mardi 15 novembre 2011

Sociologie des TIC : Séance 6 : La télévision

Séance 6 : La télévision.

Sociologie du public : qu'est-ce que le public de la télévision ? Pour les sociologues, ce public ne se réduit pas à l'ensemble des téléspectateurs : il y a des notions spécifiques qui peuvent étendre la population.

Les origines techniques de la télévision :
Un média ne naît jamais tout seul, il commence à prendre place dans un contexte occupé par les médias déjà existant. L'une des origines de la télévision est la radio.
Au départ, la radio était utilisée principalement pour permettre d'échanger des informations avec des utilisateurs considérés comme des interlocuteurs (les « sans-filistes ») mais ensuite, l'utilisateur est devenu un auditeur avec le mode de fonctionnement en broadcast (avant la WWI).

Après la WWI, des pionniers vont tenter d'utiliser la radio pour envoyer plus que du son, des images. Cela commence avec des images fixes, avec l'inventeur français BELIN. En 1921, il parvient à envoyer une image fixe entre Paris et Bordeaux puis à travers l'océan atlantique. Cette tentative de BELIN prend la suite d'inventions plus anciennes, comme le bélinographe : c'est une technologie qui permet d'envoyer des images à distance avec le réseau filaire (télégraphique ou téléphonique). L'image n'est pas transmise d'un coup mais elle est captée point par point, c'est une forme de balayage horizontale progressif, enregistrant une quantité de lumière entre le blanc et le noir qui était convertit en intensité électrique. En 1914, il y avait une photo d'un journaliste qui avait été transmise à distance de cette façon là.
Ce dispositif a été utilisé après la guerre, non pas pour transmettre une image par un fil mais à travers l'air par ondes radios. C'est assez facile pour une image fixe mais plus complexe pour un film animé. Il faut accélérer le processus pour qu'il y ait une très grande quantité d'images qui se reproduisent les unes après les autres. Ce sont les ingénieurs du cinéma qui mettent au point des caméras et des projecteurs. L'américain JENKINS est un spécialiste des caméras et projecteurs du cinéma et en 1919, il parvient à mettre au point un projecteur sur ce principe, avec un balayage rapide de l'image qui fait que l’œil humain ne parvient plus à séparer les images successives. A la fin des 20', on est capable de transmettre une image filmée en noir et blanc.
Tout cela prend place dans le monde de la radio. Ce sont les entreprises de radio des 20'/30' qui vont tenter de mettre en place des émissions de télédiffusion. Les principales sont NBC et CBS aux USA, la BBC en Angleterre et Radio-Paris en France. La stabilisation dans ces entreprises d’émissions de télévision régulières se fait dans les années précédents la WWII. Le pays le plus en avance est l'Angleterre, en novembre 1936 avec la BBC.
En 1939, il y a 25K foyers en Angleterre qui ont la télévision. Aux USA, il y a 10K foyers. En France, il y en a seulement 200. Au moment où la guerre éclate, il y a des émissions de télévision et les individus concernés vont de quelques centaines à quelques milliers seulement.

Le rôle de la seconde guerre mondiale dans le développement de la radio en France :
Dans les 30', la radio-diffusion était en théorie publique (monopole) mais en pratique plutôt libéralisée. En plus des 15 chaînes de radios publiques, on tolérait une douzaine de stations privées. Comme dans beaucoup de secteurs, pendant la guerre, les stations privées sont interdites pour pouvoir contrôler l'information et une grande partie du personnel disparaît. Après la guerre, il y a en tout en pour tout 2 chaînes de radios, une nationale et une parisienne. Quelques années après apparaît Paris-Inter.
On a d'un coté la station nationale dite de qualité, sérieuse. La chaîne parisienne est moins éducative et culturelle, c'est une radio « légère » alors que Paris-Inter est consacrée à la musique (classique). A la frontière du pays, il y a d'autres radios : Radio Monté-Carlo, Radio Luxembourg, etc. Ce n'est pas un monopole public stricte mais les radios sont contrôlées par l’État.

Extension à la télévision :
Après la guerre, par rapport à la radio, la télévision est un média très modeste, peu connu. Dans les 10 à 15 années qui suivent, le grand média populaire et moderne de l'époque est la radio. Il est assez peu onéreux. Le moment quotidien est le début de soirée où la famille se regroupe autour du poste radio pour écouter les informations. Tout ça est pris en charge par un organisme unique, la RDF (radio diffusion française).
Comme pour la radio, dans les premières années d'après guerre, la télévision reprend. Au début des 50', il y a un millier de téléviseurs en France. Tout au long de la décennie, la télévision va connaître une diffusion croissante et c'est pendant les 60' qu'elle va rattraper la radio. C'est en 1964 qu'une deuxième chaîne de télévision apparaît. A partir de 1949, la RDF est rebaptisé RDTF (Radio-diffusion et télévision française).

