mardi 14 février 2012

Contemporaine 12 - 02 (cours 2)

Précédemment 05 - 02





1808 – 1870


L’Amérique rentre dans le XIX° siècle par un processus d’indépendance puisque les révolutions débutent en 1808 quand Napoléon envahit la Péninsule Ibérique provoquant la chute du roi d’Espagne et la fuite du roi du Portugal en Amérique. Pour certains pays ce processus d’indépendance va s’achever tôt pour certains pays, tard pour d’autres (Pérou en 1825). Ce sont deux décennies de guerre contre les métropoles mais aussi guerres civiles et Révolutions.
Brésil et provinces hispaniques commencent leur processus de manière similaire avant que cela ne change puisque le roi du Portugal réinstalle le siège du Portugal à Rio permettant la survie de la monarchie portugaise. La monarchie du Portugal quitte la métropole pour  s’implanter dans sa colonie brésilienne. En Espagne, c’est l’acéphalie, le roi a chuté, il n’y a plus de roi à la tête de la monarchie. La Brésil a un destin particulier puisque son indépendance à la même époque fait du Brésil un empire alors que les autres pays sont devenues des Républiques indépendantes dans les années 1810 – 1820. Trois processus très importants se déroulent :
·         La révolution politique proche des cas américains et français puisque les deux sont fondés sur le principe des libertés individuelles et le libéralisme.
·         La fragmentation territoriale de ce grand continent, ce qui fait naître 11 nations indépendantes de ce grand empire puis 20 avec le découpage de l’Amérique centrale. Pourquoi naissent autant de pays alors que l’unité culturelle est forte, la langue proche, la religion la même et avant reconnaissaient le même roi.
·         Les guerres surtout civiles qui vont expliquer la fragmentation des territoires laissant des traces politiques jusqu’au XX° siècle : militarisation et chefs militaires (qu’on appelle caudillos) et cette importance de leurs liens avec la politique.

On peut comprendre tout le XIX° siècle sous cet angle puisque la Révolution des nations et les guerres se déroulent tout au long du siècle. On est loin de la logique française qui s’inscrivait dans une histoire longue. On a longtemps parlé d’une histoire patriotique de l’Amérique s’unissant contre l’oppresseur. Au contraire, il n’y a pas de sentiment national en Amérique Latine et il faut un siècle pour qu’il se forge. De même pour les Républiques qui existent dans quelques textes mais qui n’ont pas vraiment véritables citoyens ni de limites. Elles vont mettre le siècle pour réellement se forger.
Le XIX° siècle n’est pas celui d’un chaos, d’un bazar et d’une corruption, il a une logique interne qui fut longtemps renié par les historiens occidentaux. En réalité on sait aujourd’hui que c’est une construction de la République.


I.                   1808 – 1825 : Vers l’indépendance

1.      La révolution hispanique

En juin 1808, Napoléon envahit l’Espagne et force le monarque espagnol, Ferdinand VII à abdiquer pour Joseph Bonaparte. En conséquence, la monarchie s’effondre puisque Joseph, frère de Napoléon, n’est reconnu ni des provinces espagnoles, ni de celle des Amériques. Parallèlement, la famille royale portugaise arrive à Rio. La reine étant malade de folie, le prince régent prend le pouvoir qu’il installe à Rio. Commence une période de très grande prospérité pour le Brésil et un très grand désordre dans les provinces espagnoles. Joseph I n’est pas reconnu et en Espagne comme en Amérique hispanique, les provinces décident de s’autogouverner. Donc se créent des juntes (juntas en espagnol des conseils gouvernant le territoire en l’absence de roi), dirigées par des élites locales dépourvues de roi.

