lundi 2 janvier 2012

Moderne 13 - 12

Précédemment : Moderne 07 - 12





  1. La jurisprudence des Prud'hommes : un droit de travail établi puis oublié ?

A. Création, composition et compétences

Créés sous l'Empire en 1806, ces tribunaux spéciaux sont au départ propres à la ville de Lyon. Pour régler les conflits internes à la fabrique lyonnaise de textile, il va vite s'étendre aux autres villes avec les décrets de 1809 et 1810. De 1806 à 1814, 32 conseils poussent en France, dans les grandes villes manufacturières. Ce tribunal spécialisé est établi pour régler les litiges entre les différents acteurs et concernant la plupart des domaines.
Ces tribunaux sont composés de marchands-fabricants, de chefs d'atelier, de contremaîtres, … De nombreux métiers patentés mais ne comprenant pas au départ de simples ouvriers. Ce jugement en première instance est définitif si les amendes infligées sont inférieures à 100F, ils ont un pouvoir de contrôle, d'inspection des manufactures, une compétence pénale de première instance limitée aux peines de trois jours maximum. Au départ dans les industries textiles, cela s'étend vite aux autres branches et à l'ensemble de l'artisanat. Ces tribunaux fonctionnent très vite et ont un relatif succès. Le code civil qui ne prévoit que la relation entre employé et employeur, est ainsi esquivé.
Le nombre d'affaires jugées par ces conseils sont très limités, 3% seulement, le reste des affaires portés devant les prud'hommes sont en général conciliés, parfois devant les maîtres des prud'hommes. Le succès de ces institutions est très rapide. Une jurisprudence propre aux prud'hommes s'établit et c'est autour de cela que les historiens débattent.

B. Un droit des ouvriers ?

Alain Cottereau dans Droit et bon droit : un droit des ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France, XIX° siècle), estime qu'il existe un droit des ouvriers fondé sur le louage d'ouvrage précisé dans le code civil (13 articles). Les engagements de l'ouvrier auraient avec leur patron un contrat de type « louage d'industrie », ce qui implique une relation conventionnelle mais égalitaire et consensuelle. Dans ce type d'engagement au marché, deux partenaires s'engagent de cette manière ce qui reflète l'autonomie réelle du monde du travail de la première industrialisation.

Le juriste Ernest Glasson définit en 1886, la relation salariale comme relation de subordination. Cette idée toujours dominante dans notre société évince toute la juridiction des prud'hommes sur les termes égalitaire. Il réfère le contrat de travail au contrat de louage de service caractéristiques des journaliers et des domestiques. Dans ce cas on est bien dans une relation de subordination. Mais cela se définit dans le cadre des lois du travail qui pousse l'État à devoir protégé les ouvriers.

L'article de Cottereau est très contesté, il insiste sur l'autonomie des acteurs de la première industrialisation ce que contestent les autres historiens avec les livrets ouvriers de la même époque par exemple. Il y a des marges d'autonomie préservée mais la discipline est sans cesse plus importante dans les fabriques.





Travail et industrialisation jusqu'aux années 1840


Peu de changements dans l'agriculture, la pêche, la domesticité et l'artisanat. Les changements sont surtout dans le domaine industriel. La Révolution Française a consolidé la paysannerie, notamment la plus aisée qui a su profité de l'abolition des droits féodaux et de la vente des biens nationaux. Les transferts de propriétés étant bien moindre que ce qu'on avait envisagé. D'autre part, celle-ci a maintenu la petite paysannerie. La Révolution fut donc conservatrice des structures anciennes via une préservation des droits collectifs. Elle aurait donc surtout freinée deux mouvements qui se développèrent lentement la concentration des terres et ???. Une large population paysanne reste sur les terres et sera intéressée par le deuxième âge de la proto-industrie.


  1. Des notions désormais contestées : révolution industrielle et retard français

  1. Un retard français ?

Cette idée toujours présente illustre une vision canonique de l'historiographie française. Les inventions mécaniques anglaises aurait donné la primauté de la révolution technicienne à l'Angleterre au XVIII° siècle. Elle se serait transportée avec retard en France. Cela débute avec la navette volante de John Kay en 1733 (date de dépôt du brevet, comme les autres dates qui suivent). Ces dates ne sont pas toujours prises par les inventeurs et souvent la machine existe depuis longtemps voire était déjà utilisé dans l'industrie. C'est le cas de cette machine volante qui accélère le filage des tisseurs bien qu'elle fut contestée et utilisée tardivement. La navette est suivie de la spinning-jenny de ??? en ???. Viennent les machines actionnées à l'eau avec la water-frame de Richard Arkwright en 1769 qui permettent des métiers à filer plus rapides et efficaces. Enfin vient la Mule-Jenny de Crompton en 1779 qui s'actionne à la vapeur. La machine à vapeur de Watt et Boulton en 1784 y est pour quelque chose. Avec le brevet, ces innovations techniques sont mises en place et entraîne des changements radicaux dans les formes de concentration dans les usines. Mais il faut des investissements de capital, d'où la notion de take off de Rostow en 1960 puisqu'on a doublé par deux la productivité des investissements.

