III.
Les négociations du
bureau de la librairie
1.
Les négociations du bureau de la librairie
Au XVIII°
siècle, on a une forte présence de la censure avec un contrôle des
livres qui s’est beaucoup figé et concerne beaucoup de monde. On a 165 censeurs royaux entre
1750 et 1763 chacun ayant sa spécialité. Dans les Belles-lettres on a 84
censeurs. Leur milieu est assez petit
mais ce sont des savants reconnus de leur domaine. Ils sont presque tous
membres de l’Académie des sciences pour les censeurs de sciences. Les censeurs
de médecine sont presque tous des médecins du roi. Les censeurs pour les livres
de religion sont des docteurs de La Sorbonne. Ces gens là travaillent aussi pour la presse officielle, le Journal des savants ou le Mercure. Au cœur du monde des
auteurs, ils mettent en place de nombreux critères entre des livres dont ils
refusent la publication et d’autres dont ils donnent un accord tacite ni
accepté, ni censuré.
Les critères qui comptent pour
ses censeurs touchent entre autres aux relations entretenues par l’auteur
avec son censeur. L’auteur
bénéficie du petit monde et peu choisir son censeur. Les censeurs doivent aussi
modérer leurs critiques pour éviter aux imprimeurs de faire faillite. Il ne
sert à rien pour Malesherbes de censurer à tout va car dans ce cas tout serait
envoyé en Hollande et reviendrait en France. Enfin, les censeurs se comportent en critique littéraire. Ils ne jugent pas
selon leur conformité aux mœurs, à la politique ou à la religion. Ils
recommandent l’ouvrage quand ils le trouvent bon ou pas bon. Les censeurs
tiennent avant tout des critiques littéraires.
Les livres qui rentrent dans le
circuit de la censure, qui sont passés de censeurs en censeurs peut parfois
faire la réputation d’un auteur.
Si une grande partie des auteurs dans le domaine des sciences ou de la médecine
sont des gens bien établis, dans les premiers temps, ce sont souvent des
petites personnes méconnues, leur activité
de censeur qui les place au cœur du monde des auteurs va parfois valoriser des
carrières d’auteur.
2.
Un objet de lutte politique
Au XVII°
siècle, un conflit entre la Sorbonne et le pouvoir royal avait eut lieu
autour de la censure des livres de religion. La Sorbonne, première institution à censurer, s’était
attachée à la censure des livres ayant traits à la religion. Ce conflit avait
aboutit à un compromis, la Sorbonne avait le pouvoir de décider de la censure
des livres, sauf que la plupart des professeurs de la Sorbonne avait des liens
ténus avec le pouvoir royal.
Au XVIII°
siècle, ce conflit autour de qui possède la légitimité de censurer des ouvrages,
se passe entre le pouvoir royal et le parlement de Paris. Le Parlement va
affirmer son droit de censure
dans le cadre d’un long conflit qui l’oppose au cadre royal du XVIII° siècle. La
censure du Parlement se fait après la publication, tandis que le pouvoir royal
censure les ouvrages avant qu’ils soient imprimés. Le Parlement se place donc après le pouvoir royal ce qui lui permet
de critiquer les livres non censuré par ce pouvoir et qui font l’objet d’une
polémique obligeant le Parlement à censurer ces ouvrages en second lieu.
Le
Parlement devient le dépositaire et l’interprète des voix du royaume. Ce Parlement
joue un rôle dans le processus de publication des lois et c’est de là qu’il
prétend jouer un rôle politique en général. En 1760, le Parlement ne veut pas
imposer de nouveaux impôts et s’attaque violemment aux jésuites, ordre
religieux supposé très lié à Rome et qui s’oppose donc directement au Parlement
dans le cadre du gallicanisme. Le Parlement affirme alors sa position à cette
époque. Les impressions du Parlement n’ont
plus le droit d’être censurées par le pouvoir royal. Les décisions prises dans
les jours suivants sont imprimés dans un cadre quasi-officiel. De plus, le
Parlement assure à la même époque son droit de censure. C’est un produit du
contexte puisqu’en 1734, les lettres de Voltaire furent condamnées par le
Parlement. Fin 1740 et début 1750, le Parlement prend un tour plus massif avec
plus de 40 pamphlets à caractère religieux qui sont condamnés par le Parlement.