Cette manière de faire retomber la souveraineté du roi au territoire est une théorie féodale, le pactisme. Le pouvoir du roi est fondé sur un pacte entre les territoires (pueblos, les peuples enracinés dans un lieu) et le roi. Les pueblos ont le pouvoir et en concluant un pacte avec le roi, ils le laissent gouverner jusqu’à rupture du pacte. Si le pacte est rompu la souveraineté retombe alors dans les pueblos. Mais il n’y a pas d’égalité des citoyens. Les pueblos sont des sociétés très hiérarchisées avec une élite dirigeante et sans citoyenneté. Ce n’est pas une monarchie de droit divin comme en France, la monarchie est plus fragile en Espagne. Avec Napoléon le pacte est rompu et les juntes se forment.
Les gens réalisent alors qu’ils peuvent organiser le pouvoir localement hors du pouvoir monarchique. En 1809, une junte suprême se forme en Espagne. Cela doit représenter toutes les juntes en Espagne et en Amérique. Dans ce lieu, aucune junte n’a eu de velléités d’indépendantisme, elles reconnaissent la monarchie mais s’autogouvernent. En 1809, se déroule alors partout en Espagne et en Amérique hispanique des élections pour choisir des représentants à cette junte suprême. Personne dans le peuple n’a les clefs pour saisir ces élections mais des représentants sont envoyés en Espagne pour rejoindre cette junte suprême. Faute de textes, il y a une invention politique face à une situation imprévue. L’endroit où la junte suprême devait se tenir est envahit par Napoléon.
En 1810, à Cadix, dernière ville libre, une assemblée (cortes, les cours) se constitue avec les représentants sud-américains en retard à la junte suprême annulée. On a donc une monarchie envahit par Napoléon qui tente d’avoir un gouvernement (des juntes locales, une junte suprême puis une assemblée). Cette assemblée, ce sont les ennemis qui se sont battus contre les Français mais aussi les plus libéraux et quelque part les plus révolutionnaires.

2.      Les guerres d’indépendance américaines

Alors que rien ne laissait voir une scission des pays des Amériques ceux-ci vont se scinder.
En effet, lors des élections pour la junte suprême, les américains réalisent qu’on leur donne moins de voix qu’aux espagnols dans la junte suprême. De plus, les colonies américaines sont attachées à la monarchie et comprennent mal l’assemblée de Cadix libérale. Lorsque les cortes de Cadix forment la constitution gadicane (de Cadix) en 1812, commence alors une guerre généralisée en Amérique entre des monarchistes qui veulent l’indépendance, des libéraux qui la souhaite tout autant, d’autres monarchistes qui ne veulent pas se scinder. Bref on a les Loyalistes qui veulent rester attachés à l’Espagne et les Patriotes revendiquant une scission nette.

Ces provinces n’ayant plus de rois, elles se constituent sous une autre forme politique : la république. En 1812, ???
Ces guerres d’indépendance sont menées de manière civile, rapidement contre les Espagnoles puisque les Français rabattus chez eux, Ferdinand VII remonte sur le trône. Ces guerres sont aussi entre villes pour agrandir sont territoire, lever sa milice, prendre les impôts, dominer un espace économique, … Toujours est-il qu’à la fin, les patriotes vont gagner partout les guerres. Cela s’explique d’une manière double : de par une organisation libérale mais aussi par les armées de libération qui vont défendre l’indépendance partout via un chef militaire charismatique : Simon Bolivar et son bras droit José San Martin. Pour survivre et ne pas être pris par les loyalistes, ils vont mener leurs armées de libération contre les Loyalistes. L’armée de San Martin se constitue au Nord de l’Argentine, va au Chili et remonte au Pérou. L’armée bolivienne s’occupe des Caraïbes et redescend vers la Bolivie. Ils ont 30 000 hommes environ ce qui à l’échelle locale est énorme. Cela provoque une révolution politique par changement d’ordre local mais par changement de légitimité aussi. Qu’il y ait ou non des élites libérales qui imposent cette organisation, la légitimité monarchique disparaît pour finir par faire adhérer à une légitimité républicaine.

3.      Trois cas particuliers

Haïti, colonie française, est touchée par la révolution française. Essentiellement peuplée d’esclaves, l’abolition va lui être bénéfique et toute la population haïtienne devient libre. Plus encore, la même année, un gouverneur noir Toussaint Louverture est nommé gouverneur de la province. Rapidement il devient un leader de milices noires qui vont revendiquer l’indépendance. Napoléon envoie des troupes massives pour conserver la colonie sucrière mais sans succès, ils se font démonter. L’indépendance haïtienne est alors proclamée. Cela a une importance pour l’Amérique du Nord et du Sud provoquant une peur panique des conséquences de l’abolition de l’esclavage. Une peur imaginaire très forte se développera longtemps sur tout le continent.

Cuba de son coté colonie espagnole, va peu s’organiser et sera dominée par des loyalistes. Elle va alors rester espagnole et sera une colonie d’exploitation. Elle ne sera indépendante qu’en 1898.

