mardi 3 janvier 2012

Moderne 03 - 01

Précédemment : Moderne 13 - 12






  1. La diversité des mondes ouvriers

A. Un monde multiple

Il existe plusieurs mondes ouvriers dans le travail où la diversité est la règle. Les ouvriers d'industrie sont loin d'être majoritaires tout au long du XIX° siècle, puisqu'en 1881 ils ne représentent que 26% de la population active et 30% d'entre eux sont salariés dans une grande usine. Ce groupe ouvrier des grandes industries est donc encore très minoritaire. Ce qui domine largement c'est le travail à la campagne avec toutes ses formes. On a toujours la très importante position du secteur textile avec quelques usines mais surtout la forme de travail proto-industriel. Mais celle-ci diminue au profit d'autres industries sous le Second Empire.

Les ouvriers d'industrie viennent de trois sources : très largement du monde proto-industriel, d'autre part du monde artisanal urbain et enfin des anciens paysans qui perdent le rapport à la terre. Cette dernière catégorie est à relativiser, les mineurs pratiquaient des formes de paysannerie. A Carnaux, le recrutement des mineurs se fait sur 25km autour de la ville, de même au Creusot sur un rayon de 35km. Néanmoins il existe aussi des provenances plus lointaines avec des phénomènes de migration internationale, la France faisant venir des Belges pour les industries du Nord et des Italiens pour Marseille. On dénombre 380 000 travailleurs étrangers en 1851, nombre certainement sous-estimé puisque les travailleurs transfrontaliers ne sont pas comptés.

Dans le secteur industriel, 33% des emplois sont tenus par des femmes, leur implication n'est pas une nouveauté de l'âge industriel. La féminisation suit des voix très complexes et diverses. En général, ce sont elles qui font les tâches les plus disqualifiées, doublant la féminisation des tâches à une déqualification de ces tâches. Enfin, celles-ci sont écartées de métiers considérés trop dangereux ou trop masculins, mais aussi mieux payés : pêche, mines, ateliers métallurgiques, … C'est avant tout une question de coutumes. Dans le secteur textile où elles sont largement présentes, on trouve beaucoup de femmes dans les usines mécanisées (filatures surtout). La nouveauté est que l'encadrement et le contrôle de ces usines est tenu par des hommes. Le vrai changement tient à la mécanisation où les femmes vont être employées dans ces usines pour remplacer le métier disparaissant des fileurs à mains très largement masculins. Leurs salaires sont encore très inférieurs à ceux des hommes et c'est leur disponibilité qui fait qu'elles sont employées.
C'est le même cas pour le travail des enfants qui lui non plus n'est pas nouveau. Ils vont être mobilisés dans de nouveaux secteurs : les mines. Dans les mines, il y a des inégalités selon les régions, 15% travaillent dans les houillères du Nord malgré les lois passées sur leur travail. Dans le midi, ils sont 3% à 6% à être employés. La loi de 1870 interdisant le travail dans les mines aux enfants de moins de 10 ans fut donc très peu appliquée. Les lois du XIX° siècle sur le travail ont pour caractéristique d'être peu appliquées voire pas du tout. Dans le textile les enfants travaillent aussi souvent. Leur petite taille leur permet de se glisser sous les machines pour réparer ou renouer les fils. C'est un travail d'appoint très peu payé mais utile. La loi de 1841 interdisant le travail pour les moins de 8 ans, dans les usines mécanisées et limitant à 8 heures de travail pour les enfants de 8 à 12 ans et de 12 heures pour ceux de 12 à 16 ans. L'idée est qu'il faut protéger ces corps fragiles et assurer la reproduction de la classe ouvrière. Mais cette loi fut elle aussi peu appliquée.



B. La discipline du travail et ses limites

Le XIX° siècle voit un renforcement de la discipline dans le monde du travail. Dans les usines mécanisées, les machines fixent le rythme de travail, les ouvriers perdent le contrôle de ce rythme, au profit des patrons. Ceci dit c'est un mouvement de longue durée, la dépossession du temps de travail précède la machine même si celle-ci l'accélèrera. Il y a une longueur des journées de travail malgré peu d'étude sur ce sujet en France. On estime à sans doute 13 heures à 15 heures dans les usines mécanisées mais probablement plus dans le travail proto-industriel. De plus, il faut faire la part entre le travail à l'usine et le travail effectif. Il n'est pas rare de voir des temps de présence de 17 heures à 18 heures par jour sans compter les pannes, les rythmes saisonniers, …

