dimanche 4 décembre 2011

Exposé d'epistémologie de la géo : L'orientalisme et l'exotisme dans les représentations euripéennes du reste du monde. (sans les images ..)

L'orientalisme et l'exotisme dans les représentations européennes du reste du monde.

Que ce soit en tant que scientifique ou en tant que citoyen, on entend souvent parler d'exotisme et d'orientalisme, sans savoir précisément à quoi cela renvoi. Pour produire une réflexion sur ces concepts, il faut donc arriver d'abord à les définir de façon précise.
Dans l'Orientalisme : l'Orient crée par l'Occident, Edward W. Said nous donne trois définitions particulières de l'orientalisme. C'est d'abord un « style de pensée fondé sur la distinction ontologique et épistémologique entre l'Orient et l'Occident », en d'autres termes, c'est une conception binaire découpant géographiquement et culturellement le monde en deux entités homogènes et opposables, bien qu'indéfinissables de façon précise. Ensuite, l'orientalisme est l'objet d'étude de l'orientaliste, un scientifique qui, peut importe son domaine, est spécialiste de l'Orient ou d'un trait spécifique à l'Orient. L'exemple le plus simple est le philologue orientaliste, spécialiste des langues orientales. Enfin, l'orientalisme serait « un style occidental de domination, de restructuration et d'autorité sur l'Orient », c'est-à-dire une idéologie occidentale ayant pour finalité d'apposer à l'Orient la vision de l'Occident. C'est d'ailleurs cette troisième définition que Said garde à l'esprit durant son ouvrage et qu'il développe par la suite, de façon bien plus complète (mais trop précise pour que nous ayons l'utilité de la présenter ici).
L'exotisme, quant à lui, se définit de façon plus simple, comme étant relatif à un pays étranger, généralement lointain ou peu connu. Ce n’est pas le propre d’un lieu ou d’un objet mais d’un point de vue. L'exotisme est donc un goût culturel pour la différence et l'originalité qui se dégage d'une zone géographique considérée comme distante.
Ce que l’on peut préciser pour mieux définir ces deux concepts, c’est que la notion d’exotisme implique un éloignement géographique, mais elle peu s'appliquer à l’ensemble du monde, alors que l’orientalisme ne se focalise que sur un point du globe caricaturé par le terme d’ « Orient » ne renvoyant à aucune réalité géographique et qui, comme nous allons le voir, évolue au cours de l’histoire.
Lorsque nous parlons des représentations européennes du reste du monde, nous incluons aussi les représentations étasuniennes et australiennes, ce que nous allons justifier. En effet, le lien entretenu par les États-Unis et l'Australie avec l'Europe, et notamment l'Angleterre, durant la colonisation et encore de nos jours, nous permet de dire que ces pays partagent une forme de culture et notamment l'orientalisme et l'exotisme. Ainsi, nous inclurons ces deux pays dans ce que l'on appelle l'Occident.

Lorsque nous nous proposons d'interroger ces deux concepts que sont l'orientalisme et l'exotisme dans les représentations européennes du reste du monde, tout en gardant la casquette de géographe, il semble important de comprendre comment ces deux concepts sont apparus d'une part, mais aussi le rôle culturel et politique qu'ils entretiennent en Occident, d'autre part.
Ainsi, nous allons nous demander quels sont les enjeux de ces concepts dans les relations historiques, géopolitiques et géostratégiques, mais surtout quel est le rôle de la géographie dans l’ancrage de ces concepts dans les modes de pensés « Occidentaux », et comment peut-elle aider à déconstruire ce prisme déformant ?
La première partie de la réponse se trouve dans une décortication de l’histoire de ces concepts, élément nécessaire pour aborder ces notions, selon les géographes. Ainsi nous verrons que ce sont des concepts anciens qui se transmettent par biais de la culture. Un fois l’approche historique de ces concepts amorcée, il est désormais possible de voir comment ces concepts permettent à l’ « Occident » de légitimer sa « supériorité » face aux « Autres ». Enfin, nous verrons que l’orientalisme et l’exotisme sont des concepts qui ont été récemment bouleversés, soit par une très forte critique, incarnée par E. Saïd et Staszak, soit par un renouveau des analyses de la géographie classique.

