Le colporteur, Anonyme, Ecole française
Parmi les premiers sujets, on
trouve les critiques sur le pouvoir royal, puisque les pamphlets sur les cours
soulignent l’idée que la monarchie a tourné en despotisme, laissant gouverner leurs
maîtresses et les clans de ses maîtresses. Dans ces moments là, on constate
aussi une désacralisation de la monarchie qui est dépeinte sous des traits
scandaleux. Cela se double d’un commerce
illicite de ces livres qui fait des lecteurs des contestataires affirmés du
pouvoir puisqu’ils savent que ces livres entrent dans le royaume
illicitement. Du coup, l’efficacité de cette production fut importante car les
livres furent largement diffusés. Derrière les analyses de Robert Darnton, il y a une
recherche sur l’influence des Lumières sur le déclenchement de la Révolution
Française. Son idée dans son ouvrage sur les éditeurs de livres scandaleux et
sur les colporteurs est que dans les campagnes on ne lisait pas si fréquemment
que ça les ouvrages de Voltaire ou Diderot. En revanche, on lisait dans les campagnes des livres scandaleux avec des
représentations et des critiques du pouvoir comme l’exprimait ses grands
auteurs. Rousseau
en revanche a rencontré un très vaste public, on pense que La Nouvelle Eloïse a atteint
directement les nouvelles classes populaires. Les idées des Lumières seraient
alors passées par la pornographie et les libelles.
Cette thèse fut contestée sous
deux angles, chacun interprète différemment le livre et donc on ne perçoit pas
toujours les aspects critiques des livres. De même, il y a une différence entre lire que Louis
XVI est cocu et croire ce qu’on a lu. De
plus, une même lecture a différentes conséquences sur les lecteurs. Dans le
cas de Rousseau, on a des lettres des lecteurs de Rousseau. Ce premier écrivain
vedette était lu du haut et du bas de l’échelle social. Alors certes plus d’un
tiers étaient des aristocrates or Rousseau critique très fortement cette
aristocratie. Les pamphlets qu’il rédigeait contre des membres de la cour possédaient
une logique propre, ces pamphlets émanaient d’autres clans de la cour et
visaient à discréditer d’autres membres de la cour. Les aristocrates n’avaient donc pas de lecture crédule de ces pamphlets
rousseauistes. Les livres n’auraient donc pas simplement sapé les fondements
de la monarchie ou de la religion. On
voit donc émerger un rapport distancié au livre avec une lecture qui n’est pas
toujours d’adhésion, le lecteur se fait son opinion en comparant les livres et
en les discutant. Il y a un effet mécanique avec une hausse du nombre de livres
et donc une hausse de lecteurs et de discussions autour.
II.
Pratiques citadines
et pratiques rurales de l’imprimé
1.
La possession du livre : les bibliothèques de particuliers
Concernant les milieux urbains,
la grande source sur la possession du livre, sont les inventaires après décès.
Ce sont les listes de biens instaurés par les notaires à la mort d’un individu. Quand les livres sont nombreux, le notaire fait appelle à un libraire
pour estimer leur prix. Mais il y a des limites, les livres au prix faible,
les brochures, feuilles volantes et images ne sont pas signalés et sont jetés.
De plus, les pratiques des notaires sont inégales suivant les notaires et
suivant les régions. Enfin, souvent les livres ne sont pas détaillés et les
notaires font des prisés par paquets (« un paquet de livres espagnols prisés 10 livres », …).
De ces études, on retient tout de
même qu’il y a une réelle présence du livre dans les intérieurs urbains au XVII° et au XVIII° siècle. Dans les villes de l’Ouest, on
trouve des livres dans les inventaires après décès. A Paris, vers 1750, cela
monte à 23% des inventaires après décès. Si on se souvient que les notaires ne
prisent que les livres chers, on fait monter ce taux.
Bien entendu il y a des
inégalités selon les groupes sociaux avec beaucoup de livres du coté des juges
des professeurs, des avocats et des hommes de lettres, … En queue de peloton
viennent les artisans et les marchands. En revanche, les domestiques font bonne
figure avec un
taux assez élevé de possession du livre. Concernant
la noblesse, il y a des contrastes et des différences entre la petite noblesse
qui lit peu et la noblesse lettrée avec une vaste bibliothèque. Dans chaque
groupe social, il y a une corrélation entre la richesse et le nombre de livres.
Cela rend aussi des informations
sur la place des livres dans les intérieurs. Peu de salles réservées aux
livres, même si on trouve quelques cabinets. On trouve tout de même des
phénomènes de collection
comme avec un bourgeois parisien, homme de lettre du XVII° siècle, Valentin Conrart.
