samedi 19 mai 2012

Moderne 10 - 05 (cours 12, fin)

Précédemment : Moderne 03 - 05





3.      Mauvais bruits et livres au temps des Lumières

Au XVII° siècle et aussi au XVIII° siècle, il y a un certain nombre de lieux (cabinets de lecture, librairies, …) qui rendent visibles l’activité de lecture d’une partie du peuple. Cela n’a pas échappé au pouvoir monarchique et l’existence de ces lieux de lecture a du beaucoup compter dans la représentation qu’a le pouvoir royal de la culture populaire et du livre.

Il y a alors des rumeurs, des bruits, des scandales qui courent sur les mœurs du peuple. Cela préoccupe le pouvoir du XVIII° siècle qui espionne alors la population parisienne. Cela débute à la fin du règne de Louis XIV puis sous le règne de Louis XV. Des petites personnes se postent dans des cabarets ou sur des places et écoutent les conversations des gens. On les appelle les mouches. Ils font des rapports et les envoient au lieutenant général de police, qui en retransmet certains à Louis XV. En 1757, après l’attentat de Damien, ce système s’étend à toutes les grandes villes du royaume. Dans ces rapports, beaucoup d’éléments montrent que le roi n’est plus l’objet d’un amour inconditionnel de la part de ses sujets. C’est une impopularité nouvelle du pouvoir royal, un discrédit selon certains historiens.
En réalité c’est plus complexe, les rumeurs ne sont pas nouvelles, mais l’espionnage oui. C’est cet espionnage qui tend à faire croire à l’impopularité du roi. De plus, celui-ci se préoccupe beaucoup de son image. Dorénavant on a une communication qui n’est plus seulement du roi vers le peuple mais du peuple vers le roi.
En 1662, au début du règne de Louis XIV, le meilleur moment de son règne, une catastrophe survient la famine de l’avènement. Avec 1,5 millions de morts dans le royaume, cette famine le pouvoir royal va s’en servir pour célébrer le roi par son œuvre de distribution de blé vers les régions dans le besoin. Au même moment, une série de lettres d’un médecin parisien raconte à un ami de Lyon que c’est le roi qui a organisé la pénurie par son avarice tenu de Mazarin qui l’a élevé. La police sous Louis XV va chercher et arrêter les auteurs de pamphlets y compris des gens très modestes qui incarnent la peur royale (une femme de chambre est arrêtée pour être supposée avoir fait circuler un ouvrage pamphlétaire sur les mauvaises mœurs de la cour). A travers son interrogatoire, surgit la peur qu’une femme du peuple écrive des romans sur les mauvaises mœurs de la cour. Le pouvoir redoute un peuple qui puisse agir, notamment par l’écrit.

Lors de l’attentat de Damien, on atteint le paroxysme de cette peur. Là où on attendait un rassemblement de la population autour du risque de la mort du roi, les bruits parlent d’un complot où le gouvernement cache la vérité et d’autres disent que le roi n’a que ce qu’il mérite car il est responsable des malheurs de l’Etat. La police tente de réprimer cela. Notamment chez un suspect ayant pu aider Damien. La police le perquisitionne et découvre chez l’huissier des placards avec des documents sur l’attentat de Damien. L’huissier est alors pendu en public et des espions de la police recueillent les propos de la population sur cette pendaison. C’est une spirale de la paranoïa pour le pouvoir royal qui se met en place. Voulant savoir l’avis du peuple, le fait d’y prêter attention donne de la force à la crédulité populaire. L’opinion publique, c’est celle des gens éclairés, l’opinion du peuple, c’est l’avis de tous. En revanche, l’historien d’aujourd’hui constate que la police de l’époque prenait très au sérieux les rumeurs du peuple. En conséquence, l’opinion publique de l’époque pour la police était peut être l’opinion populaire.