  1. Les origines (la construction) historiques et géographique de l'orientalisme et de l'exotisme.
  1. De l'antiquité au monde contemporain: la peur de l'Autre.

Dans le contexte de l’orientalisme

L'enjeu de cette partie est de montrer que l'orientalisme et l'exotisme sont des concepts dont on peut faire remonter l'origine à l'Antiquité. Ainsi, nous pourrons montrer qu'il s'agit d'une construction historique et géographique et qu'il ne s'agit donc pas d'une réalité objective et concrète (même si elle peut sembler l'être pour les occidentaux, notamment).

Durant la période hellénique, des pièces de théâtre pose ce qu'on considère comme être les bases de l'orientalisme en décrivant les guerres puniques et des mythes grecs, entre autre.
Dans Les perses d'Eschyle, l'Asie est présentée comme vaincue et soumise à la Grèce, avec l'image de la mère de Xerxès qui devient la personnification de la Perse et au sens large, de l'Orient. Pour prendre un autre exemple, Les Bacchantes d'Euripide dessine un Orient turbulent et excessif, ce monde est décrit comme celui de Bacchus, comme dangereux et attirant. Bacchus n'est d'ailleurs pas simplement le dieu de la fête, c'est aussi celui de la décadence, de la farce ; l'image de l'Orient est donc empreinte de mystères et de vices.
Ces représentations symboliques de l'Orient posèrent les cadres des filtres mentaux qui réapparaîtront durant la Renaissance avec la redécouverte de l'Antiquité. On se doit de souligner le fait que ce sont des guerres, des confrontations directes avec les perses qui ont poussé les grecs à produire une image négative de l'autre, mettant en avant les différences qu'ils pouvaient percevoir entre la culture perse et la culture hellénistique.

Durant l'époque médiévale, nous pouvons voir le même déroulement. Durant le VIIe et les VIIIe siècles, des armées musulmanes conquièrent la péninsule ibérique, engendrant une réaction de la part des chrétiens qui se traduisit par la Reconquista, qui prit plusieurs siècles. On retient plus particulièrement la première croisade en 1095 et l'aboutissement de cette « guerre » de longue durée (ce n'en est pas à proprement parler une, car des périodes de paix transitent entre les périodes de conflit, mais cela est un débat d'historien que nous n'avons pas à traiter ici) avec la prise de Grenade en 1492.
Cette période historique s'est vu réceptacle d'une construction d'un Arabe et d'un Orient, imaginée en réaction à la peur suscitée par cette nouvelle religion monothéiste qui menaçait à la fois les dogmes et les terres du monde chrétien. On commença alors à imaginer les terres à l'est de l'Empire romain germanique comme une entité homogène et menaçante, assez proche de ce que l'on retrouve dans le monde grec avec les perses.

En plus de ces deux phases de la construction de l'Orient, il ne faut pas oublier le colonialisme.
Des le 17eme siècle, l’idée de despotisme oriental, propagé par Montesquieu dans les Lettres persanes, construit un Orient caractérisé par l'image du harem et par le despotisme.
C’est surtout dès le XIXeme siècle que l’orientalisme se diffuse très largement et qu’une fascination pour un ailleurs imaginé permet de bâtir une culture européenne se démarquant d’un « Orient » qu’elle va produire d'après ses propres représentations et attentes.
Le discours d’Hugo du 18 mai 1879, prônant les constructions culturelles d’ailleurs, mobilise des valeurs nationalistes, en pleine expansion à l’époque, légitimant l’Orient et l’Afrique comme lieux à « instruire ».
Nombre d’intellectuels occidentaux de l'époque se base sur l'orientalisme pour justifier l'expansion coloniale européenne. Hugo décrira dans son discours la nécessité pour l’Europe, qui a fait du noir un esclave, de faire de l’Afrique un monde, impliquant donc une colonisation, faussement dissimulée par des stéréotypes culturels, et un pseudo-humanisme impliquant des conquêtes territoriales par les puissances européennes.L'orientalisme tire ses racines dans l'histoire lointaine du monde occidentale, stigmatisant un peuple ou une région en lui imposant une identité. Cela permet de légitimer l'expansion du colonialisme en renforçant l'idée de la supériorité de l'Occident sur l'Orient.
Se construisant en réaction à une différence culturelle, lié à la notion de territoire, l’orientalisme, pourrait être qualifié de « géographie de la peur », évoluant et mutant, suivant un contexte historique particulier.
D’ailleurs, selon Edward Said, on trouve au cinéma l'archétype de « l’arabe » et une psychose du terrorisme. On réduit alors l'image de certains pays, comme l'Irak, à celle d'un pays dangereux où il existe un risque constant de terrorisme, que ce soit en son sein ou sur le territoire des Etats-Unis. De plus, le « musulman oriental » se confond souvent avec le « musulman américain », les deux ayant pour objectif, dans une certaine partie des scénarios, de détruire l'Amérique. De cette manière, les Etats-Unis se sont trouvés un nouvel ennemi intérieur, un nouvel individu à stigmatisé, à l'image du communiste durant la Guerre Froide.

