lundi 17 octobre 2011

Ancienne 11 - 10

Précédemment : Ancienne 04 - 10

Selon Hésiode, plusieurs races d'hommes se sont succédées et disparues l'une après l'autre. Elles auraient été au nombre de cinq, deux créées par Cronos : race d'or et d'argent, en compagnonnage des dieux. Trois autres races créées par Zeus : race de bronze, race des héros et race de fer.


La race d'or, où les hommes sont proches des dieux, où les hommes sont des rois justes s'inspirant des dieux de l'Olympe, et où il n'y a pas de différence entre hommes et dieux. Avec la race d'argent qui la remplace, les hommes sont des rois qui prennent exemple sur les titans comme Cronos et ils vivent dans l'hubris. Ces rois sont impies et se comportant mal, ils sont à leur tour remplacés par la race de bronze. Cette race constitue un peuple de guerriers vivant comme leurs prédécesseurs dans la démesure en s'inspirant des géants. Cette fois-ci, c'est la race des héros, une race de guerriers justes qui disparaît à son tour pour devenir la race de fer, celles des paysans, celle dans laquelle nous vivons actuellement. Nous sommes de simples mortels devant travailler pour vivre. La race de fer, la race des agriculteurs est un mélange de justice et de démesure, ils vivent à mi-chemin entre la dikè et l'hubris. Hésiode redoute que l'hubris ne l'emporte et que les dieux changent de nouveaux la race. Le but des poèmes d'Hésiode est alors de susciter une réaction salutaire chez ses contemporains.

Le mythe met en scène diverses tensions entre justice et démesure. Il y a aussi une insistance sur le fait qu'on trouve aussi les trois fonctions des cultures indo-européennes : rois, guerriers et paysans.


Par une approche contextuelle, on découvre qu'Hésiode veut créer un sursaut salutaire pour que ses contemporains choisissent la dikè à l'hubris. Au début du poème, Hésiode invoque les muses, dans Les travaux et les jours, ce sont celles de Piérie qui parlent à travers Hésiode. Il s'adresse alors à quelqu'un qui se prénomme Persès, on apprend ensuite qu'il s'agit du frère d'Hésiode. Le poème est adressé à son frère qui a spolié Hésiode, qui est atteint d'hubris. Les deux frères ont du se partager le lopin de terre hérité de leur père, mais Persès se serait accaparé le tout et a réussi à faire légitimer son accaparement par les rois de Thespies en Boétie. Leur choix s'est porté en faveur de Persès car ils ont été corrompus. On comprend alors tout l'enjeu de la justice et de la démesure chez Hésiode. Il veut à la fois provoquer une réaction salutaire chez son frère, mais aussi chez ces rois « aux sentences boiteuses » qui devraient s'inspirer de Zeus.

Le mythe des races à un but politique; il doit fonder un monde de justice alors que la race de fer menace à ses yeux de tomber dans l'hubris.



  1. Homère : la royauté en débat


Chez Homère, le tout est plus confus, il n'y a pas de caractère didactique comme chez Hésiode. Les épopées homériques mettent en valeur des modèles de souverainetés, des royautés qui désormais sont contestées dans le cadre de la naissance des cités alors que la fonction royale commence à refluer. Les rois dans les cités ont disparu et les cités connaissent un essor. La royauté est donc en débat à l'époque d'Homère, à une époque en transition.


  1. Le monde d'Homère : une question débattue


Apparemment, les épopées homériques auraient, selon toute vraisemblance, été mises à l'écrit au VI° siècle avant JC. Il certain cependant que cet écrit est celui d'une histoire orale qui se serait construite au VIII° siècle avant JC, en même temps que l'apparition des cités. Cette histoire de plusieurs milliers de vers se serait transmise. En effet, Homère n'a certainement jamais existé et ces récits seraient le fruit de multiples aèdes. On ne peut assigner un seul auteur à cette composition, c'est une œuvre collective qui s'est enrichie au fur et à mesure. Pourtant c'est trois siècles après, au V° siècle, que les grecs forgèrent le mythe de création de ces récits au travers d'un seul personnage, Homère, un aède aveugle.

En passant à l'écrit, on a figé ces histoires et ce, sur la demande de Pisistrate (561 - 527) semble-t-il. Il l'aurait fait pour les faire réciter chaque année aux Panathénées.


L'Iliade aurait été composée avant l'Odyssée puisque dans la seconde, on trouve des références à l'Iliade et non pas l'inverse. Le monde d'Homère (du titre de l'ouvrage de Finley) peut prend quatre interprétations, il reflèterait :

  • Les royautés mycéniennes (XVI° - XI° siècle avant JC). Ce monde bien antérieur à l'Iliade où régnait le roi Mycène. Les poèmes refléterait ce monde palatial disparu.

  • La société du Haut-archaïsme (VIII° siècle avant JC). Ce monde durant lequel vivaient les aèdes.

  • Les âges obscures (XI° - IX° siècle avant JC).

