mercredi 9 novembre 2011

Moderne 08 - 11

Précédemment : Moderne 25 - 10









  1. les lieux et temps du travail de la mer


  1. Marins, pêcheurs, pluriactivité


Si l'on associe travail de la terre et de la mer, c'est parce que les pêcheurs sont compris dans le statut du paysan. Les documents de l'époque distinguant nettement les marins du commerce du cabotage ou du commerce au long cours avec les pêcheurs. Les pêcheurs sont perçus comme les bons travailleurs ayant une vie saine alors que les marins du commerce font partis du mauvais peuple, associé aux vices de toutes sortes (femmes, alcool, tabac, …). Ces stéréotypes reflètent deux images différentes du peuple au travail avec des activités et des temporalités différentes. Pourtant ce sont souvent les même hommes qui font la pêche, le commerce et d'autres activités. Le passage d'une activité à l'autre est commun. Ce travail mixte se trouve souvent dans les grands ports de pêche autant que de commerce (Le Havre, Dunkerque, …) où les hommes sont en constante mobilité. Il y a aussi un mélange entre activité maritime et activité de la terre surtout dans certaines régions comme en haute Normandie où deux tiers des pêcheurs sont aussi des paysans qui cultivent avec leur femme la terre. D'autres activités annexes en découlent dans lesquels les hommes peuvent s'engager quand ils ne sont pas en mer.


  1. Les espaces du travail en mer


Les massons du parc de 1724 permettent de distinguer différents types de pêches : pêche riveraine (depuis le bord de mer, la proximité des côtes) très importante pour la communauté où travaillent tant les hommes que les femmes, les activités de pêche côtière faites dans des bateaux de trois ou quatre hommes dans de petits bateaux qui respectent les marées et le beau temps qui sert à approvisionner les villes proches des côtes maritimes dans les ports en poisson frais. Les pêches hauturière et régionales qui durent plus d'une journée et imposent de partir en haute mer en suivant les migrations des poissons.

En France du Nord-Ouest on trouve la pêche du maquereau ou du hareng qui sont complémentaires, les deux migrations se suivant temporellement. On suit donc ces bancs des côtes d'Ecosse à Hitland avec des bateaux plus grands qu'en pêche côtière de la Saint Rémi (octobre) à Noël. La pêche de la sardine a lieu en Bretagne aussi. La grande pêche, très minoritaire mais très commentée historiquement. On y trouve la pêche à la morue, à terre Neuve surtout, concurrençant celle du hareng, séparée entre pêche à morue verte, bateaux de 50 à 20 tonneaux, où la morue est traitée dans le bateau même, quelque peu salée. La pêche à la morue sèche avec des bateaux de 100 à 350 tonneaux qui partent avec plusieurs centaines d'hommes pour plusieurs mois, a aussi cours. La pêche elle-même se fait dans des petits canots et le traitement presque intégrale se fait dans le bateau et le taux de décès humain est fort. Cette morue est utilisée en Europe du Sud puisque salée, la morue se conservent pendant plusieurs mois. On a aussi la pêche à la baleine avec la montée du Spitzberg, de la Norvège, de l'Océan Indien puis Pacifique. Cette pêche est très minoritaire mais cruciale dans certains ports comme Le Havre ou Dunkerque. De la baleine on produit de tout de l'huile (donc des industries de transformation sont nécessaires) avec sa graisse, des armatures de parapluies ou de robes avec les os, … On trouve aussi la pêche au thon important pour les ports méditerranéens tels Sètes ou Marseille. Enfin on a la pêche au corail très utilisé dans la joaillerie ou les sculptures.


  1. Temporalités


Pour la pêche côtière c'est surtout au gré des jours et des marées.

La pêche à la morue est saisonnière ce qui permet d'enchaîner les activités l'une à l'autre dans l'année, la morue c'est donc en partie de mars à avril pour les pêcheurs d'Islande, ceux qui vont sur le banc de Terre-Neuve partent en septembre et reviennent en décembre. La pêche au hareng à lieu de fin mars à juillet au large des côtes d'Ecosse (comme la morue et parfois ils étaient complémentaires) et de la Saint Rémi à Noël pour la pêche wermous (???). Ainsi à Dunkerque en 1770 on voit trois grands moments, janvier à mars c'est la pêche côtière, de mars à août, c'est la morue au grand large et de septembre à décembre c'est le hareng au large mais plus proche. Cette schématisation extrêmes ne doit pas occulter les passages entre les différentes activités.