Dans l’analyse du rapport entre le pouvoir et le peuple, il faut prendre en compte l’ensemble des moyens d’accès du peuple au livre. Sur toute la période, l’accès au livre et à l’imprimé est plus aisé. On a cependant des à coups, parfois des retours en arrière avec des périodes du XVIII° siècle où des villes sont en recul. Cela tient aux évènements et aux moments de politisation qui déclenchent des gestes de lecture eux-mêmes nourrissant la population. Un certain nombre des moyens d’accès au livre rendent visibles les accès de lecture et ce phénomène contribue à faire du livre une question politique.


III.                   De la lecture à l’écriture

Beaucoup de travaux considèrent que se concentrer sur la lecture c’est faire de l’individu du peuple un être passif qui reçoit la culture mise en ligne. On a des gens du peuple qui lisent mais aussi qui écrivent.

1.      Présence des papiers en milieu populaire

Sur le registre des levées de cadavres de la morgue, on détaille ce que les gens portaient sur eux au moment où ils ont été retrouvés morts. Ce sont donc les morts ramassés dehors. Ces inventaires révèlent la présence massive de papiers que les gens portaient sur eux. On avait les échappés d’asile qui avaient tous un bracelet de papier sur leur poignet. On trouve aussi des certificats de curés attestant de la piété de l’individu concerné. On a aussi le cas de gens portant un papier sur eux pour qu’ils soient identifiés en cas de malheur, on y trouve plusieurs informations nom, prénom, adresse, origine et religion pour l’enterrement. Les gens ont donc des papiers pour être identifiés mais aussi des images pieuses, des cartes à jouer mais pas les jeux complets, des petits billets attestant de la bonne réception d’une marchandise …

L’activité des écrivains publics étudiés par Alex Métayer. Ces écrivains remplissent une fonction dans une société où on demande aux gens de plus en plus de remplir des papiers alors même que tout le monde n’est pas suffisamment alphabétisé. Les écrivains publics écrivent donc des lettres adressées à l’administration, tiennent les comptes des petits marchands. Ils font de faux certificats de mendicité, de faux billets de loterie, imitent les signatures, …
Pour les élites de la société, l’activité des élites est très mal vue si l’on prend les encyclopédies, les dictionnaires, … On les juge pour beaucoup comme des escrocs, des faussaires, des gens vivant du domaine de l’illicite. Bref ce sot des déclassés en tant qu’ils sont un peu lettrés mais qui mettent leur art au service du peuple. Ce contact en fait des déclassés. Leur lieu de prédilection, le cimetière de Saint-Innocent, annexe du marché de Paris au milieu duquel, parmi les commerces, on a des écrivains publics qui donnent une réputation à ces écrivains.
On considère à ce moment là que le métier d’écrivain public n’est plus infâme. Certes certains le sont après une série d’échecs, mais pas tous. Certains en vivent pourtant et bénéficient d’un regard plutôt favorable des catégories populaires. Cette figure de l’écrivain public donne une image de l’importance de l’écrit en milieu urbain.

Les pratiques des sorciers dans le Paris du XVIII° siècle étudié par Ulrike Krampl. Ces pratiques sont connues par les sources policières après leur arrêt. Ce sont en fait des escrocs qui persuadent les gens de nouer un pacte avec le diable permettant à chacun de bénéficier de richesses, de gloire, … moyennant finances. Ces sorciers escrocs ne cessent de manier des écrits en recevant les gens dans des livres de magies.des livres obscures, … De plus, on rédigeait des pactes écrits par moments, d’autres pratiques étant d’écrire sur le corps des gens. Il y a donc une perception de l’écriture comme force sacrée, conception venant du décalage entre le besoin de l’écrit alors qu’une partie de la population n’est pas à même de savoir écrire.

