lundi 5 décembre 2011

Moderne 29 - 11

Précédemment : Moderne 22 - 11



Un autre secteur d'organisation rationnelle, ce sont les forges. Celles de Martigné-Ferchaud sont organisées autour de l'étang voisin. Le rez-de-chaussé contient les entrepôts et les magasins. Un autre bâtiment contient les logements des ouvriers internes (qui vivent dans la forge) et les habitations des maîtres de forge qui surveillent l'ensemble des opérations et les travaux des ouvriers internes. On y trouve aussi une chapelle pour les activités religieuses. Denis Woronoff qui étudia les forges souligne que les forges et les usines ont constitué des communautés où l'ensemble de la vie est dictée par le travail ou le rythme du travail (fusions, chauffage, coulées, …). On retrouve cela dans les verreries puisque c'est un domaine où les processus de fabrication dictent les rythmes de travail.



  1. Temporalités et discipline de travail


Ces temporalités semblent radicalement différentes de la proto-industrie. Pour les activités industrielles rurales, il y a une auto-gestion du temps. Les paysans-ouvriers travaillent quand ils le veulent, en général après la journée de travail paysan. On a alors du mal à mesurer ce temps de travail qui s'organise en filant en communauté et en discutant, il y a un mélange du temps de travail et de loisir dans ces circonstances. La fileuse en est le symbole, les tisseurs ruraux par contre doivent travailler avec une machine encombrante qui demande une pièce de travail. Au fur et à mesure que les activités proto-industrielles se développent, le tisseur y passe sa journée, laissant le travail agricole à sa femme et ses enfants. Du coup, avec le cadre du putting-out syst

em, il y a des délais de livraisons qui obligent le fabricant à contrôler son temps de travail (15 jours pour faire une pièce réparti comme on veut mais doit être prête).

Dans les manufactures concentrées par contre, il y a au XVIII° siècle des règlements de manufactures qui organisent le temps de travail qui dans ce type d'enceinte est scandé par la cloche de travail indiquant les temps de pause et de reprise du travail. Le rythme des tondeurs à Sedan : ils entrent à la boutique à 5h30, ont une pose de 8h à 8h30, pause de 12h à 13h30, puis travaillent jusqu'à 19h, ne pouvant quitter leur travail sans « cause légitime ». Les règlements ont aussi tout une série d'amendes pour ceux qui se distrairaient dans le cadre de leur travail. Dans les papèteries, on voit se développer une forme de travail d'équipe comme à Thiers où sur 20h deux équipes tournent l'une de 4h à 12h, suivie de l'autre. Il y aussi un rodage avec 6h de travail, 6h de pause, … Mais ce n'est pas des règlements totalement respectés, par exemple, les ouvriers qui viennent travailler à 4h du matin viennent à 2h ou 3h pour se dégager du temps libre ensuite et pouvoir faire une autre tâche à coté.. Les patrons crient alors au scandale puisque cela les contraint de payer plus de bougies, …

La discipline des manufactures est un problème constant, strictement contrôlé dans les fabriques par un personnel qualifié, chargé de les surveiller. Les deux grands modes de rémunérations sont un soucis. La rémunération au temps de travail (souvent paye à la journée) fait que l'ouvrier peut très bien ne rien faire durant ce temps. La rémunération à la pièce, le travail peut être bâclé pour en faire plus et gagner plus. Du coup, surtout dans les manufactures de qualités, on combine la rémunération au temps et à la quantité produite. On a donc des systèmes de de rémunération à la productivité. Du coup, ceux qui en font moins que prévu sont pénalisés, ceux qui en font plus bénéficient dans un certain cadre (de qualité entre autres) d'une augmentation. Les mesures de la quantification du travail se développent avec la rationalisation du travail et la discipline du travail qu'on retrouve ensuite au XIX° siècle.


  1. Un modèle de subordination


Le contrat salarié est un rapport asymétrique avec subordination du travailleur à son employeur.


