mercredi 23 novembre 2011

Moderne 22 - 11

Précédemment : Moderne 15 - 11








Manufacture des Gobelins

(métro 7 station "Les Gobelins")





Le travail proto-industriel et manufacturier



Travail proto-industriel et manufacturier sont souvent deux mêmes organisations du travail. Ce sont des formes de concentration inséparables d'une dispersion du travail surtout à la montagne. Pour Dalembert, il faut distinguer les manufactures réunies dans l'espace et celles qui sont dispersées. Pourtant les deux sont complémentaires, les manufactures réunies vont de paires avec manufactures dispersées notamment dans le domaine textile. Le travail à la campagne étant souvent interdit par les corporations urbaines, on constate qu'il n'y a pas d'application réelle. L'Édit de 1762 qui libéralise le travail dans les campagnes ne confirment qu'un État de fait qui s'est accentué au XVIII° siècle.

Par proto-industrie, les historiens différencient cela du travail rural dont les nombreuses formes sont éloignées de la proto-industrie (artisanat rural, vente dans les villages, …). La proto-industrialisation est une des formes de ce travail rural.



  1. Le travail « proto-industriel »


  1. Définitions


Le modèle de la proto-industrie en historiographie est apparu dans les années 1970 – 1980, avec Franklin Mendles qui en 1969 fait une étude sur Industrialization et Population pressure in XVIIIth century Flanders. En Allemagne, son travail est complété par Kriedte, Medick et Schlubohm, qui étudie « L'industrialisation avant l'industrialisation » en 1977. Avec ces thèses, le Congrès International d'histoire économique de Budapest de 1982 est traversé par ce sujet. Mendles écrit alors un article pour développer son idée, suivit par un historien français en 1984, Pierre Deyon, Fécondité et limites de modèle proto-industriel : premier bilan.


Cette forme de production se développe tôt mais s'accentue au XVII° et XVIII° siècle. C'est une production faite par les paysans mais pour répondre à l'appel des marchés lointain. La conjoncture de la production de la région est indépendante de celle de la production céréalières régionale. Avec une hausse des prix agricoles, l'argent ne permettait plus ??? Fondée sur le travail des familles paysannes, tant des hommes que des femmes et des enfants. Il faut analyser ces organisations dans un cadre régional, où on trouve surtout des zones d'agriculture commercialisée et des zones avec la production de petits exploitants qui vont devoir aussi acheter ??? Il faut donc un réseau de transport pour assurer la coordination des activités constamment dominée par la ville et les marchands fabricants urbains. Ce sont eux in fine qui récupère la production rurale et assure sa commercialisation. Ils ont donc les plus gros bénéfices avec un bas coût de la main d'œuvre et un prix de vente plus élevé.


Les rapports entre la population rurale et ses marchands urbains sont de deux types de relations : la relation lâche (domestic system) fondée sur une matière première locale achetée par les petits producteurs ruraux restant très largement indépendants, préparant la matière première et la revendant sur des marchés locaux ou urbains. Les marchands achètent les produits, assurent la finition selon les exigences des consommateurs et assurent ensuite la commercialisation. Il y a donc une indépendance possible pour les petits intermédiaires qui sont certes dominés ne pouvant accéder aux marché lointains, mais peuvent faire les produits qu'ils veulent, vendent ce qu'ils veulent, … Le second système (putting out system) illustre la main mise sur l'ensemble de la chaine productive des marchands fabricants. Il faut en général des capitaux faire venir les matières premières puis répartissent le travail à la campagne mais aussi dans la ville. Ces petits acteurs sont donc plus contraints sur leur type de production, sur le contrôle, … avec des marchands fabricants qui contrôlent toutes les étapes. Dans les matières ou les qualités des produits, on aura le choix du système. Dans les produits finaux de haute qualité, le putting out system est privilégié (laine de haute qualité, …). A l'inverse le domestic system domine dans la laine cardée, le chanvre, …


L'appel des marchés internationaux au XVII° et XVIII° siècle va stimuler les productions de l'Europe dans un cadre mondialisé. Cela est renforcé dans le royaume par une politique propre à développer ce système. Autre impact, les corporations urbaines deviennent un frein au développement capitaliste limitant la main d'œuvre, contrôlant les prix des artisans, … Pour tourner ces corporations urbaines, les marchands-fabricants vont se tourner vers les campagnes. Enfin c'est inséparable de la misère rurale qui cherche des revenus compléments acceptant tout types de travaux industriels en complément de leur travail de la terre.


