographiques
Les images
d'enregistrement qui bougent sont bien plus vivaces en
historiographie. Que ce soit
une documentaire ou des films de fiction, le cinéma est un support
classiques pour travailler l'histoire. Marc
Ferro dès le milieu des
années 1970, publie une article dans l'ouvrage de Le Goff et Nora,
Faire de l'histoire,
tome 2 : nouveaux objets,
dans la période de la Nouvelle Histoire, Le
film, une contre-analyse de la société.
Il y a donc une réelle passion pour ce support : analyses
coloniales, avant-gardisme, cinéma russe et propagande politique, …
De nombreux historiens se sont démarqués Christian
Delage sur le cinéma
nazie et la propagande, plus récemment il est revenu sur le procès
de Nuremberg. Laurent
Veray a lui aussi
travaillé sur plusieurs films portant sur la Grande guerre. Enfin
Sylvie
Lindeperg sur Les
écrans de l'ombre, la seconde guerre mondiale dans le cinéma
français. C'est
donc un champ plutôt bien balayé avec deux manuels de synthèse :
Delage et Guiguéno, L'historien
et le film ou bien
Sand Le XX° siècle à
l'écran.
B.
Un
bilan plus maigre pour la photographie
« Si
l'histoire de la photographie est vivace, l'histoire par la
photographie demeure infertile »
selon Clément Cheroux. Ainsi entre 1929 et 2001, la revue Les
Annales n'a publié
que deux articles consacrés à la photographie. Pourtant ce domaine
est très ancien et cette revue devait impulser des champs d'études
nouveaux. Cette réticence du XX° siècle à l'égard de
la photographie demeure donc.
Il
faut pour mieux comprendre cela, revenir sur la perception de ce
média à son époque. On s'est vite intéressé à la valeur de
témoignage que procurait la photographie. L'idée qui
s'impose est que par opposition à la peinture, la photographie ne
ment pas. Elle est exacte, indexée sur le réel et est un
enregistrement du réel. Tout
les contemporains ont insisté sur le caractère mécanique de
l'enregistrement avec un document incontestable, miroir exact de la
réalité. Peu ou prou, cette idée a empoisonné jusqu'à
aujourd'hui les relations entre historiens et photographies. « La
photographie emporte la conviction. Comment aurait-elle pu ne pas
être vraie ? ».
Il y a un effet de réel très fort de la photographie et il semble
largement faire consensus.
On
parle alors d'indicialité, Barthes parlant du « ça a été ».
Dans une photo on ne peut pas nier que l'image a eut
réellement lieu. Cette idée que l'image est du coté de la
technique, cela va entrainer les historiens à avoir une vision
simpliste entre d'un coté un texte biaisé et subjectif et la photo
vraie qui devient une preuve, une illustration,
Paul Valéry va dans ce sens. Cela reste pourtant largement
contestable. Cette idée va expliquer l'usage très
probatoire de la photographie et la presse écrite
qui saura s'en servir mieux qu'un autre (Paris Match « Le
poids des mots, le choc des photos »).
Bien
entendu cela est largement contestable, aujourd'hui il n'y a plus
grand monde pour soutenir cette thèse ne serait-ce que par la
retouche photographique. On a donc une plus grande méfiance à
l'égard des images dorénavant. Surtout que les opérations se
complexifient avant de publier l'image même. Autant il y a dix
ans, on avait confiance en une image, autant aujourd'hui on a de la
méfiance sur ce sujet. On distord effectivement la notion de
beauté dans les images, l'icône de la femme est construit. Tout le
monde aujourd'hui en a conscience. (cf pub Dove ou Peugeot) L'idée
est qu'en étant perfectionniste de nos images, on est aussi
perfectionniste de nos mécaniques. La retouche est perçu d'une
manière nouvelle, alors qu'elle était une rupture du contrat
photographique chez les photographes professionnels, ici la retouche
est valorisée. Toutes les vidéos ont en commun une idée, le
processus de production des images s'est opacifié en même temps
qu'il s'est complexifié. Aujourd'hui, on ne nie plus le travail
derrière l'image, les historiens comme les populations ne nient plus
la production humaine de l'image.
Un
nouveau point de vue émerge chez les historiens d'aujourd'hui, toute
photographie est considéré comme une construction de la vision. En
effet, qui dit considéré la photographie comme une construction de
la vision cela nous mène à considérer la dimension politique,
idéologique, culturelle, économiques, … Brutalement en prenant
tout cela compte, alors on entre dans le domaine de l'histoire par la
richesse de ces interprétations. La dimension technique n'est
pas négligeable.
Par
exemple, le Photographic Van de Roger
Fenton, un des premiers
photo-journalistes issus d'une famille aristocratique fortunée. Il a
donc l'argent, le temps et les connaissances suffisantes pour se
lancer dans ce projet. Il décide d'accompagner le corps
expéditionnaire en Crimée (Anglais, Français, Ottomans) qui
s'attaque à la Russie tsariste envahissant l'Empire Ottoman. Il fait
donc des photographies de la guerre,
mais celles-ci mettent plusieurs dizaines de secondes à être
prises. On a donc un flou assez décevant sur ses photos. Son
Photographic Van est son laboratoire puisqu'il se constitue d'une
grosse chambre. Dedans, les plaques sont faites de collodion humide
qui doivent être préparées quelques minutes avant la prise, d'où
la nécessité d'avoir ce laboratoire
tout prêt pour le préparer puis pour les développer. Son rayon
d'action est alors réduit. Lorsqu'on commente une image
photographique des années 1850, il faut le ramener aux
conditions techniques de production.
