lundi 17 octobre 2011

Médiévale 17 - 10






L'espace de la chrétienté occidentale, XI° - XV° siècles




Dans les manuels, on dit souvent que l'Église est l'ensemble de la société. Expression venue des auteurs médiévaux et largement reprise par les historiens sauf depuis les années 2000. Cette idée est problématique car du coup, même en Occident, il reste plusieurs zones avec des grandes populations païennes. De plus, on trouve aussi des individus bien intégrés dans la société et qui sont musulmans ou juifs, … Cette expression caractérise l'Église comme une communauté, une assemblée de croyants, ce qui gomme complétement l'inscription dans l'espace de l'institution. Cela pousse donc à se demander si l'Église à toujours eut besoin de s'implanter dans l'espace pour exister comme institution. Cela n'a pas toujours été nécessaire mais c'est dans une progressive évolution que cela se fit. Ce n'est pas toujours en pouvoir temporel que l'Église s'est incluse dans le paysage mais aussi en pouvoir spirituel, une implantation du sacrée eut lieu.



  1. Une Église universelle ancrée dans des lieux


  1. L'extension de la chrétienté au début du XI° siècle


L'extension, c'est l'ère couverte par la religion chrétienne. Sur les cartes, on dirait que la chrétienté s'installe par vagues de manière uniforme. Or cela est une fausse représentation d'autant qu'en 1054, il y a un schisme entre l'Église d'Occident (dite Église latine, romaine, ou catholique) et l'Église d'Orient (dite l'Église byzantine, grecque ou orthodoxe). La raison officielle de ce schisme est triple, elle porte sur des points de désaccords qui dataient depuis longtemps mais accentués avec une rencontre désastreuse entre le pape et le patriarche. Premier point de désaccord, le mariage des prêtres est autorisé chez les orthodoxes alors qu'en Occident, on prône le contraire. Second désaccord, dans la liturgie grecque on dit que le Saint-Esprit procède du Père, dans la liturgie latine il procède du Père et du Fils. Enfin troisième point, en Orient on fait la communion avec du pain ordinaire alors qu'en Occident, on le fait avec du pain azyme.

Ces causes sont bien faibles, en réalité c'est une concurrence qui date depuis longtemps entre les deux chefs religieux. C'est une querelle institutionnelle puisque le Pape et le Patriarche furent placés sur un plan d'égalité. Auparavant il existait 5 patriarches (Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople et Rome) mais seuls deux demeurèrent dont celui de Rome choisit de se nommer le pape. De plus, le pape se considère comme le successeur de l'apôtre Pierre, celui qui créa l'Église en institution organisée. Le patriarche de Constantinople revendique pour sa part le fait que le chef de l'Église doit être celui qui siège dans l'ancienne capitale de l'Empire Romain (???).


Tout deux ont toujours lutté pour augmenter le nombre de chrétiens et posséder le plus de fidèles pour se démarquer de l'adversaire. Par exemple, l'Italie du Sud a toujours été sous domination byzantine puis fin IX° siècle, la Sicile devint un Émirat musulman. De plus, le territoire de la botte est scindé entre plusieurs principautés en lutte contre le pouvoir byzantin. Émirat de Sicile, principautés et empire byzantin sont donc en lutte, profitant de ce bazar, la famille de Hauteville, dirigée par les Guiscards (les Normands) s'empare de toute l'Italie du Sud. Or ils sont de rites chrétiens latins, suivent le pape et étouffent donc les mosquées et les églises byzantines, pour mettre en valeur les églises chrétiennes. Ainsi au ° siècle, on considère que le Sud de l'Italie est de rite latin.


La seconde zone de contact et de concurrence est l'Europe de l'Est, constituée de rites païens. Des évangélisateurs byzantins d'une part et latins (de Germanie ou de Rome proches du pape) d'autres part. Le triomphe du christianisme en Europe de l'Est connaît toujours trois phases :

  • La prise de contact avec les peuples locaux passe d'abord par des caravanes de marchands. Cela évite que les missionnaires ne se fassent massacrer. Ils profitent donc des échanges commerciaux pour faire les premières rencontres.

  • La tentative suivante est de convertir les princes ou les hommes influents de la région. Ce n'est que par le haut que la conversion fonctionne.

  • L'envoie final d'ecclésiastiques pour constituer une première forme de hiérarchie de l'Église avec la venue d'ecclésiastiques venus de régions plus anciennement christiannisé et pouvant ainsi bénéficier de sièges épiscopaux.

Ces opérations de conversion se déroulent sur une très longue durée et il y a toujours le côtoiement de l'ancienne culture locale qui force les ecclésiastiques à devoir adapter le discours et les formes de l'Église. Ainsi souvent, pour éviter la concurrence entre les anciens dieux païens et le dieu unique, on nommait les anciens dieux comme des saints, des hommes classiques qui se sont illustrés par leur dévotion et devinrent des saints. Pour les rituels qu'on ne peut adapter à l'Église, il y a un effet de tolérance tout en essayant de faire lentement reculer ces pratiques.


