vendredi 11 novembre 2011

Antique 08 - 11

Précédemment : Antique 25 - 10





Les Gémeaux Castor et Pollux






Le retour devait avoir lieu une première fois, après la mort d'Eurysthée, ennemi d'Héraclès qui persécuta ses enfants, mais une terrible épidémie les décime et l'oracle de Delphes leur annonce qu'il ne doivent pas rentrer tout de suite mais attendre.


Le premier à vouloir revenir dans le Péloponnèse est Hyllos, fils ainé d'Héraclès. Il veut revendiquer son dut mais va échouer. Hyllos se rend à Delphes pour savoir quand reprendre son dut. Un oracle de Delphes prévient Hyllos qu'il doit attendre la troisième récolte pour attaquer. Il en conclut trois ans. Il arrive à l'isthme du Péloponnèse avec ses troupes doriennes et se retrouve face à Atrée, fils de Pélops. Pour arrêter le conflit, ils organisent un combat entre deux héros et le vainqueur déterminera les conditions de négociations. Hyllos sera son propre héros et Atrée choisit Echémos, roi de Tégée. Hyllos perd et est tué pour ne pas avoir attendu trois générations.


Il faut attendre alors trois générations pour que les arrière petit-fils d'Hyllos : Téménos, Aristodemos et Cresphontès ramènent les Doriens dans le Péloponnèse. Mais ce retour va être long et sans arrêt retardé par des impiétés et des violences à expier. Cette conquête se fait avec de très grandes difficultés. Ainsi, un des Héraclides tue un devin dans le retour, une malédiction en découle et la flotte est détruite. Pour contenter les dieux, cet Héraclide est banni. Ensuite Aristodemos qui va lui aussi mal interprété les signes sera foudroyé par Zeus.

Restent alors Téménos et Cresphontès qui parviennent à prendre le Péloponnèse en expulsant Tisamenos. Mais il faut encore se partager le grand territoire du Péloponnèse. Ce sera fait en trois entre Téménos, Cresphontès et les fils d'Aristodemos : Eurysthénes et Prokles. Les deux jumeaux étant en bas âge, ils se font flouer. Le partage du territoire entre les vainqueurs se fait alors lui aussi de manière transgressive. En effet, Cresphontès triche dans le tirage au sort qu'il établit, avec l'accord de Téménos, ils feignent un faux tirage et donnent aux héritiers d'Aristodémos les terres les moins fertiles. Ainsi Cresphontès hérite de la Méssenie, Téménos reçoit l'Argonide, quant à Eurysthénes et Prokles, ils obtiennent les terres peu fertiles de la Laconie.

Pourtant rien n'est finit. Cresphontès finit par se mettre à dos son peuple dorien qui finit par l'assassiner. Téménos pour sa part est assassiné par ses propres enfants.


On a donc à faire à un premier niveau dans ce récit qui est celui d'une conquête réussie et légitimée par Zeus et les exploits d'Héraclès. On présente donc une occupation comme un retour (kathodos) dans le Péloponnèse à grande échelle puisque de la Méssenie à Argos, tout est occupé par les Doriens. Ce retour était si important, que la principale fête à Sparte était en l'honneur d'Apollon Karneios (protecteur du troupeau des hommes) qui avait lieu pendant dix jours au mois éponyme (août pour nous). Ainsi, ces Karneia très importantes fêtaient le retour des Héraclides sous la protection de l'oracle d'Apollon. On sait d'ailleurs que cette fête contenait un moment une effigie d'Apollon portée sur un radeau et censé représenté la traversée de l'isthme de Corinthe en bateau par les Héraclides. On légitime donc cette conquête retour, plus que conquête colonisation.

A un second niveau, on constate que ce retour est retardé ou accompagné, par des séries de transgressions. Cela montre que dans une conquête ou une colonisation, il faut passer par des étapes de violence qui sont certes victorieuses mais qui finissent par vous rattraper et vous punir. Il faut payer l'occupation qui s'est faite par violence. La communauté politique reconnaît ainsi la légitimité de la conquête mais aussi le bouleversement que celle-ci a induit par les violences nécessaires qui eurent lieu.

Enfin dans un dernier niveau, un traitement de faveur est réservé aux Spartiates. Si Cresphontès et Téménos sont des tricheurs, Eurysthénes et Prokles ne sont pas atteint de l'hubris de leurs parents. Ils sont légitimés plus encore que d'autres Héraclides. Cela s'explique par le fait que les Spartiates vont en venir à dominer tout le Péloponnèse. On a donc la version des vainqueurs qui est ici exprimée, alors que les Spartiates sont en perpétuel conflit avec les Argiens et qu'ils ont conquis la Méssenie lors des deux guerres de Méssenie. D'une certaine manière, la légitimité de leurs ancêtres permet aux Spartiates, de justifier la légitimation de la conquête de la Méssenie.


  1. Les mythes doriens et la conquête de la Méssenie


Si Héraclès a remis sur le trône de Sparte Tyndare, il fit de même en réinstaurant les rois ou des régents légitimes à Argos et à Mécène : ??? et Nestor (conseiller d'Agamemnon à Troie). Grâce à Isocrate, athénien, contemporain de Platon en – 366, écrit un récit honorifique à destination et traitant d'Archidamos. Il raconte alors les raisons mythiques par lequel les Spartiates justifiaient l'annexion de la Méssenie. Contextuellement, on se trouve après la victoire de la ligue du Péloponnèse contre la ligue de Délos, qui est suivie d'un échec spartiate face aux Thébains lors de la bataille de Leuctres en – 371. A ce moment, Sparte perd la Méssenie qui est détachée de son commandement et redevient indépendante. Isocrate, plutôt pro-spartiate cherche à montrer que l'annexion de la Méssenie fut légitime.


