lundi 10 octobre 2011

Sociologie de l'Etat et des institutions - CM

Sociologie de l’État et des institutions.



I- Genèse et transformation de l'État moderne.

Séance 1 : La constitution de l’État.

Pouvoir politique a des formes différentes selon l'époque et la zone géo : l'État n'est qu'une forme parmi d'autres. Autres formes d'organisation politique : l'Eglise, l'anarchie, sociétés segmentaires (lignage et groupe de parenté), Empire (les limes dans l'Empire romain).

Comment définir l'État ? De façon introductive :
Une centralisation et une concentration du pouvoir politique qui était inédite dans l'histoire des sociétés humaines. l'État tel qu'on le définit aujourd'hui émerge au XIIe siècle après J.-C. pour s'imposer, devenant la forme d'organisation politique dominante.

Ex : Europe 1789 : plus de 300 États. En 1815, il y en a 69. En 1871, il en reste 19. Dans leurs frontières, les États évoluent beaucoup.
Au niveau mondial : 1914 : 53 États reconnus comme indépendants. En 1932, 77 États. En 1945, 156 États (dont 48 en Afrique). Aujourd'hui, il y a 193 États.

l'État peut prendre des formes très diverses : l’État est un territoire, un gouvernement et une population mais la Belgique a deux gouvernements et deux populations. L’Afghanistan ne contrôle pas son territoire. Il faut faire une différence entre les pays qui se déclarent comme État et la réalité de l'exercice du pouvoir : nombre ne répondent pas à la définition de l'État. C'est la différence entre l'approche juridique de l'État et l'approche sociologique.
L'approche juridique s’intéresse à la constitution d'un État, à ses organes, etc. L'approche sociologie s'intéresse à la pratique de l'exercice du pouvoir et donc au décalage entre la constitution et la pratique.

  • Les grandes caractéristiques du phénomène étatique.

Les limites d'une définition à partir de la souveraineté.

Il y a une définition juridique de l'État : un territoire, une population et un pouvoir juridiquement organisé qui s'exerce à la fois sur le territoire et la population. Cette définition repose sur la notion de souveraineté : ce pouvoir est le seul à pouvoir prendre des décisions sur le territoire et la population.
Cette définition est de plus en plus problématique :
  • Elle accorde beaucoup d'importance à la notion de territoire et donc de frontière. Or, les frontières ont tendance à se diluer avec le processus de mondialisation économique, notamment en Europe.
  • Elle accorde un poids très important au monopole de l’État. Il devait avoir des domaines où il était le seul acteur, comme le monopole législatif, le monopole fiscal, le monopole fiduciaire, la représentation collective (signer des traités qui engageaient l'ensemble du pays, commerciaux ou de guerre). Aujourd'hui, l'Europe menace ces monopoles.

Il y a donc une nécessité de faire appel à d'autres définitions, notamment celle de Max WEBER.

La définition sociologique de l'État, de Max WEBER.
Repose sur le monopole de la violence et l’institutionnalisation.
Définition classique : « Nous entendons par État une entreprise politique de caractère institutionnelle, lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application des règlements, le monopole de la violence légitime. » (WEBER, Économie et société, p97)

Pour WEBER, le monopole de la violence légitime est la caractéristique essentielle d'un État. C'est la seule caractéristique commune à tous les États.
L’État n'est pas le seul à exercer la violence dans la société mais c'est le seul qui soit légitime, il est le seul qui ait le droit de rendre justice et d'utiliser une violence encadrée et justifiée. La violence de l'État est très codifiée dans les démocraties, elle est encadrée par des lois.
La violence de l’État diminue dans les démocraties : l'État ne tire pas sur ses citoyens lors de manifestation. Cela s'explique de deux façons : c'est un choix d'avoir recours à la violence de façon très graduée pour éviter la radicalisation + les citoyens ont adopté les sanctions de l'État et ils adaptent leurs comportements pour éviter d'y faire face (ELIAS, Norbert, la dynamique de l'Occident et la civilisation des mœurs).

L'institutionnalisation signifie que l’État est représenté par des institutions et non plus par des personnes, ce qui permet une stabilité. Il n'y a plus de gouvernement belge mais l'État belge subsiste : il est indépendant à la présence des individus dans le gouvernement.

  • La dimension historique de la construction de l'État.

La genèse de l'État moderne : la société féodale.