La proto-industrie a des effets sur la démographie, ce travail industriel permet de se marier plus tôt sans attendre le décès des parents, puisqu'ils ont des revenus possibles de ces activités. Les mariages précoces entraînant une hausse de la fécondité doublée d'un taux de mortalité infantile plus élevé. Prolétarisation de cette main d'œuvre rurale puisqu'ils perdent le rapport avec la terre. Les petites propriétés se morcelant avec la progression démographique. De nombreux ruraux perdent leurs possessions foncières ce qui induit une prolétarisation et une paupérisation de ruraux de plus en plus soumis aux marchands-fabricants. Ils ne peuvent alors rien faire contre eux, surtout pas face à la baisse des salaires suivi d'une grande offre de travail des familles et d'une faible offre des marchands-fabricants.

Autre conséquence, on a une première forme d'industrialisation, mais ce n'est pas une rupture brutale comme on a pu l'envisager. C'est une lente transition vers l'industrialisation avec cette première étape. La main d'œuvre rurale est formée au travail industriel, va s'adapter aux changements y compris techniques, perd son lien avec la terre, est contraint à l'exode rural (surtout avec la mécanisation) et cette main d'œuvre permet l'enrichissement des marchands-fabricants qui investissent dans des machines industrielles. C'est donc non pas une rupture mais un processus de continuité.


Ce ne sont donc pas des ouvriers urbains, ceux-ci ayant un modèle démographique éloigné de celui des campagnes. La proto-industrie n'est pas la production destinée à des marchés locaux, ce n'est pas n'importe quel type de production à la campagne.

Ce modèle proposait un modèle explicatif au moment de la première mondialisation de l'économie européenne. De plus, et surtout, il liait les modèles productifs aux aspects sociaux (formes de l'exploitation agricole, structure de la propriété, …) au modèle démographique, voire aux aspects culturels. Auparavant, ces modèles étaient étudiés séparément.


Pourtant ce modèle fut critiqué dans sa version initiale tout du moins.

Les raisons furent débattues. Plutôt que de penser que les corporations rurales sont une frein et que les paysans en situation de misère accepterait n'importe quel autre travail était simpliste. On a réévaluer le rôle des corporations qui étaient aussi des instruments dans la main des marchands-fabricants combiner avec le travail rural. Ces corporations ne pouvaient être vider de leur rôle initial.

D'autre part ce n'est pas dans les régions spécifiquement pauvres que se développe ce modèle de proto-industrialisation. Les paysans ne sont pas dans une passivité totale. Les effets démographiques sont aussi à revoir avec leur prolétarisation. Le modèle de Mendels fonctionne très bien en Flandre et dans quelques autres régions, mais on voit aussi d'autres espaces ruraux où les proto-ouvriers vont se marier plus tard, contrôler leurs naissances, … La prolétarisation n'est pas non plus le destin de toutes les populations proto-industrielles. Celles qui en tirent profit souvent dans le cadre du domestic system, adoptent des stratégies d'accumulation des biens, de limitation des naissances, … Et donc une minorité parvient à connaître une ascension sociale.

La proto-industrialisation comme première phase de l'industrialisation est vraie en Flandres mais d'autres régions ont connu cette phase au XVIII° avant de se désindustrialiser par la suite. De plus, d'autres régions vont voir la longue coexistence de formes proto-industrielle avec des formes ponctuelles de mécanisation, …

On a donc un modèle historique de développement élaboré sur le cas flamand mais pas valable dans toutes les régions. Malgré tout, on a beaucoup diversifié ce modèle proto-industriel initial mais avec des formes plus adaptées aux régions.


  1. Le développement du travail proto-industriel


Du point de vue des marchands-fabricants, il faut répondre rapidement aux demandes du marché et la main d'œuvre rurale est la plus flexible car sans condition à l'embauche ou au licenciement. On s'adapte rapidement aux demandes des marchés. On est donc dans un système de type flux-tendu. Autre avantage à leurs yeux, ce système limite considérablement les coûts salariaux car la main d'œuvre est très sous-payée par rapport à la ville. Enfin le coût social est moindre puisque les proto-ouvriers sont trop dispersés pour former une coalition ou une grève. Les marchands-fabricants le savent et cela les pousse parfois à développer ce système.