  1. Diversité des conditions des paysans et des pêcheurs


  1. Pêcheurs et marins


Etant donné le système d'enquêtes mises en place pour peupler la royale, on a plusieurs chiffres. On en déduit donc 60 000 à 80 000 gens de mers au XVIII° siècle. La pêche représentant 25 000 à 30 000 hommes, c'est sans commune mesure avec le monde paysan même en comptant les familles des pêcheurs. Mais les pêcheurs et leurs familles représentent 2% de la population active, 0,5% du peuple français et 40% à 45% des gens de la mer. C'est au niveau local que cela devient pertinent avec 40% de cette population à Brest en 1788 puis 37% en 1825. A Rochefort sur les mêmes années, le nombre de pêcheurs passe de 32% à 18%. En revanche Le Havre est constitué à moitié de pêcheurs. Enfin les petits villages sont souvent constitués à majorité de pêcheurs avec quelques artisans, moins de dix familles bourgeoises, …


On assiste malgré tout à un phénomène de concentration des ports puisque par exemple dans la pêche à la morue 60 ports au XVI° siècle la traite, 20 au XIX° siècle. Le hareng de 20 ports au XVI° siècle passe à 4 au XIX° siècle (Boulogne, Fécamp, Dieppe et Saint Valéry en Caux). Concentration aussi de l'activité avec 20% de pêcheurs à Dunkerque au XVI° siècle et 5% en 1750. Cela vient certainement du fait qu'il faut des activités annexes à la pêche telles la fabrication de bateaux (coques, armatures, …), des instruments (filets, cordages, barils, …), de transformation (salage, saurissage, fumage, …), … Ces zones de métiers emploient essentiellement des femmes et des enfants.


On trouve peu de formes de salariat pures mais plutôt une rémunération à la part et le système d'hôtages, rémunération entre un hôte bourgeois (souvent marchand) avec un autre marinier appelé aussi maître du bateau. Cette association est au départ volontaire pour diviser les coûts importants de la pêche mais devient rapidement obligatoire. Un maître pêcheur devant s'associer avec un maître bourgeois pour 9 ans. Cependant, à Boulogne on trouve des contrats à vie. Parallèlement, l'hôte marinier engage les pêcheurs pour plusieurs années. Plus qu'un emploi saisonnier, c'est un emploi pluri-annuel entre l'hôte marinier et les pêcheurs. L'hôte bourgeois procède donc à la vente du poisson et paye comptant le produit de la vente à l'équipage et se fait rembourser par l'acheteur. Pour cela, l'hôte marinier prélève une commission de 5% sur le produit de la pêche. Mais de plus en plus, les hôtes mariniers ne peuvent plus payer les bateaux et c'est donc à l'hôte bourgeois de fournir l'investissement en prélevant une part bien supérieure de la pêche qui en résulte.

La pêche est aussi rémunérée à la part du produit de la pêche en fonction de son apport initial. Une part pour le bateau, une autre pour les outils, les filets et d'autres pour le travail. Ces parts évoluent différemment dans les différentes centres, mais ceux qui apportent les outils sont vite favorisés par rapport à ceux qui n'en ont pas. 8 pièces de filet et 2 hallins donnent quatre parts, le travail simple de pêcheur n'est qu'une part. L'idéal est donc que le pêcheur est ses outils mais pourtant c'est le contraire qui se produit avec ¼ de matelots sans filets au milieu du XVIII° siècle. Du coup, d'autres fournissent les filets aux pêcheurs en échange d'une partie de la pêche. Finalement, le travail en lui-même n'a qu'une part faible.

A Dunkerque, un système de salariat existe à la semaine. Les pêcheurs sont rémunérés 20 livres par semaine mi-XVIII° siècle, pour la pêche au hareng. Néanmoins, dans tous les ports, on peut assister à la prolétarisation croissante d'un nombre toujours plus important de pêcheurs.


  1. Travailler et tenir la terre


Dans le domaine agricole, l'essentiel se fait dans le travail de labour et celui de ???. Ainsi les laboureurs sont les travailleurs les mieux lotis des villages, en général ils possèdent leur train de labour (charrue et bœufs). Il peut exploiter sa terre ou celle des autres. Ainsi le rapport à l'outil est plus important que le rapport à la terre. Les laboureurs étant le sommet de la hiérarchie paysanne, ils deviennent vite inclus dans d'autres catégories sociales.

