dimanche 6 novembre 2011

Géo des Suds 02 - 11

Précédemment : Géo des Suds 19 - 10









  1. L'État post-colonial : néo-patrimonialisme et faible bureaucratisation


En admettant que l'Etat post-colonial n'est pas une greffe déconnectée de la culture africaine, c'est donc qu'il a été réapproprié. L'État africain qualifié de « dégradé » était déjà dégradé du temps des États coloniaux avec un code de l'indigénat qui séparait les colons des colonisés avec une hiérarchie des citoyens, avec une confusion des pouvoirs (administrateurs étant souvent aussi juges), avec un fondement arbitraire, non-démocratique, … L'État tronqué est donc aussi historique.

Au moment de la décolonisation, l'Afrique doit se réapproprier l'État avec l'entrée massive des indigènes dans cet État. Notamment les Élites africaine qui entrèrent dans l'État par le haut. Trois scénarios en découlèrent :

  • La stratégie du guépard, où les Élites acceptent tout compromis pour se maintenir au pouvoir. C'est le cas au Nigeria avec l'aristocratie du Nord du pays, les Sarakunas. En semblant adhérer au modèle d'État britannique, ils sont parvenus à accéder au pouvoir fédéral du Nigeria.

  • La Révolution sociale, où des Elites traditionnelles sont renversées par des Elites profitant du contexte (Tsuti → Outou alliés avec les colons belges au Rwanda, idem en Sierra Leone avec les Elites de l'intérieur qui renversèrent les Elites créoles).

  • Une assimilation réciproque des différentes élites. Une forme proche de l'aspect français qui établit une nation pour renforcer les sentiment national (Sénégal, Kenya, …) qui demandait souvent un leader charismatique (Senghor au Sénégal, …).

L'État colonial a donc toujours été approprié par les Africains.


Personne en Afrique ne refuse l'État, mais tous l'ont utilisé pour satisfaire et financer ces intérêts intérieurs. Cela a certainement freiné la modernisation de l'État. On entend par là une faible bureaucratisation et un néo-patrimonialisme. L'État africain n'a pas pour problème de copier une inspiration étrangère sans succès, mais de s'inspirer d'un État déjà tronqué. De plus, loin d'être séparé de ses populations, l'État africain à établit des deals avec eux, du coup, la séparation entre population et État n'est pas nette et donc du coup on a peu d'élection, beaucoup de négociations, de compromis, d'autocratie, … Surtout un forme de néo-patrimonialisme.


Pour Weber, ce néo-patrimonialisme est opposé à l'État bureaucratique. Il se fonde sur la loyauté personnelle et donc les relations de clientélisme et de coercition qui s'en instaurent. De plus, il n'y a pas de vraies distinctions entre le domaine privée et le domaine public (mélange entre salaire et coffres d'État). Souvent on parle des chefs d'État, mais cela se fait aussi en bas de l'échelle (infirmière confondant médicaments de l'hôpital et ses médicaments, salarié confondant voiture personnelle et voiture de travail, … Il s'agit essentiellement de compenser des salaires de misère pour eux, plus que de s'enrichir. Si on y voit de la corruption en Occident, en Afrique c'est un inachèvement de la forme étatique qui ne choque pas grand monde, on parle plutôt de politique du ventre.

Soit simultanément, soit par alternance, les Africains cherchent à utiliser les bons postes. On parle de chevauchement où certains individus essayent de jouer de leur statut politique (pouvoir) / économique (argent) en statut économique/politique. Ils ont un pied dans chaque domaine (on parle aussi de stradling et de conversion de capital : économique → politique et inversement). Ces aspects là sont aussi présents en d'autres pays (Chine, France, …), mais en Afrique, cela provoque un frein à la croissance économique africaine. L'État africain n'est pas un patrimonialisme pur, mais une forme avancée de la notion Weber.


Le principal problème qui entrave le développement en Afrique, c'est sa faible bureaucratisation. Le départ des colonisateurs laissait sur place des administrations médiocres et peu avancées. Ainsi reprises par les Africains, les administrations sont souvent peu compétentes avec des fonctionnaires nombreux, peu payés, nommés par affection et non par qualification, … On a donc pas de cultures professionnelles des fonctionnaires en Afrique. Olivier de Sardan juge que ses gens effectuent une privatisation interne du lieu de travail et du lieu de vie. Les gens travaillent mais pas dans leur fonction professionnelle. C'est un vrai manque de culture professionnelle. D'où une déshumanisation de certaines professions où l'argent passe avant tout le reste (l'hôpital veut savoir si vous pouvez payer). Enfin, cela passe aussi par la relation qu'on établit avec la personne en face de soi (dans quelle mesure peut-on lui fournir un avantage). Les fonctions publiques locales ne sont pas porteuses d'un intérêt général car cela n'est pas connu par la population.

En Afrique, si brutalement on arrivait à inculquer une culture bureaucratique, alors des tas de gens bénéficiaires du système d'État plus ou moins corrompu, se retrouverait le bec dans l'eau. Par exemple, on a des tontines, des cotisations de plusieurs personnes appartenant souvent à un même groupe qui sont régulières et puis reversées un jour à l'un de cotisants. Celui-ci ne peut pas quitter le groupe qui exerce un très fort contrôle social et pourrait se voir pourrir la vie. Grâce à cela, les gens peuvent épargner et s'acheter ce qu'ils veulent. Il y a donc une forme de loyauté et de non-corruption à certaines échelles, comme la tontine. L'État est donc responsable de sa corruption, il n'a pas su fixer ses règles et n'a pas su inspirer confiance à son peuple.