L'image du zouave et des deux officiers français est spéciale
puisque les officiers devraient avoir le zouave au garde à vous, au
contraire il est particulièrement détendu. L'explication est
simple, au garde à vous, le zouave n'aurait pas tenu les 20 secondes
de pose. Du coup, la solution fut de lui faire prendre appui pour
qu'il se stabilise.
Lewis
Hine qui voulait dénoncer le travail des enfants aux USA
prend une photo avec son ombre portée dans le champ. On voit
aussi l'appareil qu'il utilise, l'appareil est conséquent, donc
l'acte photographique va avoir un effet sur la scène représentée :
les gens vont poser. Cette photo représente tout sauf une
photographie sur le vif (Lewis a du parler avec l'enfant pour la
préparer, il a fallut installer le trépied, …). L'ombre portée
met bien en évidence le rôle et l'influence du photographe. La
dimension technique est donc essentielle.
Dans
la photo d'un Life (Sentez la poudre) prise sur le vif lors de
la guerre du Vietnam. Impossible de la voir dans les années du début
du XX° siècle, Seule l'avancée technique le permettait. Mais la
dimension est aussi économique. Burrow
répond à une commande du magazine Life plusieurs millions
d'exemplaire, un vrai empire avec une attente du public pour avoir
des photos sur cette guerre. Burrows sait déjà le type d'images
qu'il doit ramener pour satisfaire l'empire et son public. Il
faut donc ramener le tout à l'ensemble de la chaîne de production
de la photo.
Lewis Hine qui nous
montre un tenement, lieu
où s'entassaient les immigrés (ici Italiens). Cette image
est au service d'une cause politique avec un discours sous-tendu,
celui des progressistes, des
réformistes du début du XX° siècle. Ils dénoncent les conditions
de vie du Sud-Est de Manhattan, menaçant l'ordre social des USA. Il
faut donc séparer les activités artisanales et la résidence. Au
sein d'un même espace on des pratiques différentes : espace de
travail et espace domestique. On voit donc le programme
progressiste dans cette image.
C'est le point de vue d'un progressiste sur le logement ouvrier. Il y
a aussi un effet politique et social dans les
photographies. Surtout qu'il
manipulait ces images pour établir des affiches.
La
une de Libération (elle couve elle couve la banlieue)
a provoqué un débat sur cette image jusqu'à faire une tribune pour
mettre en évidence le biais de l'image en contradiction avec le
biais politique du journal. On est du coté des gendarmes dans les
émeutes alors que Libération serait plutôt à soutenir les
revendications des banlieusards. Là encore le choix politique de
la prise de vue est très fort. Cela nous renvoie à des usages, des
pratiques politiques. On a des pratiques sociologiques (photo de
mariage, de classe, …). Tout ces rituels montrent que la
photographie est tout sauf un fragment de réel. C'est une
construction de la société.
(A
replacer)
Les
images d'Epinal étaient fabriquées à Epinal par Pellerin et
elles se constituaient comme de petites affiches qui se diffusaient
et étaient punaisées sur les murs par les gens. Ici on est entre
1830 et 1880 avec une représentation qui embrasse Tunisie et
Algérie. On peut voir les stéréotypes véhiculés par l'époque
avec un soldat français dans une attitude héroïque et humanitaire
tandis que les Arabes représentent le mal. Il faut donner une vision
acceptable de l'action coloniale et des colonisateurs. On a donc
alors des topoïs qui vont longtemps imprégner l'imaginaire
social.
Une
autre image qui paraît durant la campagne pour le chancelier du
Reich en 1932. Peu d'écriture « Notre dernier espoir :
Hitler ». Tout les individus sont soucieux on trouve des
ouvriers, des classes urbaines, des retraités, des malades, des
femmes et des enfants. On a une grande diversité d'âge et cette
image fait un effet miroir. Le ressort de cette image est celle d'un
processus d'identification, chacun peut s'y retrouver. On a assez
rarement d'informations sur la réception des images photographiques.
Cette réception doit être toujours prise en compte dans l'analyse
des images. Pour notre affiche, on a un témoignage avec une
photographie. Celle ci représente l'impact visuel de cette affiche
tout juste posée sur une colonne Maurice à Berlin. La manière dont
on perçoit le visuel n'est sans doute pas la même puisque cette
image fait qu'on s'arrête dans la rue pour l'observer depuis une
foule.
Pour
l'affiche sortie du Centre de propagande de la Révolution
Nationale publiée sous Vichy, on a une forme de programme
politique expliquant la Révolution Nationale. On a un document
binaire qui rappelle les images de type ex-voto. De plus à gauche
avec les tons rouges (communiste), on a l'étoile juive et les trois
points des Francs-maçons. Tout cela préside à l'effondrement de la
France. Parallèlement on a les sept étoiles du grade de Maréchal
en haut à droite, sorte de deux ex machina. Le Maréchal préside à
la prospérité d'une France reconstruite. Mais on ne connaît pas
les réactions de cette affiche et pour cause, elle n'a jamais été
diffusée. Donc les manuels scolaires qui s'en servent
abondamment n'en ont pas pour autant de valeur idéale.
Les
images du 11 septembre ont les mêmes conséquences, elles sont
transgénérationnelles puisque chacun se souvient de ce qu'il a
fait. Mais cela fut aussi manipulé notamment par les terroristes qui
les ont massivement diffusées de par le monde. Cela permettait de
faire venir les médias et cette mise en scène fut orchestrée
puisque après le premier avion imprévu, le second avion lui a
toujours été médiatisé. Il s'agit d'humilier les USA, mais en
plus de doublement l'humilier en en faisant un spectacle mondial. Le
pouvoir des images devient alors phénoménal.
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