mardi 18 octobre 2011

Moderne 18 - 10

Précédemment : 11 - 10



B. Les galériens au travail


André Zysberg, Les galériens, Vies est destins de 60 000 forçats sur les galères de France 1680 – 1748, Paris, 1987.





Ces bateaux à rames sont très utilisés en mer Méditerranée depuis l'antiquité. Un renouveau des galères a lieu lors de l'époque moderne et la grande modification, c'est le remplacement massif des équipages libres avec un rendement de rameurs esclaves ou forçats. Passé la Seconde moitié du XVII° siècle, surtout à Venise, ces esclaves et ses forçats deviennent de plus en plus présents.

Entre 1690 et 1749, c'est une sorte d'apogée de la galère avec plus de 40 galères en Méditerranée et 15 en Atlantique. Cela équivaut à environ 12 000 rameurs, 3 000 officiers et 4 000 soldats. Le grand entrepôt des galères, c'est Marseille spécialement car elle a un arsenal en 1700 pour construire, entretenir et réparer les galères.


Qui sont les galériens ? On trouve d'abord des turcs esclaves repris en Méditerranée suite à la conquête ottomane, soit 20% des galériens. Les travailleurs libres, les volontaires sont peu nombreux malgré les incitations étatiques. De 80 en 1685, ils passent à 45 en 1790 et doivent, de part leurs compétences, assurer la navigation. Les 79% restant sont des condamnés, dont la peine fut la galère. Cette condamnation est de plus en plus prononcée depuis le XVI° siècle particulièrement sous Colbert, qui favorise cette flotte au lieu du bannissement ou du fouet. Cette condamnation se situe avant la peine de mort, le temps de travail est variable, au maximum il dure la vie entière. Ces condamnés ont le crâne rasé, portent une casaque rouge. Dans 40% des cas, ces condamnés sont des condamnés de droit commun (souvent des vols de nourriture proportionnels aux crises alimentaires). 45% étaient des déserteurs fin XVII° siècle, passé 1715, ils ne représentent plus que 5% suite à une réforme militaire. On trouve aussi les faux-seniers (15% à 20%), ceux qui fraudent la gabelle ; les contrebandiers de tabac (de 0,5% à 21%) ; quelques protestants (3,7% à 0,6%) et des vagabonds. Donc parallèlement au travail forcé en manufacture des vagabonds, ils sont envoyés sur des galères mais là aussi, la politique sera peu fructueuse.


Ces condamnés doivent donc ramer en s'installant sur la banc, tiennent une rame de 12 mètres de long et de 130 kilos. Ils sont donc 5 à la manipuler. Avec 51 bancs de rame, on dénombre environ 255 rameurs par galère. C'est un travail demandant habileté et un minimum d'expérience, un aumônier des galères déclarant qu'il faut d'abord « faire corps nouveau ». Des ergonomes viendront voir les méthodes utilisés pour tenter d'alléger le travail des galères en le rendant moins pénible.


Les galériens ont en fait de multiples activités. Quand ils retournent à Marseille dans l'arsenal, on découvre qu'ils exécutent plusieurs tâches.

Il y a la pratique de « la fatigue », enchaînés 20 par 20 ils doivent faire les corvées nécessaires à l'arsenal (puiser l'eau, assouplir les cordages, …). Ce travail épuisant est de plus non-rémunéré. C'est le pire travail, il doit se faire à tour de rôle mais des systèmes de remplacements existent pour éviter ces tâches et en favoriser d'autres plus intéressantes.

La fabrique-entrepôt, la galère devient un lieu de production, essentiellement des choses faites au tricot (bonnets, chausson, gants, …). souvent venus des campagnes, les galériens vont apprendre le tricot pour revendre le tout à Marseille. Un commit est chargé d'encadrer cette activité mais il arrive que certains restent en devenant de petits entrepreneurs et en s'enrichissant à peu (Adrien Leblond, un normand resté 17 ans aux galère censé être condamné pour 5 ans pour faux-saunage).

Il existe aussi la manufacture du bagne, concession privée qui sert à la fabrication des vêtements des chiourmes. Dans les années 1720 – 1740, elle devient une activité qui n'est plus à seul usage interne. Ceux qui y travaillent sont rémunérés et le salaire est fixé par l'intendant de l'arsenal.

Une partie de ces galériens travaillent aussi dans Marseille, souvent dans l'artisanat et la domesticité, auprès d'un maître. Les turcs esclaves sont très appréciés comme domestiques des maisons bourgeoises ou nobles, les paysans servent plutôt d'artisans. Les galériens sont censés être ramenés par leur maître à la fin de la journée mais généralement ils vivent chez leur maître, ce qui est interdit. De plus, ils changent leur casaque rouge contre des vêtements civils. En cas de fuite, les maîtres doivent 3 esclaves turcs ou 3 000 livres à l'arsenal. Dans les savonneries de Marseille, on trouve beaucoup de galériens moins payés que les salariés libres (deux fois : 25 à 30 sous) pour le même travail.