Dans le cadre de l’exotisme

L’exotisme, selon le géographe Jean François STASZAK, est analysé comme un processus de construction géographique de la différence, propre a l’Occident colonial, montrant une fascination pour un « ailleurs ». L’exotisme passe par une mise en scène d’autrui, le réduisant au rang d’objet, de spectacle et de marchandise. L’exotisme est de nature très ancienne, et se constate à plusieurs reprises dans l'histoire des civilisations en expansion. La curiosité de la société romaine, à analyser les religions en marge de l'Empire ou les temps d'ouverture de la Chine à la culture européenne pourraient relever de l'exotisme. C’est au XVIIeme siècle que la société française commence à se passionner pour les voyages caractérisant un « lieu lointain », selon un point de vue occidental. Un imaginaire géographique émerge, fort d'un aspect positif. Nous reviendrons, dans cette démonstration, sur l'exotisme.

Nous allons à présent observer de quelles manières l'art est utilisé pour propager l'orientalisme et l'exotisme.

b) L'art comme mode de transmission de l'orientalisme et de l'exotisme.

L'art a dans toutes les sociétés la capacité de diffuser et d’incorporer des idéologies, des idées précises dans les représentations mentales d'un peuple. L’exotisme et l'orientalisme, ont été largement inspirateurs pour nombres de peintres et de compositeurs de diverses œuvres, où l'emplacement géographique oriental et exotique est mis en avant.
Nous allons donc exposer et commenter plusieurs de ses peintures et affiches.

Delacroix est considéré comme l’initiateur dans l’art de l’orientalisme en France. Il représente ici quelqu'un d’origine arabe en train d'agresser une européenne. Nous voyons donc un « arabe » a l’allure sombre, face a une jeune européenne bourgeoise (que l'on remarque par les teintures de ses vêtements, riche en intensité) terrorisée face au sabre, l'un des cliché de l'Orient brutal.




Ici, Etienne Dunet, dans son tableau « combat autour d’un sou », représente des jeunes enfants en train de se battre pour une pièce, mettant en avant un aspect misérabiliste de ces pays, où même les enfants se battent entre eux par cupidité, alors que l’enfant est d'habitude le représentant de l'innocence dans l’art européen.


Cette affiche de propagande du ministère de la marine de Paris, datant du premier quart du XXeme siècle, cherche à convaincre la jeunesse à s’engager pour « voyager ». L’image présente un littoral maghrébin à l’exotisme stéréotypé : ville blanche, palmier-dattier, figuier de barbarie, la tenue vestimentaire typique (djellaba) et le ciel bleu azuré.


C'est une autre affiche de propagande du ministère de la marine de Paris, datant des années 1930, qui présente ce que peut offrir aux marins les pays « exotiques » qu’ils visitent. On remarque donc un jeune femme agenouillée devant eux, un perroquet et et singe paraissant aimer leur présence, un régime de bananes et de multiples fruits en abondance.

Mais il y a dans également d’autres supports artistiques à l’orientalisme et l’exotisme. Par exemple en 1862, Camille Saint Saens compose « la princesse jaune », un opéra comique qui est au fondement d'uncourant orientaliste dans la musique occidentale, ou bien encore « brises d’Orient » de Félicien David.

Après avoir brossé un portrait historique, géographique et « artistique », nous allons à present voir quelles sont les formes de domination culturelle et politique de ces deux concepts.


