mardi 27 septembre 2011

Premier chapitre d'historie médiévale.

Espace et territoires dans l'Occident médiéval. XI-XVe siècle.

Chapitre 1 : Introduction.

Débat sur espace et territoire : clarification sur les termes chez les historiens, cela a aussi permis de mieux comprendre l'usage fait de ces notions au MA.

I- A quoi renvoi exactement les termes d'espace et de territoire pour les chercheurs ?

A- L'espace : quand la recherche transforme progressivement la définition d'un concept/

Donné lieu à un grand nombre de débat entre chercheurs. Les travaux sur l'espace ont été l'objet de deux grands moments de mode chez les chercheurs : les historiens et les géographes, milieux proches mais travaillant en général séparément.
D'abord, les géographes a partir des 70' puis 80' pour les historiens. Ces moments ont permis aux chercheurs de se confronter et de mieux définir l'espace, cela a changé la conception de celui-ci.

Courant de la nouvelle géographie dans les 60' : Roger BRUNET (l'espace géographique), Christian GRATALOUP (espaces temps) et Henri LEFEBVRE (Espace et société) ont produit de nouvelles revues scientifiques de géographie : idée que la géographie devaiet desormais avoir pour principal objet d'étude l'espace conçu comme une création humaine → toute société produit un espace qui lui est propre, qui est organisé, dont une partie est visible (habitat, route, paysage) et dont une autre est invisible que les chercheurs doivent faire apparaître (les polarités, les flux de déplacement de population journaliers ou sur le long terme).
Ce qui est révolutionnaire est de travailler sur l'espace comme création de la société. La géographie a dut se séparer d'un nombre d'idée important au XXe siècle : « l'espace est d'abord une réalité physique et naturel sur laquelle venait agir dans un second temps l'homme. ».

Deux grands courants : (fin XIX/XX)
la géographie déterministe : le milieu naturel fixe des contraintes fortes au milieu de l'homme, que les hommes ne pouvaient surmonter (montagne, désert, etc.).
le « possibilisme » (appelé comme cela a posteriori) fondé par Pau VIDAL DE LA BLACHE (fondateur de « l'école de la géographie française »). Il n'y a jamais de contrainte qui soit insurmontable a 100%, le développement de la société n'est pas déterminé par la nature. Ex de la Suisse et des montagnes.
=> Dans les deux, il y a l'idée que la nature prime, elle est présente avant tout. Dans un cursus de géographie, on devait d'abord travailler sur la géographie physique avant de pouvoir faire de la géographie humaine.

On a maintenant l'idée que la société organise un espace en même temps qu'elle s'organise elle-même. On ne peut plus dissocier la géographie humaine et physique car l'un influe sur l'autre. Les nouveaux géographes des 80' ont fait un boom de la recherche, ils ont été desservis par leur goût pour la théorie.
L'idée maîtresse que l'espace est le produit de la société est restée importante en géographie de nos jours.

Les historiens ont utilisé la géographie mais ils n'ont pas compris le travail des géographes donc ils ont eux-mêmes travaillés dessus. Ils travaillaient jusque dans les année 2000 sur la nature comme prédominante à la société.
C'est MORSEL (voir la bibliographie) qui a amené l'idée en histoire de l'appropriation du territoire. Il a expliqué que beaucoup d'historien ne comprenait pas la notion de l'espace. Ils parlaient d'espace comme construction de la société, c'est répétitif car l'espace est TOUJOURS produit par la société, c'est sa définition. Chaque société produit un espace qui lui est propre : c'est un phénomène culturel. D'une société a l'autre, on n'utilise pas les mêmes concepts pour décrire l'espace. L'espace est consubstantiel à la société → on ne peut pas dire que la société s'organise puis organise son espace, les deux sont fait à la fois. Ce sont les pratiques sociales qui explique l'organisation de l'espace dans une société : si l'un change, l'autre aussi.

Les historiens avaient aussi du mal a comprendre la notion de territoire.

B- L'introduction de la notion de territoire.