Enfin, on trouve aussi les baraques des galères, 700 à 800 ateliers spontanés des galères où chaque galérien ayant un savoir faire, pratique son activité à proximité de l'arsenal. On peut donc se faire coiffer, réparer les chaussures, … Ces activités sont effectués à la poupe des galères. Pour les artisans marseillais cela est contesté puisque ça leur fait un concurrence déloyale avec des tarifs peu chers et équivalents à leur boutique.


Il y a donc alternance entre travail forcé et travail partiellement rémunéré. A l'échelle de Marseille, c'est un élément crucial de l'économie de la ville jusqu'en 1749, date de suppression des galères. Il y a donc une frontière poreuse entre travail libre et contraint, tout comme dans les hôpitaux.



  1. Le statut ambigu de la domesticité


Le poids des domestiques est très important dans cette société d'Ancien Régime, 10% de la population de la ville. A Paris cela fait donc 40 000 à 50 000 domestiques. Avec les contrats de mariage mi-XVIII° siècle, cela confirme les 10%. Les domestiques urbains sont à bien différencier des domestiques ruraux, impossible à mesurer car nous n'avons aucune mesure et que cela est variable selon la région, le type de culture, la forme des familles, la proximité de la ville, … Cette domesticité obéit à un modèle de subordination qui dépasse la frontière du monde domestique et caractérise l'ensemble des travailleurs et reste longtemps très floue. Les compagnons des métiers au XVI° siècle sont appelés valets-compagnons, mélangeant aspect domestique et artisanal. Plus encore pour les femmes, très importantes dans le monde du travail, souvent à la fois domestiques et tireuses de soie.


Au cours de cette époque moderne, les distinctions vont croissantes. Les compagnons s'affirment contre l'image des domestiques et en conséquence, cette distinction va être progressivement prise en compte par les autorités, ce dont témoigne la loi de 1790 où les domestiques sont déclarés par leurs maîtres comme appartenant à leur famille, ce qui n'est pas le cas des compagnons. Cette distinction reste néanmoins longue et les frontières sont donc restées aussi longtemps poreuses.


  1. Qu'est ce qu'un domestique ?


Furetière dit d'un domestique que c'est celui « qui est dans la maison, sous un même chef de famille. En ce sens, il se prend pour femme, enfants, hôtes, parents et valets ». Ce sens est très large mais c'est une définition permanente du XVIII° siècle qu'on retrouve dans divers dictionnaires (Richet, trévoux) et dans l'encyclopédie de Diderot-d'Alembert. C'est donc la relation de dépendance entre le maître et les domestiques qui fonde le rapport, cette fidélité d'homme à homme. Précepteurs, commis, secrétaires, intendants, sont donc domestiques des gens chez qui ils travaillent.

La domesticité n'est donc pas perçue comme ignoble. Le vaste champ social des domestiques à récompenses, qui sont engagés dans des relations domestiques chez quelqu'un qui les récompensera pour le temps de leurs services. Les jeunes nobles sont parfois envoyés comme domestiques chez des nobles plus hautement placés. Le modèle par excellence avec de très nombreux domestiques : c'est la maison du roi. Richelieu apparaît par exemple comme domestique de Marie de Médicis, Colbert de Mazarin, …


Cependant, on distingue de plus en plus l'ensemble de ces domestiques de ceux qu'on appellera les valets. Rousseau fait clairement la différence, il est ambassadeur d'un cabinet et se déclare domestique mais pas valet. Les deux notions se scindent, les valets ne sont que ceux qui servent à gages. On distingue donc les domestiques à gages, recevant une rémunération monétaire en échange d'un service pour un temps donné, des autres domestiques. Ils doivent alors soumission à leur maître pour recevoir deux rémunérations : celle en nature (nourri, logé, habillé, …) et celle en argent. Ces domestiques sont cependant organisés. Il y a une grande variété de tâches où les hommes sont plus prisés que les femmes et toujours mieux rémunérés. Le maître d'hôtel est la fonction la plus importante dans les grandes familles de nobles (500 livres plus rémunération en nature), puis l'écuyer et le cuisinier (300 livres), … Chez les femmes les salaires tombent sauf pour la nourrice payée autant qu'un écuyer ou un cuisinier, sa servante étant payée 45 livres.