  1. Des formes de dominations culturelle et politique.
  1. Une relation déséquilibrée entre l'Occident et l'Orient …

Ainsi l'Orient, et l'exotisme que l'on en fait, relève d'une construction culturelle de l'Occident sur le reste du monde. Si, comme nous l'avons vu dans la première partie de cet exposé, la construction de l'Orient, et donc l'orientalisme, se fait en réaction à une menace (réelle ou imaginaire), elle n'en est pas moins favorable à l'Occident.
En effet, l'Orient (ou ce que l'on regroupe sous ce terme) n'entre aucunement dans le processus de création de cet espace imaginaire. C'est l'Occident qui produit (et reproduit) sa vision de l'étranger selon ses codes culturels. C'est pour cela que l'on peut étudier l'orientalisme et l'exotisme avec les outils de la géographie culturelle, comme le ferait BONNEMAISON : on peut en effet considérer que l'exotisme et l'orientalisme sont des projections sur le monde de la culture des individus, c'est une traduction selon leurs codes culturels des territoires qui ne sont pas les leurs. Finalement, l'orientalisme serait la perception culturelle qu'à l'Occident des autres territoires.
Cela explique donc le fait que l'Orient est une terre de fantasme et de mystère pour l'Occident, ainsi que le fait que la définition géographique de l'Orient ne soit pas stable. Il paraît logique que si l'Orient est le point de vue subjectif qu'a l'Occident sur le reste du monde (disons l'Asie et le nord de l'Afrique), alors cet Orient n'est pas fixe, il est construit et reconstruit à chaque génération, ce qui fait que pour chaque contexte historique il existe un Orient spécifique, que le géographe ou l'historien peut tenter d’appréhender comme nous l'avons fait dans la première partie, à partir des sources artistiques et culturelles.

Définir l'orientalisme et l'exotisme, ce n'est pas seulement dire qu'il y a deux zones géographiques distinctes, qu'elles soient produites ou non par l'Occident. C'est une façon de poser une distinction de valeur, de définir une supériorité intellectuelle de l'Occident par rapport à l'Orient. Cela fait que l'on retire à l'Orient la possibilité de s'autodéfinir géographiquement et culturellement, en le transformant en objet de savoir par et pour l'Occident.

La notion d’exotisme dépend du locuteur, car l’exotisme, contrairement à l’Orientalisme, peut s’appliquer à tous les individus. En effet, l’exotisme recouvre des pays « lointains »,  considérés  comme « bizarres » dans l’instant présent, dans le « maintenant » (car les représentations sociologiques de la normalité varient dans le temps). Ce sont des appréciations subjectives, car, en effet, qui peut dire ce qui est « bizarre » et où ce qui se situe le « lointain » de façon objective ? Par exemple, quand on parle d’exotisme, nous pensons, en tant qu'habitant urbain de l’Europe de l’Ouest, à des pays chaud, beaux et ensoleillés ; or, peut être défini comme exotique la « grande ville Française » par un paysan du Béarn, comme on le voit dans les analyses de Bourdieu sur sa région natale ou encore dans l’œuvre Raymond Depardon où il travaille sur les paysans français.
La question de l’exotisme se pose donc toujours par rapport à une personne, à une individualité, pourtant, il est très rare de voir préciser ce point de vue quand une personne parle d’exotisme. Si ce point de vue n’est pas explicité, c’est parce que l’exotisme se situe le plus souvent dans les écrits et autres supports produits par l'« Occident », car elle a imposé son point de vue comme universel. Ainsi on peut dire qu’une chose est exotique toujours en prenant les normes « Occidentales ». L'exotisme renvoie par conséquent bien souvent, de nos jours, aux régions colonisées par l’Europe et à celles qui sont tropicales.
Si on parle toujours du point de vu « Occidental », c’est parce que cette région (floue mais que l’on comprend ici comme l’Europe) a réussi à imposer son point de vue, fruit de la conquête colonial et par la suite de la domination économique sur ces pays. L’Europe impose ses représentations, ses points de vue et sa centralité du monde.

Extrait de l’article de J. F. Staszak, « Qu’est que l’exotisme », Page 4.

