1808 – 1870
L’Amérique rentre
dans le XIX° siècle par un processus d’indépendance puisque les révolutions
débutent en 1808 quand Napoléon envahit la Péninsule Ibérique provoquant la
chute du roi d’Espagne et la fuite du roi du Portugal en Amérique. Pour certains pays ce processus
d’indépendance va s’achever tôt pour certains pays, tard pour d’autres (Pérou
en 1825). Ce sont deux décennies de
guerre contre les métropoles mais aussi guerres civiles et Révolutions.
Brésil
et provinces hispaniques commencent leur processus de manière similaire avant
que cela ne change puisque le roi du Portugal réinstalle le siège du Portugal à
Rio permettant la survie de la monarchie portugaise. La monarchie du Portugal quitte la métropole pour s’implanter dans sa colonie brésilienne. En
Espagne, c’est l’acéphalie, le roi a chuté, il n’y a plus de roi à la tête
de la monarchie. La Brésil a un destin particulier puisque son indépendance à
la même époque fait du Brésil un empire alors que les autres pays sont devenues
des Républiques indépendantes dans les années 1810 – 1820. Trois processus très importants se déroulent :
·
La révolution politique proche des cas américains et
français puisque les deux sont fondés sur le principe des libertés
individuelles et le libéralisme.
·
La fragmentation territoriale de
ce grand continent,
ce qui fait naître 11 nations indépendantes de ce grand empire puis 20 avec le
découpage de l’Amérique centrale. Pourquoi naissent autant de pays alors que
l’unité culturelle est forte, la langue proche, la religion la même et avant
reconnaissaient le même roi.
·
Les guerres surtout civiles qui vont expliquer la
fragmentation des territoires laissant des traces politiques jusqu’au XX°
siècle : militarisation et chefs militaires (qu’on appelle caudillos) et cette importance de leurs
liens avec la politique.
On
peut comprendre tout le XIX° siècle sous cet angle puisque la Révolution des
nations et les guerres se déroulent tout au long du siècle. On est loin de la
logique française qui s’inscrivait dans une histoire longue. On a longtemps
parlé d’une histoire patriotique de l’Amérique s’unissant contre l’oppresseur.
Au contraire, il n’y a pas de sentiment
national en Amérique Latine et il faut un siècle pour qu’il se forge. De même
pour les Républiques qui existent dans quelques textes mais qui n’ont pas vraiment
véritables citoyens ni de limites. Elles vont mettre le siècle pour réellement
se forger.
Le XIX° siècle
n’est pas celui d’un chaos,
d’un bazar et d’une corruption, il a une logique interne qui fut longtemps
renié par les historiens occidentaux. En réalité on sait aujourd’hui que c’est
une construction de la République.
I.
1808 – 1825 :
Vers l’indépendance
1.
La révolution hispanique
En juin 1808, Napoléon
envahit l’Espagne et force le monarque espagnol, Ferdinand VII à abdiquer pour Joseph Bonaparte.
En conséquence, la monarchie s’effondre puisque Joseph, frère de Napoléon, n’est reconnu ni
des provinces espagnoles, ni de celle des Amériques. Parallèlement, la famille
royale portugaise arrive à Rio. La reine étant malade de folie, le prince
régent prend le pouvoir qu’il installe à Rio. Commence une période de très grande prospérité pour le Brésil et un
très grand désordre dans les provinces espagnoles. Joseph I n’est pas reconnu
et en Espagne comme en Amérique hispanique, les provinces décident de
s’autogouverner. Donc se créent des juntes (juntas en espagnol des conseils gouvernant le territoire en
l’absence de roi), dirigées par des
élites locales dépourvues de roi.
Cette manière de
faire retomber la souveraineté du roi au territoire est une théorie féodale, le
pactisme. Le
pouvoir du roi est fondé sur un pacte entre les territoires (pueblos, les peuples enracinés dans un
lieu) et le roi. Les pueblos ont le pouvoir et en concluant
un pacte avec le roi, ils le laissent gouverner jusqu’à rupture du pacte. Si le
pacte est rompu la souveraineté retombe alors dans les pueblos. Mais il n’y a pas d’égalité des citoyens. Les pueblos sont des sociétés très
hiérarchisées avec une élite dirigeante et sans citoyenneté. Ce n’est pas
une monarchie de droit divin comme en France, la monarchie est plus fragile en
Espagne. Avec Napoléon le pacte est
rompu et les juntes se forment.
