dimanche 23 octobre 2011

Antique 18 - 10

Précédemment : Antique 11 - 10




Les mythes de la fondation civique




Les Grecs s'intéressent peu à la naissance du premier homme. Les hommes sont là, un point c'est tout. Le mythe d'Érasme souligne que les hommes furent créés par les dieux deux races par Cronos puis trois races par Zeus, mais on en reste là. Ce qui intéresse les Grecs n'est pas tant l'apparition du premier homme que leur séparation des dieux. Ils en sont arrivés à devoir travailler pour vivre. Les théogonies se concentrent alors, entre autres, autour du mythe de Prométhée, le titan protecteur des hommes qui va nous être fatal en nous séparant des dieux. Prométhée tente de duper Zeus à deux reprises.

D'abord à Mekoné lors du partage d'un bœuf entre dieux et hommes, il va alors avantager les hommes en leur offrant les meilleures morceaux cachés sous la peau de l'animal. Il propose une part appétissante aux dieux, mais qui ne sont en fait que des os recouverts par une couche de graisse. Prométhée propose à Zeus de choisir, celui-ci voit le piège mais choisit pourtant les os. En colère de la duperie, Zeus reprend le feu aux hommes.

En conséquence, Prométhée va voler le feu qui brûle sur l'Olympe et le donne aux hommes. Furieux, Zeus crée alors Pandora, la première femme issue de la terre et de l'eau. Elle est parée par Athéna et Aphrodite et Zeus met en Pandora un « esprit de chienne ». C'est un fléau, un beau mal, qui apparaît pour épuiser les hommes sexuellement par son insatiabilité et économiquement car elle mange énormément et engloutie le travail de l'homme.

Les hommes doivent dorénavant manger et travailler pour acquérir leur nourriture. De plus, ils doivent se reproduire pour se perpétuer puisqu'ils sont dorénavant mortels. Ainsi la première femme engendre la mortalité des hommes. C'est ainsi qu'ils se sont séparés des dieux.


Pourtant ce qui communique leur imaginaire, c'est la manière dont la première communauté a pu apparaître. Bref comment a été crée le premier citoyen. C'est logique pour les Grecs puisqu'un homme est destiné à vivre en communauté. Aristote écrit dans sa Politique « La cité [polis] est une réalité naturelle et l'homme est par nature un être destiné à vivre en cité ». Pour vivre en dehors de la cité, il faut être soit un animal, soit un dieu. Dés lors c'est la manière dont la communauté politique fut créée qui intéresse les hommes. On s'intéresse ainsi à la politique dans le sens de tout ce qui intéresse ???


Les récits de fondation sont aussi nombreux qu'il y a de cités, mais faute de matière, il ne reste que les récits de certaines d'entre elles. Comment les communautés justifiaient leur existence à eux et aux autres ? Comment justifier la domination sur d'autres cités ? Ces récits très divers partagent une constitution commune en deux temps : la manière dont le territoire fut placé sous la protection d'un dieu à la suite d'une compétition entre divinités (rehaussant le prestige de la cité avec cette lutte de dieux pour le territoire) puis le temps de la création de la stratégie politique.



  1. Choisir un territoire : les querelles entre dieux


Athéna à Athènes, Zeus à Egine, Dionysos à Naxos, Hélios à Corinthe, … Il y a toujours un combat entre des dieux, dans ces cas là et celui qui est débouté est toujours le même : Poséidon, le dieu de la mer n'a pas besoin d'un territoire terrestre. C'est seulement à Trézène qu'il parviendra à s'imposer. Ainsi régulièrement frustré, Poséidon n'est pourtant jamais totalement vaincu. Certes il est rarement divinité poliade, mais les cités tâchent toujours de se l'accommoder. Il faut apaiser ce dieu pour que la cité puisse poursuivre son existence avec un dieu apaisé.