Il en va de même pour l’imposition des valeurs « Occidentales » qui sont érigées comme des normes, et où tout écart à ces valeurs par les autres populations sont perçues comme déviantes et non pas comme différentes.
Enfin l’exotisme fonctionne aussi selon les mêmes mécanismes que l’Orientalisme, en définissant un groupe des « autres », vu comme fondamentalement homogène, c’est l’exogroupe défini par Staszak, qui s’oppose au « Nous, » « occidentaux » que l’on réunit comme endogroupe, considéré lui aussi comme homogène. Ceci nous amène à penser un monde dual, Nous et les Autres, ces deux groupes étant très différents et homogènes. Cette manière de penser amène aussi, comme on peut le pressentir, à une barrière pour comprendre l’autre puisque, par défaut il est différent, il n'est pas comme « nous ». Pour continuer la comparaison, l’exotisme et l’orientalisme sont tous deux des prismes par lesquels les « Occidentaux » pensent le monde, ce sont des lunettes par lesquelles « Occidentaux » appréhendent le monde.

  1. qui est riche d'informations sur l'Occident.

Une fois que l'on a expliqué que l'Orient est une construction intellectuelle et politique par les européens des zones géographiques à l'est, il y a un élément centrale de l'orientalisme et de l'exotisme que nous pouvons dégager : l'étude de l'Orient nous donne plus d'information sur l'Europe que sur les pays qu'il est censé regrouper.
En effet, ce sont bien les européens qui produisent ces représentations. Les visions qu'ils ont de l'Orient et des Orientaux traduisent des attentes et des désirs propre à la culture occidentale et si cette façon de faire de la « géographie » par les Occidentaux est une forme de domination, analyser l'orientalisme et l'exotisme peut apporter nombre d'information.
Comme le dit Edward W. SAID, les hommes font l'histoire et la géographie de ce qu'ils peuvent connaître, c'est à dire que la façon dont ils décrivent les « autres » et leur pays nous informent sur ce qu'ils connaissent effectivement de « l'autre » : Analyser la façon de faire la géographie de l'Orient, c'est approcher la connaissance scientifique et géographie (pour ce qui nous intéresse particulièrement) de l'Europe.

D'ailleurs, l'Orientalisme a permis d'adapter l'Orient aux études académiques européennes, aux expositions dans les musées et à l'illustration théorique de thèses anthropologiques et biologiques, sur les races notamment, de faire de cette zone géographique un objet d'étude « scientifique » que les savants européens pourraient alors étudier selon leurs représentations et outils. C'est ce que nous avons définis dans la partie précédente mais que nous avons conservé pour celle-ci, considérant que ce moyen subjectif « d'objectiver » (car les européens pensaient bien produire un savoir objectif, comme toute idéologie, un individu ne conçoit pas qu'elle soit fausse, bien au contraire).
Pour illustrer cela, nous allons prendre l'exemple de l'exposition coloniale internationale de 1931, à Paris, dans le bois de Vincennes. Pour cette exposition, nombre de figurants sont présent pour jouer des cavaliers arabes, des danseuses annamites (province de l'Annam, Vietnam) et autres populations orientales. Pour l'occasion, un temple cambodgien et une pagode bouddhiste sont reconstitués, les visiteurs peuvent alors mettre des lieux et des pratiques sur des pays, sur des cultures.
On peut dire que, d'une façon, on importe les pays et les cultures en France, pour le plaisir des français. On ne pourrait trouver meilleur illustration de ce qu'est l'orientalisme et l'exotisme : l'importation et l'appropriation par l'Europe des cultures de pays lointains, pour leur plaisir. Car finalement, ce n'est pas une simple description des modes de vie étrangers que nous propose cette exposition coloniale, on montre aux européens ce qu'ils veulent voir, on flatte leur imaginaire géographique (déjà définit par l'art et la littérature). L'européen devient observateur d'une culture qui s'étale devant lui, uniquement pour son plaisir.