Les gens réalisent
alors qu’ils peuvent organiser le pouvoir localement hors du pouvoir
monarchique. En 1809, une junte suprême se
forme en Espagne. Cela doit représenter toutes les juntes en Espagne et en
Amérique. Dans
ce lieu, aucune junte n’a eu de velléités d’indépendantisme, elles
reconnaissent la monarchie mais s’autogouvernent. En 1809, se déroule alors
partout en Espagne et en Amérique hispanique des élections pour choisir des
représentants à cette junte suprême. Personne dans le peuple n’a les clefs pour
saisir ces élections mais des représentants sont envoyés en Espagne pour
rejoindre cette junte suprême. Faute de
textes, il y a une invention politique face à une situation imprévue. L’endroit
où la junte suprême devait se tenir est envahit par Napoléon.
En 1810, à Cadix,
dernière ville libre, une assemblée (cortes,
les cours) se constitue
avec les représentants sud-américains en retard à la junte suprême annulée. On
a donc une monarchie envahit par Napoléon qui tente d’avoir un gouvernement (des
juntes locales, une junte suprême puis une assemblée). Cette assemblée, ce sont les ennemis qui se sont battus contre les
Français mais aussi les plus libéraux et quelque part les plus
révolutionnaires.
2.
Les guerres d’indépendance américaines
Alors
que rien ne laissait voir une scission des pays des Amériques ceux-ci vont se
scinder.
En
effet, lors des élections pour la junte
suprême, les américains réalisent qu’on leur donne moins de voix qu’aux
espagnols dans la junte suprême. De plus, les colonies américaines sont
attachées à la monarchie et comprennent mal l’assemblée de Cadix libérale. Lorsque les cortes de Cadix forment la constitution gadicane (de Cadix) en 1812, commence alors une guerre généralisée en
Amérique entre des monarchistes qui veulent l’indépendance, des libéraux
qui la souhaite tout autant, d’autres monarchistes qui ne veulent pas se
scinder. Bref on a les Loyalistes
qui veulent rester attachés à l’Espagne et les
Patriotes revendiquant une scission nette.
Ces
provinces n’ayant plus de rois, elles se constituent sous une autre forme
politique : la république. En
1812, ???
Ces
guerres d’indépendance sont menées de manière civile, rapidement contre les
Espagnoles puisque les Français rabattus chez eux, Ferdinand VII remonte sur le
trône. Ces guerres sont aussi entre villes pour agrandir sont territoire, lever sa milice,
prendre les impôts, dominer un espace économique, … Toujours est-il qu’à la
fin, les patriotes vont gagner partout
les guerres. Cela s’explique d’une manière double : de par une organisation
libérale mais aussi par les armées de libération qui vont défendre
l’indépendance partout via un chef militaire charismatique : Simon Bolivar
et son bras droit José San Martin.
Pour survivre et ne pas être pris par les loyalistes, ils vont mener leurs
armées de libération contre les Loyalistes. L’armée de San Martin se constitue
au Nord de l’Argentine, va au Chili et remonte au Pérou. L’armée bolivienne
s’occupe des Caraïbes et redescend vers la Bolivie. Ils ont 30 000 hommes
environ ce qui à l’échelle locale est énorme. Cela provoque une révolution
politique par changement d’ordre local mais par changement de légitimité aussi.
Qu’il y ait ou non des élites libérales qui imposent cette organisation, la
légitimité monarchique disparaît pour finir par faire adhérer à une légitimité
républicaine.
3.
Trois cas particuliers
Haïti,
colonie française, est touchée par la révolution française. Essentiellement
peuplée d’esclaves, l’abolition va lui être bénéfique et toute la population
haïtienne devient libre.
Plus encore, la même année, un gouverneur noir Toussaint
Louverture est nommé gouverneur de la province. Rapidement il
devient un leader de milices noires qui vont revendiquer l’indépendance.
Napoléon envoie des troupes massives pour conserver la colonie sucrière mais
sans succès, ils se font démonter. L’indépendance
haïtienne est alors proclamée. Cela a une importance pour l’Amérique du Nord et
du Sud provoquant une peur panique des conséquences de l’abolition de
l’esclavage. Une peur imaginaire très forte se développera longtemps sur tout
le continent.
Cuba
de son coté colonie espagnole, va peu s’organiser et sera dominée par des
loyalistes. Elle va alors rester espagnole et sera une colonie d’exploitation.
Elle ne sera indépendante qu’en 1898.
Le
Brésil, centre de l’empire portugais depuis 1808, sous l’égide de Jean, va
connaître un cheminement particulier. Quand Napoléon est défait, les élites
locales de Lisbonne ne veulent pas de Jean comme même monarque qu’autrefois.
Suite à la Révolution de Porto, les élites portugaises installent une monarchie
constitutionnelle au Portugal et les cortes
demandent à Jean de revenir à Lisbonne. Il y revient mais à un pouvoir très
limité.