Dans les années 1980, tout ce système s'écroule. En effet, quand la tontine s'arrête, parce que les aides internationales s'achèvent, les tensions augmentent brutalement et se transmettent d'État en État. La tontine situationniste s'écroulant, il y a un blocage et une panne de la circulation. L'argent qui alimente le système étant souvent une rente (agricole, minière, pétrolière, …), dans les années 1980, ces revenus diminuent (effondrement du prix du café et du cacao, effondrement politique, …) et en conséquence la tontine s'effondre aussi. Les premiers exposés à la panne d'accumulation sont donc les enfants des fonctionnaires qui n'ont plus accès à un travail de fonctionnaire, perdent leurs avantages, les subventions en produits alimentaires de base, … Les premiers touchés sont donc ces classes moyennes qui vivent en ville et qui savent comment agir. A cela, s'ajoute les jeunes qui n'étaient pas dans le compromis politique des années 1960 et qui veulent accéder à des emplois. Les deux cumulés donnent une fronde sociale et politique qui oblige les États à instaurer une politique démocratique qui pour relancer une arrivée de fonds économiques internationaux en satisfaisant les normes libérales des institutions mondiales.


La crise des États est aussi alimentées par ???. L'État est jugé trop central en Afrique, donc il faut le faire reculer en privatisant l'économie en premier lieu. On peut aussi lui faire réduire ses dépenses (moins de fonctionnaires, moins de projet, …) et instaurer des contre-pouvoirs qui permettent d'éviter les chemins d'application classiques. Les populations savent pertinemment que leur État connu, se vide de sa substance en transmettant ses pouvoirs à une forme d'État fantôme. C'est une désétatisation par le haut mais aussi par le bas, avec des applications concrètes de mesures qui doivent être effectuées par une entreprise non nationalisée et qui doit être payée par les usagers.


Pacte social rompu et désétatisation conduisent ainsi à un pouvoir africain jugé invisible dans les dix dernières années. Plus personne ne savait où se trouvait le pouvoir. Les grands bénéficiaires durant cette période furent les ONG, très diverses. Au début des années 2000, on réalise que ce système est voué à l'échec, qu'il mène à la catastrophe. Tout est beaucoup trop dispatché et plus personne ne sait où retrouver ce qu'il cherche. On veut dorénavant reformer un État en aidant les populations à établir progressivement une forme de conscience professionnelle bureaucratique. On établit donc des formes de gouvernance, l'État ne doit plus être en surplomb au-dessus de tout mais doit apprendre à s'impliquer dans ce système, être fort et pouvant se projeter de manière fixe dans l'avenir mais sachant aussi être assez flexible pour établir à bien des projets d'avenir.

Aujourd'hui les entreprises retournent en Afrique et établissent des projets avec l'État souvent mais aussi avec des projets locaux en traitant avec les communautés locales.



  1. Encadrements anciens : entre renouveau et marginalisation


Avec le rejet de l'État dans les années 1990, le système a du trouver de nouvelles formes d'encadrements à différentes échelles et sur différents plans.


  1. Famille élargie et lignage : premier niveau d'encadrement


La famille élargie ou étendue est bien différente de la famille nucléaire occidentales. On y trouve des parents, des enfants, des grand-parents, des cousins, des frères et sœurs, … Dans des sociétés encore très rurales, ces familles élargies sont l'unité de base de la survie du groupe. Un ménage nucléaire ne peut suffire à l'entretien d'une zone agricole. On a donc à la tête le chef de famille, l'homme le plus ancien, suivi de ses frères, puis de leurs fils et les femmes viennent à la fin. Ensemble, ils exploitent les terres en commun.

En milieu urbain, on retrouve cette forme d'organisation autour de la famille. Avec une cours pour le chef de famille et les autres hommes et une autre pour les femmes et les enfants. C'est toujours un groupe de production et de consommation, les revenus de tous sont mutualisés. Si l'on trouve quatre hommes et deux femmes travaillant au marché, l'argent de celles-ci revient au chef de famille qui choisi de son utilisation.


Cette famille élargie à une très forte influence sur ses membres (comportements, droits, devoirs, …). Les migrations sont une décision familiale et non juste de l'individu, la famille décide de qui ira où, l'individu a un pouvoir très réduit. On retrouve cette influence dans les cérémonies, les rencontres, les ressources et leur partage, … Ce système de contrainte permet ainsi de mettre en évidence la place de chacun dans le collectif (homme/femme, ainé/cadet, campagnard/citadin, …), mais on ne sera jamais seul, la famille est toujours là pour vous secourir en cas d'échec. Ce système fonctionne tant que les principes de dons et de contre-dons fonctionnent, sinon cela se délite rapidement et c'est ce qu'on constate aujourd'hui, ce système est critiqué de l'intérieur et remis en cause sous l'effet de l'urbanisation, de l'éducation, des contextes politiques, …

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