Les Doriens installés en Méssenie, ont rompu le contrat qui les liaient à leur roi, en tuant Crèsphontès. Leur légitimité dans le Péloponnèse est alors remise en cause, ils n'ont plus de roi Héraclide qui justifiait leur présence. Les fils de Cresphontès se seraient alors tournés vers les Spartiates et se seraient offerts à eux pour légitimer leur présence, avec l'accord de l'oracle de Delphes. Ainsi, la conquête de la Méssenie par Sparte se serait faite légitimement.

Isocrate rédige ce texte alors même que Sparte a perdu la Méssenie, les incitant à la reconquérir de nouveau.


Le cas spartiate, l'histoire des Héraclides permet de légitimer une conquête brutale du Péloponnèse, de la Laconie puis de la Méssenie. Il y a donc une nouvelle dynastie qui s'installe, les Héraclides; et rompt donc avec le passé. Cependant, dans le même temps, ces conquérants n'ont pas souhaité effacer le passé foisonnant du Péloponnèse. Riche d'une très longue tradition, le récit et les pratiques religieuses des Spartiates ont donc toujours cherché à ce raccorder au passé prestigieux du Péloponnèse (dont la guerre de Troie). Plutôt que d'effacer le passé, les Doriens ont donc tenté d'inclure ce passé prestigieux antérieur à la conquête dans leur nouvelle histoire avec les Dioscures et Oreste.



  1. L'utilisation des mythes pré-doriens : comment récupérer le passé ?


  1. Les Dioscures : le modèle tyndaride de la dyarchie spartiate


Les deux rois de Sparte descendent d'Agis pour une famille et d'Eurypon de l'autre. Or Agis est le fils Eurysthène et Eurypon, celui de Prokles, les jumeaux héraclides. Donc les deux familles descendent de jumeaux, tout comme on trouve des jumeaux dans le passé du Péloponnèse avec Castor et Pollux. Ainsi les rois de Sparte vont estimer être protégés par les Dioscures, se perçoivent comme une nouvelle réincarnation de Castor et Pollux. Ils en étaient les représentants sur terre. Pour justifier la conquête récente, on bricole les histoires.


Hérodote au – V° siècle l'évoque déjà dans ses Histoires, il rapporte qu'en – 506, les Spartiates prennent une décision, désormais, il n'y aura jamais les deux rois qui partent en même temps à la guerre, l'autre restera à Sparte. Du coup, ils vont avant de partir en guerre, effectué un acte rituel : les dokana, deux bouts de bois parallèles, représentant les jumeaux dioscures liés par un système. Ces morceaux de bois très importants étaient séparés lorsque l'un des rois partait en guerre. A son retour, les deux morceaux sont réassemblés, illustrant l'amour fraternel. Ce mythe avait une importance majeure, Castor et Pollux étant les derniers descendants mâles de Tyndare par ces dokana, les rois de Sparte se rattachent à ce passé historique.



  1. Les Atrides : l'art d'accommoder les restes


En plus, de se rattacher à Tyndare, les rois de Sparte tentent aussi de sa rattacher aux descendants d'Atrée, les Atrides. Particulièrement, Ménélas et Oreste.


On sait aujourd'hui qu'en – 700 il existait des traces de cultes faites à Ménélas et sa femme Hellen dans le Ménélaion à Thérapné. Un culte était rendu à un roi d'avant la conquête. Or Ménélas était le dernier roi de Sparte uniquement, son fils Oreste et ensuite son fils Teisamenos dirigèrent Sparte et Argos. Cette appropriation du culte de Ménélas visait à faire oublier la jeunesse des conquérants en se référant à la figure illustre des épopées homériques.

Oreste connaît lui aussi un culte moins important que son père, mais malgré sa marginalité, il avait un culte. Cet enfant qui vengea son père en tuant ses deux meurtriers (sa mère et l'amant de celle-ci) se marie avec Hermione, sa cousine.


Un peu avant – 560, Sparte est en guerre avec la cité de Tégée en Arcadie. Or les Tégéates remportent des succès ininterrompus sur les Spartiates humiliés. En prenant conseil auprès de l'oracle de Delphes, celle-ci leur explique qu'il faut ramener à la maison les restes d'Oreste. C'est un héraclide, Lichas, qui ne dirige pas Sparte, qui découvre des ossements d'une taille supérieure qu'il estime être ceux d'Oreste. On ramène donc les ossements à Sparte, on instaure un culte et Sparte finit par vaincre Tégée.

L'accaparement de la figure d'Oreste, connu de tous à Sparte, est un fait classique dans les civilisations, le vol de reliques est banal. Or de plus, Oreste est un représentant de Sparte, mais aussi d'Argos et pour un peuple expansionniste que sont les Spartiates, cela permettait d'étayer leurs prétentions expansionnistes vers Argos.


Tout cela permet donc de relier les récits antérieurs du passé prestigieux du Péloponnèse et la rupture suscitée par la conquête des Doriens. Si le mythe du retour des Héraclides justifiait l'État présent, le passé n'était pas plus négligée et l'identité spartiate reposait sur une identité culturelle (dokana, Ménélas, Oreste) du passé des Dioscures et des Atrides. A Sparte tous ces mythes participaient à une identité politique complexe où se mariait idéologie de la conquête et respect des institutions royales, avec des récits justifiant la diarchie spartiate. Des mythes propres à une société expansionniste et respectueuse des traditions.

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