Les connotations de l’exotisme sont positives, contrairement à l’orientalisme qui sert désormais, comme on le verra, à comprendre pourquoi des pays se sont développés (pays du « Nord ») et d’autres non (pays du « Sud »). Ainsi pour compléter la notion d’exotisme on peut le définir comme regroupant des objets attirants, qui suscitent l’émerveillement : l’exotisme ne regroupe pas tout ce qui est étrange et lointain, mais ce qui est lointain, étrange et attirant. Ainsi le mythe de la Vahiné (analysé par Tcherkézoff, « le mythe de la Vahiné ») peut être considéré comme de l’exotisme contrairement à des pratiques cannibales, tout autant étrange à notre monde. Est exotique ce qui se rapporte au « bon sauvage » (comme on peut le voir dans le supplément au voyage de Bougainville de Diderot, qui ne connaissait pas l’ile de Tahiti), à l’inverse ce qui se rapport au Barbare n’est pas exotique.
Dans la dualité du « bon sauvage » et du « Barbare », dans la seconde moitié du XIX cela va donner lieu à un renouveau critique des penseurs européens, et l’exotisme va servir de support pour discuter des problèmes de la société européenne. L’ailleurs devient « l’incarnation géographique » (Staszak) du monde idéalisé, un état de nature en opposition avec la ville qui se développe et effraye. L’exotisme permet de se représenter un monde pré-moderne, qui rassure.

Comme on le voit ici, dans le tableau de Paul Gauguin, Je vous salue Marie (1892), ce qui est idéalisé, c’est tout d’abord l’abondance, le fait de vivre des biens que l’on produit (et d'ailleurs, les fruits ici représentés sont exotiques pour les européens, dans le sens où ils ne sont pas communs aux goûts occidentaux) ; On retrouve un ensemble d’objets exotiques, comme les paréos, les plantes, etc.
Plus finement, on voit que les femmes vivent dans la nature, il n’y a pas de bâtiments ou d’usine (alors que sur les îles on trouve les première usine de raffinement des produits, en générale les plus polluantes et odorantes) ni aucune représentation de la modernité. C’est la nature et le communautarisme qui prime (avec les maisons dans le fond). C’est aussi la mise en avant des valeurs familiale, comme on le voit avec la femme et l’enfant au premier plan. Ceci est frappant, car le tableau est produit à un moment où la sociologie connaît ses premiers développements, et la sociologie est très conservatrice, s’inquiète de la disparition des valeurs traditionnelles, notamment la famille.

Toutefois, on ne peut pas réduire l'Orientalisme et l'exotisme à ces exemples du passé, on peut aussi mettre en avant une forme moderne de ces deux notions qui n'est pas moins importante pour le géographe.



  1. L’orientalisme et l’exotisme contemporains : un enjeu majeur de la géographie moderne
  1. Le retour d’une vision géographique traditionnelle et l’Orientalisme après 2001
En 1998, Jared Diamond publie un ouvrage où il explique les différences de richesse des nations et il schématise les différences Nord/Sud. Pour cet auteur, ce sont les différences géographiques, mais aussi biologiques, qui expliquent le développement plus rapide du Nord. Il affirme que l’inégalité est liée aux différences de milieu : le climat, le relief et la disposition des continents, nous revenons dans une géographie classique qui met en avant la primauté du sol sur l’Homme. Il en va de même pour David Landes qui base son explication sur les mêmes facteurs géographiques que Jared Diamond et qui affirme donc qu'« un climat chaud et humide accroît la pénibilité du travail, favorise les maladies et influe sur les récoltes. Est-ce un hasard donc s’il n’y a aucun pays développé en zone tropicale ? ».
Pourquoi observe-t-on un retour à cette géographie alors que depuis des années la géographie s’efforce de produire une géographie où l’homme influence son territoire et non plus l'inverse ?
Pour Pierre Gentelle, le retour de cette pensée est en fait très proche des tropicalités et à mettre en rapport avec le débat autour de l’Orientalisme, qui aurait été étouffé comme débat géographique. Ce débat, qui a agité la géographie dans les années 50, n'a en effet pas été traité en profondeur et il resurgit donc régulièrement sans pour autant être traité comme il le devrait.
Mais aussi ce genre de pensée purement géographique permet de se détourner d’un discours Orientaliste. Ainsi, selon ces géographes, si les différences entre les nations sont imputables à la géographie, elles ne peuvent pas s'expliquer pour la religion ni pour la « race » (au sens anglo-saxon), cela pose un déterminisme lié au climat tout en permettant de ne pas faire de généralisation propre à la « race », à la nationalité des individus, mais c'est en soi une forme d'Orientalisme car cela produit une conception de l'Orient comme zone géographique partageant un destin commun.