Du point de vue des autorités politiques souvent éloignées de ce système initial. A niveau national, elle adopte des politiques favorables à ce système (mercantilisme comme volonté de développer ces manufactures dans un but initial de développer la fortune du roi et de développer le système économique). La proto-industrie devient un moyen de lutte contre la pauvreté et l'oisiveté des populations rurales. A défaut d'une répartition égalitaire des terres, on peut lutter contre l'oisiveté en leur proposant un travail avec ces formes de développement rural. D'où des avantages de différents types concéder aux marchands fabricants qui les mettent souvent hors des corporations, des taxations fiscales, des subventions aux activités, … des activités subventionnées avec des clauses fiscales intéressantes.


Du point de vue des familles rurales, ce travail proto-industriel face auquel les ruraux ne sont pas juste passifs se déclinent en trois traits : indifférence dans les régions avec une agriculture relativement riche nourrissant tout le monde et avec des rémunérations acceptables, providence quand la structure de la propriété est inégalitaire, que l'agriculture est très céréalière et peu spécialisée, et enfin aubaine dans une stratégie paysanne de diversification des activités et moyen de résistance face aux pressions des grands propriétaires. Autonomie maintenue, indépendance maintenue aussi chez certaines populations comme à Saint-Quentin ou ailleurs.


  1. Des espaces complexes


Les espaces allient toujours ville et campagne dans des formes variées, hommes et femmes, travail qualifié et travail non-qualifié, … La multiplication des études sur les régions industrielles ont montré la variété de ces formes d'organisation avec des organisations plus ou moins rationnelles mais toutes tendant à limiter les coûts.


Trois exemples parmi tant d'autres dans le textile.

Une organisation très rationalisée comme à Sedan dans les Ardennes. On trouve un territoire proto-industriel en concurrence avec d'autres (métallurgie ou laine peignée de Reims). La concurrence pour la captation de la main d'œuvre rurale est forte. Le territoire sedanais s'étend donc hors de la zone de souveraineté du roi de France dans un duché. Cette organisation forme une toile d'araignée avec au centre la ville des marchands-fabricants, les activités de finition. Suit le premier cercle des villages du tissages (6 à 10 km) puis le second cercle plus large de filage rural avec des femmes et des enfants surtout ainsi que des systèmes de relais vers la ville.

La région de Cambrai, Saint-Quentin, Valenciennes produit des toiles de lin extrêmement fines (les baptistes) exportées vers l'empire espagnol. Ces trois villes concentrent les marchands fabricants, les activités des finition (blanchiment des toiles) avec de multiples relais dans les territoires diversifiés avec trois quarts de proto-ouvriers, plus ouvriers que paysans. Dans une zone plus large, un tiers seulement des populations sont impliquées dans un rapport plus équilibré entre travail agricole et travail proto-industriel. Enfin dans d'autres zones très éloignées, la proto-industrialisation ne prend pas du tout.

La Bretagne, zone de toiles de lin exportées à l'international surtout vers l'empire espagnol via Cadix ou en contrebande. On y trouve un territoire polycentrique avec des villes non reliées entre elles mais dominées par un port servant à l'exportation des produits. Nantes est en recul préférant le commerce d'esclaves, Morlaix développent les « toiles crées » et Saint Malo plutôt les « Bretagnes ».


La proto-industrie ne veut pas dire absence de réglementation. Il y a des normes de production voulus par les fabricants et contrôlés par les inspecteurs des manufactures créés en 1869 (?). Loin d'être un carcan pour les marchands-fabricants, ce sont eux qui l'ont désiré pour avoir des produits normés aux mêmes caractéristiques dans tout les points de production. Le développement de modes parfois très passagères va demander une adaptation nécessaire des marchands-fabricants à ces changements continuels. L'idée de réglementation pérenne est remise en cause par cette nécessaire adaptation aux modes et volontés des clients. La demande est motrice, dans notre cas, se développe des jeux sur les règlements toujours voulus mais toujours contournés. Cela permet en plus aux marchands-fabricants de payer moins cher leurs ouvriers en insistant sur leur non respect des normes de fabrication. Les formes de rémunérations de ce travail proto-industriel intègrent toujours un contrôle de la qualité de ce travail. Par exemple, on paye des fileuses à la grosseur du fil qu'elles ont produit et selon la norme en vigueur. Le travail a beau être dispersé il reste contrôlé par un système de paiement à la qualité.



