- La jurisprudence des Prud'hommes : un droit de travail établi puis oublié ?
A.
Création, composition et compétences
Créés
sous l'Empire en 1806, ces tribunaux spéciaux sont au départ
propres à la ville de Lyon. Pour régler les conflits internes à la
fabrique lyonnaise de textile, il va vite s'étendre aux autres
villes avec les décrets de 1809 et 1810. De 1806 à 1814, 32
conseils poussent en France, dans les grandes villes manufacturières.
Ce tribunal spécialisé est établi pour régler les litiges entre
les différents acteurs et concernant la plupart des domaines.
Ces
tribunaux sont composés de marchands-fabricants, de chefs d'atelier,
de contremaîtres, … De nombreux métiers patentés mais ne
comprenant pas au départ de simples ouvriers. Ce jugement en
première instance est définitif si les amendes infligées sont
inférieures à 100F, ils ont un pouvoir de contrôle, d'inspection
des manufactures, une compétence pénale de première instance
limitée aux peines de trois jours maximum. Au départ dans les
industries textiles, cela s'étend vite aux autres branches et à
l'ensemble de l'artisanat. Ces tribunaux fonctionnent très vite
et ont un relatif succès. Le code civil qui ne prévoit que la
relation entre employé et employeur, est ainsi esquivé.
Le
nombre d'affaires jugées par ces conseils sont très limités, 3%
seulement, le reste des affaires portés devant les prud'hommes sont
en général conciliés, parfois devant les maîtres des
prud'hommes. Le succès de ces institutions est très rapide. Une
jurisprudence propre aux prud'hommes s'établit et c'est autour de
cela que les historiens débattent.
B.
Un droit des ouvriers ?
Alain
Cottereau dans Droit et bon droit : un droit des
ouvriers instauré, puis évincé par le droit du travail (France,
XIX° siècle), estime qu'il existe un droit des ouvriers
fondé sur le louage d'ouvrage précisé dans le code civil (13
articles). Les engagements de l'ouvrier auraient avec leur patron un
contrat de type « louage d'industrie », ce qui implique une
relation conventionnelle mais égalitaire et consensuelle. Dans
ce type d'engagement au marché, deux partenaires s'engagent de cette
manière ce qui reflète l'autonomie réelle du monde du travail de
la première industrialisation.
Le
juriste Ernest Glasson
définit en 1886, la relation salariale comme relation de
subordination. Cette idée toujours dominante dans notre société
évince toute la juridiction des prud'hommes sur les termes
égalitaire. Il réfère le contrat de travail au contrat de
louage de service caractéristiques des journaliers et des
domestiques. Dans ce cas on est bien dans une relation de
subordination. Mais cela se définit dans le cadre des lois du
travail qui pousse l'État à devoir protégé les ouvriers.
L'article de Cottereau
est très contesté, il insiste sur l'autonomie des acteurs de la
première industrialisation ce que contestent les autres historiens
avec les livrets ouvriers de la même époque par exemple. Il y a des
marges d'autonomie préservée mais la discipline est sans cesse plus
importante dans les fabriques.
Travail
et industrialisation jusqu'aux années 1840
Peu de changements dans
l'agriculture, la pêche, la domesticité et l'artisanat. Les
changements sont surtout dans le domaine industriel. La Révolution
Française a consolidé la paysannerie, notamment la plus aisée
qui a su profité de l'abolition des droits féodaux et de la vente
des biens nationaux. Les transferts de propriétés étant bien
moindre que ce qu'on avait envisagé. D'autre part, celle-ci a
maintenu la petite paysannerie. La Révolution fut donc conservatrice
des structures anciennes via une préservation des droits collectifs.
Elle aurait donc surtout freinée deux mouvements qui se
développèrent lentement la concentration des terres et ???. Une
large population paysanne reste sur les terres et sera intéressée
par le deuxième âge de la proto-industrie.
- Des notions désormais contestées : révolution industrielle et retard français
- Un retard français ?
Cette idée toujours
présente illustre une vision canonique de l'historiographie
française. Les inventions mécaniques anglaises aurait donné la
primauté de la révolution technicienne à l'Angleterre au XVIII°
siècle. Elle se serait transportée avec retard en France. Cela
débute avec la navette volante de John Kay
en 1733 (date de dépôt du brevet,
comme les autres dates qui suivent). Ces dates ne sont pas toujours
prises par les inventeurs et souvent la machine existe depuis
longtemps voire était déjà utilisé dans l'industrie. C'est le cas
de cette machine volante qui accélère le filage des tisseurs bien
qu'elle fut contestée et utilisée tardivement. La navette est
suivie de la spinning-jenny de ??? en ???. Viennent les
machines actionnées à l'eau avec la water-frame de Richard
Arkwright en 1769 qui permettent
des métiers à filer plus rapides et efficaces. Enfin vient la
Mule-Jenny de Crompton en 1779
qui s'actionne à la vapeur. La machine à vapeur de Watt
et Boulton en 1784
y est pour quelque chose. Avec le brevet, ces innovations
techniques sont mises en place et entraîne des changements radicaux
dans les formes de concentration dans les usines. Mais il faut des
investissements de capital, d'où la notion de take off
de Rostow en 1960
puisqu'on a doublé par deux la productivité des investissements.