La relation maîtres-domestiques induit la soumission, le respect et la fidélité du domestique constamment au service de son maître. Il fait un don de soi. En contrepartie, le maître lui doit protection en cas de maladie, de vieillesse, de religion chrétienne et donc de moralité. Il y a donc une inégalité extrêmement importante dans ce rapport.

Pour La Bruyère, le domestique appartenant entièrement à la maison finit par s'élever à la même condition que son maître. Un domestique de prince appartenant a sa maison à la priorité sur un petit noble lors des séances de préséances. Les femmes restent au bas de la hiérarchie.


Par leur nombre et par leurs services auprès de catégories sociales qu'ils servent, ils deviennent des intermédiaires culturels. Ils viennent du peuple et par leurs services ils entrent en contact avec le peuple et une élite différente du milieu dont ils proviennent. Par leur fonction, ils acquièrent ainsi de nouvelles habitudes vestimentaires (souliers, maintien corporel et gestuel, …). Les vieux habits donnés aux domestiques sont alors soit donnés à la famille de celui-ci, par celui-ci, soit vendus sur le marché. Les restes lors des repas fastueux sont récupérés par les domestiques et vendus à des hôtels.


  1. Vers une professionnalisation ?


L'évolution du domestique au serviteur salarié ne se fait pas à la même date selon les régions, les villes et les milieux sociaux. Cette évolution fut plus précoce dans les milieux les plus modestes avec un ou deux domestiques. Posséder un domestique est une marque de statut social mais celui-ci est très hiérarchisé. Les domestiques seuls chez un maître accueillent rapidement le statut proche d'un salarié même s'il demeure de manière constante, un domestique idéal attaché à sa maison et à son maître.

Il y a malgré tout une évolution vers le salariat avec le développement dans certaines grandes villes de bureaux de placement de domestiques fin XVIII° siècle. Ces nouveaux modes de recrutement rencontrent tout de même peu de succès. Malgré tout, on peut voir une évolution importante de la fin du XVII° siècle vers le début du XVIII° siècle. Il y a une recrue du salariat comme on le voit à Toulouse avec Georges Hanne. Se servant de la capitation de 1770 et le recensement de 1821, il voit la population toulousaine croître de 5 000 habitants mais avec un recule de la domesticité passant de 9% à 5,7 %. Il y aussi une féminisation de la domesticité avec 64% en 1770 et 75% en 1821, au bas de la hiérarchie, elles restent tout de mêmes les plus nombreuses.

Cette contraction et féminisation tient certainement à l'impact de la Révolution française. Cela illustre un mode de vie des élites et des rapports à l'aspect urbain de ceux-ci. On voit aussi l'importance de la figure dominante de la domesticité de XIX° siècle apparaître : la femme domestique.


  1. Les domestiques agricoles


Comme l'ensemble des salariés agricoles, ces domestiques agricoles sont très mal connus. Les frontières sont aussi très poreuses dans ces milieux.

Issus de milieux ruraux analphabètes, leurs maîtres le sont tout autant donc on a peu de chance de retrouver leur signalement dans les archives d'un notaire. Leur nombre est donc difficile à évaluer. Ce qui distingue ces domestiques agricoles des autres salariés agricoles c'est qu'ils sont nourris et logés, ce qui constitue une large partie de leur rémunération.

Gutton dit des domestiques ruraux que ce sont les seuls vrais salariés permanents du monde rural, même si cela est loin de résumer leur statut. Plusieurs catégories se distinguent parmi ces domestiques agricoles.


A. Les domestiques-servants


Ces domestiques sont sur des exploitations plus ou moins différenciées. Ils sont engagés au minimum à l'année. Ce ne sont pas les seuls vrais salariés, leur salaire n'est pas tout, de plus les liens d'homme à homme sont maintenus puisqu'ici aussi, le domestique appartient à la maison et son rang en dépend. On a donc aussi des conflits de préséance entre domestiques des maisons nobles. Cela se voit surtout dans l'espace rural, à l'église. Qui est le plus près du curé ? L'écuyer noble de sa personne ou la domestique d'un seigneur. Dans ce monde rural, les domestiques sont majoritairement des hommes ce qui est un trait de distinctions par rapport à la ville. Les pourcentages sont variables selon les régions, les exploitations, …

Dans La Boésie étudiée par Goubert, les domestiques ruraux sont peu nombreux et réservés aux grands fermiers surtout. Près des grands villes, ils seront plus nombreux avec l'exploitation des propriétés de maîtres urbains. Les contrats ruraux se font à des moments précis de l'année, lors des fêtes religieuses (Saint Jean et Saint Martin d'hiver). Au XVIII° siècle, on a l'intervention régulière des autorités pour contrôler les loueries, parfois limiter les gages des domestiques.