Cet homme semble avoir acheté tout les livres possibles avec un total à la fin
de sa vie de livres prisés à 16 000 livres. La part de sa bibliothèque
dans son patrimoine est si énorme qu’il constate avec regret que ses héritiers
ne pourront que revendre ses livres. Il est cependant probable que la majorité
des gens du peuple ne conservait pas forcément de livres chez eux.
2.
L’accès au livre
L’abbé Grégoire
sous la Révolution Française à tenter de
faire un sondage en recensant par lettres des curés qui devaient assurer le
recensement et le faire remonter à l’abbé. D’abord les curés et les vicaires
avaient-ils assez de livres à prêter à leurs paroissiens ? Ensuite l’abbé
souhaitait savoir si les gens de la campagne avaient le goût de la lecture.
Enfin il se renseignait sur les livres que les gens avaient chez eux. 43
réponses sont revenues soulignant la possession des gens de livres saints, de
livres d’heures, des livres de la bibliothèque bleue dans le corpus religieux,
d’autres titres dans la bibliothèque bleue : romans, histoires populaires,
almanachs, … Parfois les curés soulignent la pénétration d’ouvrages de
mauvaises mœurs.
Les historiens ont donc souligné
par ces enquêtes la part des prêts de livres et toute cette circulation du
livre qui échappe au marché.
Ici, on voit que les curés peuvent posséder des livres et les prêter. Parfois,
le curé possède dix fois le même exemplaire d’un livre.
Dans les bibliothèques publiques
on a celles des couvents, des chanoines, des collèges et des Académies. Bien
évidemment, le public de ces bibliothèques publiques fait parti des élites, il
faut admis et autorisé par le groupe social à y accéder.
Un lieu plus démocratique et
similaire ce sont les boutiques de libraire. Les gens vont chez le libraire
pour lire seul ou en groupe les livres nouveaux et les gazettes. De là découle
une pratique qui est celle du cabinet de lecture. Dans les années 1770, les libraires
proposent un abonnement mensuel à leurs lecteurs, moyennant quoi ils
peuvent venir lire dans leur boutique. A Metz, un libraire annonce avoir 200
lecteurs à 18 livres par mois (accessible aux petits bourgeois) et 150 à 3
livres par mois. Pour les libraires, c’est par la lecture assurer ensuite
auprès du client l’achat du livre. On
trouve aussi des loueurs de livres qui louent les livres à la journée. On a
aussi la vente à la criée des livres puisque sur les ponts, on vend des
ouvrages et des brochures à la criée. C’est pour ça que les pamphlets ont des
titres longs, ce que le petit marchand lit pour son public.
En campagne, l’enquête de l’abbé
Grégoire met en évidence l’importance des colporteurs mais aussi celle des
migrants, ceux
qui vont et viennent pour des migrations de travail. Le rôle des voyageurs
n’est pas négligeable. C’est par les
voyageurs que les mauvais livres arrivent dans les villages. Pour les curés,
les paysans lisent les livres de manière particulière, ils les apprennent par
cœur et savent les réciter. Les livres semblent un peu magiques. Cela est
conforté par la lecture à la veillée, une lecture en groupe. Cette enquête
ethnographique sur les mœurs paysannes témoigne des regards des curés sur ce
que devrait être la culture paysanne avec une hiérarchie particulière. L’enquête
fut faite durant la Révolution et donc on a des images du peuple des campagnes
tantôt superstitieux qu’on éclaire grâce à la Révolution Française, ou au
contraire, un peuple des campagnes qui serait un bon peuple chrétien perverti
par la Révolution Française. Au-delà des clivages politiques, le regard des
évêques est très distancié sur la culture populaire.
A rebours de ce regard simple des
évêques, certains insistent sur les pratiques complexes de lecture des paysans.
Ainsi le meunier
du XVI° siècle dont on connait les lectures et dans certaines mesures de sa
pensée, puisqu’il a eut son procès d’inquisition. Né en 1632, son procès
recense toutes ses déclarations lors des interrogatoires, des écrits de lui,
versés dans le dossier, ainsi qu’une liste de ses lectures. Pendant 30 ans, il
a tenu des discours taxés d’hérétique. Au départ, l’inquisition n’arrivait pas
à classer ses discours. Au départ on le considérait original ou cinglé mais les
juges ne le comprenaient pas. Avec ses discours réitérés, il fut de nouveau
arrêté et condamné par l’inquisition. Son
interprétation du monde est à la fois un mélange de lectures diverses de la
religion et de livres savants dont il a fait une synthèse personnelle. Ses
lectures n’ont pas été reçues passivement, elles ont été nouées pour produire
une vision du monde cohérente.
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