Le Brésil, centre de l’empire portugais depuis 1808, sous l’égide de Jean, va connaître un cheminement particulier. Quand Napoléon est défait, les élites locales de Lisbonne ne veulent pas de Jean comme même monarque qu’autrefois. Suite à la Révolution de Porto, les élites portugaises installent une monarchie constitutionnelle au Portugal et les cortes demandent à Jean de revenir à Lisbonne. Il y revient mais à un pouvoir très limité.
Le fils de Jean, Pierre, est peu satisfait de la situation et reste autonome au Portugal. Les cortes le rappellent à son tour en 1822, mais il refuse et déclare de plus l’indépendance du Brésil. Plutôt qu’une monarchie, Pierre forge un Empire et devient empereur. Ceci dit malgré la rupture des régimes, il n’y a pas de rupture dynastique. Ce ne sera une République qu’en 1889 sans de guerres civiles généralisées comme s’est le cas ailleurs.


II.                 1825 – 1870

A cette époque, il n’y a pas comme en Europe un Napoléon qui construit des Etats modernes avec un code civile, des préfets, un concordat, … On a pas non plus de congrès de Vienne établissant un statu quo territorial durable sur le continent et du coup, il n’y a rien qui fixe l’Etat, il faut le construire.  C’est une histoire politique difficile à appréhender puisqu’on a pas d’Etat, on a un gouvernement qui contrôle la capitale est peu arbitre des conflits mais plutôt acteur et ce gouvernement central est censé organisé le territoire par des lois et des codes bien loin de la réalité appliquée.

1.      La construction de nouvelles nations

On a donc des Républiques prévoyant la séparation des pouvoirs, l’élection des citoyens d’assemblées locales et nationales et parfois d’un président de la République. Le suffrage est partout très large presqu’universel mais masculin. Il inclut les créoles, les Indiens et les métisses (sangs-mêlés). Mais rapidement on le réduit par un suffrage censitaire et parfois capacitaires (savoir lire et écrire). Cela réduit considérablement les gens pouvant voter. Par ailleurs, le code de la monarchie espagnole n’est pas réformé et est adopté comme tel par les nouvelles Républiques. Ce qui a pour conséquence que les organisations politiques vont être largement conservées (privilèges nobiliaires).
Le tout témoigne bien d’un républicanisme par défaut, produit des circonstances (Bolivar n’est pas un républicain, sa rencontre avec les populations pauvres en particulier va le tétaniser et le désespérer). Les élites vont alors faire avec, vivre en république sans croire à ce régime. Elles voient des sociétés très différentes des sociétés européennes avec un taux d’alphabétisation très faible et à la longue ne croit pas à la possibilité de construire une République dans ces sociétés. Peu d’élites sont disposées à appliquer les Républiques dans les territoires. Finalement, ce n’est que vers les années 1840 sous l’influence tant des élites européennes et des révolutions de 1830 et de 1848, que de vraies élites libérales vont naître et tenter de démocratiser les sociétés latino-américaines.

2.      Guerres externes et internes

Longtemps l’historiographie n’a pris en compte que ce coté guerrier des situations en Amérique du Sud. A part au Chili (monarchie déguisée en République) et au Brésil, on avait une très forte instabilité politique avec des guerres d’indépendance qui ne cessent pas l’indépendance venue, personne ne dépose les armes après l’indépendance. Cela provoque des conflits internes récurrents entre le pouvoir central et les provinces comme en Amérique centrale qui explose en 9 pays. En Argentine, la première moitié du XIX° siècle est une guerre entre Buenos Aires et les provinces qui fait naître le pays en 1853 seulement, en 1828 c’était les Provinces-Unies du Rio de la Plata. On a aussi des guerres ethniques entre Indiens et créoles. Tout le XIX° siècle, les Chiliens vont s’évertuer à exterminer les Mapuches.
Enfin des guerres politiques entre tendances politiques différentes vont voir le jour avec de vraies identités politiques démarquées. Au Mexique la guerre civile se fait entre Libéraux et Conservateurs. Ce coté binaire prend toujours place aujourd’hui en Amérique du Sud. Mais cela a toujours un écho puisque dans les années 1940 – 1950, on a pu assister à la Violencia en Colombie avec plusieurs centaines de milliers de morts suite à deux camps politiques en conflit.
A cela s’ajoute les guerres extérieures parfois déterminantes (des pays en naissent : Uruguay en 1828) et tragiques. D’autres guerres émergent entre le Pérou et la Bolivie contre le Chili qui finit par priver la Bolivie de son accès à la mer. Enfin dernière guerre importante celle entre le Mexique et les USA qui vont réduire de moitié l’espace d’influence du Mexique par la prise de la Californie, du Texas et du Nouveau-Mexique.