Comme dans la domesticité urbaine, la hiérarchisation est très forte selon les activités mais diffèrent de nouveau selon les régions, les exploitations, … En Ile-de-France on trouve au sommet les garçons de charrue (maniant la charrue) avant ceux qui s'occupent de la vigne, en-dessous on trouve les bouviers, puis les bergers, … Finalement on trouve tout en bas, les servantes femmes qui servent la maison et la basse-cour.

Les livres de gages nous indiquent les rémunérations mais seulement en monnaie puisque cela est minoritaire pour les domestiques. C'est en Savoie 14% d'une rémunération d'une vachère ou 29% d'un bouvier. C'est qu'une faible partie de la rémunération globale des salariés. Le coût des domestiques dans une exploitation ne représentant que 8% des frais. Leurs gages vont pourtant augmenter à la fin de l'Ancien régime car les coûts en monnaie prennent plus d'importance et donc les domestiques se rapprochent du statut de salarié agricole. En Gascogne, les gages passent de 40 livres au XVIII° siècle à 120 livres sous l'Empire.


Ces domestiques servants ont toujours quatre caractéristiques communes, dans toutes les régions de France. D'abord, ils sont au bas de la pyramide sociale même si les agronomes recommandent de bien les traiter. De plus, leur condition est instable et aléatoire, contrairement à l'idéal domestique, les changements de maîtres sont très courants dans le milieu rural ou urbain. A 20 ans on peut avoir changé 4 à 5 fois de maître. La frontière entre domesticité et vagabondage est difficile à déterminer. Troisième caractéristique, ils sont inclus dans la vie paroissiale avec des maîtres en charge de leur foi. Enfin, ils font parti de la vie communale même s'ils sont exclus de la communauté villageoise et n'y ont pas de voix.


B. Les maîtres-valets des exploitations


Ils ont en charge les exploitations de leur maître durant leur absence. Ils sont très nombreux autour des villes et sont des faire valoir de la propriété urbaine. Parfois ceux-ci cachent une fraude fiscale puisque qu'appartenant à la maison de son maître, il reproduit les geste de celui-ci (le maître ne paye pas la taille, le domestique non plus). Cela retombe sur le reste de la communauté villageoise qui proteste et donc le maître demande plus à son domestique. Ce sont donc souvent de véritables intendants. Si la limite inférieur est difficile à tracer, la limite supérieure l'est tout autant. Du coup, certains intendants sont de vrais hommes d'affaires. A la Saint Martin, on trouve de nombreux contrats. La date est importante puisque si on la fixe à la Saint jean baptiste, avant les récoltes, les domestiques demandent plus, si c'est à la Saint-Martin, période creuse, alors les maîtres les payent moins. Ces domestiques sont souvent engagés par couple avec au maximum 1 ou 2 enfants. Les maîtres devant tous les nourrir et les loger, il faut quelques forces pour l'entretien mais pas trop. En cas de naissance qui se profile à la fin du contrat, le couple est remercié. Les gages vont de 20 à 150 livres en moyenne avec des pics à 300 livres parfois. Ces domestiques maîtres valets peuvent avoir sous leurs ordres des manouvriers, des embauchés pour le temps des récoltes, mais aussi des domestiques nourris ou logés par les maîtres ou par les domestiques-valets eux-mêmes. Peu nombreux dans le bassin parisien, ils sont courants dans la région lyonnaise.


C. Les domestiques des curés


Ils ont le même statut que leur maître, les mêmes privilèges et donc beaucoup d'entre eux font valoir leur exploitation par le biais maître-valets d'exploitations. Ceux-ci sont mal vus de la monarchie depuis l'instauration de la milice car ils en sont exemptés. Ainsi on fixe aux curés un maximum d'un seul domestique pour qu'ils ne soient pas nombreux à échapper à cette milice royale.


  1. L'évolution au XVIII° siècle


En 1862, les salariés sont dans le monde agricole, 58% des actifs et parmi eux, la moitié sont des domestiques. Cela fait donc plus de 2 millions de domestiques agricoles dans la France de 1860. On peut donc calculer des pourcentages, dans la Bourgogne ils représentent parfois 50% des salariés agricoles donc 10% à 20% de la population active masculine avec un sous enregistrement de la population active féminine.

Au XIX° siècle, il y a toujours une hiérarchie de cette domesticité et donc de salaires. De plus, un salaire masculin reste toujours plus fort que les salaire féminin (souvent le triple). Les domestiques agricoles obtiennent toujours plus que les salariés agricoles si l'on prend en comte leur dépendance de logement et de nourriture.


Les frontières sont toujours floues entre les conditions, la porosité est alors très grande et l'ensemble du monde du travail dans l'Ancien régime est caractérisée par cette relation de dépendance.

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