Au VIIIe siècle, on est dans le système vassalique : obligation mutuelle des vassaux envers le roi : fief provisoire contre aide/soutient. Mais les vassaux font devenir les fiefs des biens héréditaires, bouleversant l'organisation politique. Le roi se voit déposséder une partie de ses terres.

Trois caractéristiques du pouvoir politique :
Pouvoir politique très faiblement institutionnalisé, il n'y a que des relations directes d'hommes à hommes, les fonctions sociales sont très peu différenciées, le fief est à la fois une structure économique, politique, militaire et religieuse.
Très grande fragmentation du pouvoir, petit à petit, le roi devient un seigneur comme les autres, il rentre en concurrence avec les autres seigneurs. Le seul avantage du roi c'est de ne pas être vassal des autres seigneurs.
Très grande instabilité des unités politiques qui sont souvent redéfinis en fonction des mariages, héritages et alliances.

Au XIIe siècle, il y a une amélioration économique dont bénéficie les terres du roi. Il dégage un excédent dans ses terres qu'il investit dans le pouvoir militaire qu'il utilise pour faire la guerre avec les seigneurs les plus proches géographiquement. Petit à petit, il investit ses conquêtes dans les armées, se réappropriant les territoires adjacents. ELIAS appelle cela un « phénomène de concurrence monopolistique » : pour avoir le monopole des territoires et donc du pouvoir sur ces territoires. (1040 : plusieurs centaines de maisons, fin XIIe siècle : seize maisons, début du XIVe siècle : 5 maisons et en 1483 Louis XI récupère le contrôle sur l'ensemble du territoire).
Cette fois-ci, le roi met en place des administrateurs et une bureaucratie pour gérer son territoire. Il va le faire grâce à l'armée et les impôts. C'est pour préserver le monopole de ces deux ressources que va se mettre en place la centralisation : ressources militaire et fiscales.

La guerre joue un rôle centrale dans le processus de reconquête du pouvoir. XVIIIe siècle : activités militaires → 75% du budget. Cela exige toute une logistique de gerer des armées aussi vaste sur un territoire qui s’accroît. Structure bureaucratique chargé de gérer les armements. Et pour financer les militaires, il faut prélever des ressources, d'où le rôle de la fiscalité : on passe d'un impôt exceptionnel et restreint à un impôt régulier et appliqué à toute la population (impôt national).
Lien entre fiscalité et guerre : la mise en place d'un impôt ne s'est pas fait sans resistance, l'armée était donc nécessaire à la création de cet impôt.

Pour prélever l'impôt, l’État doit faire un argumentaire : prélever l'impôt pour protéger les citoyens, pour l'État, une entité abstraite, et non pour une personne privée. Cela crée une distinction croissante entre la sphère privée et publique. Autonomisation du corps politique vis à vis de la société.

Conclusion/résumé séance 1 :
Avant le XIIe siècle, on ne faisait pas de différence entre les biens du seigneur/roi et les biens de l’État. Cette distinction se fait par l’impôt : justifier l'impôt, on le fait pour protéger les citoyens avec une armée et montrer que l'argent sera utilisé pour le bien commun.
Deux observations : la puissance de l'État moderne qui repose sur le monopole de la violence a put être dénoncée comme TOCQUEVILLE et Charles TILLY (compare l'État et le crime organisé, considère que l'on justifie un racket : voir son article). Analogie entre la formation de l’État et le capitalisme. Métaphore du monde économique pour analyser la construction de l'État. Le savant et le politique P120.


Séance 2 : L'invention de la Nation – XIXe siècle.

L'État rassemblé (géographiquement) n'est pas encore un État unifié. En effet, il persiste des disparités sociales et culturelles entre les différents individus. C'est ce processus culturel et idéologique qui permet de parler d'invention de la nation que nous allons voir.

Cela fait 30 ans qu'il y a des travaux sociologiques sur la question nationale : c'était plutôt une question de juriste ou d'historien.
Le forme de l'État nation paraît aujourd'hui une évidence (un État, une nation) pourtant c'est aussi une construction historique qui se développe au XIXe siècle. C'est un phénomène qui n'a pas été de soi : passer d'une Europe des princes à une Europe des nations a nécessité des alliances, des insurrections et une révolution idéologique et culturelle.
Nation : « groupe humain généralement assez vaste qui se caractérise par la conscience de son unité historique, sociale et culturelle et par la volonté de vivre en commun. » (dico Robert).