Les attentats de 2001 ont fait que plus que jamais la grille de lecture des pays dit « Orientaux » est biaisée, notamment d’un point de vue géopolitique ou la zone englobée par « l’Orient », est devenue une zone géographique totalement hostile au « Occidentaux ». Cette guerre contre le terrorisme fait que les médias occidentaux ont une grille de lecture déformée par ce premier prisme du terrorisme comme le montre Habermas dans le concept du 11 Septembre.

  1. Une (re-) CONSTRUCTION de l'orientalisme et de l'exotisme par les différents médias modernes.
Pour analyser les représentations médiatiques, nous prendrons notamment appuie sur l’article de Karim Emile Bitar.
Pour lui, les médias sont dans un premier temps aveuglés par un théologologisme, c’est à dire une tendance propre à tous les médias d’expliquer les événements dans les pays musulmans exclusivement par le prisme de la religion, en ne tenant pas compte des facteurs historiques, économiques et politiques. Les médias Occidentaux définissent l’Orient comme un lieu d’une seule religion où il n’y aurait pas un homo oeconomicus/politicus poussé par la raison, mais un homo religiosus dont la seule appartenance religieuse expliquerait les motifs des actions des individus.
Ce discours pour Karim Emil Bitar vise à justifier l’inaction européenne et surtout à penser que l’Occident n’y est pour rien dans les conflits orientaux, car tous s’expliquerait par une interprétation violente des textes sacrés, et non pas par des motifs politiques et géostratégiques où l'Occident aurait une part de responsabilité (historique, politique et économique).
Le théologocentrisme n’est en réalité qu’un aspect de l’orientalisme qui sert à établir une distinction entre « Orient » et « Occident », servant à construire un « nous » par rapport à un « autre », tout en utilisant un support géographique (on se représente facilement sur un carte l’« Occident » et l’ « Orient ».
Le discours des médias est totalement orientaliste car en utilisant des termes comme « Orient » ou « Islam », les journalistes font un discours globalisant qui ne recouvre aucune réalité concrète. Par exemple, le cas du lancer de chaussure sur G. Bush Jr. a provoqué une pluie d’articles et d’interventions télévisées qui cherchaient à trouver une explication spécifique de cet acte en dehors d’un cadre purement politique. D'ailleurs, quand une autre personne a lancé une chaussure contre G. Bush Jr alors que celui-ci était américain, on l’a pris purement pour un acte politique, ce qu’il était effectivement, tout comme le premier lancé.

Enfin, les médias véhiculent des mots et des expressions orientalistes qui, comme on la vu, ne recouvrent aucune réalité. Mais comme les journalistes sont légitimes pour expliquer des sujets délicats et distribuer l’information, les mots comme « Islam », « intégrisme » et « Occident » deviennent une réalité qui s’applique à toute la zone géographique que recouvre l’ « Orient ». Ces mots, répétés tous les jours, imprègnent très fortement notre vision du monde et construisent nos représentations mentales qui deviennent dualistes, entre un « Occident » et un « Orient ».

Parmi les médias qui peuvent communiquer plus massivement avec les individus, on doit souligner l'importance de la publicité. Pourquoi est-elle aussi importante ? Parce que la publicité est le moyen de cultiver, de la même manière qu’à l’époque moderne ou coloniale, le goût de partir dans des cadres idylliques. Cela est même plus important aujourd’hui, notamment parce que dans des économies mondialisées et ouvertes au marché, dans un monde global où les individus peuvent se déplacer, l’image exotique d’un pays est un enjeu central. En effet, certains pays qui sont entièrement tournés vers le tourisme voient leur économie se développer autour de cette activité. Ainsi, les pays en question entretiennent eux-mêmes cette image exotique, mettant en avant une mer bleue, des plages de sable fin, etc.


Source : http://jive.over-blog.org/article-4709833.html
C’est une graphiste qui a travaillé sur une campagne publicitaire pour Madagascar. On voit qu’est mise en avant la plage de Madagascar en opposition avec la ville française, urbanisée est expansion, on a le calme, la tranquillité et l’inamovible d’un côté, et de l’autre le bruit, la grisaille et le changement ininterrompu. Pourtant c’est bien une image idéalisée de Madagascar, car sortir de ses plage c’est très vite rencontrer la misère et les bidonvilles.