On constate aussi une transformation des règlements, surtout des règlements de fabrique. On les retrouve déjà à l'époque pré-industrielle mais cela est systématiquement adopté par les entrepreneurs dans les usines mécanisées pour régler 3 problèmes : l'assiduité au travail, le respect des outillages, machines, matériaux et procédés de fabrication, et le comportement ouvrier avec un disciplinement moral (contre l'ivrognerie, les injures, …).
Pour les faire respecter, des contremaîtres et personnels d'encadrement apparaissent. Ils se généralisent dans les années 1840, beaucoup des premiers contremaîtres ont trois origines : soldats licenciés des armées napoléoniennes (demi-soldes), membres du clergé (surtout dans la soie du sud de Lyon avec des couvents-usines) et le monde ouvrier lui-même par des procédures de promotion internes aux fabriques. Ce mouvement de renforcement de la discipline est difficilement mesurable. En creux, ces règlements montrent les caractères ouvriers qu'on veut supprimer, pas leur efficacité. Ainsi, la coutume du Saint Lundi, coupure dans le travail venu du monde ouvrier n'arrive pas à être éradiquer par les patrons d'usines, ce trait de caractère ouvrier demeure. Il y a de plus, un maintien des mobilités de toutes sortes. Les mobilités et les évaporations sont les deux grandes caractéristiques des ouvriers de ce XIX° siècle. Pour la mobilité, il y a une pluri-activité, 800 000 personnes en 1880 pour l'historien de l'époque Postel-Vinay. Cette mobilité est aussi géographique avec le persistance des activités saisonnières (savoyards qui montent dans la capitale pour devenir ramoneurs). A cela s'ajoute une mobilité au sein des régions entre diverses activités. Il y a une absence de qualification de la main d'œuvre qui fait que celle-ci peut au cours de sa vie pratiquer plusieurs métiers.

Il y a donc des marges d'autonomie des ouvriers qui persistent, voire qui augmentent. Celles-ci sont liées au travail d'équipe. En effet, le code civil napoléonien a imposé des contrats de travail uniquement individuels. En réalité le recrutement d'équipes entière d'ouvriers dans la sidérurgie lourde, dans la verrerie, dans les mines, dans le bâtiment, … Du coup cela va croissant malgré la législation. Il y a donc des embauches de groupe mais cela pose la question de qui régule le recrutement : le patron via le chef d'équipe, ou le groupe ouvrier sur pression auprès du chef d'équipe. Toujours est-il que les employeurs peuvent ainsi contrôler la main d'œuvre.
La marge d'autonomie vient aussi de la rémunération du travail à la tâche. Qui dit salaire à la tâche évoque le fait que les ouvriers gèrent leur temps de travail pour effectuer leurs tâches. Or avec le travail d'équipe, on aboutit à des salaires collectifs. Cette technique aboutit à une forme d'enchère de la part du patron pour choisir le groupe qui bénéficiera du salaire. Souvent les coûts d'éclairage et de fonctionnement des machines sont adossés à la main d'œuvre ouvrière qui voit son salaire fondre. Les salariés se considèrent toujours comme vendeurs de fil, par exemple, plus que comme vendeurs de leur force de travail. La gestion du travail n'échappent pas complètement à la direction.
Dans les processus d'apprentissage, il n'y a plus de corporations mais on voit le rôle des ouvriers anciens dans l'apprentissage des jeunes. On continue d'ailleurs souvent à appeler ses individus maîtres-ouvriers. De nouveau, l'apprentissage des gestes du métier échappe au patron même dans le cas des usines mécanisées. A cela vont s'opposer un certain nombre d'entrepreneurs par la création d'écoles d'entreprises ou d'usines. Schneider par exemple en fondera au Creusot pour prendre en main la gestion d'apprentissage des ouvriers. Il y a donc discipline accrue mais une marge d'autonomie qui demeure.

