lundi 14 novembre 2011

Médiévale 14 - 11

Précédemment : Médiévale 07 - 11

Guillaume Le Conquérant




La construction territoriale des royaumes d'Occident, XI° - XV° siècle





Au XI° siècle, les pouvoirs s'exercent avant tout à l'échelle des seigneuries rurales, polarisé par un certain nombre de châteaux et d'églises, puis celui-ci s'exerce à l'échelle des pouvoirs royaux. A partir du XII° siècle, les rois utilisent le système féodal pour forcer les seigneurs et les princes de leur royaume à les reconnaître comme leur vassaux. Cela a-t-il des effets sur le royaume ? On constate un mouvement qui s'accompagne d'une croissance du domaine royal, dans la plupart des cas. Les États ont donc tenté dans leur mesure d'organiser leur espaces et cela passait par une meilleure connaissance de celui-ci par les rois. De même, l'apparition des premiers royaumes a tendance à renforcer la cohésion nationale des royaumes et la guerre y joua aussi un rôle.

L'idée est que la construction territoriale se prolonge de siècle en siècle et reste toujours inachevée. Cette construction part du niveau de la seigneurie pour arriver ensuite au niveau du royaume entier.



  1. Du territoire princier au territoire royal


  1. Spécialisation et territorialisation des pouvoirs seigneuriaux


Avant le XI° siècle, le pouvoir des seigneurs n'est pas encore territorialisé et dans bien des cas il est seulement en cours de spatialisation. Petits ou grands, le pouvoir de ces seigneurs est un ensemble de terres, de biens immobiliers, de revenus et de fidélités. La domination de l'espace fait partie intégrante du pouvoir seigneurial mais ne se confond pas avec lui. Il faut un long processus pour qu'on arrive à un pouvoir spatialisé et territorialisé.

Cela vient du système carolingien des honores, tout les biens et les pouvoirs des seigneurs dans l'Empire était remis par l'Empereur à titre viager. A leur mort les seigneurs rendaient donc ses honores à l'Empereur. Être puissant s'était avoir un puissant réseau social à son service pouvant donné accès à l'Empereur. A partir de 788, la circulation des honores cesse et les seigneurs s'implantent durablement dans certaines régions. Distinguons tout de même la Germanie qui a une spécificité, ses rois continuant à faire fonctionner les honores au cours du X° siècle avant de disparaître au XI° siècle. En Europe la fin de l'Empire carolingien marque la fin des honores. Les familles aristocratiques gardent donc les honores de descendants en descendants. Pour marquer leur domination territoriale, les seigneurs multiplient les châteaux, ce que l'Empereur interdisait avant en étant le seul à pouvoir décider de la construction d'un château. Le pouvoir des seigneur se retrouve alors dans le nombre de châteaux.

Les petits seigneurs organisent alors des petites seigneuries dans les grands domaines. Anita Guerreau-Jalabert parlent de topolignées, des lignages seigneuriaux inscrits dans l'espace. Mais malgré tout, ce pouvoir des princes restent perçus comme un pouvoir discontinu. Les principaux seigneurs montrant la discontinuité et leur non-conscience d'exercer un pouvoir sur un territoire. En effet, ils renvoient leur domination à un lieu. Guillaume ??? dirigeant la région de Mâcon se dit pourtant Comte de Mâcon seulement. Quand la région est considérée comme un sous-royaume carolingien (Bourgogne, Aquitaine, …) alors on a effectivement un notion de territoire qui apparaît. Mais en général, c'est à la ville principale qu'on se réfère.


Olivier Guillot étudia la principauté d'Anjou et constata que Foulques Nerra (9871040) ne percevait pas l'ensemble de ses domaines mais évoque plutôt une seigneurie particulière dont il est le seigneur direct. Quand une terre est donnée à un vassal, ce Comte parle du fief d'un seigneur. Il n'y a pas de contexte englobant toutes ses possessions. Il faut attendre Geoffroy Martel, son fils (10401060), qui est le premier à prendre un contexte globalisant. Il évoque un regnum pour parler de l'ensemble de ses terres, y compris sous sa domination indirecte. L'hypothèse d'Olivier Guillot est que la femme de Geoffroy, Agnès d'Aquitaine l'a influencé pour lui faire prendre conscience que ses territoires sont tous sous domination, la preuve en serait les premières chartes faisant référence à des territoires signées par Agnès d'Aquitaine.