Les fermiers, ceux qui prennent en location la terre, via un bail à redevances fixes pour un nombre d'années variables (trois à neuf ans) et plus le bail est long plus la redevance sera stable, les bails courts permettent aux propriétaires d'augmenter les bails. La redevance peut être versée soit en argent (qui compte selon sa valeur vue les dévaluations tout au long du XVIII° siècle) ou en nature (plus indépendante des dévaluations) ou en travail (mais ce n'est pas une corvée, c'est le prix de la location de la terre). Le fermage est l'outil de concentration agraire sous la houlette des fermiers, Moriceau démontrant que la concentration agraire croissante se fait non aux mains des propriétaires mais au sein des grandes familles de fermiers, qui profitent ainsi des bonnes périodes agricoles. Ces gros fermiers quittent alors la catégorie sociale du peuple.

Le contrat de métayage, le propriétaire et le cultivateur de la terre s'engage à se répartir les frais (bâtiments, terre, outils, bétail, …) et le métayer engage son travail avec parfois une partie des outils et du bétail. Le métayage entraîne souvent la concentration agraire sous la houlette du propriétaire cette fois-ci. Ils réussissent ainsi à imposer des clauses très avantageuses pour eux surtout concernant les plantes nouvelles (murier dont le fruit revient au seul propriétaire). Les cultivateurs sont alors de plus en plus exposés et reçoivent moins de la moitié des récoltes. Les métayers deviennent de pauvres hères dans plusieurs régions et la taille de la famille est elle aussi contrôlée par le propriétaire qui lui en revanche s'enrichit. C'est le cas Basse-Auvergne ou dans le Boubonnais. Les métayers sont donc partie du peuple avec leur statut se prolétarisant.

Fermage et métayage supposent tout deux une exploitation indépendante avec la ferme. Ces « contrats à l'écorché » louent un siège d'exploitation distinct. La plupart de ces contractaires ont disparus car ils étaient bien souvent oraux. Quoiqu'il en soit, ces trois rapports supposent des paysans qui ont une terre.


Ceux qui n'ont pas de terres, qu'on peut nommer les manouvriers, n'ont que leurs mains et travaillent pour d'autres. Les travailleurs journaliers, dit aussi affaneurs, sont des manouvriers qui travaillent au jour la journée sur des petits marchés qui existent avant le début de la vraie journée de travail, à l'aube. Les travailleurs journaliers se présentent ainsi à ceux qui les embauchent. Parfois leur emploi est saisonnier. La différence avec les domestiques c'est que ces derniers ont des contrats à longue durée (annuelle) et ont donc une situation plus favorable que les affaneurs puisqu'ils sont logés et nourris. Ils bénéficient du minimum vital qui n'est pas au bénéfice des affaneurs.


  1. Pesée et évolution des effectifs paysans


Effets contrastés de la prospérité du XVIII° siècle avec une période de relative prospérité agricole et un recul des crises mais avec des résultats contrastés, une minorité s'enrichit et une majorité du peuple s'appauvrit. Cela se voit dans l'évolution de certaines régions. L'Alsace, étudiée par René Boehler, qui se diversifie en agriculture et permet le maintien d'une petit propriété paysanne. Mais le XVIII° siècle fait reculer le nombre de petits paysans et de laboureurs (avec 5% à 30% de laboureurs, 25% à 45% de journaliers, 5% à 20% de d'artisans et 20% à 40% de domestiques). Donc 85% maximum de la population paysanne est dans une situation d'extrême pauvreté. La paysannerie aisée recule mais en compensation, ceux qui restent deviennent plus riches. La population précaire en revanche gonfle brusquement et en conséquence s'appauvrit. Pour 100 laboureurs, on a 170 journaliers (dont un quart de femmes) et 110 domestiques. Augmentation et précarisation croissante de la population paysanne dans la seconde moitié du XVIII° siècle.