A partir des 90', les géographes introduisent la notion de territoire.
Jusque dans les années 80, le terme de territoire était utilisé dans le cadre de politique d'aménagement du territoire, c'était un concept d'urbanisme et de haut fonctionnaire. Dans les 80', les géographes se sont mis à utilisé cette notion dans leur travaux à la place de la notion d'espace.
Le « territoire » de Claude RAFFESTIN (pour une géographie du pouvoir) : espace sur lequel on a projeté du travail, soit de l'énergie et de l'information », « c'est un territoire investi par les signes culturels d'une société ».
Le problème c'est que le territoire peut devenir n'importe quoi : toute action de n'importe qui, chaque action social produit un territoire. De plus, si le territoire est ce qui est crée par une action sociale dans l'espace, cela signifie que l'espace préexiste à la société. Cette définition est une régression conceptuelle par rapport à la géographie des 70'.

Cela a produit des problèmes, des dissensions chez les géographes, ceux qui gardent la définition première et les autres qui acceptent la nouvelle, ainsi que chez les historiens qui ne comprenaient pas le changement.
Consensus : l'espace est une zone indéfinie et potentiellement infinie alors qu'un territoire est toujours un espace délimité (peut être plus ou moins net, mais toujours borné). (les territoires du médiéviste utilise cette définition comme amorce).

A partir de cette version de la définition, ce sont les historiens qui ont sortis les géographes de l'impasse méthodologique, avec l'aide des sociologues, en partant de l'étymologie de territoire : le territorium, notion juridique qui veut dire effrayer/terroriser = ce terme était définit dans le Digeste (recueil des grands textes du droit civil romain par ordre Justinien en 529) comme « totalité des terres à l'intérieur des limites d'une cité, à l'intérieur de ces limites les magistrats urbain ont le droit d'appliquer la terreur, leur pouvoir, leur autorité ».
Ces limites sont fixés par l'exercice d'un pouvoir. Les historiens ont voulut utiliser cette étymologie pour garder le terme de territoire en utilisant l'ouvrage de Max WEBER, économie et société, « le territoire est l'espace de projection d'une institution ». Ce n'est pas n'importe quelle activité sociale qui crée un territoire, c'est l'action d'une institution (pouvoir qui tente de maîtriser celui-ci en le parcourant, le subdivisant ou en y installant des officiers, etc.).
Reprise par MAZEL, l'espace du diocèse. Genèse d'un territoire dans l'Occident médiéval (Ve-XIIIe siècle), Rennes, 2008.

C'est ce genre de discussion qui font apparaître des thématiques concrètes : ici, la construction des territoires (et non pas de l'espace, ce qui ne veut rien dire). En France, c'est à partir des 90' que les historiens ont commencé à travailler sur la construction des territoires. On peut aussi s'interroger sur l'évolution des territoires : une paroisse produit-elle un territoire durant tout le moyen-âge ? Risque d'anachronisme lorsque l'on utilise la notion de territoire à l'aveugle : des hommes d'église devaient inventer des territoires et arriver à le transformer en réalité sociale, pour que le territoire soit reconnus par les gens. Analyse des réussites et des échecs.

II- Les difficultés de l'approche de l'espace et des territoires médiévaux.

Application de ces concepts sur le monde médiéval.

A- L'espace médiéval existe, mais il est différent du nôtre.

GUERREAU s'est penché sur le vocabulaire de l'espace au MA (voir articles dans la bibliographie).
Il a fait remarquer qu'il n'existait pas en latin de mot pour définir comme nous le faisons le terme « espace ». Le terme de spatium désigne seulement une distance, un intervalle entre deux chose. D'un point de vue théorique, les médiévaux pensent plus les réalités spatiales à partir du mot locus qui renvoi à un point précis dans l'espace : l'espace médiéval serait une agrégation de lieux importants séparés les uns des autres par une certaine distance.

Des historiens ont dit à partir de ces travaux qu'il n'y avait pas d'espace médiéval, ce que GUERREAU a contredit : « dans l'Europe féodal,n l'espace n'était pas conçu comme continu et homogène, mais comme discontinu et hétérogène, en ce sens qu'il était à chaque endroit polarisé (certains points étant valorisés, sacralisés, par rapport à d’autres perçus – à partir des premiers et en relation avec eux- comme négatifs). Une multitude de processus et de marqueurs sociaux était à l’œuvre pour singulariser chaque point et s'opposer à toute possibilité d’équivalence ou de permutation ».
Espace fortement discontinu jusqu'à la création des territoires : on avait plutôt un espace polarisé qui faisait que les lieux se différenciaient les uns des autres plutôt que de se rapprocher. Les lieux n'étaient pas interchangeable.

