jeudi 3 mai 2012

Urbaine 30 - 04 (cours 8)

Précédemment : Urbaine 02 - 04


Un moyen d'accès à l'emploi



Influences spatiales dans le champ de l’emploi


Le problème de l’emploi, surtout du chômage, est devenu un souci central de notre pays et de celui de quelques autres pays. En France, on ne parvient pas à descendre le seuil de chômage sous les 10%. Si on rajoute à cela les conditions d’emploi précaires, alors on augmente encore le chiffre. Le chômage devient alors une des préoccupations principales des Français. Tout le monde en a peur, mais le risque est réparti inégalement. Les plus touchés par le chômage sont les actifs sans diplôme ou avec un diplôme faiblement qualifié et peu élevé. Les ouvriers non-qualifiés sont pour 20% au chômage, les employés sans le bac sont à 15,5%, celui des cadres est à 4%.

La question des sciences sociales est de se demander d’où vient cette inégalité. L’essentiel de l’explication tient à des facteurs macroéconomique et socio-économique. C’est l’abandon de l’activité industrielle, la tertiarisation, la massification scolaire, … Mais on sait qu’il existe aussi des facteurs spatiaux non négligeables. Les deux principaux sont la question de l’accessibilité physique à l’emploi où les moins diplômés auraient un accès moindre au travail. L’autre thèse pointe de doigt qu’en habitant plus souvent que d’autres dans les quartiers pauvres, on aurait moins de chances d’avoir un réseau social de relais vers l’emploi.


 Les transports dans l'accessibilité à l'emploi


Inégalités sociales devant l’emploi et accessibilité au marché du travail


I.                   Marché de l’emploi : un marché ancré dans le territoire

Sur le marché de l’emploi, on retrouve la rencontre entre une offre et une demande. Selon l’économie orthodoxe à tendance libérale, on constate toute une tentative pour illustrer que le marché de l’emploi est un marché comme un autre. On a des employeurs en face de laquelle se trouve une demande. Si on laisse faire le marché, on devrait arriver à un niveau où tous les employeurs trouvent des employés et tous les employés trouvent un emploi. Les salaires haussent ou baissent selon l’offre ou la demande mais cela se réajuste toujours. En théorie, toute offre et toute demande se compensent et le chômage ne doit pas exister. Or en réalité, on en est loin.

En regardant la réalité, on constate que le marché de l’emploi est hautement différent des autres marchés. Le marché de l’emploi est atypique et possède trois particularités évidentes. La première particularité est que les acteurs de ce marché sont ancrés dans l’espace. La seconde particularité est qu’on a à faire à un point immobile. Enfin troisième particularité, la relation est durable dans le temps et de manière quasi-quotidienne entre l’employé et son employeur.
Dans le monde dans lequel on vit on a des caractéristiques sédentaires, la mobilité que nous connaissons n’est pas sans limites. Aux USA, pays de la mobilité, la moyenne du pays est de 9 déplacements importants sur une vie. Les entreprises sont aussi relativement sédentaires, la mobilité est utile mais guère appliquée, les délocalisations sont peu nombreuses et ont un coup élevé pour l’entreprise. La norme est pour elles aussi la sédentarisation.
Les biens ordinaires peuvent être déplacés et acheminés d’un point A à un point B. Un emploi, un poste de travail est encore majoritairement ancré dans un endroit fixe. L’emploi se déplace peu et le salarié doit se déplacer au lieu de cet emploi. Les seules exceptions sont encore les emplois mobiles ou les emplois à domicile, mais ils restent encore marginaux.
La transaction entre l’offreur et le demandeur n’est pas celui de l’instant de l’échange mais s’ancre dans une relation plus durable. L’emploi se fait sur des durées plus ou moins longues, mais en plus cela demande souvent un rapport quotidien entre employeur et employé. Là encore ça diffère du marché des biens ordinaires.

La rencontre de ses salariés fonctionne sous contrainte des mobilités quotidiennes des travailleurs. Mais ce n’est pas une rencontre exhaustive entre les travailleurs et les emplois. Par conséquent le marché de l’emploi fonctionne sous forte contrainte spatiale. Toute offre ne rencontre pas tout demandeur d’emploi. Une partie de la demande ne rencontre qu’une partie de l’offre. En général, ne se rencontrent que les offres et les demandes suffisamment proches l’une de l’autre, à l’inverse de la théorie économique dominante. La contrainte spatiale joue sur ce marché. En théorie on peut considérer que le déménagement rend possible à tout accès à n’importe quel emploi. En pratique, cette attitude particulière ne touche que les jeunes actifs, en début de carrières, sans famille fondée, peu ancrés territorialement, diplômés et qualifiés. Pour ces jeunes actifs et seulement pour eux, le marché de l’emploi est mondial.


II.                Notion d’accessibilité à l’emploi

L’accessibilité à l’emploi c’est le nombre d’offres d’emploi en adéquation avec le profil du demandeur auxquelles il peut accéder à partir de son domicile en un temps de déplacement égal ou inférieur à un seuil donné avec le mode de déplacement le plus rapide qu’il a à sa disposition.



