3.
Mauvais bruits et livres au temps des Lumières
Au XVII° siècle et aussi au XVIII°
siècle, il y a un certain nombre de lieux (cabinets de lecture,
librairies, …) qui rendent visibles l’activité de lecture d’une partie du
peuple. Cela n’a pas échappé au pouvoir monarchique et l’existence de ces lieux de lecture a du beaucoup compter dans la
représentation qu’a le pouvoir royal de la culture populaire et du livre.
Il y a alors des rumeurs, des
bruits, des scandales qui courent sur les mœurs du peuple. Cela préoccupe le
pouvoir du XVIII° siècle qui espionne alors
la population parisienne.
Cela débute à la fin du règne de Louis XIV puis sous le règne de Louis XV. Des
petites personnes se postent dans des cabarets ou sur des places et écoutent
les conversations des gens. On les appelle les
mouches. Ils font des rapports et les envoient au lieutenant général de
police, qui en retransmet certains à Louis XV. En 1757, après l’attentat de
Damien, ce système s’étend à toutes les grandes villes du royaume. Dans ces rapports, beaucoup d’éléments
montrent que le roi n’est plus l’objet d’un amour inconditionnel de la part de
ses sujets. C’est une impopularité nouvelle du pouvoir royal, un discrédit
selon certains historiens.
En
réalité c’est plus complexe, les rumeurs
ne sont pas nouvelles, mais l’espionnage oui. C’est cet espionnage qui tend à
faire croire à l’impopularité du roi. De plus, celui-ci se préoccupe
beaucoup de son image. Dorénavant on a
une communication qui n’est plus seulement du roi vers le peuple mais du peuple
vers le roi.
En 1662,
au début du règne de Louis XIV, le meilleur moment de son règne, une
catastrophe survient la famine de l’avènement. Avec 1,5 millions de morts dans
le royaume, cette famine le pouvoir royal va s’en servir pour célébrer le roi
par son œuvre de distribution de blé vers les régions dans le besoin. Au même
moment, une série de lettres d’un médecin parisien raconte à un ami de Lyon que
c’est le roi qui a organisé la pénurie par son avarice tenu de Mazarin qui l’a
élevé. La police sous Louis XV va chercher et arrêter les auteurs de pamphlets
y compris des gens très modestes qui incarnent la peur royale (une femme de
chambre est arrêtée pour être supposée avoir fait circuler un ouvrage
pamphlétaire sur les mauvaises mœurs de la cour). A travers son interrogatoire,
surgit la peur qu’une femme du peuple écrive des romans sur les mauvaises mœurs
de la cour. Le pouvoir redoute un peuple
qui puisse agir, notamment par l’écrit.
Lors de l’attentat de Damien, on
atteint le paroxysme de cette peur. Là où on attendait un rassemblement de la
population autour du risque de la mort du roi, les bruits parlent d’un complot
où le gouvernement cache la vérité et d’autres disent que le roi n’a que ce
qu’il mérite car il est responsable des malheurs de l’Etat. La police tente de
réprimer cela. Notamment
chez un suspect ayant pu aider Damien. La police le perquisitionne et découvre
chez l’huissier des placards avec des documents sur l’attentat de Damien.
L’huissier est alors pendu en public et des espions de la police recueillent
les propos de la population sur cette pendaison. C’est une spirale de la paranoïa pour le pouvoir royal qui se met en
place. Voulant savoir l’avis du peuple, le fait d’y prêter attention donne de
la force à la crédulité populaire. L’opinion publique, c’est celle des gens
éclairés, l’opinion du peuple, c’est l’avis de tous. En revanche,
l’historien d’aujourd’hui constate que la police de l’époque prenait très au
sérieux les rumeurs du peuple. En conséquence, l’opinion publique de l’époque
pour la police était peut être l’opinion populaire.