En 1757, après l’attentat de Damien (celui qui tenta d’assassiner Louis XV), le
Parlement condamne de nombreuses publications jésuites. Damien ravivant le souvenir
de Ravaillac et d’Henri IV, Ravaillac était soupçonné d’être jésuite et cela
retombe sur Damien, relançant l’anti-jésuitisme.
Avec De l’esprit de Helvetius qui suggère que l’Eglise est un
frein au progrès et remet en cause l’immortalité de l’âme, on a un nouveau
conflit. L’ouvrage a un privilège royal (et non juste une permission d’imprimer). Helvetius
s’est servit d’un intermédiaire pour atteindre un censeur, cet intermédiaire
est parvenu à faire analyser l’ouvrage à un censeur non-spécialisé dans les
livres philosophiques. Ce censeur s’est d’ailleurs fait grugé puisque dans le
procès qui suivi, il a déclaré ne pas avoir eut l’ensemble de l’ouvrage entre
les mains, juste des fragments de 30 pages masquant la thèse du livre. Il a
donc donné le privilège, le livre est paru et s’en suit le scandale, le procès
au Parlement de Paris le limogeage du censeur (qui reçoit tout de même une
forte pension), Helvetius lui n’est pas trop inquiété par l’affaire. Le livre acquiert un succès fondé sur son
scandale. L’éditeur fait publier une édition clandestine tout en assurant
arrêter l’impression officielle, un imprimeur de Liège s’en servira aussi.
De part ce scandale, le Parlement de Paris s’active davantage contre certains
ouvrages et certains individus. Il va alors condamner l’Encyclopédie qui était
protégée par le pouvoir royal. Mais l’Encyclopédie parviendra sans son
privilège à paraître de nouveau.
La censure c’est donc la présence
d’institutions qui affirment leur position les uns face aux autres. Au final,
dans certains cas, la censure permet la propagation des ouvrages et leur
succès. Toujours est-il que la censure a un réel impact sur les auteurs les
plus marginaux qui
n’ont pas toujours de relais auprès des institutions, mais elle ne freine pas
les plus connus.
3.
Des objets qui échappent à la censure : les factums ou mémoires judiciaires
Ce sont des mémoires rédigés dans
le cadre de procès qui à l’époque se font à huit-clos. A cette époque, on a des
écrits très nombreux puisque les avocats ne plaident pas par oral mais par
écrit. Dans ce
cadre, on a la rédaction de mémoires judiciaires destinés aux juges mais aussi
aux entourages. Donc au XVIII° siècle, on a tendance à imprimer ces
ouvrages. Or puisque ces factums sont des écrits judiciaires, ce
sont les seuls imprimés non-officiels qui ne passent pas devant la censure. Du
coup, au XVIII° siècle, ces factums deviennent un objet de pouvoir
politique et leur fonction change. Certains factums
seront publiés à 20 000 exemplaires au XVIII° siècle. Ces factums ont un grand succès dans le
public. La clé du succès est que les avocats doivent défendre des causes
(criminelles et financières) avec des attaques personnelles et une dimension
politique. L’affaire judiciaire politisée passionne les contemporains avec
certains procès dont on a plusieurs points de vue selon les partis pris des factums.
Ces factums se vendant bien, simples à imprimer, ils intéressent les
imprimeurs. De plus, les avocats reçoivent revenus de ces tirages et certains
parviennent même à acquérir une célébrité de l’époque. L’avocat devient une
figure du débat public.
