Xéna la guerrière, Amazone des temps modernes
Mythes
et construction de l'identité politique grecque
Le royaume grec n'est
pas un monde unifié, mais il existe un lien de cultures, de langues
et de sang. C'est ce que disent, selon Hérodote, les Athéniens
aux Spartiates avant la bataille de Platée « L'Héllénicité,
c'est avoir même sang, même langue, sanctuaires et sacrifices
communs, sembalbles mœurs et coutumes ». C'est un
phénomène de culture avec un arrière-plan généalogique (Hellen).
Il ne peut y avoir d'unicité dans la politique, les polis
sont trop nombreuses et diverses. L'unification grecque s'est formée
lentement et s'est figée après l'affrontement des Guerres Médiques.
Auparavant, il y avait une unification commune et floue avec des
points d'ancrage identitaires (sanctuaire de Delphes, Jeux
Olympiques, …). On habitait un même oikoumène.
L'identité s'est donc construite progressivement avant de se
rigidifier suite à l'affrontement contre les Perses.
C'est par opposition
au barbare, au Perse que se construit l'identité grecque. Ce
mécanisme identitaire assez classique a donc pris place dés cette
époque. C'est une altérité interne et externe à laquelle
s'opposent les Grecs. D'une part, ils s'opposent aux femmes et aux
Centaures, mais plus généralement de la part de féminité et de
bestialité présente en chaque homme. D'autre part, ils s'opposent
aux Perses via l'image des Troyens. Dans ce contexte post guerres
médiques, les Grecs mettent en place une série de mythes articulés
entre eux. Des récits qui existaient indépendamment sont
réinterprétés dans le sens des guerres médiques et reliées entre
eux via des personnages circulant entre ces mythes autrefois
indépendant.
Avec les Guerres
Médiques, le Perse devient l'incarnation de l'hubris et la
truphè (luxe) qui ramollit ce peuple. Mais ces oppositions
entre deux mondes ne rendent pas que les frontières imperméables
puisqu'au contraire des liens nombreux existent entre le royaume
perse et le royaume grec. Ainsi Thémistocle, vainqueur de
Salamine est ostracisé d'Athènes et mourra à la cour du roi Perse,
des produits sont échangés aussi. Mais toujours est-il que des
véritables discours panhélléniques eurent lieu pour diaboliser
l'ennemi perse.
- Les figures de l'Autre : Centaures et Amazones
- Les Centaures : la bestialité vaincue
Le héros athénien
Thésée rencontre le roi de
Thessalie, Pirithoos devenant son
ami. Dés le – V° siècle,
ils sont représentés ensemble luttant contre les Centaures. En
effet, lors des noces de Pirithoos avec Hyppothami
(???) (celle qui dresse les chevaux), Thésée est invité à y
assister ainsi que les Centaures. Mais ceux-ci s'enivrent, les
Centaures ne tiennent pas l'alcool parce qu'ils sont bestiales et
tentent de violer la mariée. Cela ne se fait pas et s'en suit le
massacre des Centaures : le centauromachie. C'est un sujet
classique très présent dans les représentations sur le Parthénon,
sur différents temples, sur des vaisselles, …
On a donc les
Centaures qui représentent l'aspect bestial et sauvage. Ce mythe
montre que les Centaures agissent contre les règles de l'hospitalité
grecque : on accueille et celui qui est accueilli doit agir de
manière correct. Les Centaures sont des anti-modèles que les
Grecs sont censés combattre avant tout en eux-mêmes. Les Grecs
luttent contre leur part de bestialité pour devenir des êtres
civilisés. La centaurocmachie, c'est la lutte contre cet autre
qu'on possède en soi.
- Les Amazones : l'expulsion du féminin
Ces femmes portent les
armes et expulsent leurs maris de leurs cités. Elle représentent la
gynécocratie, un monde sans dessus dessous où tout est déréglé.
Au XIX° siècle, cela servira à certains scientifiques pour y voir
des traces d'un pouvoir matriarcal. Bachofen notamment pense cela et
considère que les Amazones durent exister, les scientifiques du XX°
siècle montreront qu'il ne s'agit que d'un fantasme masculin grec
sans réalité.
Les Amazones dominaient
leurs maris, elles étaient chasseresses maniant l'arc, d'où
l'étymologie de leur nom. L'Amazone, femme qui n'a pas de poitrine,
on lui coupait le sein droit pour ne pas être gênées lors su tir à
l'arc et pour mieux combattre en général. Elles tiennent le rôle
des hommes et inversement. Mais l'imitation des hommes par les
Amazones se fait de manière imparfaite, elles combattent mais sans
règles, elles caricaturent le guerrier, ne respectent pas les règles
et exterminent. On peut donc légitimement les exterminer en retour.
