vendredi 6 janvier 2012

Sociologie des TIC : Séance 10: le téléphone mobile.

Séance 10 Le téléphone mobile
Application de la sociologie pragmatique.

Situation au début des 90'.
Le téléphone mobile était un objet très rare et très cher. Quand on voyait une personne s'en servir dans la rue, cela constituait un « petit événement ». Des témoignages indiquent qu'il s'agissait d'un geste souvent mal perçu : l'utilisateur du mobile était vu comme le conducteur d'une voiture de luxe, il faisait étalage de sa richesse. On considérait cela comme une consommation ostentatoire.
Les premiers utilisateurs du mobile était des salariés des grandes entreprises internationales, des cadres de direction qui devaient beaucoup voyager : il leur était nécessaire de pouvoir gérer à distance les entreprises dont ils avaient la responsabilité.
Jusqu'au milieu des 90', on considère que le mobile sert surtout à téléphoner pendant les déplacements : c'est pour cela que l'on parle de téléphone mobile.

→ Les quelques sociologues qui s'intéressent aux mobiles vont s'intéresser principalement à la place que prend cet objet dans le voyage de l'utilisateur. On va beaucoup dire que le mobile permet le nomadisme, que c'est un objet nomade.
Ces sociologues font assez peu d'enquête de terrain : ils se contentent d'analyser l'image du téléphone mobile dans les médias, dans la publicité, dans les films, etc. Ces sociologues sont proches des intellectuels, ils s'éfforcent d'analyser le monde contemporain : ils entreprennent ces analyses en réutilisant des discours publics.
Parmi ces individus, on trouve MAFFESOLI, ATTALI et DELEUZE.

La diffusion du mobile :
Après l'année 1997, le mobile commence à se diffuser dans la population, à devenir un objet un peu plus banal. Lorsqu'on regarde les courbes d'évolution du % d'adultes en Fr qui possèdent un téléphone mobile, on remarque une « explosion » qui commence en1998.
1997 → 5,7M ; 1998 → +10M.

L'usage et les utilisateurs en 1997-1998 :
Début des enquêtes de terrain sérieuses. Elles confortent des intuitions misent en forme par les intellectuels dont on a parlé mais il y a des usages qui sont en dehors de ces discours et qui s'éloignent des grandes tendances.
Dans ces années là, on commence à avoir des données assez précises sur les caractéristiques sociodémographiques sur les utilisateurs du téléphone mobile : qui sont-ils ? On remarque que c'est une population qui est très différente de la population française. La CSP la plus équipée est celle des artisans-commerçants, ils représentent ¼ des utilisateurs. Ensuite vient les cadres et professions libérales, 10% des utilisateurs. Puis des micropopulations très faiblement représenté comme les ouvriers, les employés, les étudiants.
On commence à analyser le type d'abonnement : abonnement professionnel ou résidentiel ? En 1998, les usages sont encore principalement professionnel, plus de 50% des mobiles sont acquis dans ce cadre. Le mobile est donc utilisé pour l'essentiel dans un cadre professionnel. Ce qui frappe le grand public et les observateurs, c'est que les utilisateurs s'en servent dans la rue, dans des espaces ouverts et publics, en marchant : c'est de cette façon que les médias les représentent.
Tout cela a tendance à confirmer les premières intuitions mais il y a quelques sociologues qui commencent à douter de cette première vision, ils commencent à se demander si le propre du téléphone mobile c'est d'être utilisé par des individus mobiles qui sont en situation de mobilité.

La première raison de douter de cela, c'est que l'image qui est proposé à cette époque, du nomade, elle décrit souvent un individu qui se déplace dans un espace qui est inderterminé : un aéroport, un hall de gare, une grande place. Mais le lieu occupé n'a que peu d'incidence sur l'usage, ce qui compte, c'est le voyage qu'on est en train de faire. Cela met en scène un acte de communication détérritorialisé.
Une autre raison a consisté à se dire que les petits professionnels pouvaient se caractériser par une mobilité plus forte que les autres individus mais que toutefois, ce ne sont pas les seuls, les étudiants ou certains ouvriers ont aussi une mobilité forte. Ce qui caractérise les premiers utilisateurs, ce n'est peut être pas leur mobilité mais plutôt leur autonomie, leur indépendance. C'est des individus plus individualisés dans leurs comportements quotidiens et c'est surement pour ça que ce sont les premiers à avoir adopté le téléphone mobile. On est à un moment de l'histoire où les grands collectifs, les grandes organisations sociales où se trouvent ces individus sont en train de se transformer et c'est ces transformations qui doivent être observées.

