vendredi 6 janvier 2012

Sociologie TIC : Séance 8 : Le micro-ordinateur.

Séance 8 - Le micro-ordinateur.
Sociologie de la famille et sociologie du genre.

Histoire du micro-ordinateur.

Terme de micro-ordinateur n'est plus utilisé aujourd'hui. A l'époque où sont apparus les machines que l'on appelle micro-ordinateur, le terme s'est imposé pour ne pas les confondre avec les ordinateurs qui prenaient la place d'une armoire, de l'informatique des gros systèmes.
En 1975, apparition de l'Altair, premier micro-ordinateur. La même année, création de Microsoft et apparition du Basic (langage de programmation). Le micro-ordinateur de l'époque impliquait d'écrire des instructions et des programmes. En 1976, mise au point de l'Apple et plus tard de l'entreprise.
Dans ces 70', l'atmosphère générale est d'un grand scepticisme. Personne, même les promoteurs de ces machines, n'imagine que cela va dépasser le cercle des informaticiens professionnels et des passionnés d'informatique. L'informatique des grands systèmes sont même cynique, IBM considère que c'est une régression, il refuse même le terme d'ordinateur pour qualifier ces machines. Ils vont être surpris par le succès commercial de ces machines.
Décollage du marché très rapide, très inattendu et qui ne pose plus de question en 1979. Toutes les entreprises d'informatique commence dans les 80' à mettre sur pied leurs propres produits.

Au début, ces micro-ordinateurs ne visent que la famille, ce ne sont pas des machines à vocation professionnelle, en cohérence avec leur très grande simplicité. Cela commence à changer au moment où le marché a définitivement décollé : on voit apparaître à la toute fin des 70' les premières applications et les premiers logiciels conçus pour ces machines mais dont l'utilisation est professionnelle. En 1979, on a le premier tableur nommé VisiCalc, pour l'Apple.
A partir de là, le micro-ordinateur entre dans le monde professionnel, cohabitant avec l'informatique des gros systèmes.
Au début des 80', les entreprises traditionnelles de l'informatique se lance elles aussi dans le micro-ordinateur. En 1981, IBM lance le Personnal Computer.

Au milieu des 80', on a clairement une différenciation qui s'est mise en place avec deux types très différent de micro-ordinateur. On a d'un coté le micro-ordinateur familial, qui est plutôt une machine simple à utiliser, assez bon marché (entre 600 et 4000 francs) et de l'autre des micro-ordinateurs destiné au monde professionnel (entre 5K et 60K francs). Le marché le plus important en valeur est le marché professionnel, il pèse 10 fois plus lourd.
Ces micro-ordinateurs étaient constitué d'un seul objet, mélangeant la tour et le clavier, il fallait brancher la chose sur une TV et utiliser un magnétophone à K7 pour sauvegarder des données.
THOMPSON sépare les activités de conception et de fabrication. D'un coté, les micro-ordinateurs professionnels développés et construit par la direction du matériel informatique et les ordinateurs familiaux mis en route par la direction des « produits bruns » (produit grand public). Les priorités ne sont pas les mêmes, les produits bruns ont comme priorité le prix, l'esthétique et les capacités techniques, dans cet ordre, alors que pour les micro-ordinateurs professionnels, l'esthétique et le prix ne sont pas pris en compte (ou très peu) dans le processus de développement.
Pour les logiciels, on voit aussi une scission : des logiciels professionnels comme des tableurs, des traitements de texte et des logiciels graphiques. Sur les machines familiales, les principales applications sont des jeux, avec une assez grande diversité.

Nous allons parler dans ce cours des micro-ordinateurs destinés à la famille. La dénomination qui reste à l'époque, c'est le « micro-ordinateur familial », l'objet est donc destiné à la famille. Cet objet est-il utilisé par l'ensemble de la famille ?
Les premières enquêtes ont répondu « non » à cette question, les utilisateurs étaient principalement des individus masculins. Assez vite, les psychologues et les sociologues se sont posés la question de cette sur-représentation des utilisateurs masculins. La plupart des premières explications tenaient de la psychologie sociale et de la psychanalyse. Beaucoup de scientifiques ont utilisé ce terrain pour faire des travaux sur le genre et l'un des premières est Sherry TURKLE.
Le dédoublement identitaire.