III.             Inégalités sociales d’accès à l’emploi

En général, les actifs peu diplômés et peu qualifiés souffrent d’une sous accessibilité d’accès à l’emploi. Ainsi en Ile de France, l’accessibilité à l’emploi se fait sur une moyenne d’une heure. Pour un ouvrier d’ile de France, en une heure de trajet, il a accès à 44% de tous les emplois ouvriers de la région. Les employés sont à 51% d’accessibilité et les cadres à 65% d’accessibilité à toutes les offres d’employés.
Lorsque l’on regarde la géographie des lieux de résidence et celle des lieux d’emplois, on constate que les lieux de résidence des actifs peu qualifiés sont moins centraux, moins denses et moins susceptibles d’être accessible aux transports en commun. Ainsi, cela augmente la distance des domiciles ouvriers aux emplois ouvriers, contrairement aux distance faibles entre domicile cadre et emplois cadre.
L’autre effet vient des inégalités d’accès aux voitures en dépit de sa démocratisation. Les ouvriers utilisent moins la voiture que les cadres. En moyenne, un domicile ouvrier en ile de France est à 30 km de son lieu d’emploi. Pour les employés, la moyenne se porte à 24 km et pour les cadres on tombe à 18 km. Dans le cas des voitures, la part des actifs sans permis de conduire, ou sans voitures ou bien les deux, s’élève à 25% chez les ouvriers, 32% pour les employés et 15% des cadres.


IV.              Sous accessibilité à l’emploi : facteur de chômage

Il existe un lien entre sous accessibilité à l’emploi et chômage. Dans le cas d’un actif sans emploi et qui recherche un emploi, le temps qu’il passera au chômage sera sans doute fonction du débit avec lequel les offres d’emploi lui sont proposées. Si cela s’avère exact alors la mauvaise accessibilité à l’emploi dans le périmètre raisonnable y est pour quelque chose. Ainsi si le débit d’offre d’emplois par semaine est plus élevé pour un individu que pour un autre, alors celui qui a le débit le plus élevé aura une période de chômage moins élevée. Ainsi en situation de sous accessibilité, le taux de chômage risque d’être plus élevé.

Ce raisonnement tient dès lors qu’un actif cherche un emploi dans un périmètre raisonnable. En revanche, si l’actif accepte de quitter ce périmètre soit en l’agrandissant (temps de trajet plus long) soit en le quittant (déménagement), le raisonnement est plus douteux. Ces attitudes dépendent pour beaucoup des ressources économiques puisque déplacements longs et déménagements ont un coup qui est moins envisageable pour des actifs peu qualifiés.

Ce lien entre accessibilité à l’emploi et chômage est-il vérifié empiriquement ? Des recherches menées aux USA depuis les années 1960, furent soumises à des controverses et furent critiquées dans les années 1990 – 2000. Les hypothèses sont validées dans les enquêtes les plus sérieuses menées aux USA. Johnson en 2006 a étudié les recherches d’emploi sur un échantillon d’actifs. La bonne mesure de l’accessibilité à l’emploi tient au fait que Johnson n’a mesuré que les propositions d’emplois vacants. De plus, il a étudié la concurrence mutuelle des actifs sur le marché de l’emploi. Dans le cas des Afro-américains peu diplômés, un niveau d’accessibilité à l’emploi faible va avoir tendance à augmenter la durée de chômage avant un nouvel emploi.
Un collectif a produit des statistiques similaires en étudiant d’anciens chômeurs devenus actifs. De nouveau les analyses révèlent que l’accessibilité à l’emploi joue pour beaucoup. Dès que l’écart-type de cette accessibilité baisse d’un point, le temps de chômage est augmenté de 10%.

En France, les recherches empiriques sont plus tardives. La recherche de Sandrine Wenglenski en 2009 s’intéresse à la probabilité d’être au chômage de plus d’un an en 1999. Le champ choisi fut les ouvriers et les employés sans le bac résidant dans la même commune depuis 1990. Pour les actifs qui n’ont pas accès à la voiture dans leur ménage et ceux qui y ont accès, on a deux résultats différents. Les résultats confirment de nouveau les hypothèses émises. Les actifs avec un faible accès à l’emploi ont un risque plus élevé d’être au chômage. Ce risque se rapproche de 10% pour ceux qui souffrent d’une accessibilité à l’emploi. Soit un écart de 20% supplémentaire par rapport à ceux dont l’accessibilité à l’emploi est moyenne.

Si on souhaite lutter  contre le taux de chômage, on peut agir dans le sens d’une meilleure accessibilité à l’emploi. La première piste serait de rendre les zones centrales plus accessibles et cela pose la question des logements sociaux. La seconde hypothèse serait de favoriser la motorisation qui à défaut d’être écolo assurerait une réduction des temps de transport. Enfin la troisième solution porterait serait de stimuler les implantations d’emplois dans les zones desservies par les transports en commun. Plus l’emploi des actifs peu diplômés restera central, plus ceux-ci pourront y accéder et donc sortir du chômage.

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