  • Les différences de caractérisation de la nation : comment définir la nation ?

=> une notion née des révolutions de la fin du XVIIIe siècle.

Natio : une communauté dont les membres ont une même origine. Souvent, ce mot est synonymes de « pays » (par Adam SMITH notamment) , c'est n'est qu'au XVIIIe siècle que la nation acquiert son sens moderne, dans un contexte politique particulier :
Révolution Américaine, Révolution française et résistance des populations françaises à l'invasion des troupes napoléoniennes.

La nécessité de lutter contre la monarchie a crée l'importance de donner un sens à la « nation » : ce n'est plus le roi qui incarne la souveraineté mais le peuple, c'est un renversement fort auquel il faut donner un sens fort.
Les militants révolutionnaires vont jouer un rôle important, notamment SIEYES 1748-1836 : pour lui, la nation est le tiers-État, elle forme une communauté d'hommes égaux, libres qui décident par eux-mêmes. Il dit que « la nation est une et indivisible », insiste sur la volonté collective d'exister comme peuple souverain.

Avec cela, il n'y a pas de différence entre les nations : le moment où une nation va distinguer des autres nations va apporter un prolongement de la définition. Il y a une volonté identitaire dans ce type de définition alors que SEYES en a produit une universaliste.
Au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'armée napoléonienne libère l'Europe mais pour résister à la présence néfaste de ces troupes, les individus développent l'idée de facteurs culturels qui seraient à l'origine de la nation. On exalte la culture, l'histoire pour résister.

Dans les 1770-1830, le mot nation s'impose dans les discours, reposant sur trois éléments majeurs : → la notion de liberté (au cœur des trois grandes formes d'émancipation politique : du pouvoir colonial (US), aristocratique (FR) et impérial (EU)
→ la dimension identitaire (les militants doivent développer des arguments pour définir le peuple, qui en fait partie)
→ analogie avec l'être humain : idée de la mère patrie.

=> Conception allemande et conception française.

Deux conceptions idéal-typiques de la nation, chacune défendue par un penseur :
→ HERDER : 1744-1803, philosophe et romantique : « la providence a admirablement séparé les nations, notamment par des forets et des montagnes mais surtout par les langues, les goûts et les caractères. » C'est une conception déterministe, essentialiste et organiciste de la nation. Des personnes qui ne seraient pas nés sur le même territoire et qui ne partageraient pas la même culture ne pourrait faire partie de la même nation.
→ RENAN Ernest : 1823-1892, philosophe « l'homme n'est esclaves ni de sa race ... ». Dans cette citation, il répond directement à HERDER, pour lui, la nation ne dépend ni de la langue/race/religion, ni de l'économie et de la géographie. La nation dépend au contraire du consentement, du désir clairement exprimé de continuer la vie commune, « la nation est un plébiscite de tous les jours ». C'est une conception volontariste de la nation, il faut un engagement personnel et une volonté de faire partie de ce projet commun.

La conception de HERDER est une conception fermée et identitaire, celle du droit du sang alors que la conception de RENAN est ouverte et universaliste et qui repose d'avantage sur le droit du sol.

Dans les faits, la tendance en Europe est de plus en plus à aller vers un même type d'accès à la nationalité, qui est un mélange de droit du sol et de droit du sang. Patrick WEIL analyse le droit à la nationalité de chacun des États européens en analysant la transformation de celui-ci.

Implication sur le nationalisme et les frontières nationales : lorsqu'un peuple n'a pas la souveraineté sur un territoire alors qu'il a des revendications d'indépendance. Le modèle de HERDER va être plus hostile à des mouvements qui demandent les modifications des frontières mais il donne plus d'autonomie (Allemagne fédéraliste). En théorie, dans le modèle de RENAN, les États laissent volontiers les populations qui ont un projet commun se constituer en nation indépendante, toutefois il ne le fait que rarement et il laisse peu de place aux mouvements nationalistes.

La notion de Renan amène la question du projet commun et du rôle de l’État dans celui-ci.


  • L'instauration d'un projet commun et « l'invention de la tradition » (HOBSBWAN).


Toutes les études appliquent le modèle de RENAN et se rejoignent pour dire que la communauté nationale est une construction historique fondée sur l'invention de la tradition (d'un socle commun).

=> Le rôle de l'État. (WEBER).