  1. L'Attique entre les dieux


Avant même que la cité d'Athènes ne soit fondée, les dieux Athéna et Poséidon se disputent le territoire. Il existe 5 à 6 versions connues de ce mythe mais certains points sont invariants. Ainsi le territoire de la future Attique est toujours un enjeu de lutte entre Athéna et Poséidon. De plus, il y a toujours un arbitrage qui est fait entre les deux dieux en fonction des dons que les dieux offrent à la future communauté politique : pour Athéna c'est l'olivier, pour Zeus, c'est une mare d'eau salée. Troisième élément omniprésent, la victoire d'Athéna.

Les différences étant multiples, on a par exemple l'arbitrage : soit des 12 dieux de l'Olympe, soit de Kékrops, premier roi d'Athènes mi-homme mi-serpent.


Ce récit est d'une importance cruciale pour les athéniens portant le nom de la divinité victorieuse et définissant le nom de leur politique à partir de la déesse victorieuse. (Le partage des hommes et des dieux est plus important que celui du sexe entre les dieux, Athéna prend toujours le parti des hommes). Représenté par des images, ce mythe fut gravé sur le fronton Ouest du Parthénon, visible de tous, où l'on voit Athéna et Poséidon se disputer devant l'olivier avec Kékrops dans un coin. Mais le récit s'enracinait aussi dans un lieu de mémoire, l'Erecthéion, qui fut construit sur un ancien temple et dans lequel on a les traces de la querelle. C'est le cœur religieux de la cité dans lequel on trouve l'olivier et la mare d'eau salée. L'olivier est véritablement important, c'est le cœur de la cité, c'est lui qui fera un rejet après l'incendie de l'acropole par les perses.


Le mythe ne s'arrête pourtant pas à la victoire d'Athéna, il faut maintenant apaiser Poséidon, le perdant furieux du choix de Kékrops. Il va alors déchaîner les flots contre le territoire de l'Attique en inondant la plaine littorale de Thria au Nord d'Athènes. Pour l'apaiser, les athéniens vont lui instaurer un culte. L'Erecthéion, lieu de révérence d'Athéna polias est aussi celui du sanctuaire de Poséidon. De cette manière, il est plus qu'apaisé, il devient un allié des athéniens. La ville met ainsi en valeur que les divinités ne s'opposent pas mais se complètent et travaillent de concert.


  1. Compréhension du mythe


Pour mieux comprendre cette seconde idée, prenons un regard contextualiste. Au V° siècle, quand ces bâtiments sont reconstruits, ces deux dieux représentent deux facettes complémentaires de la cité athénienne et de son identité politique. On a l'enracinement terrien dans le territoire de l'Attique vaste et prospère avec l'olivier d'Athéna et en même temps la volonté de dominer les mers avec la mare d'eau salée de Poséidon.


Ce n'est qu'après cette querelle que la communauté politique peut être installée. Les récits de la fondation de la communauté politique partagent également des traits communs. Tout ces récits mettent en scène plusieurs étapes pour passer de la sauvagerie à la civilisation puis de la civilisation à la communauté politique, c'est donc un processus graduel. Les récits qui le font passent soit par l'autochtonie, les hommes sont du sol même du territoire choisi par les dieux, soit par la venue par l'étranger, on vient de l'autre, de l'altérité et de ce qu'elle apporte.



  1. Fonder une cité : entre autochtonie et altérité


  1. La naissance d'Athènes : Kékrops, héros civilisateur


Le premier athénien est donc le premier roi athénien, Kékrops qui a arbitré le conflit entre Athéna et Poséidon. Généralement, les versions athéniennes déclarent que Kékrops est issu du sol même de l'Attique, d'autres récits venus d'autres cités soulignent que Kékrops était un étranger venu d'Égypte. La majorité des versions soulignant malgré cela l'autochtonie de Kékrops, né du sol, étymologiquement. Moitié homme, moitié serpent, cet homme chtonien est un hybride connaissant ainsi la part de bête et la part de l'homme. Il est un être de transition entre le territoire sauvage et le territoire civilisé, mais pas encore à la cité. Kékrops assure le passage de la sauvagerie à la civilisation, dans son corps même à mi-chemin entre la bête et l'homme.