Dés 1984, elle publie the second self. L'une des grandes idées est que l'utilisateur d'un micro-ordinateur se retrouve dans une situation particulière où se met en place un dédoublement identitaire. Cela permettrait de développer une nouvelle identité.
L'idée de ces sociologues et psychologues, c'est que cet objet nouveau va prolonger des pratiques masculines qui sont déjà présentes et en place à partir d'objets techniques beaucoup plus anciens historiquement. Ce sont des pratiques que les hommes développent dés la petite enfance, qui accordent, beaucoup plus que pour les filles, de l'importance à la maîtrise de certains objets techniques comme la voiture, les outils de bricolage et les armes. Ce qui permet de développer ces approches et pratiques, c'est le jeu : avec le micro-ordinateur, les individus masculins vont construire des rapports aux objets développé à partir des jouets.
Il y a un jeu avec les objets techniques, qui implique d'y passer du temps : découvrir l'objet, le manipuler et s'efforcer de le maîtriser complètement. C'est ce rapport aux objets techniques qui serait intégrer dés l'enfance comme un attribut culturel du genre masculin. Les filles ne seraient pas incitées à développer un rapport de ce type avec les objets techniques.

L'usage individuel du micro-ordinateur et sa place dans le couple.

Au delà de ces différences entre homme et femme, comment le micro-ordinateur s'installe-t-il dans une famille, dans un « groupe domestique » ?

En France, les premières recherches sur ce sujet commencent au début des 80', les travaux les plus marquants sont réalisés par JOUËT et BOULLIER. Publié à partir de 1987, les travaux de JOUËT étaient à l'époque les plus approfondis.
L'usage du micro-ordinateur est profondément individuel. Chaque utilisateur a tendance à s'en servir seul mais aussi à sa propre façon. Il y a une individualisation et une personnalisation de l'usage qui toutefois n'exclus par l'accès aux autres membres du foyer. JOUËT s'est intéressé au cas des couples. Dans certains foyers, il n'y a qu'un seul utilisateur de l'ordinateur, c'est l'homme. Son enquête montre qu'il n'y a pas de soucis particulier chez ces hommes de se réserver un accès privilégier, c'est plutôt un désintérêt de la conjoint qui est invoqué comme facteur explicatif.
Le micro-ordinateur n'est pas un objet neutre, il est investit d'une charge symbolique et affective. C'est un objet considéré comme un objet à la pointe de la technologie, associé à une image de très haute technicité et de pouvoir. C'est l'époque où, dans les films de SF, l'ordinateur est une machine puissante qui peut échapper au contrôle de l'homme.
Stratégie de prosélytisme. Ce qui est explicité par les couples, c'est un usage qui est double. Dans ces cas là, ce double usage n'est pas symétrique, il y a très vite une répartition des rôles entre le partenaire masculin qui joue le rôle de tuteur, mettant en route l'apprentissage du conjoint. Quand ces tentatives se pérennisent, il y a un rapprochement qui se met en place autour de la machine, l'usage restant toutefois plutôt individuel.
C'est une machine qui s'intègre mieux dans la vie familiale alors qu'elle est utilisé alternativement : des stratégies sont mises en place pour éviter que la machine soit un élément perturbateur de la vie de couple. Il y a des négociations sur le temps autour de l'ordinateur, pour préserver les relations conjugales. Dans les enquêtes de JOUËT, la pratique de la femme se réparti entre un usage professionnel et domestique de l'ordinateur mais malgré tout, l'asymatrie se retrouve dans la quantité. La pratique masculine est bien plus importante en terme quantitatif, ce qui explique qu'il n'y ai pas de conflit (pratique plus faible des femmes, pas imposé mais dans les faits, pas de conflit pour l'utilisation).

La place du micro-ordinateur est bien circonscrite dans un système de valeur où l'attention que l'on accorde au conjoint va l'emporter sur la relation personnelle à la technologie. Par contraste avec cette première configuration, il y a en a d'autres où l'équilibre cède la place à des conflits. Il y a des foyers où il y a une concentration sur la programmation notamment. Il y a des cas où la machine est perçue comme une rivale par les femmes. Dans ces cas là, la solution trouvée à ces conflits est de tenter de convertir l'autre, faire partager sa passion à la femme. On cherche à amener son conjoint sur son propre terrain, dans son espace individuel, le but est de faire accepter des moments d'isolement dans la relation à la machine. C'est là que l'on peut parler de prosélytisme. Ce désir de faire accepter sa passion à l'autre, cela implique de transformer une hostilité en soutient. Cela prend parfois des formes assez coercitives : création d'un logiciel pour faire des menus, obligeant la femme à utiliser l'ordinateur pour obtenir sa liste de course. C'est un rapport de domination, l'informaticien tend de s'infiltrer dans un domaine réservé à sa femme, celui de la cuisine. Ces pratiques sont donc traversées par les problématiques du couple, le discours de l'homme reste assez ambivalent, entre un besoin de fusion de l'amour, des passions, des pratiques et de domination de la femme. Cette pratique n'est que très rarement couronné de succès, la femme se dérobe souvent à cette tentative de passion partagée.

