mardi 3 janvier 2012

Antique 03 - 01

Précédemment : Antique 13 - 12



Xéna la guerrière, Amazone des temps modernes



Mythes et construction de l'identité politique grecque


Le royaume grec n'est pas un monde unifié, mais il existe un lien de cultures, de langues et de sang. C'est ce que disent, selon Hérodote, les Athéniens aux Spartiates avant la bataille de Platée « L'Héllénicité, c'est avoir même sang, même langue, sanctuaires et sacrifices communs, sembalbles mœurs et coutumes ». C'est un phénomène de culture avec un arrière-plan généalogique (Hellen). Il ne peut y avoir d'unicité dans la politique, les polis sont trop nombreuses et diverses. L'unification grecque s'est formée lentement et s'est figée après l'affrontement des Guerres Médiques. Auparavant, il y avait une unification commune et floue avec des points d'ancrage identitaires (sanctuaire de Delphes, Jeux Olympiques, …). On habitait un même oikoumène. L'identité s'est donc construite progressivement avant de se rigidifier suite à l'affrontement contre les Perses.
C'est par opposition au barbare, au Perse que se construit l'identité grecque. Ce mécanisme identitaire assez classique a donc pris place dés cette époque. C'est une altérité interne et externe à laquelle s'opposent les Grecs. D'une part, ils s'opposent aux femmes et aux Centaures, mais plus généralement de la part de féminité et de bestialité présente en chaque homme. D'autre part, ils s'opposent aux Perses via l'image des Troyens. Dans ce contexte post guerres médiques, les Grecs mettent en place une série de mythes articulés entre eux. Des récits qui existaient indépendamment sont réinterprétés dans le sens des guerres médiques et reliées entre eux via des personnages circulant entre ces mythes autrefois indépendant.

Avec les Guerres Médiques, le Perse devient l'incarnation de l'hubris et la truphè (luxe) qui ramollit ce peuple. Mais ces oppositions entre deux mondes ne rendent pas que les frontières imperméables puisqu'au contraire des liens nombreux existent entre le royaume perse et le royaume grec. Ainsi Thémistocle, vainqueur de Salamine est ostracisé d'Athènes et mourra à la cour du roi Perse, des produits sont échangés aussi. Mais toujours est-il que des véritables discours panhélléniques eurent lieu pour diaboliser l'ennemi perse.


  1. Les figures de l'Autre : Centaures et Amazones

  1. Les Centaures : la bestialité vaincue

Le héros athénien Thésée rencontre le roi de Thessalie, Pirithoos devenant son ami. Dés le – V° siècle, ils sont représentés ensemble luttant contre les Centaures. En effet, lors des noces de Pirithoos avec Hyppothami (???) (celle qui dresse les chevaux), Thésée est invité à y assister ainsi que les Centaures. Mais ceux-ci s'enivrent, les Centaures ne tiennent pas l'alcool parce qu'ils sont bestiales et tentent de violer la mariée. Cela ne se fait pas et s'en suit le massacre des Centaures : le centauromachie. C'est un sujet classique très présent dans les représentations sur le Parthénon, sur différents temples, sur des vaisselles, …

On a donc les Centaures qui représentent l'aspect bestial et sauvage. Ce mythe montre que les Centaures agissent contre les règles de l'hospitalité grecque : on accueille et celui qui est accueilli doit agir de manière correct. Les Centaures sont des anti-modèles que les Grecs sont censés combattre avant tout en eux-mêmes. Les Grecs luttent contre leur part de bestialité pour devenir des êtres civilisés. La centaurocmachie, c'est la lutte contre cet autre qu'on possède en soi.

  1. Les Amazones : l'expulsion du féminin

Ces femmes portent les armes et expulsent leurs maris de leurs cités. Elle représentent la gynécocratie, un monde sans dessus dessous où tout est déréglé. Au XIX° siècle, cela servira à certains scientifiques pour y voir des traces d'un pouvoir matriarcal. Bachofen notamment pense cela et considère que les Amazones durent exister, les scientifiques du XX° siècle montreront qu'il ne s'agit que d'un fantasme masculin grec sans réalité.
Les Amazones dominaient leurs maris, elles étaient chasseresses maniant l'arc, d'où l'étymologie de leur nom. L'Amazone, femme qui n'a pas de poitrine, on lui coupait le sein droit pour ne pas être gênées lors su tir à l'arc et pour mieux combattre en général. Elles tiennent le rôle des hommes et inversement. Mais l'imitation des hommes par les Amazones se fait de manière imparfaite, elles combattent mais sans règles, elles caricaturent le guerrier, ne respectent pas les règles et exterminent. On peut donc légitimement les exterminer en retour.
Le mythe le plus ancien concerne Andromachè (celle qui combat les hommes), reine des Amazones, prend place dans le mythe d'Héraclès. Héraclès doit dénouer la ceinture de la reine pour l'offrir à la fille d'Eurysthée. C'est une image de la virginité flagrante, en dénouant la ceinture, Héraclès réintroduit l'ordre des choses selon les Grecs. Une représentation est donnée par ??? de ce travail. Ainsi dans les représentations picturales, Héraclès dans sa tenue de lion combat Andromachè dans une tenue d'hoplite, donc d'homme au combat. Bien sur, Héraclès sera vainqueur.