  1. Existe-t-il des « contrats de travail » sous l'Ancien régime ?


Les historiens du droit considèrent qu'il n'y a pas de tels contrats de travail puisqu'il n'y a pas de notion générale de travail, il n'y a pas de notion juridique du travail avant la seconde moitié du XIX° siècle. Par contre il existe bien des contrats notariés entre compagnons et maîtres, maîtres et apprentis, … Cela se voit à la ville comme à la campagne. Mais ils sont rares puisqu'il existait de nombreux contrats oraux si ce n'est des allusions à la coutume. Tout ces contrats sont des contrats d'allouage, location de main de main d'œuvre supposant la disponibilité entière de la personne le temps que dure le contrat, il n'y a pas de différences entre l'allouage domestique, l'allouage d'un compagnon ou l'allouage d'un ouvrier de manufacture. Mais de plus en plus, ces contrats précisent les engagements du travail, les amendes en cas d'infractions, les salaires, … toutes ces clauses font que le disponibilité de l'ouvrier n'est plus pleine et entière mais soumise à l'employeur. Pour ce dernier cela empêche les ouvriers de faire ce qu'ils veulent, mais c'est aussi un moyen pour l'ouvrier de protester contre es abus de leur employeurs.

Du coup, qui résout les conflits du travail ? Cela va très peu aux tribunaux royaux.


  1. La police du monde du travail


C'est Steve Kaplan qui en 1979 produit un premier écrit. Il montre justement comment la police à partir du XVII° siècle va s'occuper de plus en plus en dernier ressort bien sur, des conflits de travail. Ces officiers sont persuadés que les classes inférieures de la population sont toujours agitées et qu'il faut les contrôler. Potentiellement les ouvriers et les patrons s'opposent à leurs yeux. Mais les ouvriers restent des « hordes sauvages » selon Des Essarts, ils sont dangereux car ne tiennent à rien du fait qu'ils n'ont pas de propriétés. La police dénombre 300 000 personnes à surveiller et dont il faut réfréner les débordements possibles. Il y a donc une unité imposée de l'extérieur à qui il faut faire admettre la subordination. Alors qu'au sein même des classes laborieuses, chacun se considère différent des autres, la police y voit une unité.

Pour la police, l'ouvrier doit avoir la même soumission à son patron que le domestique à son maître. De fait dans les ordonnances de police domestiques et ouvriers sont souvent traités ensemble. L'ordonnance de 1720 reproche aux compagnons, domestiques et ouvriers le manque de soumission et de respect à leur maître. C'est parce qu'ils y sont assimilés que les ouvriers voient les contentieux avec leurs employeurs ???. Au contraire, les compagnons du monde artisanal n'ont de cesse d'affirmer qu'ils ne sont pas des laquais.


  1. La liberté de quitter son travail ?


Dans le domaine artisanal, souvent les contrats supposent un temps d'engagement donné. D'une façon générale, la fixation de la main d'œuvre est une préoccupation constante des employeurs à l'époque moderne. La forte mobilité des ouvriers entraîne une tentative d'imposition de sédentarisation. Il y a donc une obligation faite par les maîtres à leurs ouvriers de ne pas quitter l'ouvrage sans un préavis. En retour, les maîtres ne devraient pas pouvoir licencier du jour au lendemain leurs ouvriers. 5 jours pour des boulangers, 1 mois pour des potiers. La réciprocité est limitée dans le cadre des corporations. Dans le cas de la manufacture de Glaces, il doit prévenir 2 ans à l'avance, mais le contrôle et ses pratiques restent restreintes (on peut changer de nom pour ne pas être suivi).

Souvent le préavis ne suffit pas, il faut en général finir sa pièce avant de pouvoir partir. Enfin il faut surtout avoir rembourser ses dettes avant de pouvoir partir. En-dehors de toutes obligations écrites, le système d'avances faites aux ouvriers est un moyen de les fixer puisqu'ils doivent rembourser leurs maîtres avant.