On dit que ce take-off
ne prit pas place en France en pleine Révolution politique quand
l'Angleterre est en Révolution industrielle. Remise en cause dés
les années 1970, Patrick O'Brien
et Patrick Keider étudiant
le « PIB » des deux pays à la fin du XVIII° siècle,
ils étaient très peu différents. Commence alors la grande
divergence entre l'Europe et la Chine, mais qui à l'époque était
encore équivalent. La notion de take off, de
rupture industrielle est contestée par cette thèse de la
continuité.
- Rupture ou continuité ?
Tout les historiens
qui remettent en cause le retard français insistent sur le fait que
les innovations anglaises sont portées par tout le continent par la
grande mobilité des hommes, des machines, des innovations et des
idées. L'Angleterre n'aurait pu développer ces machines sans
l'irrigation continu des ingénieurs du continent. Lemire
et Berg insistent sur le fait que ces
innovations techniques sont un phénomène européen et non anglais.
La machine à vapeur, l'idée de se servir de la force de l'eau
bouillante est déjà présente dans l'antiquité, au XVII° siècle
avec des tentatives italiennes pour faire mouvoir des véhicules,
Allemands, Français et Flamands feront des expériences dessus à
leur tour. La machine à vapeur arrive plutôt in fine en
Angleterre. Elle sert surtout à évacuer l'eau des mines puisque
celle-ci dispose de l'énergie sur place. En prenant toutes les
innovations techniques, c'est un long processus de mise en place avec
de multiples innovations parfois d'individus connus, d'autres
inconnus.
On a aussi insisté
sur les spécificités anglaises qui illustrent le fait que le pays
avait un intérêt plus rentable dans cette machine. Le pays
relativement déboisé, l'énergie hydraulique limitée, … La
vapeur via le charbon rendait la machine rentable plus qu'ailleurs en
Europe, malgré les coûts d'investissements élevés.
Pomeranz
réinsère la notion de rupture puisque l'avantage différentielle de
l'Angleterre que de disposer de mines de charbon à coût faible,
facilement extrayable, proche des manufactures et qui lui donne sur
la Chine un avantage important. D'où un avantage dans son
développement industriel.
- Révolution technique ou augmentation du facteur travail ?
Ce récit d'une
Révolution industrielle met l'accent sur le rôle fondamental de ces
inventions techniques dans le processus de la Révolution
Industrielle. Cela fut aussi remis en cause dans les années 1970.
Est ce que ce développement vient des nouvelles techniques ou est-ce
plutôt l'augmentation du temps de travail des individus à cette
époque ? Voth tenta de
mesurer les deux dans Time and work in England, 1760 –
1830. Cet ouvrage parut en 2000 s'appuie sur des archives
judiciaire pour reconstruire les emplois du temps des ouvriers. Par
cette analyse quantitative, il prend trois périodes chronologiques
et regarde l'évolution sur les trois dates. A ces yeux, il arrive à
l'estimation du nombre d'heures annuelles travaillées passant de 2
700 heures de travail par an en 1760 à 3 500 en 1830. Le facteur
travail semble bien plus important dans la première
industrialisation que le facteur technique. D'autant plus que les
machines tombent en panne, marchent mal, …
Voth appuie la thèse
de De Vries sur la
« révolution industrieuse », qui désigne par opposition
à la Révolution Industrielle à l'accroissement de la quantité de
travail en Occident dés 1650 à ses yeux. Cette augmentation du
volume de travail se fait non pas tant dans l'allongement de la
journée de travail mais surtout par le nombre de jours travaillés
dans l'année. Il y a une réduction des jours de fêtes chômés
qui se réduisent drastiquement surtout en 1804 avec 4 jours chômés
en plus des dimanches sur un accord entre Église en Empire. Mais les
dimanches étaient-ils vraiment jour de repos, rien n'est moins sur.
Des débats ont malgré
tout lieu. Pour que la Révolution est lieu, il semble qu'il lui
faille un désir de consommation qui explique le fait que les gens
travaillent plus. Il y a donc mise au travail volontaire des familles
européennes. La seconde explication insiste surtout sur les
contraintes avec les salaires réels qui se dégradent. La baisse
des salaires empêchent l'achat alimentaire ce qui pousse les gens à
devoir travailler plus. Le débat reste ouvert.