Le
fils de Jean, Pierre, est peu satisfait de la situation et reste autonome au
Portugal. Les cortes le rappellent à
son tour en 1822, mais il refuse et déclare
de plus l’indépendance du Brésil. Plutôt qu’une monarchie, Pierre forge un
Empire et devient empereur.
Ceci dit malgré la rupture des régimes, il n’y a pas de rupture dynastique. Ce
ne sera une République qu’en 1889 sans de guerres civiles généralisées comme
s’est le cas ailleurs.
II.
1825 – 1870
A cette époque, il n’y a pas
comme en Europe un Napoléon qui construit des Etats modernes avec un code
civile, des préfets, un concordat, … On a pas non plus de congrès de Vienne
établissant un statu quo territorial durable sur le continent et du coup, il n’y a rien qui fixe l’Etat, il faut le
construire. C’est une histoire politique
difficile à appréhender puisqu’on a pas d’Etat, on a un gouvernement qui
contrôle la capitale est peu arbitre des conflits mais plutôt acteur et ce
gouvernement central est censé organisé le territoire par des lois et des codes
bien loin de la réalité appliquée.
1.
La construction de nouvelles nations
On
a donc des Républiques prévoyant la séparation des pouvoirs, l’élection des
citoyens d’assemblées locales et nationales et parfois d’un président de la
République. Le suffrage est partout très large presqu’universel mais masculin. Il inclut les créoles, les
Indiens et les métisses (sangs-mêlés). Mais
rapidement on le réduit par un suffrage censitaire et parfois capacitaires
(savoir lire et écrire). Cela réduit considérablement les gens pouvant voter. Par ailleurs, le code de la monarchie
espagnole n’est pas réformé et est adopté comme tel par les nouvelles
Républiques. Ce qui a pour conséquence que les organisations politiques vont
être largement conservées (privilèges nobiliaires).
Le
tout témoigne bien d’un républicanisme par défaut, produit des circonstances (Bolivar n’est pas un
républicain, sa rencontre avec les populations pauvres en particulier va le
tétaniser et le désespérer). Les élites vont alors faire avec, vivre en
république sans croire à ce régime. Elles voient des sociétés très différentes
des sociétés européennes avec un taux d’alphabétisation très faible et à la
longue ne croit pas à la possibilité de construire une République dans ces
sociétés. Peu d’élites sont disposées à
appliquer les Républiques dans les territoires. Finalement, ce n’est que
vers les années 1840 sous l’influence tant des élites européennes et des
révolutions de 1830 et de 1848, que de vraies élites libérales vont naître et
tenter de démocratiser les sociétés latino-américaines.
2.
Guerres externes et internes
Longtemps
l’historiographie n’a pris en compte que ce coté guerrier des situations en Amérique du
Sud. A part au Chili (monarchie déguisée en République) et au Brésil, on avait une très forte instabilité politique avec
des guerres d’indépendance qui ne cessent pas l’indépendance venue, personne ne
dépose les armes après l’indépendance. Cela provoque des conflits internes
récurrents entre le pouvoir central et les provinces comme en Amérique
centrale qui explose en 9 pays. En Argentine, la première moitié du XIX° siècle
est une guerre entre Buenos Aires et les provinces qui fait naître le pays en
1853 seulement, en 1828 c’était les Provinces-Unies du Rio de la Plata. On a aussi des guerres ethniques entre
Indiens et créoles. Tout le XIX° siècle, les Chiliens vont s’évertuer à
exterminer les Mapuches.
Enfin
des guerres politiques entre tendances politiques différentes vont voir le jour
avec de vraies identités politiques démarquées. Au Mexique la guerre civile se
fait entre Libéraux et Conservateurs. Ce coté binaire prend toujours place
aujourd’hui en Amérique du Sud. Mais cela a toujours un écho puisque dans les
années 1940 – 1950, on a pu assister à la Violencia
en Colombie avec plusieurs centaines de milliers de morts suite à deux camps
politiques en conflit.
A
cela s’ajoute les guerres extérieures parfois déterminantes (des pays en naissent :
Uruguay en 1828) et tragiques. D’autres guerres émergent entre le Pérou et la
Bolivie contre le Chili qui finit par priver la Bolivie de son accès à la mer.
Enfin dernière guerre importante celle entre le Mexique et les USA qui vont
réduire de moitié l’espace d’influence du Mexique par la prise de la
Californie, du Texas et du Nouveau-Mexique.
3.