On dit que ce take-off ne prit pas place en France en pleine Révolution politique quand l'Angleterre est en Révolution industrielle. Remise en cause dés les années 1970, Patrick O'Brien et Patrick Keider étudiant le « PIB » des deux pays à la fin du XVIII° siècle, ils étaient très peu différents. Commence alors la grande divergence entre l'Europe et la Chine, mais qui à l'époque était encore équivalent. La notion de take off, de rupture industrielle est contestée par cette thèse de la continuité.

  1. Rupture ou continuité ?

Tout les historiens qui remettent en cause le retard français insistent sur le fait que les innovations anglaises sont portées par tout le continent par la grande mobilité des hommes, des machines, des innovations et des idées. L'Angleterre n'aurait pu développer ces machines sans l'irrigation continu des ingénieurs du continent. Lemire et Berg insistent sur le fait que ces innovations techniques sont un phénomène européen et non anglais. La machine à vapeur, l'idée de se servir de la force de l'eau bouillante est déjà présente dans l'antiquité, au XVII° siècle avec des tentatives italiennes pour faire mouvoir des véhicules, Allemands, Français et Flamands feront des expériences dessus à leur tour. La machine à vapeur arrive plutôt in fine en Angleterre. Elle sert surtout à évacuer l'eau des mines puisque celle-ci dispose de l'énergie sur place. En prenant toutes les innovations techniques, c'est un long processus de mise en place avec de multiples innovations parfois d'individus connus, d'autres inconnus.

On a aussi insisté sur les spécificités anglaises qui illustrent le fait que le pays avait un intérêt plus rentable dans cette machine. Le pays relativement déboisé, l'énergie hydraulique limitée, … La vapeur via le charbon rendait la machine rentable plus qu'ailleurs en Europe, malgré les coûts d'investissements élevés.
Pomeranz réinsère la notion de rupture puisque l'avantage différentielle de l'Angleterre que de disposer de mines de charbon à coût faible, facilement extrayable, proche des manufactures et qui lui donne sur la Chine un avantage important. D'où un avantage dans son développement industriel.

  1. Révolution technique ou augmentation du facteur travail ?

Ce récit d'une Révolution industrielle met l'accent sur le rôle fondamental de ces inventions techniques dans le processus de la Révolution Industrielle. Cela fut aussi remis en cause dans les années 1970. Est ce que ce développement vient des nouvelles techniques ou est-ce plutôt l'augmentation du temps de travail des individus à cette époque ? Voth tenta de mesurer les deux dans Time and work in England, 1760 – 1830. Cet ouvrage parut en 2000 s'appuie sur des archives judiciaire pour reconstruire les emplois du temps des ouvriers. Par cette analyse quantitative, il prend trois périodes chronologiques et regarde l'évolution sur les trois dates. A ces yeux, il arrive à l'estimation du nombre d'heures annuelles travaillées passant de 2 700 heures de travail par an en 1760 à 3 500 en 1830. Le facteur travail semble bien plus important dans la première industrialisation que le facteur technique. D'autant plus que les machines tombent en panne, marchent mal, …
Voth appuie la thèse de De Vries sur la « révolution industrieuse », qui désigne par opposition à la Révolution Industrielle à l'accroissement de la quantité de travail en Occident dés 1650 à ses yeux. Cette augmentation du volume de travail se fait non pas tant dans l'allongement de la journée de travail mais surtout par le nombre de jours travaillés dans l'année. Il y a une réduction des jours de fêtes chômés qui se réduisent drastiquement surtout en 1804 avec 4 jours chômés en plus des dimanches sur un accord entre Église en Empire. Mais les dimanches étaient-ils vraiment jour de repos, rien n'est moins sur.
Des débats ont malgré tout lieu. Pour que la Révolution est lieu, il semble qu'il lui faille un désir de consommation qui explique le fait que les gens travaillent plus. Il y a donc mise au travail volontaire des familles européennes. La seconde explication insiste surtout sur les contraintes avec les salaires réels qui se dégradent. La baisse des salaires empêchent l'achat alimentaire ce qui pousse les gens à devoir travailler plus. Le débat reste ouvert.