- Les caractères originaux de l'industrialisation en France
Souligné dés les
années 1970, on bannit la notion de retard français. On parle
plutôt sur le continent d'un pluralisme industriel. Woronoff ou
??? soulignent la coexistence de formes de productions variées à la
campagne, en ville ou dans les usines.
- Le maintien et le dynamisme de l'artisanat
Dans l'enquête de 1860 à
Paris, il y a 100 000 petits patrons dont 31 000 emploient de 2 à 10
ouvriers, le petit ateliers reste très majoritaires quand 62 000
petits patrons n'en emploient aucun. Ce maintien d'un artisanat
vivace est lié à l'importance d'un secteur du luxe dans la
capitale, mais pas seulement. La structure artisanale n'est pas
incompatible avec l'introduction de certaines mécaniques
(scieurs de Lyon, coupeuses de poils de la Chapellerie, …). Il y a
un maintien de la structure artisanale et introduction de
nouvelles techniques pour les phases les moins qualifiées. Le
recensement de 1851 montre que les personnes employées dans la
petite industrie et l'artisanat sont au nombre de 4,7 millions en
France et 1,3 millions pour les manufactures. Il n'y a pas le cas
particulier de Paris, cela est général.
La structure reste
longtemps caractérisée par ce que Jonathan
Jetlin a nommé la spécialisation flexible, la
capacité d'adaptation constante des ouvriers. Cela prend corps
aussi dans la tournerie de Saint-Claude en Franche-Comté où après
l'échec de l'industrialisation on est revenu à un domaine
artisanal. Cela se constate aussi dans les arts de la terre,
(briqueterie, tuilerie, …) où de petits ateliers se développent,
ateliers ruraux, périurbains avec le chef de famille, sa famille et
quelques ouvriers. Leur clientèle reste circonscrite dans un rayon
assez limité.
De nouveaux secteurs
vont être touchés. En particulier ceux de la confection. Ce domaine
se développe à partir de la première moitié du XIX° siècle et
connaît un essor avec de nouvelles formes de ventes : les Grands
Magasins (Belle Jardinière, 1837 ; Bon Marché, 1852 ; Magasins
du Louvre, 1855 ; Samaritaine, 1869 ; …) qui vendent des habits non
faits sur mesure mais de type « prêt à porter ». On
a des tailles standards qui apparaissent avec des coupes des patrons
mais où le montage se fait dans un artisanat alentour et disséminé
avec des femmes surtout. Cela va prendre son essor avec la machine à
coudre. Dans les usines, on trouve le travail le plus standardisé
avec les vêtements militaires, les ateliers artisanaux vont plutôt
se spécialiser dans les confections de qualité et de luxe.
- Le second âge de la proto-industrie
C'est l'expression de
Terrier, cette
proto-industrialisation a servi de support à ??? dans l'industrie
textile notamment. Il y a des formes de coexistence variées avec
l'alliance d'une mécanisation progressive de textile (coton, laine
peignée, laine cardée, …). Mi-XIX° siècle, ce secteur est très
largement mécanisé. Parallèlement, il y a un phénomène de
ruralisation du tissage, les ateliers mécaniques sont peu
rentables, peu fiables et incapables de s'adapter rapidement à la
diversité des productions. C'est ce qu'expliquent les grands
industriels qui par flexibilité préfèrent ne pas avoir des
machines contraignantes. On a 2 500 métiers à bras en 1837, 7
000 en 1855. Pareil à Roubaix, la Manchester française qui jusque
vers 1870 utilisait massivement les métiers à bras. La souplesse
est développée dans ce système avec des embauches accrues en
période de croissance, cela évite les grands regroupements et les
conflits du travail aussi.
On assiste à un
renfoncement de la subordination des proto-ouvriers dans les
campagnes avec l'arrivée de contremaîtres qui imposent des règles
et une discipline du travail. C'est le cas de Richard Lenoir, un
cotonnier qui implantent dans le monde Picard des contremaîtres pour
ses travailleurs.
Qui dit ruralisation
ne dit pas forcément concentration, où l'on a un nouveau type de
métiers mécaniques qui se diffusent à la campagne. Ce
phénomène de maintien et de renforcement de la proto-industrie se
voit beaucoup à Lyon comme une « proto-industrialisation
décalée » selon Cayez, avec un
quart des métiers hors de Lyon ce qui est peu par rapport à
d'autres. Ce mouvement de ruralisation finit par aboutir en 1830 à
la moitié des métiers à tisser à la main hors de la ville. En
1877, 25 000 métiers de la Grande fabrique de Lyon, malgré un
changement géographique, sont dans l'Isère.