Lorsqu'il définit la nationalité, il met l'accent sur le rôle de l’État. La nation n'est pas une réalité objective mais une réalité subjective et pour WEBER, le sentiment d'appartenance nationale est une croyance dans une origine commune.
Pour créer et entretenir cette croyance, le pouvoir politique joue un rôle primordial. Il dit dans économie et société (T2, p136) : « c'est surtout l'activité communautaire politique qui produit l'idée de la communauté de sang ».

Cette idée d'unité nationale était loin d'aller de soi dans l'Europe du XVIIIe siècle, c'était une notion subversive car elle postulait que tous les citoyens partageaient un même sentiment d'identité et faisaient partie du même groupe (aristocrates comme laboureurs).
En France, ce qui va jouer un rôle fondateur est la Révolution Française. C'est le moment où le pouvoir est redistribué dans la société, le monopole du clergé et de la noblesse sont remis en question, la légitimité de la souveraineté est transférée dans le peuple et on récuse la division en ordres sociaux. Des mesures sont prises pour que les activités sociales soient les mêmes pour tous les membres de la société et sur tous les points du territoire (dans la théorie). Cela suppose une uniformisation administrative et fiscale, une suppression des douanes intérieures (liberté de circulation nationale), on unifie les poids et mesures. C'est le moment où se crée l'unité nationale et un univers commun.

On veut vivre en commun car l'on possède un patrimoine collectif, c'est l'idée de l'imaginaire nationale qui fait que l'idée de vivre ensemble paraisse naturelle. Mais cet imaginaire lui, n'est pas naturelle.
→ Formation des langues nationales : au XVIIIe siècle, on parlait la langue de son territoire et de son niveau social. On parlait le français à la cour et une langue vulgaire dans la vie de tous les jours. Le français devient la langue administrative sous François Ier. C'est sous la République que la langue nationale devient un devoir pour tous les citoyens car la langue indique l'appartenance à la communauté, c'est une forme d'allégeance. Politique active d'éradication des patois. Travail des philologues et les linguistes pour élaborer une langue commune partagée, dictionnaire et académie française.
Les Roms demandent la reconnaissance d'une nation qui s'accompagne d'un projet de langue.
→ L'historiographie. Création des mythes nationaux et d'une histoire nationale. La Révolution Française a été un moment fondateur : mise en place de cérémonie, de valorisation de certains aspects par rapport à d'autres. EX : dans l'histoire nationale, les nations résistent à l'agresseur, elles n'attaquent jamais. Les héros appartiennent à toutes les couches de la société. On met en valeur des moments d'unions nationales.
C'est la création d'une mémoire collective qui se matérialise dans des objets et des rites. NORA Pierre parle de « lieux de mémoire », c'est une cristallisation de la mémoire collective (Le Panthéon, Marianne, le café, le Tour de France).
Diffusion par l'école. C'est pour cela qu’apparaît l'école gratuite et obligatoire, lors de la IIIe République. Corpus d'oeuvres littéraires et artistiques : Notre-dame de Paris de V.HUGO qui met en valeur le monument.
→ L'urbanisme moderne : nom des rues, choix des statues. « Avenue Charles de Gaule ». Numismatique (billet et monnaie).
→ La propagande, au moment des guerres. Cérémonie, monuments aux morts (ou pas), contrôle des médias.
→ Le sport. D'où la tension lors de certains matchs, reflet des tensions politiques.

Exemple concret : Le tour de France par deux enfants.
Ouvrage grandement diffusé : 8 millions d'exemplaires, de 1877 et durant le XXe siècle. Lu par une génération d'écolier, appropriation par les lecteurs de la géographie nationale. Les enfants ne croisent aucun curé, soldat et très peu de pauvres : on met l'accent sur les consensus. Reprend les clichés (Corses agressifs et flemmards) pour souligner que malgré les différences, tout le monde fait partie du même pays. Montre le rôle de l'école dans l'apprentissage de la langue commune. Après 1905, séparation de l’Église et de l’État, on retire les éléments religieux.
L’État mais aussi des intellectuels et des artistes jouent un rôle dans le processus de construction de la nation. On passe d'une construction de l’État par la guerre à une construction politique, qui repose sur l'idéologie. Cela n'exclue pas les guerres mais affirme l'idéologie.

  • Le rôle de l'économie et du capitalisme.