J-P ESQUENAZI, la sociologie des publics, collection la Decouverte.

Définition du public :
Un public n'existe que s'il constitue un monde social. Pour parler d'un monde social, il faut que certaines interactions puissent être rattacher sans ambiguïté à ce monde social. La notion de public en tant que monde social a été travaillé par les sociologues qui s'inspirent de la tradition interactionniste, comme Dominique PASQUIER.
Étude du courrier des téléspectateurs de la série TV « Hélène et les garçons ». Pourquoi peut-on dire qu'il y a un public ? On peut constater que ces spectatrices interagissaient entre elles, le feuilleton était l'objet de très fréquentes conversations quotidiennes. Il y avait aussi beaucoup d'interactions avec les producteurs de l'émission, notamment par les lettres envoyées. Enfin, les téléspectatrices elles-mêmes se reconnaissaient comme formant un public : elles écrivaient à titre individuel mais en utilisant le « nous » général.

La notion de public comme groupe est plutôt présente dans la sociologie des pratiques culturelles. On l'a vu à propos du disque. On parle de groupes sociaux, voir de classes sociales. On peut aussi parler de la sociologie des groupes sociaux pertinents (SCOT), comme on l'a vu avec la photographie, ce sont des petits groupes qui se constituent autour d'une technologie. La sociologie des publics n'est pas cela, elle refuse d'être place exclusivement sur la notion de groupe social.

Le concept principal de la sociologie des publics est celui de « médiation », développé notamment par un sociologue français, HENNION. Son objectif est de contester les théories alors dominantes dans la communication : dans ces théories, la communication est la transmission d'un message entre des émetteurs et des récepteurs.
En fait, la communication ne se réduit pas à des interactions entre récepteurs et émetteurs mais il faut ajouter un troisième acteur, celui de médiateurs. Ainsi, lorsqu'on est face à un produit culturel, il y a toujours d'autres acteurs présents : lorsqu'on achète un journal, nous tenons compte d'un grand nombre d'informations ainsi que d'un grand nombre d'individus et d'institutions qui nous incitent à le faire, qui motivent nos choix, etc.
Ces travaux sociologiques se centre empiriquement sur ces acteurs intermédiaires, sur les médiateurs, les acteurs et les diapositifs entre les utilisateurs et les créateurs d'un produit culturel. Ces acteurs et dispositifs ne sont pas uniquement des relais d'informations : l'intermédiation est une transformation. HENNION explique qu'il veut rompre avec la sociologie de BOURDIEU : dans cette dernière, on parle de grands groupes sociaux qui ont des usages différenciés des produits culturels alors que chez HENNION, il n'y a pas de groupes sociaux mais uniquement ces médiations. Ce sont celles-ci qui vont produire un public, le stabiliser, etc.

La mise en place de sondages de la RTF (radio et télévision de France) dans les 40' :
C'est un cas de médiation. Ce sondage n'a pas pour seul objectif de connaître les individus qui vont écouter la radio : il se donne pour but de construire du lien avec les auditeurs car on estime à ce moment là que les émission de radios ne peuvent pas, par elles-seules, construire un lien. On veut faire savoir à l'auditeur qu'on s'intéresse à lui en dehors des fois où il y a des problèmes techniques et de la récupération de la redevance.
Le premier sondage se fiat en 1946 et il est très mal accueilli par la population. Il y a des dizaines de milliers de questionnaires imprimés qui sont diffusés par les mairies et les bureaux de postes. Le nombre de réponses est extrêmement faible, il y a seulement quelques centaines de questionnaires qui sont remplis. Pourquoi un tel échec ?
Il y a à la RTF un service des auditeurs qui s'en inquiète et qui réalise sa propre enquête pour comprendre. Des contrôleurs départementaux sont sollicités à rédiger des rapports par département. Les gens refusent de répondre car pour eux, l'enquête n'a aucun intérêt et parce qu'ils ne croient pas que l'enquête aura un quelconque intérêt.
Le public de la radio n'existe pas au sens sociologique du terme. Il n'est pas structuré comme ce que les sociologues nomment un public car aucune relation n'a été instituée entre les producteurs de l'émission et les récepteurs, aucune médiation n'a été instituée entre eux.