Dans l’analyse du rapport entre
le pouvoir et le peuple, il faut prendre en compte l’ensemble des moyens
d’accès du peuple au livre. Sur toute la période, l’accès au livre et à
l’imprimé est plus aisé. On a cependant des à coups, parfois des retours en
arrière avec des
périodes du XVIII° siècle où des villes sont en recul. Cela tient aux
évènements et aux moments de politisation qui déclenchent des gestes de lecture
eux-mêmes nourrissant la population. Un certain nombre des moyens d’accès au
livre rendent visibles les accès de lecture et ce phénomène contribue à faire
du livre une question politique.
III.
De la lecture à
l’écriture
Beaucoup
de travaux considèrent que se concentrer sur la lecture c’est faire de
l’individu du peuple un être passif qui reçoit la culture mise en ligne. On a des gens du peuple qui lisent mais
aussi qui écrivent.
1.
Présence des papiers en milieu populaire
Sur le registre des levées de cadavres de la
morgue, on détaille ce que les gens portaient sur eux au moment où ils ont
été retrouvés morts. Ce sont donc les morts ramassés dehors. Ces inventaires
révèlent la présence massive de papiers que les gens portaient sur eux. On
avait les échappés d’asile qui avaient tous un bracelet de papier sur leur
poignet. On trouve aussi des certificats de curés attestant de la piété de
l’individu concerné. On a aussi le cas de gens portant un papier sur eux pour
qu’ils soient identifiés en cas de
malheur, on y trouve plusieurs informations nom, prénom, adresse, origine et
religion pour l’enterrement. Les gens ont
donc des papiers pour être identifiés mais aussi des images pieuses, des cartes
à jouer mais pas les jeux complets, des petits billets attestant de la bonne
réception d’une marchandise …
L’activité des écrivains publics étudiés par Alex Métayer. Ces écrivains remplissent une
fonction dans une société où on demande aux gens de plus en plus de remplir des
papiers alors même que tout le monde n’est pas suffisamment alphabétisé. Les écrivains publics écrivent donc des
lettres adressées à l’administration, tiennent les comptes des petits
marchands. Ils font de faux certificats de mendicité, de faux billets de
loterie, imitent les signatures, …
Pour
les élites de la société, l’activité des élites est très mal vue si l’on prend
les encyclopédies, les dictionnaires, … On
les juge pour beaucoup comme des escrocs, des faussaires, des gens vivant
du domaine de l’illicite. Bref ce sot des déclassés en tant qu’ils sont un peu
lettrés mais qui mettent leur art au service du peuple. Ce contact en fait des déclassés. Leur lieu de
prédilection, le cimetière de Saint-Innocent, annexe du marché de Paris au
milieu duquel, parmi les commerces, on a des écrivains publics qui donnent une
réputation à ces écrivains.
On
considère à ce moment là que le métier d’écrivain public n’est plus infâme.
Certes certains le sont après une série d’échecs, mais pas tous. Certains en vivent pourtant et bénéficient
d’un regard plutôt favorable des catégories populaires. Cette figure de
l’écrivain public donne une image de l’importance de l’écrit en milieu urbain.
Les pratiques des sorciers dans le Paris du XVIII° siècle étudié par Ulrike
Krampl. Ces pratiques sont connues par les sources policières après leur
arrêt. Ce sont en fait des escrocs qui persuadent les gens de nouer un pacte
avec le diable permettant à chacun de bénéficier de richesses, de gloire, …
moyennant finances. Ces sorciers escrocs ne cessent de manier des écrits en
recevant les gens dans des livres de magies.des livres obscures, … De plus, on
rédigeait des pactes écrits par moments, d’autres pratiques étant d’écrire sur
le corps des gens. Il y a donc une
perception de l’écriture comme force sacrée, conception venant du décalage
entre le besoin de l’écrit alors qu’une partie de la population n’est pas à
même de savoir écrire.
2.
Enjeux sociaux et politiques de l’écriture des gens du peuple
Jean Yvon
a laissé un carnet manuscrit qui s’achève par deux rubriques avec des
indications sur les récoltes et d’autres sur le prix du pain et du vin. Le carnet est donc un livre de raison dans
lequel les gens tenaient leur compte et dans lequel les gens rédigeait les
grands évènements de leur vie, ou encore des annotations concernant les prix.
