- La diversité des mondes ouvriers
A.
Un monde multiple
Il existe plusieurs
mondes ouvriers dans le travail où la diversité est la règle. Les
ouvriers d'industrie sont loin d'être majoritaires tout au long
du XIX° siècle, puisqu'en 1881 ils ne représentent que 26% de la
population active et 30% d'entre eux sont salariés dans une grande
usine. Ce groupe ouvrier des grandes industries est donc encore très
minoritaire. Ce qui domine largement c'est le travail à la
campagne avec toutes ses formes. On a toujours la très importante
position du secteur textile avec quelques usines mais surtout la
forme de travail proto-industriel. Mais celle-ci diminue au profit
d'autres industries sous le Second Empire.
Les ouvriers
d'industrie viennent de trois sources : très largement du monde
proto-industriel, d'autre part du monde artisanal urbain et enfin des
anciens paysans qui perdent le rapport à la terre. Cette
dernière catégorie est à relativiser, les mineurs pratiquaient des
formes de paysannerie. A Carnaux, le recrutement des mineurs se fait
sur 25km autour de la ville, de même au Creusot sur un rayon de
35km. Néanmoins il existe aussi des provenances plus lointaines
avec des phénomènes de migration internationale, la France
faisant venir des Belges pour les industries du Nord et des Italiens
pour Marseille. On dénombre 380 000 travailleurs étrangers en 1851,
nombre certainement sous-estimé puisque les travailleurs
transfrontaliers ne sont pas comptés.
Dans le secteur
industriel, 33% des emplois sont tenus par des femmes, leur
implication n'est pas une nouveauté de l'âge industriel. La
féminisation suit des voix très complexes et diverses. En général,
ce sont elles qui font les tâches les plus disqualifiées, doublant
la féminisation des tâches à une déqualification de ces tâches.
Enfin, celles-ci sont écartées de métiers considérés trop
dangereux ou trop masculins, mais aussi mieux payés : pêche, mines,
ateliers métallurgiques, … C'est avant tout une question de
coutumes. Dans le secteur textile où elles sont largement présentes,
on trouve beaucoup de femmes dans les usines mécanisées (filatures
surtout). La nouveauté est que l'encadrement et le contrôle de ces
usines est tenu par des hommes. Le vrai changement tient à la
mécanisation où les femmes vont être employées dans ces usines
pour remplacer le métier disparaissant des fileurs à mains très
largement masculins. Leurs salaires sont encore très inférieurs à
ceux des hommes et c'est leur disponibilité qui fait qu'elles sont
employées.
C'est le même cas
pour le travail des enfants qui lui non plus n'est pas nouveau. Ils
vont être mobilisés dans de nouveaux secteurs : les mines. Dans
les mines, il y a des inégalités selon les régions, 15%
travaillent dans les houillères du Nord malgré les lois passées
sur leur travail. Dans le midi, ils sont 3% à 6% à être employés.
La loi de 1870
interdisant le travail dans les mines aux enfants de moins de 10 ans
fut donc très peu appliquée. Les lois du XIX°
siècle sur le travail ont pour caractéristique d'être
peu appliquées voire pas du tout. Dans le textile les enfants
travaillent aussi souvent. Leur petite taille leur permet de se
glisser sous les machines pour réparer ou renouer les fils. C'est un
travail d'appoint très peu payé mais utile. La loi de 1841
interdisant le travail pour les moins de 8 ans, dans les usines
mécanisées et limitant à 8 heures de travail pour les enfants de 8
à 12 ans et de 12 heures pour ceux de 12 à 16 ans. L'idée est
qu'il faut protéger ces corps fragiles et assurer la reproduction de
la classe ouvrière. Mais cette loi fut elle aussi peu appliquée.
B.
La discipline du travail et ses
limites
Le XIX° siècle voit
un renforcement de la discipline dans le monde du travail. Dans les
usines mécanisées, les machines fixent le rythme de travail, les
ouvriers perdent le contrôle de ce rythme, au profit des patrons.
Ceci dit c'est un mouvement de longue durée, la dépossession du
temps de travail précède la machine même si celle-ci l'accélèrera.
Il y a une longueur des journées de travail malgré peu d'étude
sur ce sujet en France. On estime à sans doute 13 heures à 15
heures dans les usines mécanisées mais probablement plus dans le
travail proto-industriel. De plus, il faut faire la part entre le
travail à l'usine et le travail effectif. Il n'est pas rare de voir
des temps de présence de 17 heures à 18 heures par jour sans
compter les pannes, les rythmes saisonniers, …
On constate aussi une
transformation des règlements, surtout des règlements de fabrique.
