vendredi 6 janvier 2012

Sociologie des TIC : Séance 7 : le minitel.

Séance 7 - Le minitel.
L'évolution de la sociologie dans les techniques. 

L'émergence de ce nouvel appareil doit beaucoup au contexte socio-économique. On va s'efforcer de voir les liens avec la sociologie mais de façon assez différente : on ne va pas évoquer la sociologie pour caractériser l'évolution des techniques mais on va plutôt parler des techniques pour expliquer l'évolution de la sociologie. On va voir que la technique et la sociologie ont évolué ensemble, co-évolué.

Le secteur des télécommunications en France au début des 70'.
Il est dominé par l’État. L'innovation scientifique et technique est totalement prise en charge par le CNET (centre nationale d'étude des télécommunications), piloté par la DGT (direction générale des télécommunications). L'un des principaux fabricants de l'époque est la CGE, qui deviendra par la suite Alcatel. A l'époque, le CNET est en situation de pouvoir.
A partir de 1974, cela change. D'autres entreprises arrivent et commencent à concurrencer la CGE, comme Thomson (entreprise fr). Le gouvernement commence à changer sa politique industrielle et notamment le directeur de la CNET, est remplacé et le nouveau change toute l'équipe et permet la concurrence entre les entreprises françaises pour la fabrication pour le service public. Le CNET est recentré sur la recherche pure, loin de l'innovation industrielle.
Tout cela se heurte à des résistances importantes en interne pour maintenir le CNET comme détenteur d'une vision globale de toute l'innovation qui irait de études scientifiques jusqu'à l'application et l'appropriation des nouvelles technologies par des utilisateurs ordinaires. A l'extérieur, les entreprises qui rentrent en concurrence résistent aussi car elles doivent prendre des risques dans l'innovation, elles doivent alors prendre des décisions de développement (auparavant pris en charge par le CNET).
On peut expliquer cela par la fin des 30' glorieuses (en 1973 → premier choc pétrolier) et la crise économique. C'est aussi la mort de Pompidou et on a l'élection de VGE en 1974. L'année suivante, les observateurs commencent à comprendre que la crise économique va être durable, le nouveau gouvernement annonce une série de réforme et notamment dans les télécommunications. L'idée est que les entreprises françaises de ces secteurs doivent devenir plus dynamiques, plus concurrentielles et plus innovantes.
Création de la DAI (Direction des Affaires Industrielles), marquant cette volonté de modifier les entreprises françaises. Cela se passe mal. Le responsable du CNET de l'époque est remercié, sous la direction de M. BERNARD, il est alors soumis régulièrement à des évaluations.

Comment expliquer cette volonté de l'Etat français de se désengager de l'innovation ? Augmenter la concurrence entre les entreprises du secteur des télécommunications ?
Une partie de l'explication est d'ordre économique, comme nous l'avons vu. L'objectif est de développer ces sociétés privées pour relancer l'emploi. C'est aussi pour diminuer les dépenses de l'Etat : on voulait avoir des diminutions de prix des appareils produit par ces sociétés, que l'Etat achetait.
Il faut aussi évoquer les événements de mai 68, qui avaient ébranlé les élites dirigeantes de la France. La classe politique d'abord avec la révolution étudiante. La rencontre entre étudiants et ouvriers s'est faite autour d'une exigence commune d'autonomie. Pour les étudiants, c'étaient de se libérer de l'autorité des adultes mais aussi par celle incarnée par les représentants de l’État. Du coté des étudiants, on contestait les professeurs, l'administration, la police et l'armée alors que pour les ouvriers, cela consistait à réclamer plus de liberté vis à vis des patrons mais aussi vis à vis des agents de maîtrise. On demandait aussi des meilleurs salaires et des meilleurs conditions de travail (avoir plus d'autonomie et d'indépendance dans son travail quotidien).
Ces idées exprimées pendant mais 68 se répandent et deviennent dominantes : les hommes politiques et les dirigeants d'entreprise décident de s'y adapter, en accordant beaucoup plus d'autonomie aux administrés et aux salariés. Le travail à effectué est devenu de moins en moins prescrit, il est devenu plus flexible. La conséquence de cela est qu'on a assigné des objectifs et des ressources à l'individu, dans le but d'atteindre ces objectifs à l'aide de ces ressources, sous peine de sanction : stagnation du salaire fixe et augmentation des primes.
Le livre de BOLTANSKI et de CHIAPELLO. Le milieu de l'entreprise s'est adapté au milieu des 80' à cela. Le capitalisme occidental s'est adapté aux critiques qu'on lui a adressé à l'occasion notamment de mai 68. Le capitalisme a réussi à retourner ces critiques à son propre avantage : il y a bien eut une autonomie et une flexibilité croissante mais elle a été très bénéfique au capitalisme car les entreprises ont alors pu diminuer les coûts. Les entreprises publiques et privées sont devenues plus productives et rentables. Cela a été permis entre autre par l'informatisation des calculs dans les entreprises.