De plus en plus, l'obligation du congé écrit s'impose. Tout ouvrier pour quitter son maître doit obtenir un mot écrit de son maître. Cela est parfois précoce (dès le XIII° siècle) mais est imposé par l'ordonnance de 1729 et l'Édit de 1749 le réaffirme. C'est l'obligation pour tout ouvrier pour être réembaucher chez un maître d'être porteur de ce billet sous peine de sanctions. Tout ouvrier qui n'a pas ce billet, ni de travail est considérer comme vagabond et passe sous le coup des règlements de ce statut. De plus, le billet de congé contient une note sur la satisfaction procurée par l'ouvrier. Difficile encore de mesurer ces billets étant donné qu'ils n'étaient pas conservé. Par contre ce billet est à l'origine de nombreux conflits. La police doit alors jugé si le maître devait donner le billet ou si l'ouvrier pouvait partir, mais en général, la police considère que quitter son maître c'est une forme de rébellion.

A défaut de la définition pratique de ce billet, la lettre patente du 12 septembre 1781 instaure un livret pour les ouvriers où celui-ci est identifié, enregistre ses entrées et ses sorties. Tout ouvrier devient vagabond s'il n'a pas de livret sur lui. La mobilité croissante du XVIII° siècle tente de nouveau d'être contrôlée.









François Quesnay












Dynamiques institutionnelles du travail : de Colbert à la monarchie de juillet



L'objectif est de voir les évolutions dans les conceptions et l'encadrement du travail depuis Colbert qui tente de généraliser les corporations en 1773, la création d'inspecteurs de manufactures en 1769 et le développement des manufactures royales, jusqu'à la monarchie de juillet.



  1. Le développement de l'économie politique libérale et l'abolition des corvées et des corporations


  1. Le développement de l'économie politique


A. Une discipline nouvelle


Cette économie politique est une discipline nouvelle au XVIII° siècle qui s'autonomise progressivement par rapport à d'autres champs de pensée. On peut se référer à Meyssonnier La balance et l'horloge, 1989 ; Larrère (Catherine) L'invention de l'économie au XVIII° siècle, 1992 ; Grenier Histoire de la pensée économique et politique en France d'Ancien Régime, 2007.


L'économie devient une science dans la première moitié du XVIII° siècle et prend son essor ensuite. Les deux hypothèses théoriques essentielles sont posées dès la fin du XVIII° siècle : la meilleure façon de participer à l'intérêt collectif est de laisser chacun poursuivre son propre intérêt ; le fonctionnement d'une économie doit être compris en s'intéressant à l'agrégation des comportements individuels. L'intérêt individuel est au centre de ces théories.

Deux sources principales forment cette science. Le jansénisme, courant religieux proche de Saint Augustin. La vision de la nature humaine est pessimiste, nous serions corrompus depuis le péché originel et la vie en société est un constant antagonisme entre les intérêts privés dans la société. Du coup, chacun doit trouver des accommodements avec les autres pour assouvir son besoin. La raison est dominée par les passions et cela aboutit à des compromis entre passions personnelles de différents individus. L'image de l'hôte devient significative, le christianisme doit accueillir son prochain par charité, en réalité il reçoit par égoïsme pour être payé selon Pierre Nicole, Essais de morale, 1675. Cette image se retrouve chez Smith par la suite.

Pour les jansénistes, il faut un État politique fort pour maintenir les hiérarchies sociales. Ces idées se retrouvent chez un des premiers économistes français : Boisguilbert dans Détail de la France (1695) et Dissertation de la nature des richesses, de l'argent et des tributs (1707). Il y aurait un ordre naturel de la sphère économique qu'il faut retrouver. La cohérence de la société tient surtout aux fondements économiques, plus que politiques. Il y aurait alors interdépendance entre les acteurs économiques via la notion de « circuits économiques ». Ce sont des circuits entre les acteurs par les échanges commerciaux. L'idée est centrale en économie au XVIII° siècle. Cette interdépendance des acteurs montre que l'ajustement des intérêts individuels se fait pour le bien collectif.


L'autre source vient de Mandeville, un Hollandais d'origine française émigré à Londres. Dans La fable des abeilles, 1714, il compare l'image de la société humaine comme une riche d'abeilles où « les vices privés font le bien public ». L'avidité, l'envie maintient dans la ruche l'esprit d'invention et surtout la consommation. Au premier rang de ces vices, il y aurait la passion des biens matériels suivi du luxe. Cette idée se retrouve ensuite chez Hume puis Smith. L'influence de Mandeville en France est tardif et reste moins connu que Boisguilbert ou Nicole.