Par la suite, d'autres héros vont chez les Amazones : Thésée et son ami Pirithoos accompagnés d'un conducteur de char prénommé Phorbas. Tout trois vont dans la ville des Amazones et Thésée va capturer une belle Amazone qui s'appelle Antiope (au – IV° siècle elle se prénommera Hypolitè). Il effectue un rapt, assimilée au viol par les Grecs tout autant qu'à l'enlèvement. Des fois Thésée la capture, des fois Antiope tombe amoureuse. Toujours est-il qu'elle est déposée dans le char au final.
Dans le mariage athénien, il existe un moment ritualisé qui est le déplacement du couple depuis l'oikos du père, où l'époux invite sa femme a monté sur le char, avant qu'ils ne soient transportés et accueillis dans la nouvelle maison où attendent les parents du couple. Thésée effectue donc violemment ce rituel où l'homme prend le dessus sur la femme et où il la réintègre dans l'ordre normal des choses. La gynécocratie est vaincue.

Mais les Amazones énervées de ce rapt décident de se venger et de partir en guerre contre les Athéniens, investissant Athènes d'abord, puis effectuant le siège de l'acropole. C'est alors l'amazonomachie, les Athéniens vont réussir à repousser et à massacrer les Amazones. Ils les rejetteront aux confins du monde connu, la Scythie. C'est donc la lutte contre un ennemi doublement déviant et marginale (femme déguisée en homme et qui vivent à la marge du monde connu).
Thésée épouse Antiope dont il a un fils Hyppolite. Cependant, Thésée délaisse sa femme pour Phèdre, elle-même amoureuse de son beau-fils Hyppolite. En se mariant à Phèdre, Thésée provoque la colère d'Antiope qui tente de le tuer lors du banquet de noce. Heureusement, Héraclès alors présent sauve de justesse Thésée. C'est un doublet du banquet donné lors du mariage entre Pirithoos et sa femme. Les Centaures hôtes malotrus sont devenus Antiope hôte tout aussi injurieuse et transgressive.
La lutte contre les Amazones, c'est la lutte contre la part de féminité des Grecs qui ne doit pas s'exprimer, encore moins en public. Cette lutte peut être tantôt par le viol et le mariage, tantôt par la destruction et la guerre.

Après les Guerres Médiques, ces récits sont réactualisés surtout le mythe des Amazones progressivement assimilées aux Perses.



  1. L'impact des Guerres Médiques : Amazones et Troyens

  1. Les perses et les Amazones : un couple perdant

Les Amazones et les Perses vont voir leurs images fusionner. Ainsi les amazonomachies sont des représentations privilégiées pour décrire les guerres entre Grecs et Perses. On ne représentent pas le combat directement mais on l'évoque par le biais du mythe et ici de l'amazonomachie. D'où le foisonnement de la représentation de cette scène.

Le rapprochement se fait en deux temps : la barbarisation des Amazones et la féminisation des Perses. Dans la tradition picturale, les Amazones changent, autrefois représentées comme des hoplites, elles sont dorénavant assises sur des chevaux, portent des vêtements scythes, barbares et perses. Leur image change radicalement. Idem pour les Perses, suite à la bataille de l'Eurymédon, ils sont représentés comme « penchés » et très passif, image plutôt propre à la femme. Le Grec se tient le sexe symbole de la nikè, la victoire. Sur le temple d'Athéna Nikè on a une représentation de la lutte entre Grecs et barbares où les Perses sont représentés dans des vêtements flottants, difficilement distinguables des femmes, les Grecs étant nus.

L'affirmation d'une unité et d'une identité se fait contre des adversaires qui sont associés entre eux et associés à la marginalité spatiale ou sexuelle.

  1. Homère revisité : l'amalgame entre Perses et Troyens

Les Troyens sont à leur tour revisités et on amalgame les Perses aux Troyens. Au départ Troyens et Achéens font partis du même monde et ne s'oppose pas foncièrement. Avec les Guerres Médiques, les Grecs réinterprètent Homère en éloignant Troyens et Achéens, en en faisant deux mondes définitivement irréconciliables. Troie devient le lieu du premier conflit entre Grèce et Asie de par sa position géographique.
Hérodote qui justifie l'attaque perse par la vengeance cherche le premier outrage et remonte ainsi à la guerre de Troie, origine des Guerres Médiques. Isocrate aussi dans ces discours associera Troyens et Perses. Plus encore les hommes politiques vont agir dans ce sens. Cimon après sa victoire à Eion contre les Perses va vouloir commémorer avec le peuple cette victoire. Les Athéniens lui accordent, non pas sa statue c'est interdit, mais des Hermès en pierre où il peut inscrire des choses dessus. Cimon va alors se comparer à Menesthée, chef du contingent athénien à Troie. Il met donc en parallèle sa victoire contre les Perses avec celle de Menesthée à Troie. A Sparte pareil, Agésilas le grand roi spartiate va pousser la guerre en Asie, avec un certain succès jusqu'à la réaction du roi perse, et il se présente en nouvel Agamemnon. Enfin Alexandre de Troie lorsqu'il part en guerre en Asie, va faire comme premier geste de se rendre à Troie et de rendre hommage à Achille auquel il se compare (d'autant qu'il porte le nom d'Alexandre et que Paris se prénommait en réalité chez les Grecs, Paris-Alexandre). Il se détache de son homologue et s'associe à Achille.

Dans les images on retrouve aussi le retour d'une autre épopée de la guerre de Troie, non pas l'Iliade mais l'Ilioupersis, le sac de Troie. Au fur et à mesure, les Troyens vont devenir sur des représentations, non plus dans la même tunique que les Achéens comme auparavant, mais dans le tenue orientale de l'époque.




  1. L'altérité mise en série : un système d'oppositions cohérent

Centaures, Amazones et Troyens constituent trois facettes d'un même discours grec pour se définir par opposition à la bestialité, la féminité et à l'étranger. Or ces épisodes (centauromachie, amazonomachie, ilioupersis) sont rapprochés entre eux et mis en série de façon à tenir un discours cohérent sur cet autre. Cela passe par une circulation des personnages en particulier.

  1. Des épisodes mythiques liés entre eux

Dans l'Ethiopide, une épopée perdue de la guerre de Troie, mais dont il reste des traces raconte l'arrivée, suite à la mort d'Hector, à la fin de l'Iliade, de Penthésilée, reine des Amazones, qui amène ses troupes au secours des Troyens. Achille va lutter contre Penthésilée et au moment où il la tue, il réalise son amour pour elle (Eros et Thanatos). Ce récit met bien en évidence les circulations entre les récits.
De même Pirithoos forcément nécessaire à la centauromachie, est présent lors de l'amazonomachie. Et cela est poussé encore plus loin avec la même structure du banquet de mariage qui tourne mal dans les deux cas.

  1. Le rapprochement visuel des mythes : un discours bien articulé

On trouve très souvent sur les représentations dans l'iconographie publique comme privée, à la fois une centauromachie, une amazonomachie et un sac de Troie. Un cas célèbre est celui du temple de Bassae destiné à Apollon Epikourios (Apollon sauveur, pour avoir sauvé l'Arcadie de la peste). Dans le temple, une frise existe toujours représentant une centauromachie et une amazonomachie.

Deux autres exemples sont visibles à Athènes.
Sur l'agora avec la Stoa Poikilè (portique peint) érigée à l'époque de Cimon. On y accroche des peintures aux murs qui sont intéressantes puisqu'elles sont faites par les deux grands peintres de l'époque Micon et Polygnote. Trois tableaux y dominait : la bataille de Marathon (Cimon est le fils de Milthiade, vainqueur de Marathon), une centauromachie, un sac de Troie et une amazonomachie. Le tout est présent sur le même portique peint.
Dans le Parthénon idem, on trouve des métopes (tableau sculpté) sur la frise dorique (qui fait le tour extérieur) représentant une amazonomachie, une centauromachie, un sac de Troie et un gigantomachie (combat des dieux olympiens contre les Géants). Dans le temple même, on retrouve un écho avec la statue d'Athéna Nikè : une centauromachie sur ses chaussures, une amazonomachie sur sur la phase externe du bouclier et un sac de Troie sur la phase inter de son bouclier.

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