Kékrops commence par une nomination du territoire. C'est effectivement lui qui va nommer ce territoire qui se nommait auparavant Aktè (montagne, coté escarpée) avec une simple signification géographique. Il l'appelle la Kékropis lui donnant ainsi son nom, renvoyant à l'idée du passage de la sauvagerie géographique à un sens plus humain.

Il va ensuite organiser un rassemblement des hommes sur le territoire pour notamment lutter contre les invasions. Kékrops réunit donc ces hommes dans douze communautés (appelée dodécapoles) pour lutter contre les invasions des Béotiens et des Caryens. Ces communautés sont réparties sur toute la Kékropis.


Pourtant nous n'avons toujours pas de passage de la civilisation à la communauté politique.


  1. Kadmos et la fondation de Thèbes


Dans cette ville le récit est plus condensé qu'à Athènes. Kadmos sera celui qui civilise et qui crée la communauté politique. Cette ville grande adversaire d'Athènes connaît quand même plusieurs récits dont le plus ancien ne sera pas popularisé même s'il vient d'Homère. Ce serait les fils de Zeus et d'Antiope, Zethos et Amphion qui auraient dressé les murailles de Thèbes.


La version popularisée à l'époque classique revient à l'historien Hellanicos, originaire de Mytilène venu de Lesbos. Il indique que le fondateur Kadmos est un étranger venu de Sicon (actuellement au Liban), il incarne donc l'altérité. Il serait rendu à Delphes pour consulter l'oracle suite à l'enlèvement de sa sœur Europe. L'oracle lui conseille de ne pas s'occuper de sa sœur, mais de plutôt fonder une cité là où une vache tomberait épuisée. Kadmos quitte donc Delphes et rencontre le troupeau d'un homme dont une vache à des cornes en croissant de lune. Il la suit et elle se couche en Boétie.

Il décide donc avec ses compagnons d'y fonder une cité et de sacrifier à Athéna l'animal. Ils vont donc chercher de l'eau à une source gardée par le dragon d'Arès, pour asperger l'animal et savoir s'il accepte son sacrifice. Si ces compagnons sont massacrés, Kadmos parvient à le vaincre et Athéna lui conseille de planter les dents du dragons dans le sol, ce qu'il fait. De là, sortent les premiers thébains entièrement armés, on les nomme les spartoi (les semés). Seulement issus du dragon d'Arès, ils ne savent que se battre et se sentant agressés par les autres, ils s'entretuent et seuls cinq d'entre eux survivent. Ils s'apprêtent à tuer Kadmos mais Zeus intervient et le sauve. De plus, Zeus lui offre une femme, Harmonie, fille d'Arès et d'Aphrodite.

Au mariage du couple, les dieux viennent et offrent de nombreux cadeaux au couple : un collier à Harmonie par Héphaïstos, du grain par Déméter, … Pas ingrat, Kadmos va instaurer les cultes de chacune de ces divinités présentes à son mariage. Ce mariage va instaurer la civilisation puisque Kadmos fait œuvre de civilisateur par le grain de Déméter et aussi par l'écrit puisque Kadmos est phénicien et que l'alphabet grec est un dérivé de l'alphabet phénicien, ce que les Grecs avaient conscience à leur époque (Phoinikeia grammata : les lettres phéniciennes). Kadmos et Harmonie vont ensemble fonder la communauté mais ils devront s'exiler tout les deux, ne pouvant participer à la vie de cette communauté qu'ils ont pourtant fondée. Ils font vont alors semer la terreur sur le chemin et finissent ainsi leur vie dans le Nord de la Grèce où ils sont changés en serpents, avant de s'en prendre à l'oracle d'Apollon et d'être tués par celui-ci.


On peut déjà constater que les thébains mélangent les spartoi, Kadmos et Harmonie, donc respectivement l'autochtonie, l'altérité et la divinité.

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