lundi 10 octobre 2011

Médiévale 10 - 10

Précédemment : Médiévale 03 - 10
















  1. Tout le savoir du monde : les mappemondes


  1. Les principaux types de mappemondes


Les médiévaux emploient dans leurs textes indifféremment les termes de cartes, mappemondes ou portulans. Aujourd'hui carte est utilisée pour un système de projection, mappemonde pour les représentations graphiques ne se préoccupant pas du mode de ressemblances entre la réalité choisie et la représentation matérielle.


La mappemonde zonale ou macrobienne (de Macrobe) constituée d'une zone centrale chaude entourée de deux zones tempérées et aux extrémités deux zones polaires. Très représentées, ces mappemondes sont au nombre de 150 retrouvées aujourd'hui et les contemporains s'en sont très inspirés pour justifier de nombreux domaines (caractéristiques des populations par exemple).

La mappemonde tripartite ou T dans l'O, représente toujours en haut l'Est, pour la première fois on oriente une mappemonde. On se représente alors l'Asie comme le plus grand des continents, avec une Europe et une Afrique équitables du fait de sa non-exploration. En général, les continents sont séparés par des fleuves : entre l'Asie et l'Europe, c'est le Don (Tanaïs dans l'Antiquité, il part de Moscou et débouche dans la mer Noire), entre l'Asie et l'Afrique, c'est le Nil. Ces mappemondes sont surtout présentes en marge du texte dans les Étymologies d'Isidore de Séville. On en connaît environ 660 aujourd'hui.

La mappemonde quatripartite y ajoute un nouveau continent se situant à l'extrême Sud du monde, les antipodes. On le retrouve pour la première dans le Commentaire de l'Apocalypse de Jean rédigé par Béatus de Liebana, un moine espagnol. Elles sont plus rares que les mappemondes vues précédemment.

Les mappemondes de type complexe, datent au plus tôt du XIII° siècle. Ces mappemondes s'inspirent librement des mappemondes de type T dans l'O mais sont plus développées et donnent une place plus importante à l'Afrique. La mappemonde d'Ebstorf en fait partie. Celle-ci fut retrouvée en 1830 dans le monastère d'Ebstorf et elle est presque toujours attribuée à Gervais de Tillbury (1154 – 1235). C'est une ecclésiastique anglais éduqué à la cour d'Henri de Plantagenêt, roi d'Angleterre. Il se rendit ensuite à Reims, lieu de culture important rempli d'intellectuels, où il resta 4 ans. Il partit après en Italie faire des études de droit à Bologne. Finalement, il revient à la cour d'Henri II et est introduit dans un petit cercle privé du dauphin, un groupe de lettrés spécialisés dans les sciences naturelles. Mais Le fils d'Henri II meurt précocement et Gervais est désavoué. Il est alors embauché successivement par Guillaume II Le Bon, dernier des rois normands de Sicile, puis à la mort de celui-ci, il se trouve un nouveau protecteur Otton de Brunswick qui devient empereur en 1209 et le nomme maréchal de la cour impériale à Arles, donc le représentant de l'empereur dans le royaume d'Arles (actuelle Provence). C'est durant ce voyage que Gervais de Tillbury écrivit les Otia Imperialia (les divertissements impériaux) où il décrit une représentation très précise de la carte d'Ebstorf. Si on pense que c'est lui l'auteur de la mappemonde et non Hugues de Saint Victor, c'est car suite à l'échec d'Otton de Brunswick à la bataille de Bouvines en 1214, celui-ci perd son statut d'empereur. Gervais le suit même dans sa destitution et est nommé prévôt d'un couvent de femmes d'Ebstorf. Or c'est là qu'on a retrouvé la mappemonde, donc il semblait probable qu'il est profité de sa nomination pour réaliser cet ouvrage et cette mappemonde.