Le mythe le plus ancien
concerne Andromachè (celle qui
combat les hommes), reine des Amazones, prend place dans le mythe
d'Héraclès. Héraclès doit
dénouer la ceinture de la reine pour l'offrir à la fille
d'Eurysthée. C'est une image de
la virginité flagrante, en dénouant la ceinture, Héraclès
réintroduit l'ordre des choses selon les Grecs. Une représentation
est donnée par ??? de ce travail. Ainsi dans les représentations
picturales, Héraclès dans sa tenue de lion combat Andromachè dans
une tenue d'hoplite, donc d'homme au combat. Bien sur, Héraclès
sera vainqueur.
Par la suite, d'autres
héros vont chez les Amazones : Thésée
et son ami Pirithoos
accompagnés d'un conducteur de char prénommé Phorbas.
Tout trois vont dans la ville des Amazones et Thésée va capturer
une belle Amazone qui s'appelle Antiope
(au – IV° siècle elle se prénommera Hypolitè). Il effectue un
rapt, assimilée au viol par les Grecs tout autant qu'à
l'enlèvement. Des fois Thésée la capture, des fois Antiope tombe
amoureuse. Toujours est-il qu'elle est déposée dans le char au
final.
Dans le mariage
athénien, il existe un moment ritualisé qui est le déplacement du
couple depuis l'oikos du père, où l'époux invite sa
femme a monté sur le char, avant qu'ils ne soient transportés et
accueillis dans la nouvelle maison où attendent les parents du
couple. Thésée effectue donc violemment ce rituel où l'homme
prend le dessus sur la femme et où il la réintègre dans l'ordre
normal des choses. La gynécocratie est vaincue.
Mais les Amazones
énervées de ce rapt décident de se venger et de partir en guerre
contre les Athéniens, investissant Athènes d'abord, puis
effectuant le siège de l'acropole. C'est alors l'amazonomachie,
les Athéniens vont réussir à repousser et à massacrer les
Amazones. Ils les rejetteront aux confins du monde connu, la
Scythie. C'est donc la lutte contre un ennemi doublement déviant et
marginale (femme déguisée en homme et qui vivent à la marge du
monde connu).
Thésée épouse Antiope
dont il a un fils Hyppolite.
Cependant, Thésée délaisse sa femme pour Phèdre,
elle-même amoureuse de son beau-fils Hyppolite. En se mariant à
Phèdre, Thésée provoque la colère d'Antiope qui tente de le tuer
lors du banquet de noce. Heureusement, Héraclès alors présent
sauve de justesse Thésée. C'est un doublet du banquet donné
lors du mariage entre Pirithoos et sa femme. Les Centaures hôtes
malotrus sont devenus Antiope hôte tout aussi injurieuse et
transgressive.
La lutte contre les
Amazones, c'est la lutte contre la part de féminité des Grecs qui
ne doit pas s'exprimer, encore moins en public. Cette lutte peut être
tantôt par le viol et le mariage, tantôt par la destruction et la
guerre.
Après les Guerres
Médiques, ces récits sont réactualisés surtout le mythe des
Amazones progressivement assimilées aux Perses.
- L'impact des Guerres Médiques : Amazones et Troyens
- Les perses et les Amazones : un couple perdant
Les Amazones et les
Perses vont voir leurs images fusionner. Ainsi les amazonomachies
sont des représentations privilégiées pour décrire les guerres
entre Grecs et Perses. On ne représentent pas le combat
directement mais on l'évoque par le biais du mythe et ici de
l'amazonomachie. D'où le foisonnement de la représentation de cette
scène.
Le rapprochement se
fait en deux temps : la barbarisation des Amazones et la féminisation
des Perses. Dans la tradition picturale, les Amazones changent,
autrefois représentées comme des hoplites, elles sont dorénavant
assises sur des chevaux, portent des vêtements scythes, barbares et
perses. Leur image change radicalement. Idem pour les Perses, suite à
la bataille de l'Eurymédon, ils sont représentés comme « penchés »
et très passif, image plutôt propre à la femme. Le Grec se tient
le sexe symbole de la nikè, la victoire. Sur le temple
d'Athéna Nikè on a une représentation de la lutte entre Grecs et
barbares où les Perses sont représentés dans des vêtements
flottants, difficilement distinguables des femmes, les Grecs étant
nus.
L'affirmation d'une
unité et d'une identité se fait contre des adversaires qui sont
associés entre eux et associés à la marginalité spatiale ou
sexuelle.