Le fonctionnement des
systèmes politiques
Malgré l’absence de révolutions
juridiques, de révolutions de propriété, … des
sociétés restent extrêmement inégalitaires dans l’accès à la terre avec les
latifundios ; et les grands biens de l’Eglise qui sont hérités de l’Ancien
Régime. On a malgré tout une vraie entrée dans les mœurs de la participation
politique.
Pourtant
la population est très peu nombreuse à participer électoralement aux élections.
On a donc une minorité de citoyens qui peuvent voter et à cela, se rajoute
l’existence d’une forme de participation autre que les élections qui est
reconnue légitime par les citoyens : les pronunciamentos.
Loin d’être un coup d’Etat, c’est un renversement du pouvoir élu, sous l’action
d’un chef militaire qui le remplace. Mais ce chef militaire ne réussi que par
l’adhésion des pueblos. Le caudillo fait des tournées dans les pueblos et se fait acclamer. Quand il
pense avoir la légitimité, il agit. Cette pratique est très courante à cette
époque (souvent tous les trois ans). Ce n’est pas un coup d’Etat mais un acte
politique légitime puisque respectant le pactisme. Le chef n’a le pouvoir
qu’avec l’accord des pueblos et donc si ceux-ci choisissent quelqu’un d’autre,
alors le nouveau chef devient légitime et l’ancienne illégitime. Cela explique « l’instabilité
politique » mais ce n’est pas le bazar total comme l’histoire a pu le dire.
En revanche, cela va marquer la culture sud-américaine.
Pierre II, empereur du Brésil
L’Amérique en 1900
Dans
les années 1850 et 1860, on voit les
situations politiques se stabiliser que ce soient les guerres civiles ou les pronunciamientos. Cela ouvre une période
de 1865 à 1910 qui est relativement
calme avant que cela ne se réactive par la suite. Cette stabilisation s’explique aussi par l’apparition de nouvelles
associations politiques se rapprochant de nos partis modernes. Ces factions se
sont les Libéraux contre les Conservateurs. Ce sont des identités
politiques qui se cristallisent à cette époque. Présents auparavant ils se
distinguaient mal mais finalement la scission se fait. Du conflit de ces factions va naître un libéralisme de seconde
génération plus convaincu que le premier libéralisme. Ce n’est pas la
démocratie mais une foi plus profonde en des Républiques modernes.
Cette
époque est cruciale de par la mutation des Républiques mais aussi par l’essor
économique formidable de l’Amérique Latine. En particulier avec les économies
agro-exportatrices. Mais on entre toujours pas dans le XX° siècle, puisque nous
n’avons pas de peuple en politique.
I.
La fixation des
identités politiques et stabilisation des Républiques oligarchiques
1.
De nouvelles identités conservatrices et libérales
Les indépendances
furent très libérales avec un suffrage très large, des élections fréquentes,
des postes de gouvernement et des charges de fonctionnaires électives. Mais
passé les indépendances, le faible ancrage du libéralisme dans les élites de
l’époque, écorne les principes républicains, fixe un cens dans le droit de
vote, parfois un suffrage capacitaire.
En
particulier, le Brésil, monarchie
constitutionnelle sous le règne de Pierre I
(1822 – 1840), est peu attirant pour les gens extérieurs. Le roi était assez
instable en revenant souvent sur une image du Moyen-Age pour mener sa politique.
Son fils, Pierre II, arrivé jeune sur le
trône est beaucoup plus libéral et séduit davantage les élites quand son
père les répudiait. Le Brésil en plus, devient un régime stable, un modèle de
prospérité économique.
Il y a même des
tentatives plus ou moins folkloriques pour rétablir la monarchie (Equateur vers 1850, surtout le
Mexique vers 1860). C’est sous le coup de Napoléon III
qui décide d’aller aider le Mexique à tenir contre l’envahisseur américain, et
invente par là le terme d’Amérique Latine. Il y met Maximilien sur le trône de
1861 à 1867, en pleine guerre civile. L’homme n’était pas très charismatique et
fut parachuté sans convictions dans un pays au contexte dangereux.
Il y a un camp
libéral qui affirme des idées bien plus modernes qu’auparavant en exigeant un
retour au suffrage large, la lutte contre l’influence et le poids politique de
l’Eglise et enfin qui veut faire la guerre aux communautés. On veut détruire l’organisation
sociale, économique et politique en termes de groupes ou de corporations, socle
de la société d’Ancien Régime. L’individu
est nié dans ces systèmes et cela heurte les Libéraux qui veulent des droits
individuels, sortir du carcan de l’Ancien Régime. Ils mènent ce combat à la
fois contre l’Eglise, contre les communautés paysannes indiennes ou encore
l’armée. Cela va choquer une partie de la société traditionnelle.
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