La place que va prendre l'ordinateur au sein du couple va se prêter particulièrement bien à la sociologie du couple développée par des sociologues que SINGLY et KAUFMANN. SINGLY s'intéresse aux formes de relation familiale, KAUFMANN est plus centré sur le couple. C'est une sociologie qui s'intéresse au groupe familial comme deux individus différents, chacun ayant leur propre identité sexuée mais aussi leurs propres compétences pratiques. La construction quotidienne du couple va être composée d’incessantes négociations. Ce n'est pas une sociologie des rôles conjugaux, ces dernières considérant que les membres de la famille endossent des rôles prédéfinis, n'ayant alors pas à les négocier au quotidien.
Ce sont des négociations qui vont permettre d'articuler les territoires de chacun, des espaces, des temps, des activités et des objets dont certains vont être partagés et d'autres pas, certains seront individualisé et réservé à un des membres. Cette nouvelle sociologie du couple va beaucoup travailler sur les objets présent dans le domicile, constituant un bon analyseur. La recherche la plus exemplaire de ce point de vue là, c'est l'ouvrage de KAUFMANN la trame conjugal 1992, « analyse du couple par son linge ».
Dans les 90' et 2000', des travaux similaires ont été réalisé sur le micro-ordinateur par LE DOUARIN. Elle montre a quel point la famille contemporaine est traversée par des contradictions, il y a des évolutions historiques de très long terme (affaiblissement du patriarcat et modernisation des rôles familiaux qui, en principe, doivent conduire à une certaine égalisation des statuts homme/femme dans le couple) qui se heurtent à la permanence de configurations très anciennes s'ancrant dans des inégalités et des rapports de domination au sein de la famille.

La place du micro-ordinateur dans la famille et notamment les relations intergénérationnelles.

BOULLIER parle des relations intergénérationnelles et notamment de leur caractère genré. Comme on avait affaire à des machines assez simple, le micro-ordinateur se prètait à des manipulations par toute les classes d'âge. C'est un outil qui a une image d'éducation et d'éveil. Assez rapidement, les parents vont pousser les enfants à utiliser cette machine et même si l'appareil n'a pas été acheté pour ça, l'apprentissage de l'informatique par les enfants va toujours figurer comme objectif au minimum secondaire. Discours extasié des parents qui disent que leur enfant à une aisance naturelle avec des objets comme le micro-ordinateur, on commence à parler d'un clivage générationnel et historique entre des vieux croulants et des jeunes enfants.
Ce sont en réalité les jeux qui deviennent le principal usage des enfants assez agés et les jeunes adolescents. Le micro-ordinateur espéré par les parents comme un outil au service de l'éducation et de la scolarité devient plutôt un instrument ludique et défoulant, ce que certains parents regrettent. D'autres considèrent que les jeux rendent actifs la vie familiale, plus que la télévision, permettant la discussion et le partage dans la relation parentale. Cela prend le relais d'anciennes activités communes tombées en désuétude.
Cette conception des relations parentales est très genrée. Pour certaines mères, s'approprier de nouvelles machines permet de garder des relations avec leurs fils lorsqu'ils grandissent. L'arrivée du micro-ordinateur dans les familles a contribué assez fortement à renforcer les relations entre les pères et les fils, la configuration la plus courante étant un père se posant expert en informatique, le fils étant dans un rôle d'apprenti. Cela permet de poursuivre avec l'ordinateur une relation intergénérationnelle et genrée, une relation d'apprentissage, de transmission qui existait auparavant autour d'activités vécues comme profondément masculine (bricolage, mécanique, sport).