Par exemple,
le procès entre l’ambassadeur de France en Angleterre, le comte
de Guigne, et son secrétaire, Tort
fut très populaire. L’ambassadeur aristocrate accuse son secrétaire d’avoir
utilisé des informations financières pour spéculer à la bourse de Londres. Le
secrétaire dira qu’il n’avait jamais spéculé que pour son patron et sur sa
demande. Tort est embastillé pendant plusieurs mois avant d’en sortir et d’attaquer
son ancien patron. Le tout fera une
trentaine de factum publié d’un camp comme de l’autre. L’argument station
des avocats de Tort est que celui-ci est « l’injuste victime d’un puissant aristocrate pervers ». L’affaire
fera du bruit puisque le comte de Guigne est protégé par le comte de Choiseul,
proche de Marie-Antoinette. Tort est alors soutenu par la cour opposé au duc de
Choiseul. Tort était bien ce petit secrétaire soutenu par un parti de cour mais
aussi par les banquiers anglais qui voyaient dans la condamnation du comte, l’occasion
de faire des bénéfices. Il y aura deux procès dans l’affaire qui aboutiront à
la condamnation de Tort pour diffamation. Enfin Tort n’étant plus secrétaire,
il est tout de même engagé dans le milieu des finances anglaises.
Les
pamphlets campent deux figures de l’époque : l’aristocrate corrompu et
dégénéré et l’affronté du petit sans moyen qui osent s’attaquer aux grands
puisqu’il est victime de l’injustice. Ces
mémoires imprimés deviennent un des lieux de joute politique et contribuent à
créer l’idée que la vérité ne se dit pas dans les tribunaux mais qu’elles s’expriment
dans l’espace nouveau de l’imprimé. Pour Sarah
Maza, ces mémoires judiciaires sont un des lieux d’expression publique. C’est
en effet au public de se faire une opinion sur une affaire privée qui est
publié dans le domaine public.
Cet espace de l’imprimé est une
donnée liée au succès de l’imprimerie. Il existe puisqu’il est facile de faire
un livre et d’intervenir dans l’espace de l’imprimé. Mais l’existence de cet
espace n’est pas seulement une donnée liée à l’invention de l’imprimerie. La possibilité de mener une
politique de cet espace s’est fait notamment sous Richelieu qui l’a manipulé,
montrant ce qu’on pouvait en faire. Il a aussi installé durablement les auteurs de belles lettres, qui seront
les spécialistes de la manipulation de cet espace. Les questions de censure
à cette époque sont à comprendre dans la question plus large des possibilités
plus larges de l’espace de l’imprimé.
Publié à Troyes par une veuve
Lectures et cultures populaires
On
peut se questionner sur ce que lit le peuple et la manière dont il le lit. Cela
questionne donc le degré de pénétration de l’imprimé dans la société et donc le
rapport spécifique du peuple à l’imprimé tout comme les effets que peut avoir
le livre sur les faits religieux, culturels ou encore sociaux. Cela questionne
aussi les intermédiaires culturels qui propagent le livre dans le peuple.
Ce
champ d’étude fut très vaste et très largement balayé entre les années 1980 et
1990. Par populaire on prend un sens
large, ce sont ceux qui ont un rapport de non-spécialistes au livre. Donc
ni les clercs et hommes de religion, ni les hommes de droits. Cela va des
catégories les plus défavorisées aux riches marchands. Le contenu du livre
populaire fut inventé entre le XVII° et le XVIII° siècle par des intellectuels
qui réfléchissaient au rapport du peuple au livre. Il faut donc se méfier en
tant qu’historien à ne pas répéter ce que disaient les intellectuels de l’époque
sur la culture populaire.
Ici
on peut prendre comme référence Roger Chartier
ou bien Robert Mandrou.
I.
La bibliothèque
bleue, le livre philosophique : deux corpus populaires
1.
La bibliothèque bleue
Objet célèbre chez les historiens
de la culture populaire, c’est un très gros corpus qui est par excellence
destiné au peuple.
C’est avant tout un produit inventé et
imprimé dans la ville de Troyes en Champagne par un libraire, Nicolas Oudot. Il publiera 52 livres bleus
entre le début du XVII° siècle et sa mort en 1636. A ce moment les livres bleus
sont des livrets de petits formats, peu épais et peu couteux. Ils sont imprimés
sur du papier bleu ou blanc (mais alors avec une couverture bleue). C’est une
collection pour publier des livres assez divers : 21 romans de
chevaleries, 10 vies de saints, 6 tragédies et quelques textes savants. Dès cette époque, cela dut avoir un succès
puisque d’autres éditeurs l’imiteront avec certains de ces parents mais aussi d’autres
imprimeurs de Troyes. Troyes devient un
centre important d’autant que la ville se double de la spécialisation dans
les almanachs.