En 2001, retournement de la situation, un chercheur Allemand Jürgen Wilke, conteste les liens entre cette mappemonde et Gervais de Tillbury. La mappemonde d'Ebstorf aurait été fabriquée dans les années 1300 bien après la mort de Gervais de Tillbury. Il l'affirme en comparant les écritures de la mappemonde dont il retrouve des manuscrits avec la même écriture seulement aux années 1280 et 1330. Il suppose que la mappemonde aurait pu être réalisée par le prévôt Albert (1293 – 1307) alors que le monastère d'Ebstorf crée une école, la mappemonde étant un outil pédagogique. Cela est probable, mais l'influence de Gervais de Tillbury sur la formation de cette mappemonde est peut être réelle, bien que Wilke le rejette catégoriquement en affirmant que la mappemonde dont parle Tillbury n'est que l'ouvrage descriptif qu'il avait rédigé. Il avait peut être commencé des morceaux graphiques. Cette mappemonde est le fruit d'une couture de trente peaux de chèvres, cousues ensemble puis peintes. 3,58 mètres sur 3,56 soit 12,74 m² soit un manuscrit de 180 feuillets pour l'époque. Il y aurait plus de 2345 petits dessins ou légendes sur la mappemonde. Le coût estimé à l'époque est de 10 à 15 marques d'argent, heureusement le couvent était suffisamment riche. Malheureusement l'original a disparu dans les archives d'État à Hanovre en 1830 puisque ces archives d'État ont été bombardées et brulées lors de la Seconde Guerre Mondiale.

La plus grande et ancienne mappemonde de type complexe qu'on connaisse et qui est toujours existante est celle d'Hereford, 1,06 mètres sur ???. Fabriquée à la même époque que celle d'Ebstorf, celle-ci fut réalisée en Angleterre et accrédite l'idée que l'on s'inspirait des mêmes ouvrages dans toute l'Europe. Elle fut réalisée par le chanoine de la cathédrale de Lincoln, Haldimgham de Bello. Leur source pour la représentation pourrait être commune.

Une autre est visible dans un ouvrage de Charles V racontant l'histoire des rois de France, elle est beaucoup plus incomplète car devant correspondre à l'histoire des rois de France avant tout.


  1. Comment lire une mappemonde ? Le cas des mappemondes de type complexe


Toutes ces mappemondes sont orientées vers l'Est. Autre point commun, elles ont toutes un centre qui est le même : Jérusalem, lieu du tombeau du Christ. C'est ici que le Christ est mort pour libérer des limbes les hommes qui le méritaient. C'est le centre symbolique du monde pour les contemporains de ces mappemondes. Malheureusement, certains ecclésiastiques finirent par comprendre littéralement cette considération. Ainsi Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, connu pour avoir rédigé les premières caricatures de juifs, preuve d'un antisémitisme dés le Moyen-Age, écrivit que le lieu de la mort du Christ est le centre géographique du monde, Jérusalem étant à égale distance de tout les autres lieux du monde. Cette lecture religieuse s'accentue en regardant l'extrême Est des mappemondes, on y trouve l'Éden. Ce paradis terrestre était admis de tout les habitants de l'époque, on pensait qu'il était resté caché sur terre aux confins de l'Orient. Le paradis terrestre est différent du paradis céleste qui lui n'est pas visible.

Particularité de la mappemonde d'Ebsdorf, le monde est inclus dans le corps du Christ à l'Est sa tête, au Nord et au Sud ses mains et à l'Ouest, ses pieds. La dimension religieuse permet donc de confirmer l'idée que ces mappemonde sont favorables à la méditation. Donc avec l'Eden, on comprend que les mappemondes de type complexe représentent des lieux réels et imaginaires, le but étant de représenter l'ensemble des histoires saintes. Ainsi, on trouve régulièrement l'arche de Noé. Ce récit de l'histoire sainte permettait d'expliquer la division du monde en trois parties, ce serait Noé qui aurait diviser en trois parties le monde pour ses fils : Sem reçu l'Asie, Japhet posséda l'Europe et pour Cham restait l'Afrique. L'ainé avait l'Asie, où se trouve l'Eden, pour sa vieillesse, sa sagesse. Ensuite Japhet reçu l'Europe et le benjamin héritait du moins important, l'Afrique. On les associe aussi aux trois ordres : Sem c'est la dévotion, la recherche du salut, le Clergé, Japhet est le militaire, la noblesse et Cham, c'est le nourricier, le Tiers-État. Ce système de division du monde est déjà en place dés l'antiquité.