  1. Le travail dans les espaces industriels complexes : « manufactures », « usines », …


  1. Dans quels secteurs et pourquoi ?


Dur d'envisager toutes les situations. Les choix de concentration sont toujours des choix minoritaires dans des secteurs de pointe et assez spécifiques tels les manufactures de tabac, les arsenaux (proto-fabriques concentrées), les savonneries, les forges de métallurgie, les fours de verrerie, … Ce sont souvent des secteurs à processus techniques complexes avec la présence de machines et d'installation techniques qui nécessitent des investissements importants et des secteurs où il est difficile de séparer les différentes phases de processus techniques et encore moins d'effectuer les tâches après un temps long (dans le textile on peut filer la laine et la laisser plusieurs mois dans des entrepôts avant de la traiter). Ainsi les étapes doivent souvent rapidement s'enchaîner en verrerie ou dans les forges notamment. Dans les produits de luxe, un contrôle rapproché des ouvriers doit permettre de vérifier la qualité des produits fabriqués.

On trouve donc de fréquentes associations de formes variées et aux formes institutionnelles tout aussi variées. Ainsi dans la Grande Fabrique lyonnaise (30 000 ouvriers), implantée au cœur de la ville, on imite les fabrications italiennes. Rapidement au XVIII° siècle, Lyon donne la mode dans les soies en Europe. Cette industrie est donc urbaine mais dispersée dans la ville. Elle est dominée par environ 300 marchands-fabricants. Ils achètent la matière première, donnent les dessins régulièrement renouvelés. Ces marchands-fabricants contrôlent une structure pyramidale avec sous leurs ordres des maîtres ouvriers en soie qui travaillent à façon pour les marchands-fabricants. Ces maîtres ouvriers font travailler dans leurs ateliers des compagnons ouvriers très nombreux, mais aussi des femmes qui font en général les travaux les plus difficiles et souvent considérés comme les moins qualifiés. Le reste de la structure corporative est manipulée par les marchands-fabricants à la tête de cette structure pyramidale. C'est donc un putting out system au sein d'une ville.

A coté on trouve pourtant des maîtres marchands en soie qui achètent la matière et vendent les pièces qu'ils confectionnent eux-mêmes avec une indépendance plus grande. Mais ce statut peu courant entre en plus dans une spirale de prolétarisation.


  1. Les espaces de travail


Le Dijonval de Sedan, grand palais manufacturier construit au XVIII° siècle avec des ailes proto-industrielles. La concentration à Sedan est complémentaire de la dispersion avec une conception rationalisée de l'espace puisque l'on trouve au rez de chaussée les laineurs, à l'étage les tondeurs surveillés par un contremaîtres, au dessus le femmes qui vérifient le tissu et enfin les chardons dans les greniers. Moyens techniques et contrôle du travail vont donc de pair.

A partir du XVII° siècle, ce type d'architecture monumental se développe répondant aux exigences de prestige, de contrôle, … pour affirmer la qualité de son produit. Ainsi à Abbeville, on retrouve l'aspect du Dijonval. A Jouy-en-Josas, Oberkampf importe la fabrication des toiles imprimées selon la mode des indienneries et installe dans cette ville, une fabrique d'indiennes. C'est une forme de fabrique au village avec une concentration à Jouy-en-Josas, un village tout petit qui va alors se développer. On en trouve aussi dans les faubourgs parisiens comme la manufacture de glaces, de papiers peints, de tapisseries dans le faubourg Saint-Antoine, ou la manufacture des Gobelins dans le faubourg Saint-Martin avec un cas particulier, cette manufacture est au service du roi. De même, les bâtiments longs et monumentaux des corderies royales de Rochefort (374 mètres de long) où l'on trouve des magasins, des fonderies, des forges, des poudrières, … Ou encore les salines royales d'Arc et Senans, projet de Claude Nicolas Ledoux entre 1775 et 1779. On devait y trouver les bâtiments de production, les logements ouvriers, les magasins et au centre à la fois la chapelle et la maison du directeur. Cela fut en partie réalisée, mais resta essentiellement une utopie où Ledoux voulait « Tout voir, tout contrôler ».

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