Les souverains qui choisirent de se convertir au christianisme le font par intérêt politique et non dévotion personnelle. Trois raisons dominent dans ces choix :

  • La puissance et le prestige, condition indispensable pour que les autres souverains chrétiens le reconnaissent comme un vrai souverain. On peut alors traiter avec eux et entretenir de vraies relations diplomatiques. On peut donc se marier aux familles royales chrétiennes, passer des accords militaires, effectuer des échanges commerciaux. Auparavant, les discussions entre les deux bords ne se faisaient officiellement que pour convertir le roi païen.

  • La victoire militaire est aussi une raison, les princes ont longtemps crut que le dieu unique était plus puissant dans les victoires militaires que les anciens dieux païens, c'est le cas de la Hongrie.

  • Le fait de donner une identité commune entre des clans, des tribus auparavant en guerre. On pouvait donc à la fois rassembler les populations d'une même religion et se différencier des tribus voisines qui restaient païennes. Les souverains habiles pouvaient en profiter pour fonder un nouveau royaume.


Certains royaumes se décidèrent très rapidement comme l'Empire bulgare qui a choisi la religion orientale ce qui facilite les échanges avec l'Empire byzantin, leur voisin le plus proche qui les dominait largement.

Les souverains russes ont le titre de princes et dirigent la principauté de Kiev, ils se convertissent dans la seconde moitié du X° siècle pour des accords commerciaux plus que la soumission à l'ère d'influence byzantine.

En Croatie, il fallait préserver l'indépendance de la contrée par rapport au reste des églises de la région, ils ont donc choisi l'Église latine dés 925.


D'autres régions furent un véritable enjeu. La Moravie connue d'abord des évangélisateurs byzantins au IX° siècle. Ensuite, les évangélisateurs latins arrivent et les éjectent. Les hongrois, encore païens, au X° siècle vont conquérir la Moravie et lui redonner son paganisme originel. Progressivement, au X° siècle, la famille des Premyslides, aristocratie locale crée sa petite principauté indépendante qu'ils nomment Bohème, et choisissent le christianisme latin en faisant appel aux ecclésiastiques de Rome pour évangéliser la région. Ce sera l'évêque de Ratisbonne qui contrôlera l'Église de la jeune principauté de Bohème. Finalement, deux évêchés sont créés, sous la dépendance d'un archevêque local. Cette principauté va reprendre par ses conquêtes la Moravie et la soumettre de nouveau au christianisme.

La Pologne et la Hongrie connurent un processus similaires assez long qui se termina au XV° siècle. La Pologne fut convertie par les ecclésiastiques de Bohème (le roi de Pologne Mieszko, voulait épouser la fille du roi de Bohème et se converti en 965 avant de prendre un nom chrétien : Dagobert). Les souverains polonais redoutant d'être absorbés par l'Église germanique et a fortiori par la Germanie, à sa mort, Dagobert fit don de son royaume à Saint Pierre, donc à l'Église. Mais on en était qu'à la christianisation du souverain et de sa famille, la conversion des populations fut beaucoup plus longue. Saint Adalbert de Prague fut d'ailleurs tué par des païens en 997 alors qu'il prêchait la bonne parole.

Longtemps, les hongrois païens furent la terreur de la Germanie puisqu'ils effectuaient des raids et des pillages. L'intérêt à la religion débuta à la fin du IX° siècle, mais la conversion ne prit place qu'à la fin du X° siècle avec le Duc Gezo. Ce choix fut poussé par le fait que depuis le milieu du X° siècle, les défaites hongroises se succèdent poussant les aristocrates à supposer que le dieu chrétien est plus avantageux. Le fils du Duc Gezo, Vajk qui se baptiser Étienne, va convertir son peuple avec un grand succès. A sa mort un rapide retour païen eut lieu mais disparut ensuite définitivement.


D'autres régions furent converties à la même époque mais sans concurrence entre les deux Églises. La Scandinavie vit arriver des missionnaires latins dés le IX° siècle, mais ils ne rencontrèrent aucun succès. Les hommes du Nord (ou Vikings) qui acceptèrent de se convertir ce fut pour s'installer hors de Scandinavie, comme Rollon qui reçu la principauté de Normandie du roi de France après sa conversion. Il épouse une fille de l'aristocratie locale, ses guerriers le suivent et se convertissent à leur tour en se mêlant rapidement à la population normande. En Scandinavie même, la conversion prit plus tardivement, lorsque les chefs locaux réalisèrent qu'ils pouvaient ainsi unifier des clans sinon en continuelle guerre. Cette union hiérarchisée, à l'opposée des clans dispersés, disséminés, fut mise en avant par les missionnaires. De plus, cela permettait d'instaurer sur des périodes courtes des moments de paix où on faisait taire les conflits. Cela fut très apprécié de la population.