Modèle de GELLNER :
Parmi les auteurs qui ont soutenu que le capitalisme avait un rôle dans la construction de la nation se trouve Ernest GELLNER qui écrit dans les 80' : « ce n'est pas la nation qui crée le nationalisme, c'est le nationalisme qui crée la nation ». Il insiste sur la façon factice de la nation, le fait que ce soit un projet politique qui fasse émerger la nation. L’État est ici un acteur décisif dans la construction et la diffusion du sentiment national mais il montre aussi le rôle important de l'économie dans ce processus.
Le capitalisme a besoin de travailleurs de plus en plus formés, il faut alors un système d'éducation performant et qui soit uniforme sur le territoire et par le biais de ce système, se met en place une culture et un sentiment national communs.

Critiques à ce modèle :
Cela marche très bien pour la France mais pas pour l'Allemagne ou les pays qui n'ont pas d’État fort. Il faut faire des nuances avec cette théorie.

Le modèle de Benedict ANDERSON :
C'est un auteur américain, il met l'accent sur le rôle de l'imprimerie dans l'émergence du sentiment national. L'imprimerie est la première forme d'entreprise capitaliste, les imprimeurs du XVIIe siècle font des succursales et cherchent à toucher un grand nombre de lecteurs. Ce nombre est limité, à cause de l’analphabétisme et la multiplicité des langues.
Le marché sature : les éditeurs commencent à produire des textes autrement qu'en latin, en langue vernaculaire (celle parlée). LUTHER est le premier à traduire la Bible en allemand, ainsi que ses thèses : 1522-1526 : 430 éditions en allemand.
Apparition de la littérature de masse, cela jette les bases de la construction nationale de trois façons différentes :
→ Lorsqu'on imprimait en latin, la communication ne se faisait qu'au travers d'une élite latiniste. Avec les langues vernaculaires, cela crée un lectorat propre à la langue : un français, un allemand, etc.
→ Le langage obtient une fixité, le française évoluait beaucoup avant la littérature de masse, de par les usages, faisant qu'il y avait un nombre important de français différents (patois, régions). Le français se stabilise, environ le XVIIe comme les autres langues.
Cela crée une communauté mais aussi une forme d'ancienneté : cela ancre la nation dans le passé.
→ Cela crée des langues de pouvoir d'une autre nature que les langues administratives ou élitistes qui existaient auparavant.

  • La nationalité : une ressource identitaire latente.

Comment les citoyens s'approprient la nationalité ?

Peter SAHLINS est un américain qui a fait une étude entre la zone frontalière Espagne-France et il s'intéresse à la façon dont les habitants mobilisent l’identité nationale. Il montre que selon les enjeux politiques et économiques locaux, les habitants mobilisent soit une identité locale, soit une identité régionale, soit une identité nationale, pour s'opposer aux communautés voisines.
Il en conclut que ce qui fait la force de l'identité nationale n'est pas liée à la force de l’État pour l'imposer mais au fait que les citoyens ont la capacité de se l'approprier. Les efforts d'une structure ne suffisent pas → Ex : identité européenne.
La temporalité de l'appropriation par les citoyens de l'identité nationale ne dépend pas de l’État, ce n'est pas linéaire. Selon la zone géographique notamment, l'État n'est pas un monolithe et on lui oppose des résistances, plus ou moins fortes.

Gérard NOIRIEL s'intéresse à la question de l'immigration, notamment. A la façon dont on mobilise l'identité nationale à un moment donné, de façon micro, dans certaines interactions et pas d'autres. L'identité est une ressource identitaire latente que les individus mobilisent dans certaines circonstances mais qu'ils maintiennent à distance dans d'autres circonstances.
On découvre l'identité nationale lorsqu'on est agresse par un groupe qui a une autre identité nationale, sur le marché de l'emploi (Ex : FN), lors d'une rencontre sportive ou dans une guerre. De la même manière, cela peut être lorsqu'un individu sort d'un territoire et qu'on lui fait comprendre qu'il est un étranger.