On les retrouve déjà à l'époque pré-industrielle mais cela est
systématiquement adopté par les entrepreneurs dans les usines
mécanisées pour régler 3 problèmes : l'assiduité au travail, le
respect des outillages, machines, matériaux et procédés de
fabrication, et le comportement ouvrier avec un disciplinement moral
(contre l'ivrognerie, les injures, …).
Pour les faire
respecter, des contremaîtres et personnels d'encadrement
apparaissent. Ils se généralisent dans les années 1840,
beaucoup des premiers contremaîtres ont trois origines : soldats
licenciés des armées napoléoniennes (demi-soldes), membres
du clergé (surtout dans la soie du sud de Lyon avec des
couvents-usines) et le monde ouvrier lui-même par des procédures
de promotion internes aux fabriques. Ce mouvement de renforcement de
la discipline est difficilement mesurable. En creux, ces
règlements montrent les caractères ouvriers qu'on veut supprimer,
pas leur efficacité. Ainsi, la coutume du Saint Lundi, coupure dans
le travail venu du monde ouvrier n'arrive pas à être éradiquer par
les patrons d'usines, ce trait de caractère ouvrier demeure. Il y a
de plus, un maintien des mobilités de toutes sortes. Les
mobilités et les évaporations sont les deux grandes
caractéristiques des ouvriers de ce XIX°
siècle. Pour la mobilité, il y a une pluri-activité,
800 000 personnes en 1880 pour l'historien de l'époque Postel-Vinay.
Cette mobilité est aussi géographique avec le persistance
des activités saisonnières (savoyards qui montent dans la capitale
pour devenir ramoneurs). A cela s'ajoute une mobilité au sein des
régions entre diverses activités. Il y a une absence de
qualification de la main d'œuvre qui fait que celle-ci peut au cours
de sa vie pratiquer plusieurs métiers.
Il y a donc des marges
d'autonomie des ouvriers qui persistent, voire qui augmentent.
Celles-ci sont liées au travail d'équipe. En effet, le code
civil napoléonien a imposé des contrats de travail uniquement
individuels. En réalité le recrutement d'équipes entière
d'ouvriers dans la sidérurgie lourde, dans la verrerie, dans les
mines, dans le bâtiment, … Du coup cela va croissant malgré la
législation. Il y a donc des embauches de groupe mais cela pose
la question de qui régule le recrutement : le patron via le chef
d'équipe, ou le groupe ouvrier sur pression auprès du chef
d'équipe. Toujours est-il que les employeurs peuvent ainsi contrôler
la main d'œuvre.
La marge d'autonomie
vient aussi de la rémunération du travail à la tâche. Qui dit
salaire à la tâche évoque le fait que les ouvriers gèrent leur
temps de travail pour effectuer leurs tâches. Or avec le travail
d'équipe, on aboutit à des salaires collectifs. Cette technique
aboutit à une forme d'enchère de la part du patron pour choisir le
groupe qui bénéficiera du salaire. Souvent les coûts d'éclairage
et de fonctionnement des machines sont adossés à la main d'œuvre
ouvrière qui voit son salaire fondre. Les salariés se
considèrent toujours comme vendeurs de fil, par exemple, plus que
comme vendeurs de leur force de travail. La gestion du travail
n'échappent pas complètement à la direction.
Dans les processus
d'apprentissage, il n'y a plus de corporations mais on voit le rôle
des ouvriers anciens dans l'apprentissage des jeunes. On continue
d'ailleurs souvent à appeler ses individus maîtres-ouvriers. De
nouveau, l'apprentissage des gestes du métier échappe au patron
même dans le cas des usines mécanisées. A cela vont s'opposer
un certain nombre d'entrepreneurs par la création d'écoles
d'entreprises ou d'usines. Schneider par exemple en fondera au
Creusot pour prendre en main la gestion d'apprentissage des ouvriers.
Il y a donc discipline accrue mais une marge d'autonomie qui
demeure.
C.
Vie précaire
Avec Terrier, on
constate que le second XIX° siècle
voit la condition des proto-ouvriers se dégrader quand la
première moitié les avait plutôt maintenus dans un prestige
social. Le premier XIX° siècle, ces individus perdent leur rapport
avec la terre et on constate une parcellisation accrue des
patrimoines fonciers, on est plus ouvrier que paysan. Sous le second
empire ils perdront même la propriété de leurs maisons. Leurs
conditions se dégradent donc mais cela ne va pas de paire avec une
rébellion croissante. Au contraire, on assiste certes à la
multiplication des conflits devant les prud'hommes
montrant la pugnacité ouvrière dans 45% des cas (le reste
étant amener par les patrons), des conflits avec les gardiens de la
paix qui annonce des conflits internes, affaiblissement du lien
social, divisions des anciennes communautés et auto-exploitation
maximum. De plus, cette population proto-ouvrière est atteinte de
nombreuses maladies parfois liées aux conditions de travail
(affections pulmonaires, …). Finalement certains contemporains
dénoncent la précarisation des lieux de travail des industries,
leur manque d'hygiène et les maladies qui en découlent. Les
observateurs vont alors valoriser le travail en usine.
Pour tout les ouvriers
il y a une usure au travail, or il n'existe pas un processus
ascendant jusqu'à la cessation de travail. Passé 35 ans à 40 ans,
on considère que l'ouvrier est trop affaibli pour s'occuper des
postes durs souvent mieux rémunérés. En général, passé cet
âge l'ouvrier occupe des emplois de plus en plus marginaux et donc
de plus en plus mal rémunéré.
De cette précarité
du monde du travail, plusieurs observateurs sociaux vont en rendre
compte dans des tableaux. On appelle souvent cela des tableaux de la
misère, parallèle à la constitution des sciences sociales,
sciences de l'observation de l'homme en société avec la thèse de
Procacci, Gouverner la misère (1993) et celle de
Francis Démier. Ces tableaux apparaissent dés 1820 avec deux
courants opposés. Le premier qui aura du succès est
anticapitaliste, ultraroyaliste et veut revenir à la situation
antérieure. Ce sont des notables chrétiens éventuellement
propriétaires fonciers. Ils insistent sur le fait que la France est
condamnée si elle suit l'Angleterre et qu'elle l'imite. On trouve
dedans Villeneuve-Bargemont,
Bigot de Morogues, … Tous
insistent sur la contradiction du capitalisme : course au profit qui
passe par une réduction des salaires des ouvriers et un
enrichissement des capitalistes. Les tableaux représentent donc
cette misère et valorise le retour à la propriété agricole, à
l'établissement corporatif avec une société d'ordre. Le second
courant est ultra-libéral, il justifie la forme prise par la
mécanisation par le développement capitaliste. Say
qui présente ce développement comme irréversible, conseille de
laisser faire, mieux vaut ne pas intervenir. Dunoyer
avec De la liberté du travail insiste bien sur la
non-intervention étatique, la pauvreté même dramatique est
inévitable et il faut laisser faire, éventuellement pour résister
à la concurrence anglaise.
Les deux courants ont
une vision fataliste, certains insistant sur la pauvreté pour
revenir en arrière, les autres soulignant qu'elle est inévitable
dans le processus de développement. Dans la monarchie du Juillet
un développement ultérieur des pratiques d'observations sociales
doivent être incluses dans l'art de gouverner. Il y a ainsi le
rétablissement de l'Académie des Sciences Morales et Politiques au
début de la Monarchie de Juillet. Elle va promouvoir un certain
nombre d'actions, de promotions sociales qui vont se concentrer sur
le problème du paupérisme avec la proposition de réformes et
de mesures à prendre pour lutter contre. D'où la mise en place du
prix Beaujour en 1834 qui vise à récompenser tout ouvrage traitant
des moyens de prévenir la misère et de la soulager. Ainsi
Louis-René Villermé va
se voir alloué 4 000 F par cette Académie pour établir un tableau
des conditions de vie de toutes les classes ouvrières. Il a une
approche de médecin, ayant servit comme tel dans l'armée
napoléonienne, puisqu'il a aussi étudié le cas des prisonniers. Il
fait donc des diagnostics, des rencontres, des questionnaires, … Il
a une démarche statistique à la confluence entre tradition
économiste et hygiéniste. Pour cette enquête il ne s'emploiera
qu'à la population ouvrière qui emploie le plus de bras : le monde
textile du Nord et de l'Est de la France. Son tableau sera publié en
1840. Benoiston de Chateauneuf
dut pour sa part étudier les populations agricoles et celles de la
mer dans l'Ouest de la France, il ne publiera jamais ses résultats
en revanche. Villermé souligne la dégradation morale des
ouvriers qui peut être destructrice de la société elle-même
puisque passée un certain niveau elle empêche la reproduction de
l'espèce. Il veut montrer que les ravages sont importants aussi dans
les campagnes avec une situation probablement pire dans ces régions.
Il ne rejette pas ce système mais souhaite lui apporter un certain
nombre de mesures qui devraient l'améliorer. Avec Villermé, on a
l'émergence de l'expert de recherches sociales proposant des
solutions aux problèmes sociaux. Son but n'est pas tant
d'extirper la misère que de la circonscrire dans des limites
convenables. A cette époque on distingue la pauvreté et le
paupérisme. La première pouvant avoir une place utile dans la
société et elle serait un risque inhérent à la modernité. Le
paupérisme est lui une forme excessive de la pauvreté qui entraîne
un déclassement et une souffrance des ouvriers. Il entraîne un
barbarisme croissant qui peut devenir un réel danger social avec
insubordination notamment. Les enjeux de la réforme sont donc
d'éliminer le paupérisme tout en tutellant les pauvres par des
mesures visant à les protéger. Il faut donc intervenir dans le
champ économique pour ne pas compromettre la paix sociale. Il y a
donc un pragmatisme contre les ultra-libéraux qui ne veulent pas
d'intervention. Mais pragmatisme contre les ultras-royalistes aussi
puisque le progrès est inévitable bien qu'il lui faille des
encadrements. Villermé ne propose cette mesure qu'avec un extrême
dédain puisqu'elle serait une entrave aux entrepreuneurs. De
toute manière, ce tableau est mal reçu de la presse, notamment de
Le Chevalier qui en fait deux comptes
rendus très virulent. Il insiste sur le fait que la dégradation
ouvrière est avant tout une conséquence de la dégradation morale
des ouvriers et en aucun cas du monde du travail. Ainsi avec ces
travaux, on déni totalement les maladies liées au travail.
Les maladies
professionnelles selon Le Roux
sont présentes dans l'Académie de Médecine (1776), dans la Gazette
de la santé (1773) ou l'ouvrage de Ramazzini (1777). Mais mis entre
parenthèses avec la Révolution, elle ressort quelque peu sous la
Restauration avant d'être nié tout le long du XIX° siècle depuis
les années 1930. Il y a à cette période un effacement du corps
de l'ouvrier. On met en doute systématiquement du lien entre travail
et pathologies parce que cette réflexion est noyée dans une
argumentation complexe mêlant âge, sexe, conditions de vie,
nourriture, … Les conditions de vie seront l'argument des opposants
au lien entre travail et pathologies professionnelles, Villermé est
de ce camp. On veut donc tuteller une pauvreté qui à des causes
morales et en aucun cas, le travail n'est perçu comme étant
pathogène. La reconnaissance des maladies va disparaître et ne
réémergera que tardivement à la fin du XIX° siècle avec les
peintres peignant avec de la céruse.
L'échec de Villermé
est patent dans le monde des notables mais la volonté d'observations
sociales va aboutir à ce qu'il ne voulait pas, la remise en cause de
la société libérale, voire de certaines formes
d'industrialisation. Ainsi Étienne
Buret en 1840 dans Misères des classes laborieuses
en Angleterre et en France, dénonce la démarche de Villermé
et dont le but est de faire une critique d'ensemble de la société
industrielle et du libéralisme. Sa solution est néocorporatiste
avec une forte intervention de l'État. Seconde position contre
Villermé, Ledru-Rollin en
1844 va reprendre dans la presse et dans le contexte socialiste pour
contester une société de notables. On fait prendre à ces
observations de Villermé un rôle de contestations sociales,
économiques mais surtout politiques. Troisième opposition, Adolphe
Blanqui dans des classes ouvrières en France pendant
l'année 1848, paru en 1849. Blanqui réformiste veut proposer des
contre-feux aux critiques socialistes. Il veut réformer le système
libéral pour éviter les contestations sociales. Il va mettre au
point un questionnaire et innover par cette méthode. Mais son
enquête va susciter une immense polémique de la part du patronat
qui se sent attaqué et de la société des notables, puisque Blanqui
a pris en compte l'agriculture contrairement à Villermé. Blanqui
désavoué par l'Académie, ces observations seront reprises par les
socialiste pour dénoncer la situation de la classe ouvrière. Il
y a donc des nombreuses contradictions sur les regards portés sur le
travail. Contre les idéologies libérales, il apparaît qu'il
faut tuteller ce libéralisme et l'État devrait prendre des mesures
pour soutenir les plus faibles. Cette intervention progressive de
l'État est extrêmement lente et progressive, la première
mesure sera en 1841 sur le travail des enfants et s'en suivront
d'autres étapes : 1864, fin des coalitions ouvrières, 1890, fin de
l'obligation du livret ouvrier mais le contrat de travail devient un
contrat de subordination. Le monde du travail est un état
d'infiériorité et il doit être tuteller. 1898,
loi sur les accidents du travail (mines surtout, usines un peu) et
1910 premier code du
travail.
Je voudrais connaître la source des chiffres donner.
RépondreSupprimerVu que c'est des prises de note d'un CM de l'UPEMLV en L3 histoire : le prof est probablement la source XD après, qui est la sienne, c'est moins facile à dire.
RépondreSupprimerC'est malheureusement le jeu des CM, on note mais on ne sait pas forcément d'où ça vient (auteur ou livre, par contre on peut choisir de faire confiance au prof et à l'élève qui note XD)