2.      Enjeux sociaux et politiques de l’écriture des gens du peuple

Jean Yvon a laissé un carnet manuscrit qui s’achève par deux rubriques avec des indications sur les récoltes et d’autres sur le prix du pain et du vin. Le carnet est donc un livre de raison dans lequel les gens tenaient leur compte et dans lequel les gens rédigeait les grands évènements de leur vie, ou encore des annotations concernant les prix. Son carnet possède une chronique des évènements s’étant déroulés dans sa paroisse (travaux de l’église, pèlerinages, fêtes, mariages et décès de proches, … Trop modeste pour administrer ma paroisse, Jean Yvon ne peut s’occuper de La Fabrique. Il fait donc ce travail à titre personnel mais il revient à mimer comme si il avait un rôle officiel dans la paroisse. Il raconte alors qu’il remplace un administrateur de La Fabrique illettré sans être pour autant un administrateur officiel puisque c’est réservé aux notables. L’écriture est un vecteur, un moyen de sortir de sa condition populaire.

L’artisan textile Louis Simon, issu du Maine, a laissé un récit de sa vie étudié par Anne Fillon. Il fait un récit de la vie au village à la fin du XVIII° siècle et sous la Révolution. A moment donné, il rédige une histoire d’amour au milieu de son récit du village. Ce roman d’amour autobiographique est le récit de sa rencontre avec sa future femme. Par contre, il a beaucoup rendu romanesque son  histoire d’amour contrarié (refus de son père, la trahison de celle qu’il aime, les coups de son concurrent, …). Il annonce alors qu’il a lu beaucoup de romans, mais point avec une aussi amère aventure. On a une circulation de la culture du haut vers le bas avec une forme d’imitation. Une autre interprétation est celle d’un roman d’amour et d’instruction. Simon parle beaucoup de l’importance d’une instruction en rappelant comment l’écrit est intervenu dans sa vie et lui permet de devenir syndic, puis maire sous la Révolution française. Le roman d’amour devient alors une démonstration de maîtrise dans les compétences de l’écriture qui va jusqu’à la capacité à fabriquer un roman d’amour avec sa vie. Il passe d’ailleurs d’artisan à maire puis aubergiste.

Jean Maillefer, marchand du XVII° siècle de la ville de Reims, tient un commerce étendu comme avec la Hollande, il a des vignes, un hôtel particulier qui lui permet d’héberger des hôtes prestigieux comme la reine mère Anne d’Autriche lors du sacre de son fils Louis XIV. Cependant, rapidement sourd, il écrit son autobiographie dans un seul manuscrit qu’il a tenu toute sa vie. Dans l’autobiographie et dans son journal, certains de ces thèmes reviennent souvent. D’abord il est indigne d’écrire car il n’est pas lettré et n’a pas de rôle public. Malgré sa surdité, il a un rôle public puisqu’il a donné à la ville de Reims sa belle maison et les hôtes qui y sont passés, il a aussi donné beaucoup d’enfants et enfin il fait du commerce ce qui aide à la prospérité publique. Ses considérations sur le commerce l’amène à deviser sur des considérations politiques : la guerre ruine le commerce. Il fait donc une critique cinglante de la politique guerrière de Louis XIV. Les bienfaits du commerce sont ruinés par les méfaits de la guerre. Grand lecteur, il annote ce qu’il lit et une des notations les plus cinglantes qu’il se fait vient d’une lecture, un pamphlet en faveur de la monarchie. Ainsi Maillefer lit un pamphlet pour le roi, le fiche et le critique. On a donc une activité critique par la note de lecture critique du pamphlet. Puisque c’est un journal privé, cela est possible. Cela revient avec la période de la Fronde où Maillefer dut héberger un groupe de soldats. Maillefer se plaint que ces soldats empêchaient les gens de rentrer chez lui où il tenait son commerce. Il va se plaindre auprès de la mairie en charge de cette situation et obtient gain de cause. Le discours qu’il y a tenu vient entre autre des réflexions qu’il a mené par ces annotations dans son livre.

Finalement on a une tension entre deux éléments d’analyse, ceux qui au sein du peuple se préoccupent d’avoir accès au livre, alors ceux là peuvent avoir une distinction sociale. D’autres qui ont déjà un statut aisé peuvent avoir un rapport à l’écriture qui conteste le pouvoir, ce dernier redoutant ces auteurs.

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