Conclusion :
→ Pourquoi le débat sur l'identité nationale ? Pourquoi la notion est-elle aussi polémique ?
Ce qui pose problème dans cette notion et dans son utilisation politique, c'est qu'elle avait tendance à réifier l'identité nationale, à lui donner une forme d'autonomie comme si elle existait par elle-même alors qu'on voit bien que c'est une notion historiquement construite, mouvante et donc les contenus changent selon les époques, qui est pertinente à certains moments mais pas à d'autres pour les individus. C'est le fruit d'un travail constant de construction, ce que faisait disparaître le ministère de l'identité nationale. De plus, dans le nom du ministère, on pouvait penser qu'on opposait l'identité nationale à l'immigration, comme si c'était deux choses totalement différentes et non miscibles.
→ Polémique sur le bi-nationalisme :
Débat du FN et ensuite de l'UMP d'interdire la double nationalité, car l'on ne pourrait être fidèle qu'a un seul pays. Mais les sciences sociales montrent le contraire, que l'on peut avoir plusieurs identités nationales qui ne s'excluent pas les unes les autres. Maintenir des liens avec son pays d'origine n'entrave pas mais facilite l'adaptation au pays d'accueil, tout ce qui a attrait au transnationalisme ne pose pas de problèmes.

Séance 3 : L’État providence.

On oppose souvent l'État providence à l'État gendarme. Dans l'État gendarme, le rôle de l'État est limité à ses fonctions régaliennes : la sécurité intérieure, la police et la justice ainsi que la sécurité intérieure, armée et diplomatie. La notion d'État providence suppose une intervention beaucoup plus large de l'État dans une multitude de sphères sociales : c'est l'ensemble des interventions de l'État dans le domaine social pour garantir un certain niveau de bien être à l'ensemble de la population, en particulier à travers un système étendu de protections sociales.
On va voir comment à émerger l'État providence, ses fondements et les formes qu'il a prises.

I- Les racines de l’État providence

  • Que recouvre le concept d'État providence ?

On entend souvent que l'État s'occupe des taches de couverture sociale. C'est une définition qui est trop étroite, l'État ne fait pas que s'occuper de la protection sociale des citoyens, de façon plus large l'État s'occupe du bien-être de ses citoyens : il prend des mesures pour les transports notamment, pour régler l'économie et favoriser le plein emploi, assurer la croissance économique. C'est une définition qui est aussi trop large car l'État n'est pas le seul à s'assurer de la couverture sociale, il y a d'autres acteurs :
→ La sphère familiale et privée.
→ La sphère du marché et les solidarités professionnelles
→ L'intervention publique

Lorsque l'on parle d’État providence, on pense aussi que la puissance publique supplante les défaillances de la solidarité privée. On passe d'une solidarité subjective (la charité où l'on donne en son âme et conscience) à une solidarité objective fondée sur des droits, où l'État décide le seuil de charité où l'on doit donner.


=> Quelles sont les sphères d'action de l'État providence ?
→ Une intervention réglementaire : il fait des lois et établit des règlements, fixant la sécurité sociale et économique.
→ Une politique redistribution par des transferts monétaires : les allocations et les impôts.
→ L’État fournit à la population des équipements collectifs et des biens non marchands à un prix très inférieur à celui du marché : transport en commun, hôpitaux.

La notion de droits sociaux et celle de citoyenneté sociale. La notion de citoyenneté sociale est forgée en 1950 par MARSHALL, il présente la construction de la citoyenneté en trois étapes :
→ La citoyenneté politique avec les conquêtes de la démocratie politique.
→ La citoyenneté civile pour les droits et libertés individuelles
→ La citoyenneté sociale avec l'acquisition de droits sociaux.

  • Quels sont les fondements intellectuels de l’État providence ?

→ Le solidarisme de Léon BOURGEOIS.
C'est un homme d’État de la troisième république (1870-1939). Il est membre du parti radical socialiste, il publie en 1896 plusieurs articles sous le nom de solidarité où il réfléchit sur cette notion.
Il part de la notion de dette sociale : chaque individu aurait une sorte de dette envers ses ancêtres pour l'ensemble des biens, des savoirs et des techniques qu'ils lui auraient légué. A qui s'acquitter de cette dette ? Dans le solidarisme, on doit s'acquitter de cette dette envers les générations futures.
Il considère que la société se base sur un échange de services qu'il nomme un « quasi-contrat d'association ». Il développe l'idée que l'objectif est de mutualiser l'ensemble des avantages de cet échange de service mais aussi les risques sociaux. Ce n'est pas une socialisation intégrales des profits et des pertes mais une socialisation partielle qui a pour objectif d'éviter la pauvreté et la détresse absolue.

Il propose donc une voie intermédiaire entre le libéralisme et le socialisme. L'Etat est au centre de ce dispositif mais avec un rôle qui est limité. Il doit garantir le projet social sans pour autant devenir une puissance tutélaire oppressante.
C'est le prélude de l’État social.