Pourtant cette division est brouillée par le réseau fluviale qui la compose. Les médiévaux considéraient que l'ensemble des eaux du monde étaient des affluents des quatre grands fleuves de la Génèse qui alimentaient en eaux le monde : le Nil (Géon selon la Bible), le Gange (le Phison), le Tigre et l'Euphrate. Il existe alors un sens de lecture possible proposant une histoire du monde dans une perspective chrétienne. L'idée était qu'en lisant de l'Est vers l'Ouest (donc de haut en bas), on lisait un récit historique biblique de l'ancienneté de Sem à la jeunesse de Cham (Babel, Jérusalem, Constantinople, Carthage, Rome, Aix-La-Chapelle, …). Plein d'autres lieux importants de l'histoire chrétienne sont visibles (le tombeau de Thomas en Inde, le tombeau de Saint Marc à Alexandrie, Reichenau, Ebstorf, Saint Jacques de Compostelle, …). Il fallait donc raconter toute l'histoire chrétienne avec les lieux cultes importants, pour cela des moyens mnémotechniques prirent de l'importance via les Ares de la mémoire, comme celui de Cicéron : La rhétorique à Herennus. La technique donnée par Cicéron fut souvent reprise, pour qu'on associe toute chose qu'on souhaitait retenir, il fallait l'associer à une image qu'on plaçait ensuite dans l'espace. Pour ensuite mémoriser le tout, il faut se promener dans cet espace avec des parcours qui change toujours. La mappemonde pouvait aussi répondre à ce sens là pour les élèves d'Ebstorf.

En plus, de l'histoire historique de l'Est vers l'Ouest, certains historiens ont mis en évidence qu'on pouvait la lire du centre vers la périphérie où l'on trouve le mal et les péchés. On y voit ainsi au Sud des peuples avec des difformités physiques (cyclopes, acéphales, astomes, cynocéphales, …) peu graves, tandis qu'au Nord on trouve ceux qui ont des déviances morales beaucoup plus graves (anthropophages, amazones, …). L'idéal est alors de vivre dans les zones tempérées, avec une apparence physique moyenne et une attitude morale moyenne. On a donc un grand réservoir de stéréotypes médiévaux qui donneront des textes de la fin du XIV° siècle associant un pays à un trait de caractère.

Enfin on constate aussi beaucoup d'animaux sur ces mappemondes et on pense que leurs auteurs s'inspiraient des bestiaires (ouvrages décrivant les animaux physiquement et dans leur vie). Ils y inscrivent aussi, en-dehors des animaux réels bien représentés, des animaux fictifs. D'ailleurs, une légende forgée au début du XVI° siècle crut que les endroits inconnus du Moyen-Age étaient décrit avec des dragons. On trouvait systématiquement « Hic sunt dracones » (ici sont les dragons) or cela ne se fit que sur un des plus vieux globe et on en fit une généralité.


Qu'il s'agisse des hommes ou des animaux, ces représentations sont nettement orientées avec des formes de hiérarchisation propre à une lecture chrétienne. Ces représentations graphiques qui nous surprennent et parfois nous choquent, à l'époque étaient au contraire rédigées sans arrière pensées. L'idée dominante est que tout ce monde est une création divine, le Christ embrasse le tout, donc il met à égale valeur tout ce qui compose ce monde, cela donne un discours englobant. Enfin c'est une vision très dominatrice puisque les régions musulmanes finiront par être inclues dans le corps du Christ, donc chrétiennes. La religion chrétienne dominera violemment ou pacifiquement les zones n'étant pas encore converties.

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