  1. Les caractères originaux de l'industrialisation en France

Souligné dés les années 1970, on bannit la notion de retard français. On parle plutôt sur le continent d'un pluralisme industriel. Woronoff ou ??? soulignent la coexistence de formes de productions variées à la campagne, en ville ou dans les usines.

  1. Le maintien et le dynamisme de l'artisanat

Dans l'enquête de 1860 à Paris, il y a 100 000 petits patrons dont 31 000 emploient de 2 à 10 ouvriers, le petit ateliers reste très majoritaires quand 62 000 petits patrons n'en emploient aucun. Ce maintien d'un artisanat vivace est lié à l'importance d'un secteur du luxe dans la capitale, mais pas seulement. La structure artisanale n'est pas incompatible avec l'introduction de certaines mécaniques (scieurs de Lyon, coupeuses de poils de la Chapellerie, …). Il y a un maintien de la structure artisanale et introduction de nouvelles techniques pour les phases les moins qualifiées. Le recensement de 1851 montre que les personnes employées dans la petite industrie et l'artisanat sont au nombre de 4,7 millions en France et 1,3 millions pour les manufactures. Il n'y a pas le cas particulier de Paris, cela est général.

La structure reste longtemps caractérisée par ce que Jonathan Jetlin a nommé la spécialisation flexible, la capacité d'adaptation constante des ouvriers. Cela prend corps aussi dans la tournerie de Saint-Claude en Franche-Comté où après l'échec de l'industrialisation on est revenu à un domaine artisanal. Cela se constate aussi dans les arts de la terre, (briqueterie, tuilerie, …) où de petits ateliers se développent, ateliers ruraux, périurbains avec le chef de famille, sa famille et quelques ouvriers. Leur clientèle reste circonscrite dans un rayon assez limité.
De nouveaux secteurs vont être touchés. En particulier ceux de la confection. Ce domaine se développe à partir de la première moitié du XIX° siècle et connaît un essor avec de nouvelles formes de ventes : les Grands Magasins (Belle Jardinière, 1837 ; Bon Marché, 1852 ; Magasins du Louvre, 1855 ; Samaritaine, 1869 ; …) qui vendent des habits non faits sur mesure mais de type « prêt à porter ». On a des tailles standards qui apparaissent avec des coupes des patrons mais où le montage se fait dans un artisanat alentour et disséminé avec des femmes surtout. Cela va prendre son essor avec la machine à coudre. Dans les usines, on trouve le travail le plus standardisé avec les vêtements militaires, les ateliers artisanaux vont plutôt se spécialiser dans les confections de qualité et de luxe.

  1. Le second âge de la proto-industrie

C'est l'expression de Terrier, cette proto-industrialisation a servi de support à ??? dans l'industrie textile notamment. Il y a des formes de coexistence variées avec l'alliance d'une mécanisation progressive de textile (coton, laine peignée, laine cardée, …). Mi-XIX° siècle, ce secteur est très largement mécanisé. Parallèlement, il y a un phénomène de ruralisation du tissage, les ateliers mécaniques sont peu rentables, peu fiables et incapables de s'adapter rapidement à la diversité des productions. C'est ce qu'expliquent les grands industriels qui par flexibilité préfèrent ne pas avoir des machines contraignantes. On a 2 500 métiers à bras en 1837, 7 000 en 1855. Pareil à Roubaix, la Manchester française qui jusque vers 1870 utilisait massivement les métiers à bras. La souplesse est développée dans ce système avec des embauches accrues en période de croissance, cela évite les grands regroupements et les conflits du travail aussi.

On assiste à un renfoncement de la subordination des proto-ouvriers dans les campagnes avec l'arrivée de contremaîtres qui imposent des règles et une discipline du travail. C'est le cas de Richard Lenoir, un cotonnier qui implantent dans le monde Picard des contremaîtres pour ses travailleurs.
Qui dit ruralisation ne dit pas forcément concentration, où l'on a un nouveau type de métiers mécaniques qui se diffusent à la campagne. Ce phénomène de maintien et de renforcement de la proto-industrie se voit beaucoup à Lyon comme une « proto-industrialisation décalée » selon Cayez, avec un quart des métiers hors de Lyon ce qui est peu par rapport à d'autres. Ce mouvement de ruralisation finit par aboutir en 1830 à la moitié des métiers à tisser à la main hors de la ville. En 1877, 25 000 métiers de la Grande fabrique de Lyon, malgré un changement géographique, sont dans l'Isère.