  • Un amalgame de ces trois époques.


  1. Les traits fondamentaux de la royauté homérique


Dans l'Iliade et l'Odyssée, on trouve de nombreux rois. Ce qui les caractérise, ce sont leurs nombreux privilèges attachés à leur statut royal (geras). Ces privilèges sont notamment d'ordre religieux (part au banquet) et matériels (part de butin).

Les rois ont aussi des pouvoirs qui sont de plusieurs types : religieux (ils président tout les sacrifices, décident des offrandes faîtes aux dieux), militaires (ils décident de la paix et de la guerre, commandent l'armée) et un droit de justice (ils jugent certains faits : le bouclier d'Achille).


Mais le roi décide-t-il tout seul ? Certainement pas. Le roi doit composer en partie seulement avec un conseil et une Assemblée. Seulement, cette Assemblée n'est réunie que sur demande expresse du roi, celui-ci expose ses décisions et les sujets (laoï) manifestent ou non leur accord de vive voix, mais il n'y jamais de vote et c'est le roi qui tranche en dernier recours. Le conseil de son coté est restreint et se compose non plus d'hommes du peuple, mais d'aristocrates qui conseillent le roi. Là encore, en dernier ressort, c'est au roi de trancher. Le roi n'est pas un autocrate mais malgré tout il détient l'avis ultime. C'est une forme de royauté aristocratique, le roi dirige et peut consulter l'avis de ses sujets sans que cela ne le contraignent à suivre leur avis.


  1. L'idéologie royale dans l'Iliade et l'Odyssée


A. L'Iliade : une royauté imparfaite, mais acceptée


On a donc une royauté imparfaite avec Agamemnon comme roi. Il n'est pas le plus brave (qui est Achille), pas le plus sage (qui sont Ulysse et Nestor) ni le plus charismatique. Le roi commande mais ne possède pas toutes les vertus. Idem à Troie, où Hector est très brave, mais pas vraiment intelligent. En Orient c'est l'opposé, dans les récits les rois sont parfaits à leur place et sinon ils sont renversés. Malgré leurs défauts, l'obéissance de leur peuple est totale, le prouve le début de l'Iliade (qui n'est jamais que la colère d'Achille) où Agamemnon frustre Achille le poussant à bout. Achille conteste l'autorité mais eu final rentre dans le rang et part s'isoler dans tente après avoir insulter Agamemnon. De même, Thersite, représente l'homme du peuple qui conteste l'autorité du roi mais il est battu par Achille et se soumet. Le roi est imparfait, mais investi par les dieux et donc il n'y a pas de contestation généralisée.


B. L'Odyssée : entre royauté idéale et souveraineté déréglée


Ce qui ressort de cet ouvrage, c'est qu'à l'opposé de l'Iliade, on a toujours soit une souveraineté idéale, soit une souveraineté déréglée. Ainsi, la royauté juste est incarnée en Phéacie par un ordre idéal sous le règne d'Alkinoos (signifiant par la force de l'esprit). Il prend conseil auprès de ces concitoyens dans chacun de ses choix.

A l'opposée, la royauté déréglée, c'est Ithaque, la contrée dont Ulysse est roi mais d'où il est absent depuis 20 ans. Il y a donc une situation d'anomie (absence de lois) dans laquelle les prétendants veulent épouser Pénéloppe pour prendre la tête de la royauté. Ces prétendants consomment ce qu'Ulysse avait accumulé pour sa contrée et se disputent pour épouser Pénéloppe. Cela sera réglé avec la tuerie des prétendants, une reprise de pouvoir violente où toute l'aristocratie de l'île est massacrée. On a donc un roi de justice, qui fait une royauté juste mais après avoir fait disparaître l'aristocratie d'Ithaque. Il a fait un usage excessif de la force comme le faisait les tyrans de l'époque archaïque. On a une sorte de préfiguration de ce que feront les tyrans, puisque Ulysse cède à un certain hubris. Cela reflète alors probablement l'État de la royauté au haut-archaïsme. Selon toute vraisemblance, Pierre Cartier a montré que même si la royauté était encore le système le plus répandu, elle était contestée.



On a donc avec Hésiode et Homère, on a deux récits très importants qui ont imprégné les grecs dans la longue durée. Ces œuvres témoignent d'un monde politique dans lequel la royauté est le régime politique par excellence même si elle n'a plus un caractère absolue. Il est paradoxale que de tels récits eurent un tel succès où précisément on s'est débarrassé des rois. Cela peut s'expliquer par deux raisons. Dans la vie domestique, le père est une sorte de roi régnant sur sa femme et ses enfants, dans leur oikos. Dans la cité, il y a eut des expériences de tyrannie qui ont redonné un lustre ambigu au forme de royauté. D'ailleurs passé l'époque des cités, les royautés reviendront. Enfin, même dans le cadre démocratique, ces mythes de souverainetés mettaient en scène un mythe de pouvoir qui pouvait servir aussi d'anti-modèle sur lequel fonder un nouveau régime.

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