Dans les entreprises :
Ce qui change des les 90' en France, on voit se répandre des organisations matricielles.
Les organisations dans les grandes entreprises sont verticales et hiérarchiques : l'organigramme représente bien cela : chaque salarié dépend d'un chef de service (manager de proximité), chacun de ces managers dépend d'un dirigeant de niveau supérieur, et ainsi de suite.
Dans les organisations matricielles, il y a une seconde organisation qui apparaît, chaque salarié dépend d'un supérieur hiérarchique mais aussi d'un chef de projet : chaque salarié va contribuer à un ou plusieurs projets. Ce sont des structures provisoires (contrairement aux structures hiérarchiques), qui sont définies par un objectif à atteindre et lorsqu'il est atteint, le projet disparaît : cela fait travailler des contributeurs qui proviennent d'un grand nombre de structures hiérarchiques différentes (dans des usines différentes, par exemple). De par ces organisations horizontales, on parle souvent d'entreprise en réseau. Cette situation rapproche le salarié des petits professionnels, il a alors plus d'autonomie car il ne dépend plus d'un chef unique.
→ Ces différences sont sensibles dans les relations de pouvoir mais elle le sont aussi dans les échanges, dans la communication : les communications horizontales entre salariés qui sont dans des structures hiérarchiques différentes sont valorisées. Dans ces entreprises, on applique le juste-à-temps, les entreprises sont plus flexibles et s'adaptent plus vite car il y a beaucoup plus d'échange horizontaux. Enfin, du coté des entreprises hiérarchiques exclusivement verticale, la stratégie qui domine est la planification : des plans sont mis en place et imposés au reste de l'entreprise par le haut, sur des durée longues.

C'est donc parce qu'on attend des salariés une capacité d'improvisation, des échanges en réseaux et une communication horizontale que le mobile s'est développé parmi ces individus.

Dans les familles :
Le téléphone fixe est d'avantage utilisé pour maintenir les relations familiales et son utilisation est soumise au contrôle de la famille : c'est l'utilisation traditionnelle dans les 50', dans les 90' des transformations travaillent ce modèle dominant et elles vont dans le même sens que les transformations dans la sphère professionnelle.
Il y a trois grandes évolutions qui vont dans le sens d'une plus grande complexité des organisations familiales :
→ L'augmentation des divorces et des recompositions familiales. Besoin d'individualisation des communications téléphoniques qui se fait ressentir dans ces familles recomposées. Installation de téléphone dans des pièces individuelles, dans des chambres : on veut proteger la communication du reste de la famille, notamment pour les enfants lorsqu'ils conversent avec le parent non gardien.
→ La démocratisation interne de la famille, rôle sexué et division des tâches un peu plus lâches. On est moins dans des rôles familiaux statutaires et beaucoup plus dans des relations contractuelles : négociation des rôles, qui ne sont plus fixés par des statuts. Cela favorise l'individualisation, l'autonomie et cela permet un besoin plus grand de service téléphonique individuel.
→ L'allongement de la durée de cohabitation des enfants au domicile parental.

Les sociologues vont commencer à douter du caractère exclusivement nomade et itinérant de ce nouveau mode de communication. On se dit que si le téléphone mobile se diffuse, ce n'est pas tellement car il convient à des utilisations nomades mais plutôt par ce qu'il s'accorde avec des besoins d'indépendance qui sont eux-mêmes en plein développement. C'est plus la communication personnelle qui est importante dans le développement du mobile, plutôt que la mobilité.