Les évolutions historiques depuis ces années là. Depuis les 80' jusqu'à aujourd'hui, il y a eut une très grande évolution des caractéristiques techniques des ordinateurs et de leur diffusion dans les foyers. Les usages des ordinateurs vont se complexifier puisque certaines configurations familiales d'usage qui était rare auparavant deviennent beaucoup plus importante.
Il y a des effets générationnels, les générations les plus jeunes font des progrès plus rapide en informatique que les générations plus agées, on voit des fils plus compétant en informatique que leurs pères. Le prix des ordinateurs a baissé et la technicité ont baissé également. La conséquence est une acquisition par des milieux sociaux qui ne possédaient pas d'ordinateur dans les 80'. L'ordinateur se banalise dans les classes moyennes et fait son apparition dans les classes populaires. Il y a donc des configurations beaucoup plus variées.

Article de JOUËT et PASQUIER « Les jeunes et l'écran » 1999, réseau.
Grand retentissement de l'enquête. Elle déploie une approche quantitative et couple cela a des observations ethnographiques et des entretiens semi-directifs. Cela ne portait pas que sur l'informatique mais sur les médias en général.
Parmi les grands résultats, on remarque les fortes différences selon les milieux sociaux notamment entre milieux favorisés A (économique), milieux favorisés B(culturel), les classes moyennes et les milieux défavorisés.
Dans les milieux défavorisés, la pratique de l'informatique est solitaire. Plus on descend la hiérarchie sociale, on remarque que les enfants sont moins nombreux à avoir un ordinateur chez eux mais en revanche, plus on descend, plus les enfants sont nombreux à avoir l'ordinateur dans leur propre chambre. Les parents d'origine populaire ont acheté l'ordinateur principalement pour leurs enfants, dans l'idée que cela allait améliorer leurs chances dans le monde scolaire et professionnel. Les parents qui ont pris cette décision sont atypique, sont très peu nombreux, dans les milieux populaires. Ils sont engagés dans une stratégie sociale ascendante. C'est un objet perçu comme moderne et éducatif, toutefois ils n'en sont pas utilisateur et surtout pas au travail. Au tout début, cet ordinateur est chargé d'un certain prestige social et pour cette raison, il est placé au sein de la maison dans une pièce vitrine, dans une pièce de séjour mais cet emplacement est très vite problématique : cela génère des interférences avec le visionnage de la télévision, faisant que l'ordinateur se retrouve rapidement dans une chambre. Dans les milieux favorisés, l'ordinateur est installé dans un bureau ou la chambre des parents, dans une pièce plutôt pour des activités individuelles. Les parents des milieux défavorisés ne voient pas l'intérêt de mettre l'ordinateur dans leur propre chambre, c'est donc l'ainé des garçons qui récupère l'ordinateur dans sa chambre. Tout cela s'inscrit dans des relations intergénérationnelles très différenciées. Dans les milieux défavorisés, l'apprentissage de l'ordinateur par l'enfant va être autodidacte : quand on pose la question « Qui est l'expert de la famille en info ? », le père est massivement désigné dans les milieux favorisés A et B alors plus on descend dans l'échelle sociale, plus l'enfant se désigne lui-même comme expert. De même, à la question « Est-ce que tu discutes d'info avec ton père ? », les réponses sont très inégales (50% pour les favorisés, 19% pour les défavorisés). Il y a toujours un décalage entre l'attente des parents de réussite sociale et la réalité des pratiques des enfants qui utilisent principalement l'ordinateur pour jouer.
Des jeunes adultes se passionnent pour l'informatique, se constituant un réseau social, des amis, qui ont la même passion. Dans les milieux favorisés, les pères jouent plus un rôle d'initiateur pour leurs enfants et sont eux-mêmes des grands utilisateurs de la machine. Dans les milieux favorisés, la machine n'est porteur d'aucun espoir de réussite, c'est une machine purement utilitaire et s'inscrit d'avantage dans une vie familiale collective que dans les milieux modestes.
Ces conclusions sont évolutives, et se modifient de façon très rapide. Notamment avec l'utilisation de l'informatique à l'école.

Les garçons parlent plus d'informatique avec leur père mais aussi avec leur mère que les filles. Le père est privilégié dans les discussions autour de l'informatique. Dans les milieux favorisés, cela permet au père d'endosser le rôle de l'expert. Cela produit un modèle paternel qui va faciliter l'identification des garçons au rôle paternel.
Les TIC sont un construit social qui va rencontrer cet autre construit social qui est le genre. Les représentations sociales des objets se mêlent à la représentation sociale des genres.

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