3.       Le fonctionnement des systèmes politiques

Malgré l’absence de révolutions juridiques, de révolutions de propriété, … des sociétés restent extrêmement inégalitaires dans l’accès à la terre avec les latifundios ; et les grands biens de l’Eglise qui sont hérités de l’Ancien Régime. On a malgré tout une vraie entrée dans les mœurs de la participation politique.
Pourtant la population est très peu nombreuse à participer électoralement aux élections. On a donc une minorité de citoyens qui peuvent voter et à cela, se rajoute l’existence d’une forme de participation autre que les élections qui est reconnue légitime par les citoyens : les pronunciamentos. Loin d’être un coup d’Etat, c’est un renversement du pouvoir élu, sous l’action d’un chef militaire qui le remplace. Mais ce chef militaire ne réussi que par l’adhésion des pueblos. Le caudillo fait des tournées dans les pueblos et se fait acclamer. Quand il pense avoir la légitimité, il agit. Cette pratique est très courante à cette époque (souvent tous les trois ans). Ce n’est pas un coup d’Etat mais un acte politique légitime puisque respectant le pactisme. Le chef n’a le pouvoir qu’avec l’accord des pueblos et donc si ceux-ci choisissent quelqu’un d’autre, alors le nouveau chef devient légitime et l’ancienne illégitime. Cela explique « l’instabilité politique » mais ce n’est pas le bazar total comme l’histoire a pu le dire. En revanche, cela va marquer la culture sud-américaine.






Pierre II, empereur du Brésil





L’Amérique en 1900


Dans les années 1850 et 1860, on voit les situations politiques se stabiliser que ce soient les guerres civiles ou les pronunciamientos. Cela ouvre une période de 1865 à 1910 qui est relativement calme avant que cela ne se réactive par la suite. Cette stabilisation s’explique aussi par l’apparition de nouvelles associations politiques se rapprochant de nos partis modernes. Ces factions se sont les Libéraux contre les Conservateurs. Ce sont des identités politiques qui se cristallisent à cette époque. Présents auparavant ils se distinguaient mal mais finalement la scission se fait. Du conflit de ces factions va naître un libéralisme de seconde génération plus convaincu que le premier libéralisme. Ce n’est pas la démocratie mais une foi plus profonde en des Républiques modernes.
Cette époque est cruciale de par la mutation des Républiques mais aussi par l’essor économique formidable de l’Amérique Latine. En particulier avec les économies agro-exportatrices. Mais on entre toujours pas dans le XX° siècle, puisque nous n’avons pas de peuple en politique.


I.                   La fixation des identités politiques et stabilisation des Républiques oligarchiques

1.      De nouvelles identités conservatrices et libérales

Les indépendances furent très libérales avec un suffrage très large, des élections fréquentes, des postes de gouvernement et des charges de fonctionnaires électives. Mais passé les indépendances, le faible ancrage du libéralisme dans les élites de l’époque, écorne les principes républicains, fixe un cens dans le droit de vote, parfois un suffrage capacitaire.
En particulier, le Brésil, monarchie constitutionnelle sous le règne de Pierre I (1822 – 1840), est peu attirant pour les gens extérieurs. Le roi était assez instable en revenant souvent sur une image du Moyen-Age pour mener sa politique. Son fils, Pierre II, arrivé jeune sur le trône est beaucoup plus libéral et séduit davantage les élites quand son père les répudiait. Le Brésil en plus, devient un régime stable, un modèle de prospérité économique.
Il y a même des tentatives plus ou moins folkloriques pour rétablir la monarchie (Equateur vers 1850, surtout le Mexique vers 1860). C’est sous le coup de Napoléon III qui décide d’aller aider le Mexique à tenir contre l’envahisseur américain, et invente par là le terme d’Amérique Latine. Il y met Maximilien sur le trône de 1861 à 1867, en pleine guerre civile. L’homme n’était pas très charismatique et fut parachuté sans convictions dans un pays au contexte dangereux.

Il y a un camp libéral qui affirme des idées bien plus modernes qu’auparavant en exigeant un retour au suffrage large, la lutte contre l’influence et le poids politique de l’Eglise et enfin qui veut faire la guerre aux communautés. On veut détruire l’organisation sociale, économique et politique en termes de groupes ou de corporations, socle de la société d’Ancien Régime. L’individu est nié dans ces systèmes et cela heurte les Libéraux qui veulent des droits individuels, sortir du carcan de l’Ancien Régime. Ils mènent ce combat à la fois contre l’Eglise, contre les communautés paysannes indiennes ou encore l’armée. Cela va choquer une partie de la société traditionnelle.

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