Sociologie du XXIe siècle :
A la fin des 90 et dans les 2000, de nouvelles recherches sont réalisées sur le mobile et ont comme particularité d'être réalisé par des sociologues qui font des enquêtes ethnographiques, utilisant des méthodes d'ethnométhodologie (GARFINKEL).
→ Ces enquêtes fonctionnent beaucoup par des enregistrements automatiques des interactions : audio, video et photo. Les données empiriques sont donc ces enregistrements. En ethnométhodologie, on a l'idée que chaque détail compte.
→ Il y a des conventions de retranscription : on note par écrit, en utilisant des symboles, des notations, des codes très précis, ce qu'il se passe. On met par écrit toutes les intonations orales, on produit des typologies pour les postures corporelles.
→ Analyse des ethnométhodes : ce sont les manières que vont avoir les personnes d'organiser concrètement leur activité et de la rendre compréhensible. Une ethnométhode, c'est une façon d'organiser une conversation et de donner du sens à ce qu'on est en train de faire, à la fois pour soi-même et pour autrui (avec ceux qu'on communique mais aussi les spectateurs).

Les enquêtes qui mobilisent ce genre d'approche sur le téléphone mobile relèvent de ce qu'on appelle de la sociologie pragmatique (fondée par BOLTANSKI et THEVENOT, principaux représentants sont CHATEAURAYNAUD et DODIER). Ces travaux ont utilisés une notion propre à la sociologie pragmatique française (mais moins importante dans l'ethnométhodologie américaine) qui est celle de « régime d'activité ». On considère qu'il n'y a qu'un petit nombre de comportements sociaux possibles.
Pour THEVENOT, il y a trois régimes d'action :
→ Le régime de familiarité : situations qui sont les plus intimes, quand l'individu est dans son environnement habituel, lorsqu'on utilise des objets familiers.
→ Le régime de l'action en plan (ou de l'action planifiée) : l'individu exécute une activité qui obéit à des règles publiques. Lorsqu'on participe à une compétition sportive, lorsqu'on fait son travail conformément à la définition du poste que l'on occupe dans l'entreprise.
→ L'action à bon droit : cela correspond à des activités soumises à des évaluations juridiques ou morales, comme les actions dans un tribunal. Activité dont la légitimité est un aspect essentiel.

Il existe d'autres régimes d'activité selon les autres auteurs. Ce qu'il faut retenir, c'est que chaque régime correspond à une manière de se comporter, à une manière d'agir, à une manière de rendre son action compréhensible pour soi-même et autrui.

Les premiers français qui se sont intérréssés à la téléphonie mobile en mobilisant la sociologie pragmatique sont LICORPE, RELIEU, ZOUINAR, MOREL et FIGEAC.

L'enquête de MOREL en 2001 :
Se concentre sur les utilisateurs du téléphone mobile mais aussi sur les paroles, les gestes et les mouvements corporels qui sont directement observables, on s'intéresse à la signification, au sens que tout ça prend, à la façon dont l'individu produit du sens pour lui-même et pour autrui.
Cette enquête porte spécifiquement sur les usages du téléphone mobile pendant les déplacements. Dans la rue, dans des gares, dans des salles d'attente, des terrasses de café, des compartiments de train.
Les données consistaient à 54 trajectoires d'utilisateurs : à la fois la communication téléphonique par oral, la trajectoire de déplacement dans la rue et tous les comportements gestuels observés. Une très grande diversité de situations observées, on va s'intéresser à deux ici, des gens qui téléphone en marchant.
On va s'intéresser au trajet que l'individu effectue marchant : MOREL dessinait un plan sur une feuille de papier. L'enquête s'intéressait à la conversation par téléphone, cela a permis de reconstituer des trajectoires de conversation.
Ces trajectoires de conversation avaient fréquemment des caractéristiques qui les différenciaient fortement des déplacements ordinaires : quelqu'un qui téléphone en marchant ne se déplace pas du tout de la même façon qu'un individu qui ne fait que marcher. MOREL a repérer ces différences et il a réussi à faire une typologie. D'abord, les trajets eux-mêmes sont différents : brusques variations de vitesse et brusques arrets. Gestes très différents.
Morel distingue les trajectoires droites, les trajectoires errantes, les trajectoires géométriques et les utilisations en surface restreinte. Chaque type à ses caractéristiques.

Exemple d'une trajectoire errante dans un hall de gare :
L'utilisateur effectue beaucoup de tours et de détours. L'individu à deux reprises s'est arreté pour regarder le panneau des départs de train, il vérifiait surement le temps qui lui restait pour téléphoner. Ensuite, il s'est déplacé vers un pillier de la gare pour s'y arreter, il s'est adosser à ce pilier en utilisant ses pieds sont se maintenir. Il a produit à ce moment là une « niche conversationnelle », un petit périmètre dédié à la communication, passant plusieurs minutes à cet endroit avant de reprendre son chemin.