Ce phénomène d'accroissement de la proto-industrie se voit en-dehors du textile comme par exemple dans la coutellerie de Thiers qui va elle aussi s'amplifier par une ruralisation accrue avec 5 000 personnes hors de la ville en 1827, 15 000 à 18 000 à la fin du XIX° siècle. Ce second âge de la proto-industrialisation est donc très dynamique et ne freine pas l'industrialisation français.

  1. La Grande Industrie

Cette Grande Industrie est encore un phénomène minoritaire jusque dans la seconde moitié du XIX° siècle. Entre vapeur et charbon, l'énergie hydraulique est la première énergie de la première industrialisation. (2/3 à 3 /4 du total). Celle-ci est peu couteuse, peu polluante et renouvelable. A côté de celle-ci on trouve l'énergie du bois mais qui se raréfie. La sidérurgie du bois connaît son plus haut niveau en 1856. Ce sont les deux énergies les plus répandues et utilisées.

On voit cependant apparaître le développement de la vapeur qui quadruple son rendement entre 1833 et 1847 passant de 15 m chevaux vapeur à 60 m vapeur. Cinq départements utilisent 52% de cette énergie.
Parallèlement se développe le charbon avec l'exploitation de mines dés le XVIII° siècle. Son augmentation se fait surtout dans la première moitié du XIX° siècle passant de 941 000 de tonnes à 18, 8 millions en 1880. La croissance du développement charbonnier semble plus importante en France qu'en Angleterre, plus visible encore après 1840. Des bassins se développent dés le XVIII° siècle autour de la Loire et dans le Nord. Ils produisent les deux tiers de la production nationale. En 1847, on découvre des gisements dans le Pas de calais suivis d'autres régions (Gard, Nivernais, …) même si le Pas de calais devient le plus important et le plus symbolique. Les industries voulant réduire les coûts de transport s'implantent donc dans ces zones proches de bassins de houille.

Il y a donc une mécanisation dans le textile notamment le coton avec une croissance des machines de plus en plus performante avec une vitesse de rotation des broches de 3 000 à 70 000 tours par minutes. La production annuelle d'une broche passe de 10 kilos à 18 kilos. Dans la laine, idem sous l'Empire, cela augmente, mais ce n'est que dans les années 1830 ou 1840.
Hors du textile, la mécanisation prend son essor dans la papèterie avec la machine à fabriquer le papier en très grande longueur grâce à Robert en 1799. La machine qui prend place en Eure et Loir en 1815 va s'étendre dans les années 1820.

Enfin cette mécanisation lance une construction mécanique avec un entrepreneur célèbre de l'époque, Koechlin. Il est entrepreneur en mécanique de toute sorte, la spécialisation n'est pas nécessaire à l'époque. Ces machines vont s'installer dans de nouveaux bâtiments, bien que cela reste à relativiser puisqu'il y a réutilisation de vieux couvents ou de vieilles églises. Toujours est-il qu'on constate une rationalisation de l'espace comme dans les manufactures proto-indutrielles. Cette organisation rationnelle de l'espace sera organisée autour de l'énergie (hydraulique, à vapeur, …). On cherche à minimiser les transports dans cet espace pour qu'il y ait le moins de transports possibles. C'est le cas de l'usine de fabrication d'orgues d'Ivry où l'ensemble des matières premières arrivent à l'Ouest et progressivement sont montées et assemblées dans des pièces différentes en se dirigeant vers l'Est de l'usine avant d'être exposées à l'Est de l'usine.
Il y a donc deux modèles : le modèle textile avec des édifices en hauteur et sur des étages, de grandes constructions verticales avec beaucoup de fenêtres pour la lumière, structures massives au plan géométrique classique dés le XVIII° siècle ; le modèle industriel plus cloué au sol et plus en longueur. Les nouveaux matériaux de construction étant les briques et le fer, même si le bois n'est pas facilement remplacé. Les prix de revient sont donc élevés (200 000 F pour une industrie textile en 1840) avec une professionnalisation de cette construction d'usine. On a donc un métier de construction d'usine qui combine le métier d'architecte (construction du bâtiment) et d'ingénieur (organisation de l'espace). Les premiers traités de ce métier et les traités de théorie d'organisation de l'espace apparaissant sur le tard. Il faut une organisation rationnelle de l'espace mais aussi développer une police de la main d'œuvre pour assurer avant tout la ponctualité des ouvriers, quitte à en virer quelques uns. Il faut aussi séparer les sexes pour éviter les désagréments moraux. A cela, il faut développer le travail payé non pas au temps, mais à la pièce ce qui devrait accroître la production.


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