Ce phénomène
d'accroissement de la proto-industrie se voit en-dehors du textile
comme par exemple dans la coutellerie de Thiers qui va elle aussi
s'amplifier par une ruralisation accrue avec 5 000 personnes hors
de la ville en 1827, 15 000 à 18 000 à la fin du XIX° siècle. Ce
second âge de la proto-industrialisation est donc très dynamique et
ne freine pas l'industrialisation français.
- La Grande Industrie
Cette Grande Industrie
est encore un phénomène minoritaire jusque dans la seconde moitié
du XIX° siècle. Entre vapeur et charbon, l'énergie hydraulique est
la première énergie de la première industrialisation. (2/3 à 3 /4
du total). Celle-ci est peu couteuse, peu polluante et renouvelable.
A côté de celle-ci on trouve l'énergie du bois mais qui se
raréfie. La sidérurgie du bois connaît son plus haut niveau en
1856. Ce sont les deux
énergies les plus répandues et utilisées.
On voit cependant
apparaître le développement de la vapeur qui quadruple son
rendement entre 1833 et
1847 passant de 15 m chevaux
vapeur à 60 m vapeur. Cinq départements utilisent 52% de cette
énergie.
Parallèlement se
développe le charbon avec l'exploitation de mines dés le XVIII°
siècle. Son augmentation se fait surtout dans la
première moitié du XIX° siècle passant de 941 000 de tonnes à
18, 8 millions en 1880. La croissance du développement
charbonnier semble plus importante en France qu'en Angleterre,
plus visible encore après 1840. Des bassins se développent dés le
XVIII° siècle autour de la Loire et dans le Nord. Ils produisent
les deux tiers de la production nationale. En 1847, on découvre des
gisements dans le Pas de calais suivis d'autres régions (Gard,
Nivernais, …) même si le Pas de calais devient le plus important
et le plus symbolique. Les industries voulant réduire les coûts
de transport s'implantent donc dans ces zones proches de bassins de
houille.
Il y a donc une
mécanisation dans le textile notamment le coton avec une croissance
des machines de plus en plus performante avec une vitesse de rotation
des broches de 3 000 à 70 000 tours par minutes. La production
annuelle d'une broche passe de 10 kilos à 18 kilos. Dans la laine,
idem sous l'Empire, cela augmente, mais ce n'est que dans les années
1830 ou 1840.
Hors du textile, la
mécanisation prend son essor dans la papèterie avec la machine à
fabriquer le papier en très grande longueur grâce à Robert
en 1799. La machine qui prend place en Eure et Loir en 1815 va
s'étendre dans les années 1820.
Enfin cette
mécanisation lance une construction mécanique avec un entrepreneur
célèbre de l'époque, Koechlin.
Il est entrepreneur en mécanique de toute sorte, la spécialisation
n'est pas nécessaire à l'époque. Ces machines vont s'installer
dans de nouveaux bâtiments, bien que cela reste à relativiser
puisqu'il y a réutilisation de vieux couvents ou de vieilles
églises. Toujours est-il qu'on constate une rationalisation de
l'espace comme dans les manufactures proto-indutrielles. Cette
organisation rationnelle de l'espace sera organisée autour de
l'énergie (hydraulique, à vapeur, …). On cherche à minimiser
les transports dans cet espace pour qu'il y ait le moins de
transports possibles. C'est le cas de l'usine de fabrication d'orgues
d'Ivry où l'ensemble des matières premières arrivent à l'Ouest et
progressivement sont montées et assemblées dans des pièces
différentes en se dirigeant vers l'Est de l'usine avant d'être
exposées à l'Est de l'usine.
Il y a donc deux
modèles : le modèle textile avec des édifices en hauteur et
sur des étages, de grandes constructions verticales avec beaucoup de
fenêtres pour la lumière, structures massives au plan géométrique
classique dés le XVIII° siècle ; le modèle industriel plus
cloué au sol et plus en longueur. Les nouveaux matériaux de
construction étant les briques et le fer, même si le bois n'est pas
facilement remplacé. Les prix de revient sont donc élevés
(200 000 F pour une industrie textile en 1840) avec une
professionnalisation de cette construction d'usine. On a donc un
métier de construction d'usine qui combine le métier d'architecte
(construction du bâtiment) et d'ingénieur (organisation de
l'espace). Les premiers traités de ce métier et les traités de
théorie d'organisation de l'espace apparaissant sur le tard. Il
faut une organisation rationnelle de l'espace mais aussi développer
une police de la main d'œuvre pour assurer avant tout la ponctualité
des ouvriers, quitte à en virer quelques uns. Il faut aussi séparer
les sexes pour éviter les désagréments moraux. A cela, il faut
développer le travail payé non pas au temps, mais à la pièce ce
qui devrait accroître la production.
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