Le résultat général est que l'utilisateur du téléphone mobile s'efforce le plus souvent de définir un territoire, il tente de territorialiser sa communication, il tente de rendre visible et compréhensible ce territoire pour les autres personnes à proximité. Lorsque l'indivdu est dans un groupe, il s'éloigne physiquement de façon marquée des gens qui l'accompagnent, ces comportements de retrait se font sur des surfaces plus réduites que les individus seuls, ils limitent leurs éloignements. Les solitaires ont tendance à déambuler sur de plus grands espaces.
Lorsque l'individu est accompagné d'une seule personne, l'individu ne s'éloigne pas mais il s'en démarque de façon sensible et visible, en ayant un régime d'activité différent.

Ces individus produisent par une action de mise en scène quelque chose de compréhensible, un régime d'activité qui est particulier. Tout en isolant cet espace dédié à la communication à distance, l'individu qui téléphone continu à gérer avec beaucoup de vigilance la frontière qui sépare cette niche individuelle vis-à-vis de son environnement extérieur et particulièrement des autres personnes à proximité dans cet environnement extérieur.

Exemple d'une personne qui utilise son téléphone tout en restant immobile :
Ces individus vont recourir de façon préférentielle à des espaces très réduit et très spécifiques. Même si les personnes sont sur un trottoir, il y a parfois des comportements d'immobilité totale, par exemple des individus qui vont traverser mais qui s'arretent pour téléphoner, bloquant ainsi le passage aux individus dérrières eux. C'est notable que les personnes s'arrètent lorsqu'elles utilisent un mobile dans un lieu réservé à la marche. Création, une fois encore, d'une niche conversationnelle.
Ces niches sont de deux types :
→ Niche virtuelle : la personne qui téléphone rend manifeste vis-à-vis des spectateurs son occupation d'un petit espace qui lui est réservé (adossé à un mur, dos tourné, regard vers le sol).
→ Niche physique : utilisation de l'espace urbain, comme un porche d'immeuble, un banc, un horodateur ou bien une cabine téléphonique. Caractère fréquent de l'utilisateur de téléphone mobile qui cherche une cabine téléphone pour émettre un appel, cela permet de délimiter une niche conversationnelle, alors qu'une fois dans cette cabine, l'individu peut téléphoner pour moins cher en utilisant la cabine (en 2001).

Ces caractéristiques ont été retrouvé en généralité par les enquêtes de MOREL et par celles d'autres sociologues. Cela a permis d'invalider notablement les intuitions qu'avaient pu avoir les sociologues au début des 90'.
Il y avait une pluralité de mode d'intégration de la communication mobile dans l'espace urbain. La plupart des individus considéraient que la communication mobile était un manque de respect pour les autres en présence, mais cela n'était effectif qu'au début du mobile, par la suite c'est devenu un régime d'activité compréhensible et accepté car les individus ont pris l'habitude de définir une frontière entre leur niche conversationnelle entre leur communication et leur environnement extérieur mais cette frontière n'est pas hermétique, il n'y a pas de comportement de type « autiste » d'individus qui ignoreraient leur environnement, c'est bien le contraire qui se produit.
On est en présence d'une forme de communication qui est une articulation entre la communication proximale (avec les personnes de l'environnement immédiat) et la communication distale (avec des interactants qui sont à distance de la scène observée).

Conclusion :
Ces résultats sont obtenus grâce à des méthodes pragmatiques, c'est grâce à cela qu'on peut rendre visible des ethnométhodes, qu'on peut classer en repérant des points communs, des récurrences et des différences. La notion de régime d'activité est efficace ici pour rendre compte d'un « nouvel » usage. Tous ces comportements sont identiques à ce qu'on peut observer au domicile et sur le lieu de travail : c'est indépendant de la situation géographique de l'individu. L'idée que le téléphone mobile est un appareil nomade a disparu. Ce que ces enquêtes montrent, c'est que la conservation avec un appareil mobile est une conversation individuelle.

1 commentaire:

  1. Merci bien pour ce blog! Ce fut un plaisir de visiter et de lire tout ces informations utiles. Un téléphone portable est tout pour moi et je peux vraiment pas vivre sans uns magasin de téléphonie mobile montréal

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