Parmi les dirigeants de la RTF, certains doutent de l'utilité de faire des sondages. Certains considèrent que les réponses que l'on obtient sont des avis informes et maladroits, mal exprimés : l'auditeur lambda n'est pas un bon porte-parole de ses propres goûts, il faut s'adresser aux représentants départementaux et locaux de la RTF elle-même, où l'on trouvera des gens compétents pour exprimer un avis. L'objectif de la radio serait de produire une Education Sociale, on cherche à produire des émissions d'un haut niveau culturel, alors c'est donc d'un assez faible intérêt de connaître les goûts des auditeurs, on sait déjà ce qui est bon pour lui.
Il faut faire connaître à l'individu les émissions à écouter et lui transmettre des critères d'appréciation des émission que l'on produit pour lui. Les enquêteurs se vivent en général comme des missionnaires qui doivent convertir la population à la haute culture. Une nouvelle vague d'enquêteurs va se mettre en place, se déclarant surprise par l'interventionnisme des anciens enquêteurs. La rédaction du questionnaire n'a pas produit de médiation, lorsque l'enquété se retrouve face à l'enquêteur, il ne comprend pas la situation et il l'a trouve sans intérêt.
La RTF met en place alors toute une série de dispositif qui va accompagner la diffusion des questionnaires. Par exemple, avec des camions publicitaires qui informent de la présence du questionnaire et de son utilité, avec des lieux de rencontre, les « halls de la radio », avec de la communication dans la presse, professionnelle et grand public, où l'on fournit le questionnaire dans le journal. C'est grâce à ces nouvelles médiations que progressivement va se constituer un public pour la radio, au sens sociologique du terme, et c'est uniquement après cette phase que les enquêtes par sondage vont se banaliser et se développer progressivement.

Le sondage pour la télévision :
La situation est plus désespérée que pour la radio car la TV est un média totalement méconnu. Les premiers sondages n'ont pas comme objectif de connaître la réaction et les goûts des spectateurs mais plutôt de faire connaître la télévision. En 1956, un rapport de la RTF informe des objectifs des sondages : produire des critères d'appréciation, former les individus à regarder de façon intelligente les programmes, accompagner le travail des agents de la RTF (faire connaître les fonctionnaires, donc) pour enfin crée un climat de confiance, une compréhension et une estime réciproque entre la RTF et le public. On cherche donc à construire du lien, à se faire connaître et à éduquer la population.
Les premières réactions sont assez inattendues : les premiers sondés ne savent pas quoi répondre. Il y a globalement une impression diffuse de satisfaction mais au delà de ça, il y a une très grande difficulté à constituer en expérience communicable ce qu'ils ressentent face aux émissions. Les premiers téléspectateurs ont une âme de pionner, c'est l'idée de participer à une aventure technologique. Il faut réagir à cela en apprenant au téléspectateur à ordonner ses propres réactions. Il faut faire comprendre au spectateur la place qu'il doit occuper. Progressivement, avec les enquêtes successives, les téléspectateurs ont de moins en moins une âme de pionner et savent plus précisément définir ce qu'ils ressentent. Les goûts du téléspectateur ont été précisés, codifiés et améliorés ; on cherche à aider, à former le téléspectateur dans sa maîtrise et son utilisation de la télévision. Le sondage et ses résultats n'ont donc pas pour but de modifier les programmes, mais l'inverse.
La diffusion des résultats des sondages doit rester très restreintes au sein de la RTF, ils sont remis à la direction générale, à la direction des informations et au directeur des programmes. Il y a seulement une douzaine d'exemplaires considérés comme « confidentiels », circulant dans enveloppe fermée. Ces sondages ne doivent pas faire dévier la télévision publique de sa mission d'éducation. En revanche, cela remonte au gouvernement.

Conclusion :
Les premiers sondages pour la radio et la télévision ont été des médiations au sens que donne la sociologie des publics, comme le fait HENNION. Cela montre que le média et le public ont évolué ensemble et dans cette co-évolution, les sondages ont été un outil très important : d'une certaine façon, la télévision se construit elle-même par les questions qu'elle pose à ses publics. Tout ces petits outils pour capter l'information permettent aux acteurs de la télévision de mieux se connaître eux-mêmes, de se préciser qui ils sont et ce qu'ils doivent faire. C'est typiquement une approche de la sociologie de la médiation qui ne va pas considérer qu'il y a des groupes sociaux avec d'un coté des producteurs d'émission et de l’autre des spectateurs. Il y a des médiations entre les deux qui vont permettre à l'un et à l'autre de se construire ensemble, on parle de « performation » : le sondage performe le public de la télévision. Ce mot vient de la philosophie du langage, c'est un mot dont le sens est intermédiaire à la création totale et la simple explicitation : une phrase est performative lorsqu'elle créée ce qu'elle décrit. Le fait de sonder produit un public : on ne peut pas dire que ce public existe avec ses goûts avant les premiers sondages ou que le sondage ne cherche qu'à expliciter les gouts : il faut que l'on apprenne aux individus à mettre en mot ce qu'ils ressentent et devienne communicable.

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