BOLTANSKI montre que la sociologie a évolué en même temps pour accompagner ces transformations. Jusqu'alors, la sociologie s'intéressait principalement aux grands groupes sociaux (classes sociales), considérant que l'individu est assez peu autonome dans ses actions et ses représentations.
A partir des 80', on voit apparaître d'autres sociologies qui affirment l'autonomie de l'individu et plus précisément à ses marges de manœuvre. Cette sociologie commence à s'intéresser aux réseaux sociaux, à la place de l'individu dans sa famille, les relations avec ses voisins, etc. L'individu ainsi situé dans ces réseaux relationnels dispose de beaucoup de libertés. Il peut notamment rencontrer d'autres personnes comme il le souhaite et développer de nouvelles relations.
Cette sociologie nouvelle répond à certains besoins : ceux des élites dirigeantes qui la finance, ils entendent eux-mêmes la faire évoluer. Ces évolutions souhaitées vont vers plus d'autonomie, plus de flexibilité et plus de mise en réseau.

A la fin des 70', la crise s'est définitivement installée en France. A ce moment là, les dirigeants politiques et les intellectuelles estiment que la crise doit être combattue grâce aux TIC : ces technologies peuvent rendre la société française plus productive et plus réactive → la mise en réseau de toute la société. Une des solutions envisagées est le développement de l’informatique et des télécommunications.
En 1978, publication d'un rapport commandité par le gouvernement écris par NORA et MINC, s’appelant « l'informatisation de la société ». Ce rapport insiste sur le retard français par rapport aux USA, il faut y remédier car l'informatique en règle générale mais aussi l'informatique en réseau est un secteur d'avenir. C'est l'époque des premières réflexions sur Internet aux USA. C'est un secteur qui pourrait rapidement créer de la richesse et notamment des emplois, cela peut avoir un effet d’entraînement sur le reste de l'économie, notamment car ce sont des technologies génériques, utilisables dans tous les secteurs de l'économie. Il ne s'agit pas simplement de développer une industrie mais il faut aussi familiariser l'ensemble de la population française avec l'informatique. On parle de télématique : télécommunication et informatique => ce rapport propose d'associer ces deux techniques en mettant en réseau des terminaux informatiques reliés par la prise du téléphone. On voulait proposer à l'ensemble de la population française un service d'information en ligne appelé télétel à partir d'un appareil nommé le minitel.
Se met en place une politique très volontariste. En 1980, année de mise en marche du réseau, annuaire téléphonique en ligne avec le 3611. En 1981, il y a 2500 terminaux minitels installés à VELIZY (expérimentation).
Le minitel a été lancé à la DGT par des acteurs qui voulaient se démarquer du passé, valeurs d'autonomie, de flexibilité, etc. THERY, le dirigeant, s'est très vite passionné pour la télématique. Il a souhaité suivre de très près l'évolution. En mars 1978, il crée une nouvelle structure qu'il appelle le département « Nouveaux produits et services » qui dépend directement de lui et dirigé par NORA (un autre membre de la famille) : il lui demande de se détaché du milieu de la télécommunication qui est pour lui trop dirigé par les ingénieurs d'Etat (des polytechniciens). NORA recrute des personnes issues de la gestion, du marketing et de la culture.
Expérimentation à VELIZY (nommé télétel 3V) : les différents acteurs qui s'en occupent ne sont pas d'accord entre eux. NORA et son équipe considèrent que l'idée est de réaliser une « expérimentation sociale », il s'agit de créer un débat citoyen autour de cette technologie et de sa définition.
Une équipe d'ingénieurs pense autrement l'expérimentation, ils veulent évaluer les spécificités techniques du minitel. Un des objectifs de l'expérimentation est d'évaluer quel va être le nombre maximal de connexions simultanées (charge des serveurs). Ils veulent savoir si l'on va pouvoir lancer tel ou tel nouveau service. Les enquêtes réalisées sont basés sur des questionnaires très simple : si vous utilisez ce service là, combien de fois par jour. Enquête quantitative.
NORA fait des enquêtes plus qualitatives avec des psychologues. Cela montre que les utilisateurs ont une grande déception dans l'utilisation de la machine : décalage entre les espoirs qu'ils avaient placé dans le minitel et la réalité du terminal et des services. Ces utilisateurs avaient baigné dans un intense battage médiatique dans les journaux, radios, etc qui disaient que la télématique allait bouleverser leur vie quotidienne. Le système ne prévoyait qu'une seule messagerie par foyer et sans aucune confidentialité. Pour NORA, le but était d'organiser des débats publics autour de cette technologie. Les plus déçus sont les adolescents et les jeunes adultes, ils auraient préféré une utilisation plus ludique, qui aurait permis des échanges horizontaux directement entre gens du même âge en échappant au contrôle parental.