B. Les « libéraux égalitaires », Meyssonier


Ils se distinguent des libéraux du XIX° siècle, puisque les nôtres ne sont pas pour une société égalitaire mais ne négligent pas le rôle de l'État dans l'économie. Dans ce courant très varié, on trouve Vincent de Gournay qui est fils de négociant et qui reprend les activités de son père à Cadix. Il devient un proche du secrétaire d'État à la Marine en tant que praticien de l'économie. Il montre qu'il y a une forte imbrication de l'État monarchique avec les affaires et la pensée économique. Il devient intendant de commerce ensuite et donc membre du Bureau de commerce dans laquelle on propose des ordonnances sur les régulations économiques. Dans ce bureau, il joue un rôle important en animant un groupe autour de lui de gens plus jeunes qu'il ne l'est et qui prolongeront ses idées (Turgot est dedans). Ils ne sont pas tous d'accord entre eux mais trois points principaux reviennent : le pragmatisme sur les dogmes il est préférable d'étudier au cas par cas, la richesse de l'économie d'un pays est basée sur le travail et sur la terre et enfin ils reprennent la notion de circuit économique de Boisguilbert. Pour favoriser ce dernier point, ils estiment qu'il faut libéraliser les échanges car l'idée de concurrence est au centre du circuit économique qui peut ainsi se réguler spontanément.

Mais l'État joue un rôle, il doit réformer par le haut et en cas de conflit avec le marché, l'État doit dire le bien collectif et général. L'ordre naturel du marché est repris modérément.


C. Les physiocrates


C'est une école de pensée très dogmatique, leurs adversaires les appelant « la secte » sous l'égide de leur maître François Quesnay, Tableau économique, 1758. Membre d'une famille ???, il fait des études de médecine, soigne la Pompadour et est anobli. Il rédige l'article « fermier » de l'Encyclopédie. Il analyse la structuration des biens en rapport avec la structure sociale dans son œuvre. Il revendique un statut scientifique pour les lois qui gouvernent l'économie. Il est très abstrait dans son écrit auquel se réfèrent les physiocrates.

Mirabeau le suit et rédige Théorie de l'impôt en 1760, Dupont de Nemours aussi avec De l'origine et du prgrès d'une science nouvelle en 1768, puis viennent l'abbé Baudeau qui dirigera le journal Ephemérides du citoyen, publié entre 1762 et 1772 ou encore Le Trosne et Mercier de la Rivière.


Il y aurait un ordre naturel voulu par Dieu pour le bonheur de l'humanité et que chacun se doit de mettre en œuvre. Cet ordre s'oppose à l'ordre artificiel établit par les hommes, vicié et contraire à la prospérité générale. Le roi et l'État doivent revenir à l'ordre naturel fondé sur le droit de propriété (venu de la pensée politique de Locke) et sur l'inégalité des richesses. Le paradoxe est d'innover en économie pour justifier l'ordre social ancien. Il y a une théorie de la valeur qui est définie à partir de la richesse dont la seule source de richesse est la terre. Seul l'exploitant de la terre produit de la richesse et dégage un produit brut, un surplus de richesses obtenus par l'acte productif une fois utilisées les dépenses. Ce produit net va ensuite circuler entre les trois classes de la société qui sont pour la classe productive, les agriculteurs, la classe propriétaire de la terre uniquement pour Quesnay et la classe stérile, celle qui transforme les biens créés par la classe productive.

De cette conception de richesses découle une théorie de l'impôt qui est que celui-ci ne doit porté que sur le produit net donc l'agriculture et être payé par les propriétaires nobles ou non. Parallèlement, le travail n'étant pas en lui-même productif, celui-ci ne vaut que son coût, que la subsistance nécessaire à la survie du travailleur. Pour les libéraux égalitaires, la valeur est supérieure à son coût puisque le travail est producteur de richesses. Libéraux et physiocrates se rejoignent sur la critique du système d'imposition de l'Ancien régime et sur l'organisation du travail avec les corporations et l'action réformatrice de Turgot qui s'en suit.

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