Son carnet possède une chronique des évènements s’étant déroulés dans sa
paroisse (travaux de l’église, pèlerinages, fêtes, mariages et décès de
proches, … Trop modeste pour administrer ma paroisse, Jean Yvon ne peut
s’occuper de La Fabrique. Il fait donc ce travail à titre personnel mais il
revient à mimer comme si il avait un rôle officiel dans la paroisse. Il raconte
alors qu’il remplace un administrateur de La Fabrique illettré sans être pour
autant un administrateur officiel puisque c’est réservé aux notables. L’écriture est un vecteur, un moyen de
sortir de sa condition populaire.
L’artisan
textile Louis Simon, issu du
Maine, a laissé un récit de sa vie étudié par Anne
Fillon. Il fait un récit de la vie au village à la fin du XVIII° siècle et sous la Révolution. A moment
donné, il rédige une histoire d’amour au milieu de son récit du village. Ce
roman d’amour autobiographique est le récit de sa rencontre avec sa future
femme. Par contre, il a beaucoup rendu
romanesque son histoire d’amour
contrarié (refus de son père, la trahison de celle qu’il aime, les coups de
son concurrent, …). Il annonce alors qu’il a lu beaucoup de romans, mais point
avec une aussi amère aventure. On a une
circulation de la culture du haut vers le bas avec une forme d’imitation.
Une autre interprétation est celle d’un roman d’amour et d’instruction. Simon
parle beaucoup de l’importance d’une instruction en rappelant comment l’écrit
est intervenu dans sa vie et lui permet de devenir syndic, puis maire sous la
Révolution française. Le roman d’amour
devient alors une démonstration de maîtrise dans les compétences de l’écriture
qui va jusqu’à la capacité à fabriquer un roman d’amour avec sa vie. Il passe
d’ailleurs d’artisan à maire puis aubergiste.
Jean Maillefer,
marchand du XVII° siècle de la ville de
Reims, tient un commerce étendu comme avec la Hollande, il a des vignes, un
hôtel particulier qui lui permet d’héberger des hôtes prestigieux comme la reine mère
Anne d’Autriche lors du sacre de son fils Louis XIV. Cependant,
rapidement sourd, il écrit son autobiographie dans un seul manuscrit qu’il a
tenu toute sa vie. Dans l’autobiographie et dans son journal, certains de ces
thèmes reviennent souvent. D’abord il
est indigne d’écrire car il n’est pas lettré et n’a pas de rôle public.
Malgré sa surdité, il a un rôle public puisqu’il a donné à la ville de Reims sa
belle maison et les hôtes qui y sont passés, il a aussi donné beaucoup
d’enfants et enfin il fait du commerce ce qui aide à la prospérité publique.
Ses considérations sur le commerce l’amène à deviser sur des considérations
politiques : la guerre ruine le commerce. Il fait donc une critique cinglante de la politique guerrière de Louis
XIV. Les bienfaits du commerce sont ruinés par les méfaits de la guerre.
Grand lecteur, il annote ce qu’il lit et une des notations les plus cinglantes
qu’il se fait vient d’une lecture, un pamphlet en faveur de la monarchie. Ainsi
Maillefer lit un pamphlet pour le roi, le fiche et le critique. On a donc une
activité critique par la note de lecture critique du pamphlet. Puisque c’est un
journal privé, cela est possible. Cela revient avec la période de la Fronde où
Maillefer dut héberger un groupe de soldats. Maillefer se plaint que ces
soldats empêchaient les gens de rentrer chez lui où il tenait son commerce. Il
va se plaindre auprès de la mairie en charge de cette situation et obtient gain
de cause. Le discours qu’il y a tenu vient entre autre des réflexions qu’il a
mené par ces annotations dans son livre.
Finalement on a une tension entre
deux éléments d’analyse, ceux qui au sein du peuple se préoccupent d’avoir
accès au livre, alors ceux là peuvent avoir une distinction sociale. D’autres
qui ont déjà un statut aisé peuvent avoir un rapport à l’écriture qui conteste
le pouvoir, ce dernier redoutant ces auteurs.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire