lundi 2 janvier 2012

Antique 13 - 12

Précédemment : Antique 07 - 12





Les mythes politiques athéniens, l'autochtonie et ses prolongements


Cécrops a eut une descendance mais qui ne pourra se reproduire, le premier athénien est Erichthonios ou Erechthée. Les Athéniens se disent d'ailleurs Eréchthéides. C'est à ce mythe athénien qu'on s'intéresse puis à Ion, qui donne naissance aux Ioniens.
Par la suite, les Athéniens qui font partis du monde ionien vont s'en dégager, s'en distinguer et cela se voit au travers des mythes.


  1. L'autochtonie, un mythe politique athénien

  1. Erichthonios, né de la terre

A. Le mythe

Ce premier athénien est né de la terre selon une tradition très ancienne puisqu'on le connaît depuis les épopées homériques. Dans l'Iliade et le chant 2, on apprend que « les Athéniens sont le peuple d'Erechthée au grand cœur ; il fut jadis élevé par Athéna, fille de Zeus, mais c'est la terre donneuse de vie qui l'enfanta ». Ce récit qui prend sa source à l'époque archaïque, est popularisé au cours du – V° siècle. C'est à ce moment que les Athéniens se revendiquent vraiment descendants d'Erechthée, alors que l'Iliade ne dit que le fait qu'Erechthée est né de la terre et qu'il était roi des Athéniens. Mais les Spartiates ont des rois Héraclides non nés de la terre et le peuple est dorien.

Héphaïstos poursuit Athéna pour la violer. Tout deux sont des dieux engendrés de manière particulière. Athéna sort casquée de la tête de son père après que Zeus est avalée Métis. Héra pour se venger de Zeus décide d'engendrer son propre enfant sans passer par son mari, Héphaïstos est né. Zeus en colère jette l'enfant de l'Olympe, d'où sa boiterie. Ce sont deux naissantes aberrantes et la conjonction de ces deux divinités est particulière. Héphaïstos poursuit Athéna tente de la violer et un jet de sperme atterrit sur la cuisse d'Athéna. Elle l'essuie avec un flocon de laine (Erion) et le jette sur la terre (Chtôn) de l'Attique, la Terre ( ou Gaia) qui va recueillir la semence. La rencontre du flocon de laine ensemencé et de la terre donne naissance à Erechthée. Il y a trois partenaires dans cette naissance : Athéna, Héphaïstos et Gaïa.
Une fois l'enfant né, Athéna remet l'enfant aux filles de Cécrops, les Aglaurides, Pandrosos, Aglauros et Hersé. En réalité, Athéna met l'enfant dans une boite et la donne aux Aglaurides qui avaient promis de ne pas ouvrir la boîte. Elles ouvrent la boîte malgré tout, voit le serpent qui protège l'enfant, prennent peur, fuient et sautent de l'Acropole pour mourir au pied de la falaise. Athéna va donc élever l'enfant elle-même.

Il y a une répartition entre plusieurs personnages des trois fonctions pour créer et élever un enfant : un père, une mère et une nourrice. Gaïa joue la rôle de la mère, Héphaïstos celui du père et les Aglaurides comme nourrices. Mais Athéna vient se superposer en condensant les trois fonctions. Elle est un peu la mère de l'enfant en tant qu'objet du désir d'Héphaïstos. Elle est aussi le père puisque c'est elle qui reconnaît l'enfant, typique de la fonction paternelle dans les fêtes de la naissance de l'enfant qui prend une existence sociale. Enfin, à la mort des Aglaurides, elle va élever l'enfant et prend le rôle de nourrice.


B. Les représentations

On a retrouvé des représentations privées essentiellement tirées des vaisselles anciennes en céramique des banquets des élites athéniennes. On y voit Erechthée prêt à être accueilli par Athéna encadré de Cécrops, Gaïa et Héphaïstos. Certaines scènes montrent parfois Héphaïstos aussi qui reconnaît son enfant. Ce geste de reconnaissance de l'enfant se faisait par les pères des enfants lors des Amphidromies, fêtes se déroulant quelques jours après la naissance de l'enfant. C'est là qu'il prend une existence sociale.

On trouve aussi des représentations publiques sur le Parthénon, à l'intérieur la statue d'Athéna d'ivoire et d'or avait une allusion discrète à la naissance d'Erechthée via un serpent près de la statue. On le retrouve aussi dans l'Erechtheion (du nom d'Erechthée) où une pièce était dédié à ce roi, pièce où on pensait qu'il était enterré (sénotaphe).
En dehors de l'Acropole, on retrouve la mise en scène de l'autochtonie sur l'agora : l'héphaïsteion, temple dédié à Héphaïstos et à Athéna. Tout deux dans ce temple seraient les protecteurs des artisans, Héphaïstos c'est son rôle, Athéna c'est son rôle lorsqu'elle est Athéna Erganè, une forme de métis manuelle, ingéniosité. Ainsi ce temple surplombant l'agora est à coté du quartier des artisans. Ce temple est donc partiellement à destination des artisans avec des divinités patronnes. C'est aussi un temple qui doit rappeler le mythe de la naissance d'Erechthée, les deux dieux étant vénérés aussi pour cela. La preuve en est la frise sur le socle des deux statues, faite par Alcamène, grand sculpteur de l'époque et représentant cette naissance.

C. Les fonctions du mythe

Plusieurs bénéfices sont tirés de ce mythe par les Athéniens. Vis à vis de l'extérieur, ils se présentent par leur descendance avec Erechthée, d'une naissance ethniquement pure. Cela s'oppose aux autres grecs nés souvent par le biais d'un étranger, comme les Thébains (Kadmos), les Spartiates (Doriens), ou Pélops (fils d'un lydien). Ils se pensent alors supérieurs aux autres grecs par ce rapport charnel au territoire. Un autre intérêt est celui de renforcer le courage des Athéniens pour soutenir leur patrie. Ils sont incités à se sacrifier pour leur sol dont ils sont issus.
Au sein de la cité, ce récit remplit plusieurs fonctions, il est un récit d'anoblissement collectif. Puisque tout les Athéniens descendent tous du premier athénien et du premier roi d'Athènes. Ainsi ils sont tous nés d'un roi et se placent sur un pied d'égalité prestigieux via leur ancêtre roi autochtone. Tout les Athéniens sont donc frères, frères lointains certes, et cela se traduit à Athènes lors des oraisons funèbres où le discours prononcé met en avant le caractère autochtone du sacrifice des soldats. De plus, les Athéniens sont organisés en phratries, groupes de frères à l'ancêtre commun. Cela symbolise le lien fraternel qui unit l'ensemble de la communauté et on ne peut établir de hiérarchie entre eux.
Enfin cela légitime aussi l'infériorité des femmes. L'engendrement du premier athénien se fait sans le passage par la matrice d'une femme, il est né directement du sol. Certes Gaïa est représentée par femme, mais la Terre n'a pas de sens féminin dans le langage. Athéna quant à elle est une divinité apparemment féminine, mais elle n'est pas née de la matrice d'une femme et elle-même se considère comme vierge. Elle refoule sa part féminine et se place toujours du coté des pères, jamais des mères (comme dit dans une pièce de théâtre). Les dieux sont avant tout des dieux, ensuite un genre.

Les Athéniens peuvent donc se penser mâles, égaux entre eux, supérieurs aux femmes et supérieurs aux autres Grecs de l'extérieur issus de l'étranger. Ce récit souligne l'ancrage terrestre des Athéniens. Toutefois, au V° siècle, il faut aussi mettre en avant la volonté d'hégémonie d'Athènes sur les mers. Il y a donc un prolongement au mythe qui doit réintégrer Poséidon dans le culte athénien pour se faire un allié de celui-ci.

  1. D'Erichthonios à Erechthée : de la terre à la mer

Selon les versions Erechthée est Erichthonios adulte, parfois c'est le petit-fils d'Ericthonios.
Ce mythe apparaît dans une pièce d'Eurypide jouée devant les Athéniens. Athènes est alors en danger, elle est le lieu de combat entre les Athéniens et les Eleusiniens, ce sont des luttes internes car le territoire n'est pas encore unifié (c'est Thésée qui s'en chargera). Eumolpos, roi d'Eleusis, fils de Poséidon, prend le dessus sur Erecthée : les Athéniens sont dans une situation assez désespérée, les Eleusiniens sont supérieurs à eux. Eumolpos est en plus le fils de Poséidon, ce qui lui donne un avantage. Un oracle de Delphes annonce qu'Athènes ne peut être sauvée que si Erechthée sacrifie une de ses filles. Il accepte avec l'accord de sa femme Praxithéa. Le problème est que les filles du roi et de la reine jure de toutes mourir ensemble pour soutenir celle qui est promise à la mort. Elles se sacrifient toutes, meurent mais permettent la victoire des Athéniens sur les Eleusiniens. Erechthée tue d'ailleurs en combat singulier Eumolpos, provoquant la colère de Poséidon, père du défunt. Il donne un coup de trident sur Erechthée qui est englouti dans le sol de l'Attique. La victoire à un prix très lourd pour cette famille.

Dans le contexte, on est dans la guerre du Péloponnèse, Athènes a fondé la Ligue de Délos et domine les mers. Elle est donc en guerre contre Sparte. Cette pièce présentée aux citoyens mâles illustre un modèle de courage auxquels tout les citoyens étaient invités à suivre. Cela apparaît dans une tirade de Praxithéa (cf fasicule). Ce sacrifice honorerait leur naissance autochtone.
Une autre fonction apparaît à la fin de la pièce. C'est la réintégration de Poséidon dans le mythe autochtonien. Poséidon qui avait déjà été vexé de ne pas acquérir le territoire au profit d'Athéna, vient de tuer Erechthée, après qu'il ait tué son fils. Mais Athéna apparaît suite à l'intervention de Poséidon et ordonne que les Athéniens rendent un culte à la fois à Poséidon et à Erechthée. Ce culte existait réellement avant la pièce, c'était celui de Poséidon Erechtheus, culte du dieu et de sa victime. Il y a une réunion de la terre et de la mer. La mer est une extension du territoire athénien. Ainsi Athènes matérialise l'enracinement de la ville dans son territoire terrestre mais aussi moyen de souligner leur alliance avec Poséidon et leur prétention sur les mers justifiée. Dans l'Erechtheion, il y a la trace du coup de trident de Poséidon au sol et dans le toit pour montrer l'intervention.


  1. Autochtones ou Ioniens ? Bricolages généalogiques athéniens

  1. Athènes et les Ioniens : histoire d'un désamour

À l’époque archaïque et classique, Athéniens et Ioniens revendiquaient une origine commune. Les habitants de l’Attique, de l’Eubée, des Cyclades ou d’Ionie partageaient en effet une culture fondée sur un même dialecte et sur l’échange de modèles, politiques ou architecturaux – tel le style protogéométrique propre à Athènes, rapidement adopté par les établissements ioniens en Asie mineure.
Selon certaines traditions de l’époque archaïque, les Ioniens auraient d’abord habités dans le Péloponnèse, puis ils auraient été chassés par les Achéens, se seraient installés à Athènes, avant d’émigrer en Asie mineure. Un fragment du poète et législateur Solon montre d’ailleurs que les Athéniens se considéraient eux-mêmes comme Ioniens, dès 600 av. J.-C. – et même comme la plus ancienne terre d’Ionie.

Pourquoi Ioniens et Athéniens tenaient-il à se rattacher ainsi à une histoire commune ?
  • Par ce biais, les Ioniens peuplant les cités grecques d’Asie mineure s’enracinaient dans le passé mythique plus ancien de la Grèce continentale.
  • Du côté des Athéniens, le but était différent. À l’époque archaïque, les élites de la cité étaient fascinées par les Ioniens d’Asie, qui bénéficiaient de la proximité de civilisations orientales raffinées et avaient développé à leur contact un mode de vie cosmopolite et cultivé. Dès lors, se rattacher à une histoire commune était politiquement intéressant pour des raisons de distinctions culturelles et sociales.

Cette proximité revendiquée entre Athènes et les Ioniens cesse assez brutalement, semble-t-il, à la fin de l’époque archaïque. Au siècle, les Athéniens ne cherchent plus à se présenter comme des Ioniens – ou, du moins, pas comme des Ioniens comme les autres. Les réformes de Clisthène symbolisent cette évolution : le législateur supprime les 4 anciennes tribus ioniennes qui rattachaient les Athéniens à leur passé commun, et les remplacent par 10 nouvelles tribus, qui portent le nom de héros puisés uniquement dans la mémoire athénienne – à l’exception d’Ajax, roi de Salamine, dont la présence est à l’évidence destinée à justifier l’annexion de l’île par Athènes un siècle plus tôt, en – 612.
Les réformes clisthéniennes soulignaient donc l’enracinement autochtone d’Athènes et ce, avec d’autant plus de force que les héros des nouvelles tribus attiques se trouvaient statufiés sur l’agora, sur le monument des héros éponymes. D’après Hérodote, ce serait là la première indication d’une attitude anti-ionienne qui allait devenir de plus en plus forte au cours du V° siècle. « Les Ioniens autres que ceux d’Asie, y compris les Athéniens, avaient donc pris le nom d’Ioniens en aversion et ne voulaient pas le porter ; encore à l’heure actuelle, la plupart d’entre eux, me semble-t-il, rougissent de ce nom » selon Hérodote.
Comment expliquer un tel désamour ? Peut-être faut-il le relier à la faible résistance opposée par les Ioniens d’Asie mineure à Cyrus, lorsque celui-ci conquit la région, vers 545 av. J.-C. Toutefois, ce changement d’attitude ne saurait seulement provenir, comme le soutient Hérodote, d’un mépris soudain des Athéniens à l’égard des Ioniens. Cette prise de distance doit surtout au fait qu’Athènes, à l’orée du V° siècle, se suffisait désormais à elle-même. Elle n’avait plus besoin de se rattacher à l’ethnie ionienne et souhaite faire coïncider son présent avec son passé.

À la fin du VI° siècle, les Athéniens se revendiquent désormais autochtones et, par conséquent, supérieurs à tous les autres Grecs. Dès lors, il n’était plus question d’être de simples Ioniens comme les autres. Au cours du V° siècle, les Athéniens bricolent leur généalogie pour présenter leur cité comme la métropole de tous les Ioniens qui, par conséquent, lui doivent obéissance et respect.

  1. La réécriture du mythe d'Ion

Afin de justifier leur prééminence, les Athéniens s’emploient en effet à transformer le mythe d’Ion qui, au départ, les reliaient aux Ioniens sur un plan d’égalité relative.
À l’époque archaïque, l’histoire d’Ion était assez simple. Son père, Xouthos, était le fils d’Hellen et de la nymphe Orséis. Roi d’Iolcos en Thessalie, il était chassé du royaume par ses frères Éole et Doros, avant de trouver refuge à Athènes. Là, il se mariait à Créuse, l’une des filles d’Érechthée, donnant naissance à Ion, Achaïos et Diomède. Ancêtre éponyme de tous les Ioniens, Ion était donc le fils d’un étranger et d’une Athénienne : dans cette version de l’histoire, les Ioniens étaient donc apparentés aux Athéniens, sans leur être subordonnés.

Dans sa pièce Ion, représentée peu après la paix de Nicias, Euripide donne une version bien différente de la généalogie d’Ion, destinée à mettre en valeur l’origine purement athénienne du héros. L’intrigue de la tragédie est quelque peu compliquée. Là voici résumée par Nicole Loraux : « Violée par Apollon, Créuse, fille d’Erechthée, a exposé son enfant qu’elle croit mort. Elle a, par la suite, épousé Xouthos, descendant de Zeus, mais étranger à Athènes ; leur union est stérile. Aussi viennent-ils à Delphes consulter Apollon au sujet de leur postérité. Ils y rencontreront un adolescent, qui n’est autre que l’enfant jadis exposé, sauvé par son géniteur divin [Apollon]. Pour que l’enfant rentre en possession de son foyer, Apollon le donne à Xouthos. Fureur et désespoir de Créuse, qui complote la mort de celui qu’elle croit fils de son époux. Après avoir tenté chacun à son tour de supprimer l’autre, le fils et la mère se retrouvent face à face : Créuse reconnaît son enfant. Départ pour Athènes, où Ion héritera du pouvoir de ses ancêtres Erechthéides ».

Quel sens général donner à la pièce ? Une analyse structurale invite à reconnaître le schéma mythique bien connu du « retour du roi », déjà étudié à propos des tyrans, et notamment de Kypsélos et d’Œdipe. Ion présente en effet tous les traits de l’enfant exposé, sauvé miraculeusement et parvenant, après bien des épreuves, à conquérir le pouvoir.
Au-delà de la reprise de ce scénario traditionnel, Euripide se livre surtout à une manipulation en profondeur de la généalogie d’Ion. Le héros se découvre en effet, à l’issue de la pièce, à la fois Érechthéide par sa mère, Créuse, et d’ascendance divine par son père, Apollon. Il n’est donc plus le fils d’un étranger, Xouthos, comme dans les versions les plus courantes du mythe, mais le fils d’un dieu, Apollon, et d’une Athénienne, Créuse.
Pourquoi avoir opéré de telles modifications dans la généalogie d’Ion ? La fin de la pièce éclaire les intentions des Athéniens en général et d’Euripide en particulier. Athéna apparaît en majesté et s’adresse à Créuse, lui révélant le destin glorieux de son fils et de ses descendants. « Créuse, avec ton fils, rends-toi au pays de Cécrops, et assieds-le sur le trône royal. Car issu d’Érechthée, il a droit de régner sur ma terre ; il sera glorieux pour la Grèce. Ses quatre fils, issus d’une souche commune, donneront au pays leur nom, comme aux tribus qui possèdent mon sol, habitent ma colline… Et les enfants de ceux-ci, lorsque viendra le temps marqué par le destin, peupleront les cités des îles, les Cyclades et les bords de la mer, ce qui fera la force de mon pays. Puis ils occuperont les plaines de ces deux continents qui se font face, Europe, Asie, ils deviendront – nommés Ioniens du nom de celui-ci – fameux dans l’univers. […] Xouthos et toi aurez postérité commune, Doros, par qui sera illustré la Doride, au pays de Pélops ; puis un deuxième fils, Achaïos, roi futur du pays maritime, près de Rhion ; un peuple aura de lui son nom ».
La déesse commence par souligner avec emphase l’identité athénienne d’Ion : descendant d’Érechthée, il n’est plus un sang mêlé, comme dans la version précédente, mais un pur Athénien. Le héros apparaît même comme un véritable double d’Erichthonios : lors de son exposition, Ion avait été placé dans une corbeille, à côté de serpents d’or, dans une sorte de décalque de la naissance du premier autochtone – qui avait lui-même été cachée dans un corbeille gardée par des serpents. Dès sa naissance, Ion était donc couvert de signes qui, nous dit explicitement Euripide, sont autant « d’imitation d’Erichthonios ».
Affirmer l’identité purement athénienne d’Ion avait une conséquence importante qu’Athéna s’empresse de souligner. Lorsqu’ils s’établissent dans les Cyclades ou en Asie mineure, les descendants d’Ion ne sont pas les égaux des Athéniens, mais leurs colons. De fait, à partir de la seconde moitié du V° siècle, les populations des cités ioniennes sont invitées à se considérer, non comme de simples parents, mais comme des colons des Athéniens. Tel est le cas, selon Hérodote, de Milet, qui aurait été fondée par Nélée, le fils du roi athénien Codros ou encore d’Éphèse, dont Androclos, un autre fils de Codros, serait l’oikiste. En tant que colonies d’Athènes, les cités ioniennes doivent dès lors à leur métropole respect, voire obéissance : adhérentes de la ligue de Délos, elles avaient d’ailleurs pour obligation d’envoyer une vache et une panoplie aux Grandes Panathénées, tenues tous les 4 ans (cadeau symbolique dont la fonction était de rappeler leur dépendance à l’égard de leur métropole).
La nouvelle généalogie d’Ion avait un dernier avantage sur le plan symbolique. Les Ioniens dans leur ensemble pouvaient désormais revendiquer un statut généalogique non seulement égal, mais supérieur à celui des Doriens et des Achéens. Dans la version traditionnelle, les Ioniens avait en effet un statut généalogique inférieur à leur rivaux : la naissance d’Ion était placée une génération après celle de Dôros. Euripide remédiait à cette situation en transformant Dôros et Achaïos en demi-frères d’Ion. Ceux-ci perdaient ainsi leur supériorité généalogique. Non seulement ils devenaient les cadets d’Ion, mais, contrairement à leur aîné, ils devaient se contenter d’un père mortel : ils étaient en effet les enfants de Xouthos et de Créuse, et non, comme Ion, ceux de Créuse et d’Apollon.
Ce bricolage généalogique mérite évidemment d’être rapporté aux prétentions hégémoniques d’Athènes au début des années – 410, lorsque Euripide compose sa pièce. Les interprètes proposent en effet deux dates possibles pour l’Ion : soit en 418, après la paix de Nicias, dans un contexte où Athènes pouvait encore penser unifier la Grèce sous sa domination ; soit après l’expédition de Sicile, en – 412 - – 411, à un moment particulièrement difficile pour Athènes, dont les alliés ioniens faisaient alors défection, profitant de la déroute de l’expédition de Sicile. Dans les deux cas, les mythes assuraient la continuation de la guerre par d’autres moyens, notamment symboliques, en célébrant la supériorité d’Athènes tant sur ses alliés que sur ses ennemis.

La tragédie d’Euripide fonctionnait donc à deux niveaux. À l’égard des alliés d’Athènes, elle visait à affirmer la place dominante d’Athènes dans le monde ionien. À l’égard des ennemis de la cité, elle cherchait à procurer aux Athéniens un ascendant symbolique, fondé sur une grossière manipulation généalogique. Transformant Doriens et Achéens en frères cadets des Ioniens, le poète imaginait un monde où ses concitoyens étaient les aînés du monde grec, enracinés dans leur terre – puisque descendants d’Erechthée – et jouissant de la protection des dieux – en tant que protégés d’Athéna Polias et descendants d’Apollon Patroos.

Pour le cours prochain reprendre les cours des guerres médiques
Pour les cours précédents reprendre : la ligue Délos, la colonisation

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