- Homère revisité : l'amalgame entre Perses et Troyens
Les Troyens sont à
leur tour revisités et on amalgame les Perses aux Troyens. Au départ
Troyens et Achéens font partis du même monde et ne s'oppose pas
foncièrement. Avec les Guerres Médiques, les Grecs réinterprètent
Homère en éloignant Troyens et Achéens, en en faisant deux mondes
définitivement irréconciliables. Troie devient le lieu du premier
conflit entre Grèce et Asie de par sa position géographique.
Hérodote
qui justifie l'attaque perse par la vengeance cherche le premier
outrage et remonte ainsi à la guerre de Troie, origine des Guerres
Médiques. Isocrate aussi
dans ces discours associera Troyens et Perses. Plus encore les hommes
politiques vont agir dans ce sens. Cimon
après sa victoire à Eion contre les Perses va vouloir commémorer
avec le peuple cette victoire. Les Athéniens lui accordent, non pas
sa statue c'est interdit, mais des Hermès en pierre où il peut
inscrire des choses dessus. Cimon va alors se comparer à Menesthée,
chef du contingent athénien à Troie. Il met donc en parallèle sa
victoire contre les Perses avec celle de Menesthée à Troie. A
Sparte pareil, Agésilas
le grand roi spartiate va pousser la guerre en Asie, avec un certain
succès jusqu'à la réaction du roi perse, et il se présente en
nouvel Agamemnon. Enfin
Alexandre de Troie
lorsqu'il part en guerre en Asie, va faire comme premier geste de se
rendre à Troie et de rendre hommage à Achille
auquel il se compare (d'autant qu'il porte le nom d'Alexandre et que
Paris se prénommait en réalité chez les Grecs, Paris-Alexandre).
Il se détache de son homologue et s'associe à Achille.
Dans les images on
retrouve aussi le retour d'une autre épopée de la guerre de Troie,
non pas l'Iliade mais l'Ilioupersis, le sac de Troie. Au fur et à
mesure, les Troyens vont devenir sur des représentations, non plus
dans la même tunique que les Achéens comme auparavant, mais dans le
tenue orientale de l'époque.
- L'altérité mise en série : un système d'oppositions cohérent
Centaures, Amazones et
Troyens constituent trois facettes d'un même discours grec pour se
définir par opposition à la bestialité, la féminité et à
l'étranger. Or ces épisodes (centauromachie, amazonomachie,
ilioupersis) sont rapprochés entre eux et mis en série de façon à
tenir un discours cohérent sur cet autre. Cela passe par une
circulation des personnages en particulier.
- Des épisodes mythiques liés entre eux
Dans l'Ethiopide,
une épopée perdue de la guerre de Troie, mais dont il reste des
traces raconte l'arrivée, suite à la mort d'Hector, à la fin de
l'Iliade, de Penthésilée,
reine des Amazones, qui amène ses troupes au secours des Troyens.
Achille va lutter contre Penthésilée et au moment où il la tue, il
réalise son amour pour elle (Eros et Thanatos). Ce récit met
bien en évidence les circulations entre les récits.
De même Pirithoos
forcément nécessaire à la centauromachie, est présent lors de
l'amazonomachie. Et cela est poussé encore plus loin avec la même
structure du banquet de mariage qui tourne mal dans les deux cas.
- Le rapprochement visuel des mythes : un discours bien articulé
On trouve très
souvent sur les représentations dans l'iconographie publique comme
privée, à la fois une centauromachie, une amazonomachie et un sac
de Troie. Un cas célèbre est celui du temple de Bassae destiné
à Apollon Epikourios (Apollon sauveur, pour avoir sauvé l'Arcadie
de la peste). Dans le temple, une frise existe toujours représentant
une centauromachie et une amazonomachie.
Deux autres exemples
sont visibles à Athènes.
Sur l'agora avec la
Stoa Poikilè (portique peint) érigée à l'époque
de Cimon. On y accroche des peintures
aux murs qui sont intéressantes puisqu'elles sont faites par les
deux grands peintres de l'époque Micon
et Polygnote. Trois tableaux y dominait
: la bataille de Marathon (Cimon est le fils de Milthiade, vainqueur
de Marathon), une centauromachie, un sac de Troie et une
amazonomachie. Le tout est présent sur le même portique peint.
Dans le Parthénon
idem, on trouve des métopes (tableau sculpté) sur la frise
dorique (qui fait le tour extérieur) représentant une
amazonomachie, une centauromachie, un sac de Troie et un
gigantomachie (combat des dieux olympiens contre les Géants). Dans
le temple même, on retrouve un écho avec la statue d'Athéna
Nikè : une centauromachie sur ses chaussures, une amazonomachie
sur sur la phase externe du bouclier et un sac de Troie sur la phase
inter de son bouclier.
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