Nouvelle expérimentation en Alsace à Strasbourg, nommé « GRETEL » en 1982. Les dernières nouvelles d'Alsace voit arriver d'un mauvais œil le minitel, il avait l'inquiétude d'une perte de lecteur.
Des utilisateurs découvrent qu'ils peuvent pirater la messagerie : un informaticien qui possède un micro-ordinateur parvient à entrer dans le système, à changer les mots de passe et à re paramétrer le système pour permettre aux utilisateurs de dialoguer entre eux, en masquant leur identité. L'utilisation de cette nouvelle messagerie explose quantitativement (entre 28K et 39K messages échangés). Cela crée une polémique. Les utilisateurs développent un discours débridé, message d'ordre sexuel et vulgaire.

XXX

Préoccupation autour de l'autonomie de l'individu, autour de sa créativité, de sa liberté, de son épanouissement. Les sociologues français se sont emparés de ces premiers usages, nombre d'enquêtes sur ces utilisateurs. Pour eux, ces nouvelles pratiques ont été rapporté aux ruptures de mai 68. Cette technologie aurait mis en ébranlement les structures traditionnelles : les classes sociales ne seraient plus si déterminantes que ça dans les comportements des individus. On parle d’effritement des idéologies. On met en avant la monté de l'individualisme.

Tous ces mouvements sociaux et culturels sont très présent dans la polémique qui se crée autour des messageries. Peu de temps après, la décision prise à la DGT est de généraliser ces usages apparus à Strasbourg. Se met en place en 1984 le système KIOSQUE. C'est une nouvelle méthode de facturation, qui est rendu indépendante de la distance au serveur, on paye un tarif à la minute. C'est la DGT (future France Telecom) qui facture à l'utilisateur du minitel sa connexion au 3615 puis reverse une partie aux entreprises.
La moitié des connexions sont pour des messageries roses.

Pourquoi les messageries « roses » ont été développé malgré leur mauvaise réputation ? La DGT était contre, à la base : l'Etat française offrirait à ses administrés un service de messagerie rose.
Opposition entre conservatisme et modernisme.
Erreur de communication qui fait que l'Etat français rentre en conflit avec la presse, car celle-ci se sent menacé. MAURI arrive à faire le lien entre la DGT et le monde des médias car il ne vient pas du monde de la télécommunication. Commission de la télématique : structure qui accueille des membres de la DGT, de la presse, etc : arène de la discussion.

Généralisations :

Résumé :
Les évolutions du minitel permettent de suivre les évolutions globales, propre à l’innovation et aux techniques. Cela permet de montrer que la sociologie de l'innovation et des usages et plus généralement l'ensemble de la sociologie s'est transformé en accompagnant ces évolutions. D'une part parce que la sociologie générale s'est intéressée à l'autonomie de l'individu et délaissée les classes sociales. Les sociologues des innovations ont montré que l'utilisateur des technologies peut fait preuve de beaucoup plus d'autonomie que ce que suppose les inventeurs : ces sociologues ont été utilisé par les acteurs industriels qui voulaient encourager cette autonomie. On a affaire ici à des évolutions globales où la sociologie et la technique évoluent ensemble : la technique transforme la société, amenant la sociologie à changer pour rendre compte de cette transformation, mais la sociologie s'est adaptée aussi pour aider à la mise en œuvre concrète de cette transformation.

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