Au Danemark, les premiers rois convertis en 965, furent Harald à la dent bleue et son fils Sven. Les missionnaires germaniques tentent alors d'inclure la population dans la sphère de l'Église germanique mais Sven qui va venger les scandinaves d'Angleterre va déstabiliser la région. Du coup, les évangélisateurs anglais viennent au Danemark et tentent de repousser les missionnaires germaniques. La lutte d'influence dure et au final, les danois créent une église chrétienne indépendante.

En Norvège, le souverain Haakon se convertit en Angleterre pour des accords commerciaux. Lorsqu'il voulut que les élites le suive pour les accords commerciaux, il n'y réussit pas. Avec Olaf Tryggverson (995 – 1000) les premiers succès de la conversion se firent sentirent dans les élites, mais c'est avec Olaf II (1014 – 1030) très aimé de son peuple que la Norvège se convertit. La Suède c'est encore plus tardif avec le premier souverain converti en 1008, Olaf Sköttkonung converti par les anglais. Mais on doute de la réalité de cette information, relaté dans des chroniques alors que le premier évêque fut nommé en 1120.


L'Occident n'a donc pas toujours été un vaste espace chrétien et jusqu'au XIII° siècle, de nombreuses pratiques païennes étaient encore présentes. La christianisation fut progressive et consistait en une communauté chrétienne autour du souverain, puis de la création de quelques sièges épiscopaux et archiépiscopaux mais cela ne faisait pas une conversion uniforme du peuple et du territoire, ce que considéraient pourtant les Églises .


  1. La création des pôles de sacralité


L'inecclesiamento inventé par Lauwers et Logna-Prat, fondé sur l'incastellamento mais appliqué à l'Église, consiste en l'ancrage du culte chrétien dans un certain nombre de lieux précis, en particulier dans les églises ou dans des pôles de sacralité constitués d'une église et d'un cimetière.

Cela n'a rien d'évident et fut étudiée récemment par Dominique ??? dans son ouvrage La maison Dieu. Dans l'antiquité, au Bas-Empire, l'Église était uniquement conçue comme un ensemble de chrétiens réunis en communauté pour pratiquer la même religion, une assemblée de croyants. Les ecclésiastiques s'appuyant sur l'évangile de Mathieu « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis ??? ». La présence de chrétiens réunis permettait alors de parler d'une église. A une époque où ils étaient persécutés par l'Empire, ce dogme s'avérait utile et fédérateur puisque les religions romaines demandaient toujours un petit temple. La messe n'avait pas besoin de se faire dans les basiliques de l'empereur converti mais aussi chez soi. Au IX° siècle, cela se transforme.


Vers 800, eglesia (???) apparaît pour qualifier un lieu de pratique religieuse. Charlemagne y est pour quelque chose, il voulait organiser son empire et participer au financement de la construction d'églises permettait de mieux contrôler ces populations. Après que cela fut construit, il fallait sacraliser le lieu pour convaincre les masses, et ce fut fait par la déposition des reliques de saints en cet emplacement qu'est l'église. Cela passe aussi par un rituel de consécration (ordo at benedicandam ecclesiam) vers 840, plus ancien ???). dans ce rituel on a 4 étapes :

  • L'évêque doit convoquer le peuple, se rassembler tous dehors, on met les reliques dans une tente. Tous ensemble, ils font le tour de l'église en l'aspergeant d'eau bénite avant que l'évêque ne frappe trois (père fil saint esprit) fois à la porte.

  • L'évêque et els autres ecclésiastiques présents rentrent alors dans l'Église. L'évêque trace au sol les lettres des alphabets latins et grecs pour rappeler les deux langues autorisées dans la religion. L'évêque bénit l'autel et fait un tour intérieur de l'église, en la bénissant et en l'aspergeant à trois hauteurs différentes pour montrer aussi que le sol n'est pas le seul à être béni.

  • L'évêque retourne alors dehors pour aller chercher le peuple et les reliques. Ensemble ils portent les reliques autour de l'édifice.

  • L'évêque retourne dans l'église avec le peuple, ce dernier restant dans la nef tandis que les ecclésiastiques déposent les reliques dans l'autel ou sous l'autel, le tout caché par un rideaux. Ainsi on définit la place de chacun à l'église, ceux qui savent et ceux qui sont encore de simples laïcs.

    Enfin on dédicace la nouvelle église en donnant un nom généralement celui du saint dont on a scellé les reliques.


Ainsi, on définit un espace sacré tout en expliquant bien que le bâtiment n'a pas de pouvoir en lui-même mais que cela vient des reliques qui font rayonner la sacralité sur l'espace. De plus, on veut aussi souligner la place de chacun : des ecclésiastiques qui peuvent comprendre les mystères de la religion et pas le simple fidèles.

Dans les ouvrages liturgiques suivants, on ajoute de nouveaux rituels : la pose de la première pierre de l'église et la consécration du cimetière. Le premier instauré en 960 dans le Pontifical romano-germanique qui ajoute ce rôle de la première pierre qui servirait à mettre en relation l'Église et les aristocrates locaux dans la construction du bâtiment mais pas dans la consécration de celle-ci car ils sont toujours des laïcs. C'est seulement au XI° siècle que ce rituel s'implantera véritablement.

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