=>1898 : loi sur le système des mutualités, loi sur les coopératives.
=> 1914 : l'impôt sur le revenu (le plus important).

  • Les origines de l’État providence : deux périodes clés.
Ce n'est pas une avancée linéaire mais il y a deux grandes périodes.

→ La société industrielle et la métamorphose de la question sociale.
=> Il y a des tensions générées par la révolution industrielles et des mesures qui sont nécessaires pour atténuer les crises. La révolution industrielle va de paire avec l'urbanisation et le développement du mouvement ouvrier. Il y a des conflits qui émergent et les élites politiques prennent conscience qu'elles doivent intervenir pour contenir ces conflits, ils mettent en place de nouveaux dispositifs de gestion des inégalités sociales.
Les mesures qu'ils mettent en place sont des mesures qui vont avoir des effets sur le temps long, ce sont des lois pérennes : ce n'est pas une simple gestion de la crise. On n'achète pas la paix sociale de façon ponctuelle.
=> Les mécanismes de solidarité traditionnelle deviennent défaillant avec l'industrialisation et la sécularisation. Elle était exercée par l'Eglise et les différents corps de métier, ce que va bouleverser la révolution industrielle. Les individus restent alors seuls face aux risques, ce que l'Etat compense.
Ex : En Allemagne, avec le modèle bismarckien, qui est à l'origine de l'Etat social allemand, qui met en place un premier système d'assurance sociale pour protéger les individus de la maladie, de la vieillesse et des accidents du travail. Bismarck voit monter l'influence du socialisme parmi la classe ouvrière. Des mesures misent en place pour les ouvriers sont étendues à d'autres catégories de la population.

→ L'entre deux-guerres et l'après WWII.
=> L'idée d'une assurance sociale se répand dans les 30', des lois sont votées pour répandre le système d'assurance, dont une obligeant l'affiliation à un régime d'assurance maladie. Ce qui marque la rupture, c'est la création de la sécurité sociale en 1946.
Tous les hommes ont alors le droit à un minimum de sécurité, ce n'est plus uniquement parce qu'on est travailleur.
Poids du contexte historique : les PC sont parmi les premiers partis politiques dans les pays européens et ensuite il faut réparer les dommages de la guerre, la sécurité sociale apparaît comme une mesure de progrès social. Cette mesure rencontre un grand succès populaire. C'est aussi une période où il faut remobiliser le sentiment de solidarité national.
=> On passe d'une vision où la solidarité est exercée par l'assistance (philanthropie et paternalisme) à une vision où elle est assuré par l'assurance : on devient protégé non pas en tant qu'individu mais en tant que citoyen d'un Etat.
L'Etat doit faire un filet de sécurité pour qu'on n'est plus besoin de l'assistance. Mais la population assistée n'a jamais été éliminée et depuis la fin des 30 glorieuses, cette population qui échappe à la sécurité sociale s'est accrue et encore plus aujourd’hui.
Ex : le modèle anglais de welfare state avec le rapport BEVERIDGE en 1942. Publié à la demande du gouvernement britannique, 170K exemplaires vendus en 3h. Il propose un réaménagement des lois sociales avec deux notions centrales : un principe d'universalité des droits sociaux et la notion d'unification (c'est l'Etat qui doit gérer l'ensemble des prestations, doit se créer un service publique unique). Il s'est inspiré de la doctrine keynésienne : si on prend en charge la maladie et les retraites, il y aura une plus grande efficacité économique. Croissance, plein emploi et protection social : c'est un équilibre.
Influence de ce modèle sur le système française et sur la déclaration universelle des droits de l'homme signé à l'ONU en 1948.

II- Les différents modèles de l'Etat providence et l'Etat providence en France.

  • La typologie des Etats providence proposée par ESPING-ANDERSEN.
C'est un sociologue et politiste danois, il a proposé la typologie de référence pour penser les formes de l'Etat providence dans les 1990'.
Pour différencier les modèles, il ne faut pas uniquement s'intéresser aux types d'intervention de l'Etat mais il faut comprendre les liens entre la sphère privée, la sphère d'intervention publique et la sphère professionnelle.

→ notion de démarchandisation :
Lorsqu'une personne peut conserver ses moyens d'existence sans dépendre du marché. Principe du RMI. C'est un des objectifs des syndicats d'obtenir un salaire plus fixe, indépendamment du marché pour avoir une vie plus stable.

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