De telles principautés restent pourtant encore rares. De plus, aucun prince n'arrivait à fixer des limites précises à ses territoires. Michel Lauwers et Laurent Ripart ont alors émis l'idée que c'est probablement la réforme grégorienne qui a obligée les seigneurs et les princes à définir les limites de leurs pouvoirs. Puisque l'Église faisait sortir du patrimoine laïc des terres seigneuriales, alors les laïcs durent se demander quelles étaient les limites de leur pouvoir et se mirent à le préciser dans un certain nombre d'actes écrits qui deviendraient la preuve face aux clercs accapareurs de terres, des possessions seigneriales. La réalisation des premiers cartulaires (grands registres dans lequel l'institution fait recopiée d'un seul coup tout les textes ou actes importants pour faire preuve de possessions et des pouvoirs) du IX° jusqu'au XII° siècle étaient ecclésiastiques (malgré les truchements de ces cartulaires), par la suite les seigneurs laïcs les imitèrent. Le plus ancien serait celui de la famille des Trencavel qui possédaient des terres du Sud de la France, le seul qu'on est conservé aujourd'hui, réalisé entre 1188 et ???. Il y a donc un réel retard des laïcs dans la mise par écrit des limites de leurs domaines seigneuriaux. Malgré tout, cette territorialisation progressive était très en avance sur le cas royal.


  1. Les formes de construction des territoires royaux


Trois grands modèles semblent se dessiner.


A. Le cas de l'Empire


Dans cet Empire, la construction d'un ensemble territorial homogène n'a jamais été achevé alors que cette zone de l'Europe avait déjà connu avant l'Empire Ottonien, l'Empire Carolingien qui constituait un ensemble territorial doté d'un certain nombre de sous-royaumes. L'Empereur n'avait guère de contrôle sur tout ce territoire, mais de manière abstraite, on rattachait le tout à l'Empereur. Mais par la suite, cet Empire se morcelant, on affirme dans la partie germanique le modèle de principautés stables comme dans le reste de l'Europe. Petit à petit le pouvoir de l'Empereur à dut se construire contre le pouvoir des princes. Ce pouvoir des Empereurs a dut s'affirmer depuis les Empereurs Saliens : XI° siècle, jusqu'aux Empereurs Hohenstaufen (Frédéric Barberousse et Frédéric II : 12201250). Entre 1256 et 1273, il n'existe plus d'empereurs ou de rois de Germanie à la tête de l'Empire et le pouvoir repose de nouveau entièrement sur les princes qui font fonctionner le régime en contrôlant leur principauté de manière autonome. En revanche, dans les autres royaumes européens, le roi prend le dessus sur les princes.

Du coup, quand un nouvel Empereur arrive en 1273 (Rodolphe de Habsbourg), il doit se concilier tout les princes qui doivent l'approuver. Leur autonomie empêchait les princes de se mettre d'accord sur la nomination d'un nouvel Empereur. Ainsi en 1313, Louis de Bavière et Frédéric le Beau se retrouvent en conflit pour le pouvoir. Le régime politique est donc fragilisé et en 1356, Charles IV rédige la Bulle d'or qui donne le droit à 7 princes importants de l'Empire de nommer l'Empereur : trois sont des princes ecclésiastiques, 4 des laïcs. Cela évite que la lutte de tout les princes au nom d'un Empereur particulier. Cela fonctionnera jusqu'au XIX° siècle, mais ce système a échoué à créer un territoire uniforme et unifier, empêchant toute institution générale. Le souverain ne parvint jamais à une cohésion de l'Empire et a des institutions nationales.

Il en est de mêle en Italie même si les principautés territoriales sont dirigées par une ville plus que par un prince. Le gouvernement de ces villes évoluant de systèmes communaux à des systèmes princiers. Ces systèmes se côtoyant facilement.


B. Le cas de la France


Le système repose sur la formation progressive d'un domaine royal, qui finit par être si dominant en taille et en emprise spatiale que les princes qui se pensaient comme des princes indépendants finissent par se soumettre au système royal.

Au début du XI° siècle, le roi n'a pas de pouvoir effectif sur les ducs, si ce n'est le domaine royal qui couvre que de vastes zones dans la région de l'île de France. Le processus de territorialisation est en cours et le représenter par des points ponctuels où le roi exerce son pouvoir est plus pertinent.

Sous Louis VII, les rois vont décider de mettre en application une possession territoriale au travers d'entreprises militaires et d'achat de villes. La seconde étape est sous Philippe Auguste (11801223) et consiste à récupérer les territoires sous la domination de l'Angleterre, certains directement annexés sous le domaine royal. Troisième étape, l'ajout du Languedoc lors du traité de Meaux-Paris en 1229 au domaine royal et le comté de Toulouse laissé à la fille du comte de Toulouse qui épouse Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX, qui mourant sans enfants le rend au domaine royal. Ultime phase, le rattachement du Dauphiné en 1349 (domaine royal) et de la Provence en 1481 (royaume de France) – 1487 (domaine royal).

Tout ces territoires du domaine royal permettent au roi d'assoir une domination territoriale sur les princes, pouvant ainsi imposer des institutions royales « nationales » aux différents princes du royaume.