C. Vie précaire

Avec Terrier, on constate que le second XIX° siècle voit la condition des proto-ouvriers se dégrader quand la première moitié les avait plutôt maintenus dans un prestige social. Le premier XIX° siècle, ces individus perdent leur rapport avec la terre et on constate une parcellisation accrue des patrimoines fonciers, on est plus ouvrier que paysan. Sous le second empire ils perdront même la propriété de leurs maisons. Leurs conditions se dégradent donc mais cela ne va pas de paire avec une rébellion croissante. Au contraire, on assiste certes à la multiplication des conflits devant les prud'hommes montrant la pugnacité ouvrière dans 45% des cas (le reste étant amener par les patrons), des conflits avec les gardiens de la paix qui annonce des conflits internes, affaiblissement du lien social, divisions des anciennes communautés et auto-exploitation maximum. De plus, cette population proto-ouvrière est atteinte de nombreuses maladies parfois liées aux conditions de travail (affections pulmonaires, …). Finalement certains contemporains dénoncent la précarisation des lieux de travail des industries, leur manque d'hygiène et les maladies qui en découlent. Les observateurs vont alors valoriser le travail en usine.
Pour tout les ouvriers il y a une usure au travail, or il n'existe pas un processus ascendant jusqu'à la cessation de travail. Passé 35 ans à 40 ans, on considère que l'ouvrier est trop affaibli pour s'occuper des postes durs souvent mieux rémunérés. En général, passé cet âge l'ouvrier occupe des emplois de plus en plus marginaux et donc de plus en plus mal rémunéré.

De cette précarité du monde du travail, plusieurs observateurs sociaux vont en rendre compte dans des tableaux. On appelle souvent cela des tableaux de la misère, parallèle à la constitution des sciences sociales, sciences de l'observation de l'homme en société avec la thèse de Procacci, Gouverner la misère (1993) et celle de Francis Démier. Ces tableaux apparaissent dés 1820 avec deux courants opposés. Le premier qui aura du succès est anticapitaliste, ultraroyaliste et veut revenir à la situation antérieure. Ce sont des notables chrétiens éventuellement propriétaires fonciers. Ils insistent sur le fait que la France est condamnée si elle suit l'Angleterre et qu'elle l'imite. On trouve dedans Villeneuve-Bargemont, Bigot de Morogues, … Tous insistent sur la contradiction du capitalisme : course au profit qui passe par une réduction des salaires des ouvriers et un enrichissement des capitalistes. Les tableaux représentent donc cette misère et valorise le retour à la propriété agricole, à l'établissement corporatif avec une société d'ordre. Le second courant est ultra-libéral, il justifie la forme prise par la mécanisation par le développement capitaliste. Say qui présente ce développement comme irréversible, conseille de laisser faire, mieux vaut ne pas intervenir. Dunoyer avec De la liberté du travail insiste bien sur la non-intervention étatique, la pauvreté même dramatique est inévitable et il faut laisser faire, éventuellement pour résister à la concurrence anglaise.
Les deux courants ont une vision fataliste, certains insistant sur la pauvreté pour revenir en arrière, les autres soulignant qu'elle est inévitable dans le processus de développement. Dans la monarchie du Juillet un développement ultérieur des pratiques d'observations sociales doivent être incluses dans l'art de gouverner. Il y a ainsi le rétablissement de l'Académie des Sciences Morales et Politiques au début de la Monarchie de Juillet. Elle va promouvoir un certain nombre d'actions, de promotions sociales qui vont se concentrer sur le problème du paupérisme avec la proposition de réformes et de mesures à prendre pour lutter contre. D'où la mise en place du prix Beaujour en 1834 qui vise à récompenser tout ouvrage traitant des moyens de prévenir la misère et de la soulager. Ainsi Louis-René Villermé va se voir alloué 4 000 F par cette Académie pour établir un tableau des conditions de vie de toutes les classes ouvrières. Il a une approche de médecin, ayant servit comme tel dans l'armée napoléonienne, puisqu'il a aussi étudié le cas des prisonniers. Il fait donc des diagnostics, des rencontres, des questionnaires, … Il a une démarche statistique à la confluence entre tradition économiste et hygiéniste. Pour cette enquête il ne s'emploiera qu'à la population ouvrière qui emploie le plus de bras : le monde textile du Nord et de l'Est de la France. Son tableau sera publié en 1840. Benoiston de Chateauneuf dut pour sa part étudier les populations agricoles et celles de la mer dans l'Ouest de la France, il ne publiera jamais ses résultats en revanche. Villermé souligne la dégradation morale des ouvriers qui peut être destructrice de la société elle-même puisque passée un certain niveau elle empêche la reproduction de l'espèce. Il veut montrer que les ravages sont importants aussi dans les campagnes avec une situation probablement pire dans ces régions. Il ne rejette pas ce système mais souhaite lui apporter un certain nombre de mesures qui devraient l'améliorer. Avec Villermé, on a l'émergence de l'expert de recherches sociales proposant des solutions aux problèmes sociaux. Son but n'est pas tant d'extirper la misère que de la circonscrire dans des limites convenables. A cette époque on distingue la pauvreté et le paupérisme. La première pouvant avoir une place utile dans la société et elle serait un risque inhérent à la modernité. Le paupérisme est lui une forme excessive de la pauvreté qui entraîne un déclassement et une souffrance des ouvriers. Il entraîne un barbarisme croissant qui peut devenir un réel danger social avec insubordination notamment. Les enjeux de la réforme sont donc d'éliminer le paupérisme tout en tutellant les pauvres par des mesures visant à les protéger. Il faut donc intervenir dans le champ économique pour ne pas compromettre la paix sociale. Il y a donc un pragmatisme contre les ultra-libéraux qui ne veulent pas d'intervention. Mais pragmatisme contre les ultras-royalistes aussi puisque le progrès est inévitable bien qu'il lui faille des encadrements. Villermé ne propose cette mesure qu'avec un extrême dédain puisqu'elle serait une entrave aux entrepreuneurs. De toute manière, ce tableau est mal reçu de la presse, notamment de Le Chevalier qui en fait deux comptes rendus très virulent. Il insiste sur le fait que la dégradation ouvrière est avant tout une conséquence de la dégradation morale des ouvriers et en aucun cas du monde du travail. Ainsi avec ces travaux, on déni totalement les maladies liées au travail.
Les maladies professionnelles selon Le Roux sont présentes dans l'Académie de Médecine (1776), dans la Gazette de la santé (1773) ou l'ouvrage de Ramazzini (1777). Mais mis entre parenthèses avec la Révolution, elle ressort quelque peu sous la Restauration avant d'être nié tout le long du XIX° siècle depuis les années 1930. Il y a à cette période un effacement du corps de l'ouvrier. On met en doute systématiquement du lien entre travail et pathologies parce que cette réflexion est noyée dans une argumentation complexe mêlant âge, sexe, conditions de vie, nourriture, … Les conditions de vie seront l'argument des opposants au lien entre travail et pathologies professionnelles, Villermé est de ce camp. On veut donc tuteller une pauvreté qui à des causes morales et en aucun cas, le travail n'est perçu comme étant pathogène. La reconnaissance des maladies va disparaître et ne réémergera que tardivement à la fin du XIX° siècle avec les peintres peignant avec de la céruse.
L'échec de Villermé est patent dans le monde des notables mais la volonté d'observations sociales va aboutir à ce qu'il ne voulait pas, la remise en cause de la société libérale, voire de certaines formes d'industrialisation. Ainsi Étienne Buret en 1840 dans Misères des classes laborieuses en Angleterre et en France, dénonce la démarche de Villermé et dont le but est de faire une critique d'ensemble de la société industrielle et du libéralisme. Sa solution est néocorporatiste avec une forte intervention de l'État. Seconde position contre Villermé, Ledru-Rollin en 1844 va reprendre dans la presse et dans le contexte socialiste pour contester une société de notables. On fait prendre à ces observations de Villermé un rôle de contestations sociales, économiques mais surtout politiques. Troisième opposition, Adolphe Blanqui dans des classes ouvrières en France pendant l'année 1848, paru en 1849. Blanqui réformiste veut proposer des contre-feux aux critiques socialistes. Il veut réformer le système libéral pour éviter les contestations sociales. Il va mettre au point un questionnaire et innover par cette méthode. Mais son enquête va susciter une immense polémique de la part du patronat qui se sent attaqué et de la société des notables, puisque Blanqui a pris en compte l'agriculture contrairement à Villermé. Blanqui désavoué par l'Académie, ces observations seront reprises par les socialiste pour dénoncer la situation de la classe ouvrière. Il y a donc des nombreuses contradictions sur les regards portés sur le travail. Contre les idéologies libérales, il apparaît qu'il faut tuteller ce libéralisme et l'État devrait prendre des mesures pour soutenir les plus faibles. Cette intervention progressive de l'État est extrêmement lente et progressive, la première mesure sera en 1841 sur le travail des enfants et s'en suivront d'autres étapes : 1864, fin des coalitions ouvrières, 1890, fin de l'obligation du livret ouvrier mais le contrat de travail devient un contrat de subordination. Le monde du travail est un état d'infiériorité et il doit être tuteller. 1898, loi sur les accidents du travail (mines surtout, usines un peu) et 1910 premier code du travail.

2 commentaires:

  1. Je voudrais connaître la source des chiffres donner.

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  2. Vu que c'est des prises de note d'un CM de l'UPEMLV en L3 histoire : le prof est probablement la source XD après, qui est la sienne, c'est moins facile à dire.
    C'est malheureusement le jeu des CM, on note mais on ne sait pas forcément d'où ça vient (auteur ou livre, par contre on peut choisir de faire confiance au prof et à l'élève qui note XD)

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