La Bibliothèque bleue connait son
apogée entre la fin du règne de Louis XIV et la fin
du XVIII° siècle. Ces objets étant très dévalués par la société, ils ont
été très peu conservés en dépit de leur grand nombre.
Première caractéristique, ces
textes ne sont pas des originaux mais des republications. La seconde
caractéristique est que ce catalogue est pensé dans une large diffusion et doit
combler des attentes massives.
On trouve donc beaucoup de livres de dévotions répondant à la contre-réforme
(vies de saints, romans édifiants et parfois livres de prière). On publie donc
des séries particulières plutôt bien répertoriées. Troisième particularité, les libraires se réapproprient les textes.
Ils les coupent, ils modifient l’organisation des textes pour les rendre plus
lisibles (divisions en de multiples chapitres, paragraphes ajoutés pour rendre
plus clairs, coupures dans les descriptions, …). Enfin quatrième particularité, on retire les traces eschatologiques et
de blasphème avec une auto-censure des libraires. Mais les coupes ne sont
pas bien faites et les textes sont fréquemment rendus incohérents par les
charcutages des libraires.
On a longtemps considéré que les
lecteurs de ces livres étaient avant tout des ruraux. Il semble en fait qu’au XVII° siècle, le public soit surtout citadin.
Toujours est-il que ces livres arrivent dans la France rurale au XVIII° siècle en devenant les symboles de la
culture villageoise.
Les paysans deviennent alors ceux qui lisent des almanachs pleins d’astrologie,
des livres de dévotion naïfs et des recettes de bonnes femmes. Or le corpus de la bibliothèque bleue vient
systématiquement de milieux savants comme les livres de médecine, les romans de
chevalerie. La coupure entre culture savante et populaire n’est guère crédible
finalement. Cette découverte appuya les thèses de Norbert
Elias qui voyait en fait une diffusion de la culture savante dans le
corps social et vers le bas. Ces livres bleus se propagent surtout dans tous
les milieux. L’invention de la culture populaire vient des libraires troyens
qui par leur grande diffusion portent le stigmate du populaire. Tout le monde parmi les lecteurs avait du lire
un livre bleu, mais de par sa propagation dans les milieux populaires, il a été
méprisé.
2.
Les livres philosophiques
Les livres de cette section sont
des livres philosophiques, des livres pornographiques classiques et nouveaux
(antiques et modernes), ainsi que des libelles, des chroniques scandaleuses qui
mettent en scène des puissants. Ces livres philosophiques font partis des
livres clandestins imprimés sous le royaume. Ils font une partie significative
des maisons d’éditions étrangères.
Lors d’une
saisie chez un libraire parisien, Moureau, en 1777, on trouve 16 livres :
5 dans la pornographique (La fille de
joie traduit de l’anglais, Les
entretiens galants d’Aloysia, …), 5 libelles politiques (Les anecdotes sur la comtesse Du Barry,
…), 3 livres de Voltaire (un livre sur Jeanne d’Arc, une bible expliquée, un
livre contre le Parlement de Paris), 1 d’Holbach et 1 de Mercier (roman d’anticipation,
L’an 2240, dont le héros est
un philosophe des Lumières s’endormant an 1770 et se réveillant à Versailles
647 plus tard).
Le livre
philosophique ce sont d’abord les éditeurs, c’est associé chez les auteurs
eux-mêmes qui peuvent décliner leur production en publiant des livres
philosophiques et des chroniques scandaleuses. Parmi les livres emblématiques
de ce style on a aussi Thérèse
philosophe de Diderot, livre pamphlet contre la religion, pour la
liberté de la femme mais aussi livre pornographique. Les genres s’entrecroisent.
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