Dans la région de Donmarie-Eumont, avant 1575, 59% sont des laboureurs et 22% des manouvriers. Dés le début du XVII° siècle, on a 26% de laboureurs et 63% de manouvriers. Dans l'élection d'Arques, 66% sont déclarés « sans terre » ou « mendiants » en 1695, autant en 1789. Par mendiant ce ne sont pas les gens qui n'ont vraiment rien mais ceux qui sont aidés par la paroisse. En Bourgogne, région pourtant riche, manouvriers et journaliers sont dans certains villages ils sont 50% à 75%. Dans le pays de Caux, 2/3 des paysans sont considérés sans terres.

« Au XVIII° siècle la prolétarisation remplace le cimetière » selon Leroy-Ladurie dans Histoire de la France rurale. Les grandes crises démographiques reculent au XVIII° siècle, on meurt donc moins mais on devient plus pauvre avec un émiettement des propriétés paysannes. Le résultat pour le peuple est donc malgré tout une paupérisation croissante. La question du partage des richesses est au centre des contestations de la fin du XVIII° siècle.


La Révolution Française a un impact sur ce processus. Les tensions sociales sont croissantes surtout depuis 1770 avec une baisse réelle des salaires et des rendements. Cela se renforce avec la crise du vignoble puis une épidémie du bétail. Avec les mauvaises récoltes de 1788 – 1789, les émeutes se multiplient brutalement et les cahiers de doléances font entendre leurs revendications. Les émeutes du printemps 1789 appelés la « guerre au châteaux » en Cambraisis ou en Provence. Puis vient la grande peur, la rumeur sur la venue de bandes de brigands qui pilleraient les villages et les blés, doublée de la menace d'invasion anglaise dans l'Ouest et de Piémontais dans le Sud. Donc les paysans s'arment, alertent les voisins et le mouvement de panique se termine en mouvement d'attaque des châteaux de manière généralisée. On brule ce qui apparaît comme un signe de la domination seigneuriale, les terriers transcrivant les droits seigneuriaux. Cela provoque la nuit du 4 août avec la déclaration d'abolition des privilèges, où l'abolition des droits seigneuriaux aux yeux des paysans. Le centre des enjeux est au fond la question de savoir si les dynamiques révolutionnaires ont remit en cause les grands enjeux d'avant : concentration des propriétés ? Paupérisation paysanne ?

Avec la vente des biens nationaux, les biens déclarés propriété de la nation (des nobles exilés, du clergé) sont revendus entraînant un gigantesque phénomène de transfert de propriétés touchant une partie de l'Europe. Une des thèses courante expliquait que les conséquences de la révolution étaient une accentuation du phénomène du XVIII° siècle. Ainsi la plupart des études montrent qu'en général ce ne sont pas les paysans mais majoritairement les habitants des villes, des bourgeois voire les nobles restés en France qui en bénéficie.


L'évolution du premier XIX° siècle est dans la continuité de ce qu'on a dit du XVIII° siècle puisqu'on a une majorité de salariés agricoles (7 millions d'actifs) dont 56% sont des salariés agricoles et dans ces salariés, on a plus de 2 millions de domestiques et tout autant de salariés rémunérés à temps partiel. Leur situation s'est améliorée sous la monarchie du juillet avec une progression nominal de leur salaire, un apport au mariage plus fort, … Mais ce n'est que passager et lié à la conjoncture qui ne change pas tant que ça, leur situation assez pauvre. Ce qui est massif c'est l'emploi saisonnier très fluctuant et qu'il faut compléter avec des activités autres notamment industrielles.

Les premières prises de conscience de ce prolétariat agricole se manifestent un peu partout en 1848 avec les espoirs de changement et les revendications dont font part les portes-paroles des manœuvres. Ils proposent un lopin de terre à chaque manouvrier en fermage, un ??? à tour de rôle entre les différents journaliers, le tout géré par un syndicat, représentant des travailleurs. Ces revendications sont très novatrices et rappellent le rôle ancien des corporations dans le domaine artisanal. Les notables insistent pour leur part sur la cherté, l'exigence du travail et l'insubordination des manouvrières puisque cette subordination est plus que jamais à l'œuvre dans le monde du travail.

Dans la seconde de moitié du XIX° siècle, les phénomènes de migrations vers les villes vont s'accentuer. Si le terme d'exode rural est remis en cause ces derniers temps, dans l'idée d'un départ massif des campagnes vers les villes, on constate en fait un mouvement de mobilité réciproque et surtout une majorité de départ de campagne vers la campagne. C'est aussi le résultat de la disparition lente mais progressive de la proto-industrialisation.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire