Les
mythes politiques athéniens, l'autochtonie et ses prolongements
Cécrops
a eut une descendance mais qui ne pourra se reproduire, le premier
athénien est Erichthonios
ou Erechthée. Les
Athéniens se disent d'ailleurs Eréchthéides. C'est à ce mythe
athénien qu'on s'intéresse puis à Ion,
qui donne naissance aux Ioniens.
Par la suite, les
Athéniens qui font partis du monde ionien vont s'en dégager, s'en
distinguer et cela se voit au travers des mythes.
- L'autochtonie, un mythe politique athénien
- Erichthonios, né de la terre
A.
Le mythe
Ce premier athénien
est né de la terre selon une tradition très ancienne puisqu'on le
connaît depuis les épopées homériques. Dans l'Iliade
et le chant 2, on apprend que « les Athéniens sont le
peuple d'Erechthée au grand cœur ; il fut jadis élevé par Athéna,
fille de Zeus, mais c'est la terre donneuse de vie qui l'enfanta ».
Ce récit qui prend sa source à l'époque archaïque, est
popularisé au cours du – V° siècle. C'est à ce moment que les
Athéniens se revendiquent vraiment descendants d'Erechthée, alors
que l'Iliade ne dit que le fait
qu'Erechthée est né de la terre et qu'il était roi des Athéniens.
Mais les Spartiates ont des rois Héraclides non nés de la terre et
le peuple est dorien.
Héphaïstos
poursuit Athéna pour la
violer. Tout deux sont des dieux engendrés de manière particulière.
Athéna sort casquée de la tête de son père après que Zeus est
avalée Métis. Héra pour se venger de Zeus décide d'engendrer son
propre enfant sans passer par son mari, Héphaïstos est né. Zeus en
colère jette l'enfant de l'Olympe, d'où sa boiterie. Ce sont deux
naissantes aberrantes et la conjonction de ces deux divinités est
particulière. Héphaïstos poursuit Athéna tente de la violer et un
jet de sperme atterrit sur la cuisse d'Athéna. Elle l'essuie avec un
flocon de laine (Erion) et le jette sur la terre
(Chtôn) de l'Attique, la Terre (Gê
ou Gaia) qui va recueillir
la semence. La rencontre du flocon de laine ensemencé et de la terre
donne naissance à Erechthée. Il y a trois partenaires dans cette
naissance : Athéna, Héphaïstos et Gaïa.
Une fois l'enfant né,
Athéna remet l'enfant aux filles de Cécrops, les Aglaurides,
Pandrosos, Aglauros et Hersé. En réalité, Athéna met l'enfant
dans une boite et la donne aux Aglaurides qui avaient promis de ne
pas ouvrir la boîte. Elles ouvrent la boîte malgré tout, voit le
serpent qui protège l'enfant, prennent peur, fuient et sautent de
l'Acropole pour mourir au pied de la falaise. Athéna va donc élever
l'enfant elle-même.
Il y a une répartition
entre plusieurs personnages des trois fonctions pour créer et élever
un enfant : un père, une mère et une nourrice. Gaïa joue la rôle
de la mère, Héphaïstos celui du père et les Aglaurides comme
nourrices. Mais Athéna vient se superposer en condensant les trois
fonctions. Elle est un peu la mère de l'enfant en tant qu'objet
du désir d'Héphaïstos. Elle est aussi le père puisque c'est elle
qui reconnaît l'enfant, typique de la fonction paternelle dans les
fêtes de la naissance de l'enfant qui prend une existence sociale.
Enfin, à la mort des Aglaurides, elle va élever l'enfant et prend
le rôle de nourrice.
B.
Les représentations
On a retrouvé des
représentations privées essentiellement tirées des vaisselles
anciennes en céramique des banquets des élites athéniennes. On
y voit Erechthée prêt à être accueilli par Athéna encadré de
Cécrops, Gaïa et Héphaïstos. Certaines scènes montrent parfois
Héphaïstos aussi qui reconnaît son enfant. Ce geste de
reconnaissance de l'enfant se faisait par les pères des enfants lors
des Amphidromies, fêtes se déroulant quelques jours après la
naissance de l'enfant. C'est là qu'il prend une existence sociale.
On trouve aussi des
représentations publiques sur le Parthénon, à l'intérieur la
statue d'Athéna d'ivoire et d'or avait une allusion discrète à la
naissance d'Erechthée via un serpent près de la statue. On le
retrouve aussi dans l'Erechtheion (du nom d'Erechthée) où une pièce
était dédié à ce roi, pièce où on pensait qu'il était enterré
(sénotaphe).
En dehors de
l'Acropole, on retrouve la mise en scène de l'autochtonie sur
l'agora : l'héphaïsteion, temple dédié à Héphaïstos et à
Athéna. Tout deux dans ce temple seraient les protecteurs des
artisans, Héphaïstos c'est son rôle, Athéna c'est son rôle
lorsqu'elle est Athéna Erganè, une
forme de métis manuelle, ingéniosité. Ainsi ce temple surplombant
l'agora est à coté du quartier des artisans. Ce temple est donc
partiellement à destination des artisans avec des divinités
patronnes. C'est aussi un temple qui doit rappeler le mythe de la
naissance d'Erechthée, les deux dieux étant vénérés aussi pour
cela. La preuve en est la frise sur le socle des deux statues,
faite par Alcamène, grand sculpteur de
l'époque et représentant cette naissance.
C.
Les fonctions du mythe
Plusieurs bénéfices
sont tirés de ce mythe par les Athéniens. Vis à vis de
l'extérieur, ils se présentent par leur descendance avec Erechthée,
d'une naissance ethniquement pure. Cela s'oppose aux autres grecs nés
souvent par le biais d'un étranger, comme les Thébains
(Kadmos), les Spartiates (Doriens), ou Pélops (fils d'un lydien).
Ils se pensent alors supérieurs aux autres grecs par ce rapport
charnel au territoire. Un autre intérêt est celui de renforcer
le courage des Athéniens pour soutenir leur patrie. Ils sont incités
à se sacrifier pour leur sol dont ils sont issus.
Au sein de la cité,
ce récit remplit plusieurs fonctions, il est un récit
d'anoblissement collectif. Puisque tout les Athéniens descendent
tous du premier athénien et du premier roi d'Athènes. Ainsi ils
sont tous nés d'un roi et se placent sur un pied d'égalité
prestigieux via leur ancêtre roi autochtone. Tout les Athéniens
sont donc frères, frères lointains certes, et cela se traduit à
Athènes lors des oraisons funèbres où le discours prononcé
met en avant le caractère autochtone du sacrifice des soldats. De
plus, les Athéniens sont organisés en phratries, groupes de
frères à l'ancêtre commun. Cela symbolise le lien fraternel qui
unit l'ensemble de la communauté et on ne peut établir de
hiérarchie entre eux.
Enfin cela légitime
aussi l'infériorité des femmes. L'engendrement du premier athénien
se fait sans le passage par la matrice d'une femme, il est né
directement du sol. Certes Gaïa est représentée par femme, mais la
Terre n'a pas de sens féminin dans le langage. Athéna quant à
elle est une divinité apparemment féminine, mais elle n'est pas née
de la matrice d'une femme et elle-même se considère comme vierge.
Elle refoule sa part féminine et se place toujours du coté des
pères, jamais des mères (comme dit dans une pièce de théâtre).
Les dieux sont avant tout des dieux, ensuite un genre.
Les Athéniens peuvent
donc se penser mâles, égaux entre eux, supérieurs aux femmes et
supérieurs aux autres Grecs de l'extérieur issus de l'étranger. Ce
récit souligne l'ancrage terrestre des Athéniens. Toutefois, au V°
siècle, il faut aussi mettre en avant la volonté d'hégémonie
d'Athènes sur les mers. Il y a donc un prolongement au mythe qui
doit réintégrer Poséidon dans le culte athénien pour se faire un
allié de celui-ci.
- D'Erichthonios à Erechthée : de la terre à la mer
Selon les versions
Erechthée est Erichthonios adulte, parfois c'est le petit-fils
d'Ericthonios.
Ce mythe apparaît
dans une pièce d'Eurypide
jouée devant les Athéniens. Athènes est alors en danger, elle est
le lieu de combat entre les Athéniens et les Eleusiniens, ce
sont des luttes internes car le territoire n'est pas encore unifié
(c'est Thésée qui s'en chargera). Eumolpos,
roi d'Eleusis, fils de Poséidon,
prend le dessus sur Erecthée : les Athéniens sont dans une
situation assez désespérée, les Eleusiniens sont supérieurs à
eux. Eumolpos est en plus le fils de Poséidon, ce qui lui donne un
avantage. Un oracle de Delphes annonce qu'Athènes ne peut être
sauvée que si Erechthée sacrifie une de ses filles. Il accepte
avec l'accord de sa femme Praxithéa. Le
problème est que les filles du roi et de la reine jure de toutes
mourir ensemble pour soutenir celle qui est promise à la mort. Elles
se sacrifient toutes, meurent mais permettent la victoire des
Athéniens sur les Eleusiniens. Erechthée tue d'ailleurs en combat
singulier Eumolpos, provoquant la colère de Poséidon, père du
défunt. Il donne un coup de trident sur Erechthée qui est englouti
dans le sol de l'Attique. La victoire à un prix très lourd pour
cette famille.
Dans le contexte, on
est dans la guerre du Péloponnèse, Athènes a fondé la Ligue de
Délos et domine les mers. Elle est donc en guerre contre Sparte.
Cette pièce présentée aux citoyens mâles illustre un modèle de
courage auxquels tout les citoyens étaient invités à suivre.
Cela apparaît dans une tirade de Praxithéa (cf fasicule). Ce
sacrifice honorerait leur naissance autochtone.
Une autre fonction
apparaît à la fin de la pièce. C'est la réintégration de
Poséidon dans le mythe autochtonien. Poséidon qui avait déjà
été vexé de ne pas acquérir le territoire au profit d'Athéna,
vient de tuer Erechthée, après qu'il ait tué son fils. Mais Athéna
apparaît suite à l'intervention de Poséidon et ordonne que les
Athéniens rendent un culte à la fois à Poséidon et à Erechthée.
Ce culte existait réellement avant la pièce, c'était celui de
Poséidon Erechtheus, culte du dieu et de sa victime. Il y a une
réunion de la terre et de la mer. La mer est une extension du
territoire athénien. Ainsi Athènes matérialise l'enracinement
de la ville dans son territoire terrestre mais aussi moyen de
souligner leur alliance avec Poséidon et leur prétention sur les
mers justifiée. Dans l'Erechtheion, il y a la trace du coup de
trident de Poséidon au sol et dans le toit pour montrer
l'intervention.
- Autochtones ou Ioniens ? Bricolages généalogiques athéniens
- Athènes et les Ioniens : histoire d'un désamour
À
l’époque archaïque et classique, Athéniens et Ioniens
revendiquaient une origine commune. Les habitants de l’Attique,
de l’Eubée, des Cyclades ou d’Ionie partageaient en effet une
culture fondée sur un même dialecte et sur l’échange de modèles,
politiques ou architecturaux – tel le style protogéométrique
propre à Athènes, rapidement adopté par les établissements
ioniens en Asie mineure.
Selon
certaines traditions de l’époque archaïque, les Ioniens auraient
d’abord habités dans le Péloponnèse, puis ils auraient été
chassés par les Achéens, se seraient installés à Athènes, avant
d’émigrer en Asie mineure. Un fragment du poète et
législateur Solon montre
d’ailleurs que les Athéniens se considéraient eux-mêmes comme
Ioniens, dès 600 av. J.-C. – et même comme la plus ancienne terre
d’Ionie.
Pourquoi
Ioniens et Athéniens tenaient-il à se rattacher ainsi à une
histoire commune ?
- Par ce biais, les Ioniens peuplant les cités grecques d’Asie mineure s’enracinaient dans le passé mythique plus ancien de la Grèce continentale.
- Du côté des Athéniens, le but était différent. À l’époque archaïque, les élites de la cité étaient fascinées par les Ioniens d’Asie, qui bénéficiaient de la proximité de civilisations orientales raffinées et avaient développé à leur contact un mode de vie cosmopolite et cultivé. Dès lors, se rattacher à une histoire commune était politiquement intéressant pour des raisons de distinctions culturelles et sociales.
Cette
proximité revendiquée entre Athènes et les Ioniens cesse assez
brutalement, semble-t-il, à la fin de l’époque archaïque. Au V°
siècle, les Athéniens ne cherchent plus à se présenter
comme des Ioniens – ou, du moins, pas comme des Ioniens comme les
autres. Les réformes de Clisthène
symbolisent cette évolution : le législateur supprime les 4
anciennes tribus ioniennes qui rattachaient les Athéniens à leur
passé commun, et les remplacent par 10 nouvelles tribus, qui portent
le nom de héros puisés uniquement dans la mémoire athénienne –
à l’exception d’Ajax, roi de
Salamine, dont la présence est à l’évidence destinée à
justifier l’annexion de l’île par Athènes un siècle plus tôt,
en – 612.
Les
réformes clisthéniennes soulignaient donc l’enracinement
autochtone d’Athènes et ce, avec d’autant plus de force que
les héros des nouvelles tribus attiques se trouvaient statufiés sur
l’agora, sur le monument des héros éponymes. D’après Hérodote,
ce serait là la première indication d’une attitude anti-ionienne
qui allait devenir de plus en plus forte au cours du V° siècle.
« Les Ioniens autres que ceux d’Asie, y compris les
Athéniens, avaient donc pris le nom d’Ioniens en aversion et ne
voulaient pas le porter ; encore à l’heure actuelle, la plupart
d’entre eux, me semble-t-il, rougissent de ce nom » selon
Hérodote.
Comment
expliquer un tel désamour ? Peut-être faut-il le relier à la
faible résistance opposée par les Ioniens d’Asie mineure à
Cyrus, lorsque celui-ci conquit la région, vers 545 av. J.-C.
Toutefois, ce changement d’attitude ne saurait seulement provenir,
comme le soutient Hérodote, d’un mépris soudain des Athéniens à
l’égard des Ioniens. Cette prise de distance doit surtout au
fait qu’Athènes, à l’orée du V° siècle, se suffisait
désormais à elle-même. Elle n’avait plus besoin de se
rattacher à l’ethnie ionienne et souhaite faire coïncider son
présent avec son passé.
À
la fin du VI° siècle, les Athéniens se revendiquent désormais
autochtones et, par conséquent, supérieurs à tous les autres
Grecs. Dès lors, il n’était plus question d’être de simples
Ioniens comme les autres. Au cours du V° siècle, les Athéniens
bricolent leur généalogie pour présenter leur cité comme la
métropole de tous les Ioniens qui, par conséquent, lui doivent
obéissance et respect.
- La réécriture du mythe d'Ion
Afin
de justifier leur prééminence, les Athéniens s’emploient en
effet à transformer le mythe d’Ion qui, au départ, les reliaient
aux Ioniens sur un plan d’égalité relative.
À
l’époque archaïque, l’histoire d’Ion était assez simple. Son
père, Xouthos, était le fils
d’Hellen et de la nymphe
Orséis. Roi d’Iolcos en
Thessalie, il était chassé du royaume par ses frères Éole
et Doros, avant de trouver refuge
à Athènes. Là, il se mariait à Créuse,
l’une des filles d’Érechthée,
donnant naissance à Ion, Achaïos
et Diomède. Ancêtre éponyme de tous
les Ioniens, Ion était donc le fils d’un étranger et d’une
Athénienne : dans cette version de l’histoire, les Ioniens
étaient donc apparentés aux Athéniens, sans leur être
subordonnés.
Dans
sa pièce Ion, représentée peu après la paix de Nicias,
Euripide donne une version
bien différente de la généalogie d’Ion, destinée à mettre en
valeur l’origine purement athénienne du héros. L’intrigue
de la tragédie est quelque peu compliquée. Là voici résumée par
Nicole Loraux : « Violée par Apollon, Créuse, fille
d’Erechthée, a exposé son enfant qu’elle croit mort. Elle a,
par la suite, épousé Xouthos, descendant de Zeus, mais étranger à
Athènes ; leur union est stérile. Aussi viennent-ils à
Delphes consulter Apollon au sujet de leur postérité. Ils y
rencontreront un adolescent, qui n’est autre que l’enfant jadis
exposé, sauvé par son géniteur divin [Apollon]. Pour que l’enfant
rentre en possession de son foyer, Apollon le donne à Xouthos.
Fureur et désespoir de Créuse, qui complote la mort de celui
qu’elle croit fils de son époux. Après avoir tenté chacun à son
tour de supprimer l’autre, le fils et la mère se retrouvent face à
face : Créuse reconnaît son enfant. Départ pour Athènes, où
Ion héritera du pouvoir de ses ancêtres Erechthéides ».
Quel
sens général donner à la pièce ? Une analyse structurale
invite à reconnaître le schéma mythique bien connu du « retour
du roi », déjà étudié à propos des tyrans, et
notamment de Kypsélos et d’Œdipe. Ion présente en effet tous les
traits de l’enfant exposé, sauvé miraculeusement et parvenant,
après bien des épreuves, à conquérir le pouvoir.
Au-delà
de la reprise de ce scénario traditionnel, Euripide se livre surtout
à une manipulation en profondeur de la généalogie d’Ion. Le
héros se découvre en effet, à l’issue de la pièce, à la fois
Érechthéide par sa mère, Créuse, et d’ascendance divine par son
père, Apollon. Il n’est donc plus le fils d’un étranger,
Xouthos, comme dans les versions les plus courantes du mythe, mais le
fils d’un dieu, Apollon, et d’une Athénienne, Créuse.
Pourquoi
avoir opéré de telles modifications dans la généalogie d’Ion ?
La fin de la pièce éclaire les intentions des Athéniens en général
et d’Euripide en particulier. Athéna apparaît en majesté et
s’adresse à Créuse, lui révélant le destin glorieux de son fils
et de ses descendants. « Créuse, avec ton fils, rends-toi
au pays de Cécrops, et assieds-le sur le trône royal. Car issu
d’Érechthée, il a droit de régner sur ma terre ; il sera
glorieux pour la Grèce. Ses quatre fils, issus d’une souche
commune, donneront au pays leur nom, comme aux tribus qui possèdent
mon sol, habitent ma colline… Et les enfants de ceux-ci, lorsque
viendra le temps marqué par le destin, peupleront les cités des
îles, les Cyclades et les bords de la mer, ce qui fera la force de
mon pays. Puis ils occuperont les plaines de ces deux continents qui
se font face, Europe, Asie, ils deviendront – nommés Ioniens du
nom de celui-ci – fameux dans l’univers. […] Xouthos et
toi aurez postérité commune, Doros, par qui sera illustré la
Doride, au pays de Pélops ; puis un deuxième fils, Achaïos,
roi futur du pays maritime, près de Rhion ; un peuple aura de
lui son nom ».
La
déesse commence par souligner avec emphase l’identité athénienne
d’Ion : descendant d’Érechthée, il n’est plus un
sang mêlé, comme dans la version précédente, mais un pur
Athénien. Le héros apparaît même comme un véritable double
d’Erichthonios : lors de son exposition, Ion avait été
placé dans une corbeille, à côté de serpents d’or, dans une
sorte de décalque de la naissance du premier autochtone – qui
avait lui-même été cachée dans un corbeille gardée par des
serpents. Dès sa naissance, Ion était donc couvert de signes qui,
nous dit explicitement Euripide, sont autant « d’imitation
d’Erichthonios ».
Affirmer
l’identité purement athénienne d’Ion avait une conséquence
importante qu’Athéna s’empresse de souligner. Lorsqu’ils
s’établissent dans les Cyclades ou en Asie mineure, les
descendants d’Ion ne sont pas les égaux des Athéniens, mais
leurs colons. De fait, à partir de la seconde moitié
du V° siècle, les populations des cités ioniennes sont invitées à
se considérer, non comme de simples parents, mais comme des colons
des Athéniens. Tel est le cas, selon Hérodote, de Milet, qui aurait
été fondée par Nélée, le fils du roi athénien Codros ou encore
d’Éphèse, dont Androclos, un autre fils de Codros, serait
l’oikiste. En tant que colonies d’Athènes, les cités
ioniennes doivent dès lors à leur métropole respect, voire
obéissance : adhérentes de la ligue de Délos, elles
avaient d’ailleurs pour obligation d’envoyer une vache et une
panoplie aux Grandes Panathénées, tenues tous les 4 ans (cadeau
symbolique dont la fonction était de rappeler leur dépendance à
l’égard de leur métropole).
La
nouvelle généalogie d’Ion avait un dernier avantage sur le plan
symbolique. Les Ioniens dans leur ensemble pouvaient désormais
revendiquer un statut généalogique non seulement égal, mais
supérieur à celui des Doriens et des Achéens. Dans la version
traditionnelle, les Ioniens avait en effet un statut généalogique
inférieur à leur rivaux : la naissance d’Ion était placée une
génération après celle de Dôros. Euripide remédiait à cette
situation en transformant Dôros et Achaïos en demi-frères d’Ion.
Ceux-ci perdaient ainsi leur supériorité généalogique. Non
seulement ils devenaient les cadets d’Ion, mais, contrairement à
leur aîné, ils devaient se contenter d’un père mortel : ils
étaient en effet les enfants de Xouthos et de Créuse, et non, comme
Ion, ceux de Créuse et d’Apollon.
Ce
bricolage généalogique mérite évidemment d’être rapporté aux
prétentions hégémoniques d’Athènes au début des années –
410, lorsque Euripide compose sa pièce. Les interprètes
proposent en effet deux dates possibles pour l’Ion : soit en
418, après la paix de Nicias, dans un contexte où Athènes
pouvait encore penser unifier la Grèce sous sa domination ; soit
après l’expédition de Sicile, en – 412 - – 411, à un
moment particulièrement difficile pour Athènes, dont les alliés
ioniens faisaient alors défection, profitant de la déroute de
l’expédition de Sicile. Dans les deux cas, les mythes
assuraient la continuation de la guerre par d’autres moyens,
notamment symboliques, en célébrant la supériorité d’Athènes
tant sur ses alliés que sur ses ennemis.
La
tragédie d’Euripide fonctionnait donc à deux niveaux. À l’égard
des alliés d’Athènes, elle visait à affirmer la place dominante
d’Athènes dans le monde ionien. À l’égard des ennemis de la
cité, elle cherchait à procurer aux Athéniens un ascendant
symbolique, fondé sur une grossière manipulation généalogique.
Transformant Doriens et Achéens en frères cadets des Ioniens, le
poète imaginait un monde où ses concitoyens étaient les aînés du
monde grec, enracinés dans leur terre – puisque descendants
d’Erechthée – et jouissant de la protection des dieux – en
tant que protégés d’Athéna Polias et descendants
d’Apollon Patroos.
Pour
le cours prochain reprendre les cours des guerres médiques
Pour
les cours précédents reprendre : la ligue Délos, la colonisation
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