  1. Des concepts à prendre en compte lors de l’analyse géopolitique
Le théologocentrisme pousse à chercher des explications en liant zone géographique et religion, supposant que cette dernière s'y établirait uniformément. On se retrouve alors à chercher des explications là où il n’y en a pas, niant ainsi des réalités sociales, économiques, politiques et surtout géographiques, alors que de nombreux conflits ont pour enjeux principal un territoire et/ou une ressource ; Bref on est loin d’une explication se basant sur la religion ou sur une barbarie naturelle, comme l’Orientalisme le sous-entend.

A cause de terrorisme, les conflits qui se déroulent au Moyen Orient sont interprétés comme des conflits entre le « bien et le mal », entre la Démocratie et la Dictature. L’exemple sensible d’Israël et de la Palestine illustre bien ce prisme déformant qui transparaît lors de l’analyse poussée du conflit. Lévi-Strauss, déjà, analysait ce conflit en le comparant au massacre des peaux rouges par les Américains, on montrant que c’était un conflit territorial, de défense d’intérêt, mais aussi qu’un groupe parvient à légitimer son point de vue et donc à avoir le droit légitime de faire la guerre.

L’enjeu de la géographie est de rappeler que les termes utilisés pour décrire les populations dites « Orientales » n’ont, en réalité, aucun fondement et que la notion même d’Orient est biaisée par une représentation désormais effrayante des pays qu’elle englobe. L’exotisme, dans sa définition « positive », semble avoir migré de; de façon générale, l'Orient rime de plus en plus avec « Islam », « intégrisme » et « religion », esquissant un conflit entre le « bien et le mal ».

Conclusion :
L’orientalisme et l’exotisme sont deux notions très anciennes et de ce point de vue-là, on peut dire qu’elles se sont très bien incrustées dans les modes de pensés occidentaux, si bien incrustées qu’elles se modifient à chaque génération, elles évoluent pour toujours exister. De plus il faut prendre en considération que ces notions se modifient au grès des acteurs qui continuent à la construire soit en s’en servant comme d’un outil (Landes et Diamond) soit en le critiquant (Saïd et Staszak). Dans le champ scientifique, ces notions sont d’un enjeu majeur car ce sont des visions du monde, des lunettes qu’ont les individus pour voir le monde, pour le comprendre. Celui qui maitrise ces notions impose sa vision de la géographie et de l’histoire mais aussi de l’économie ; car ces deux notions sont utilisées dans la géographie pour couper le monde, lui donner des repères subjectifs, dans l’histoire ces notions sont utilisées notamment autour du sujet des « découvertes » du monde (peut-on aujourd’hui encore parler de découvertes ?), de la colonisation. Enfin ces notions sont utilisées dans l’économie et la sociologie pour comprendre aujourd’hui pourquoi des pays sont riches et pourquoi des pays sont pauvres.
Orientalisme et exotisme ont forgées les représentations des européens, une partie de ceux que l’on appelle « occidentaux », sur le reste du monde. Le monde dans son ensemble est appréhendé par ces deux prismes encore aujourd’hui malgré le travail de déconstruction géographique. Ces deux notions reviennent avec plus de vigueur aujourd’hui où le monde est de plus en plus ‘dualisé’ entre « bons » et « mauvais », notamment par les guerres engendrées par les États-Unis pour qui le reste du monde est « Autre », dans le sens qu’ils ne sont pas « Eux ».

Bibliographie :
Livres :
E. Saïd, L'orientalisme, l'Orient créé par l'Occident (1978)
V. Segalen, Essai sur l’exotisme

Articles :
J. F. Staszak, « Qu’est-ce que l’exotisme »
K. E. Bitar, « Les médias occidentaux face aux enjeux méditerranéens »
P. Gentelle, « Réflexion d'un Orientalisme tempéré », (colloque)
J. Savès, Hérodote, « Ca s'est passé un 6 mai 1931 : Inauguration de l'Exposition coloniale ». (http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19310506)

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