C. Le cas de l'Angleterre et des royaumes ibériques


Tous sont nés d'une conquête permettant d'emblée au souverain d'avoir une grande emprise et de devenir le premier des princes sans passer par un processus lent.


En Angleterre, Guillaume le Conquérant en 1066 parvient à conquérir l'Angleterre et confisque toutes les terres des seigneurs anglo-saxons ou danois dominant le sol anglais à cette époque. Ainsi, il les redistribue aux princes sélectionnés par le roi. Ceux-ci lui doivent donc immédiatement une forme de respect et d'obéissance. Très malin, Guillaume le Conquérant a réussi à distribuer de manière à disperser les domaines seigneuriaux qu'il donnait pour éviter la cohésion d'un domaine et éviter une tentative de révolte.

Les difficultés de la monarchie anglaise sont venues de la volonté de ses rois de ne pas se limiter à ce simple royaume et de vouloir former un Empire. Sous Henri II Plantagenêt qui épousa Aliénor d'Aquitaine, ex-femme de Louis VII et s'affirma ensuite roi d'Angleterre en 1154. On parle alors de l'Empire des Plantagenêt, agrégat de principautés sans cohérence linguistique, sans cohésion culturelle (institutions locales respectées par le roi mais du coup très diverses), ni adhésion populaire.

Lorsqu'ils perdirent l'essentiel des territoires du continent, l'Angleterre se tourna vers d'autres contrées comme l'Irlande. Cette conquête débute sous Jean-Sans-Terre et ses successeurs s'acharnent à maintenir et conquérir cette région. Dés le XIII° siècle, les populations qui contestaient cette annexion passent par des barons anglais qui avides de pouvoir, font valoir les revendications d'autonomie auprès du roi. Du coup, les conflits dans cette région sera perpétuellement en conflit. Idem concernant le Pays de Galles, dont la conquête militaire débute sous Édouard I et qui sera plus fructueuse. Édouard I fixe des forteresses pour assoir une domination sur les Gallois. Mais rapidement des révoltes éclatent et finalement, c'est en négociant avec l'aristocratie galloise qu'on s'en sortira. Le pays de Galles est sous domination anglaise, ce n'est pas le roi, mais son fils qui le dirigera.

En redéclarant la guerre à la France, l'Angleterre parvient à récupérer des territoires durant la guerre de Cent Ans (et de son problème d'héritage). Ils visent spécifiquement leurs anciens territoires y réussissent, font une trêve puis réattaquent et récupèrent des terres du Nord.


En Espagne, la situation politique est proche de l'Angleterre, la Reconquista permet aux différents petits souverains de s'allier pour tenter de conquérir la péninsule ibérique sous domination musulmane. La reconquête est lente et laisse l'Émirat de Grenade intact. Trois régions se démarque : le royaume de Navarre au Nord, le grand royaume de Castille et de Léon, le royaume d'Aragon à l'Est. A cela on trouve aussi le royaume du Portugal à l'Ouest. On a donc peu de souverains qui sont d'emblée maîtres de leur territoire et le manipulent comme bon leur semble.

En 1469, le mariage d'Isabelle, héritière de la Castille, et de Ferdinand, héritier de l'Aragon, permet de former un royaume unifié. Le gouvernement est aussi unifié mais les couronnes restent séparées et ne fusionnent pas. Les différents rois qui suivent, possédaient un pouvoir fort sur leur territoire mais connaissaient aussi leurs limites, ce sont les premiers à parler du terme de « frontières » (frontera). Ce terme a donc depuis ses origines, une connotation militaire : c'est la ligne de front. De manière neutre, les médiévaux parlaient plutôt de confine ou confinum, les confins du royaumes, pas de sous-entendu militaire. Dans ces régions la guerre a joué un rôle très important pour la prise de conscience des limites de ce territoire.



  1. Agents et outils de la construction territoriale


  1. Les projets de la connaissance du territoire


La première fois que les historiens s'intéressèrent aux moyens de comprendre le territoire pour les rois, c'est Robert Fawtier qui s'y colle en 1950 en recensant l'ensemble des sources qu'il pouvait utiliser. Il constate alors que ces souverains ne possédaient aucune carte globale de leur royaume. Les rois devaient alors essentiellement connaître leur domaine par le biais de descriptions écrites de différents territoires, villes, régions, … A l'issu de cela, on inscrivait dans un manuscrit la description de toutes les terres à destination du souverain, de ses vassaux et de leurs droits sur les territoires concernés. Par ce biais, ils avaient une première vue de leur royaume. Les représentations graphiques qui apparaissent par la suite seront utiles mais très locales (villes en général). Les cartes de la seconde moitié du XV° siècle leur donne une carte globale du royaume mais pas précisément. Dans la plupart des régions d'Europe cela se développe au même moment, XIII siècle. Mais l'Angleterre innove en en créant une dés le XI° siècle, le doomday book.

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