Il n'y avait pas de territoire au début du MA alors qu'il y avait des termes qui, pour nous, renvoi à des territoires : ils n'ont pas le même sens qu'aujourd'hui.
La commune médiévale est une association d’habitants qui se constituent en personne morale et obtienne une délégation de pouvoirs plus ou moins grande des souverains et des seigneurs. Pour un homme du MA, ce n'est donc pas un territoire.
La viguerie (vicaria en latin) est le ressort d'un officier de justice (en général comtal). Tous les hommes qui sont sous la juridiction du compte relèvent de cette viguerie et de son viguier, où qu'il habitent, ce n'est donc pas un territoire ou une circonscription administrative. La viguerie renvoi avant tout à des hommes : ce sont les hommes sous la juridiction du compte, soumis au viguier au service du compte. Ce sont des liens personnels.

De plus, la plupart des gens au MA ne disposent pas d'une visualisation de l'espace : notre façon de se représenter le monde ne tient pas. Même sur un espace restreint, ils ignorent la disposition de l'espace, c'est un espace vécu et discontinu.
De plus, l'espace est relativement fixe dans notre représentation, le village a un toponyme et l'on pense que le lieu ne se déplace pas : un village peut être abandonner, la population recrée un village plus loin en lui redonnant le nom du village disparu : mobilité des toponymes. C'est un problème pour les chercheurs, il est difficile de mettre en rapport des lieux et des textes. L'archéologie est alors difficilement interprétable, selon ces difficultés : avant, on pensait que les tombes trouvées à l’extérieur du village était celles des marginaux alors qu'avant le cimetière n'était pas à l'intérieur du village, avant le VIIIe siècle il y avait de nombreuses modalités de mise en terre.

Avec ces différences, on peut se demander ce que l'on peut faire avec les termes des sources médiévales.

B- Que faire des mots de l'espace médiéval ?

Les historiens sont d'accord pour dire que c'est à partir d'une multitude de travaux sur le vocabulaire médiéval que l'on peut mieux comprendre la société médiévale dans sa réalité spatiale.
Cela n’empêche pas les querelles, notamment à partir d'un ouvrage de GUERREAU (L'avenir d'un passé incertain. Quelle histoire du moyen Age au XXIe siècle, 2001).
Dés la couverture, il y a une enluminure où est écrit « Ceci est ou n'es pas une vigne ? » où le dessin ne représente pas les vignes que nous avons de nos jours, l'organisation de l'espace n'est pas la même. GUERREAU explique même lorsque l'on comprend l'écart en le paysage de la vigne actuel et médiéval, il y a quand même une difficulté de compréhension. Pour les médiévaux, la vigne n'a pas la même importance : elle produit le vin que l'on transforme en sang du Christ, lors de l’eucharistie. Offrir une vigne est un geste symbolique important, cela permet à un monastère de faire l’eucharistie par lui même, c'est plus important que de donner une maison.
Ces remarques sont importantes mais il ne faut pas tout prendre au pied de la lettre, certains historiens ont voulu bannir le mot «vigne » pour parler de « vinea ». Il ne faut jamais oublier que le latin est, pour les médiévaux, une langue de traduction car ils ne parlent pas en latin mais en langue vulgaire, ils traduisent leurs propos pour les mettre par écrit.

Les mots sont aussi polysémiques en latin. Il faut donc s'en méfier lorsque l'on interprète des sources : le sens évolue durant le MA en plus d'être multiple.
Villa : mot qui désigne au départ un grand domaine. Il donne le terme français village. Au cours du MA, il commence à la fois à désigner ce que nous appelons un village, tout en continuant à désigner des grands domaines.
Castrum : mot qui en français a donné le « château ». Au MA, c'est d'abord un village fortifié (d'où les noms de village en Châteauneuf, Châteaurenard) mais aussi dans certains texte le château au sens le bâtiment.
C'est le contexte et le croisement des sources qui permet de trancher entre les différents sens. Il faut aussi penser que le mot peut avoir un sens différent selon la région, il peut y avoir des variances dans l'utilisation d'un terme à une certaine époque. Il vaut mieux alors travailler sur une documentation homogène et restreinte, entre zone géographique et origine sociale de l'auteur.

Article de Laurent SCHNEIDER inclus dans les territoires du médiéviste, Rennes, 2005.
Etude de deux cartulaires : celui de Saint-Sauveur de Gellone et celui de Saint-Sauveur d'Aniane.
Un cartulaire est une copie de tous les actes importants d'une institution, c'est donc important d'arriver à localiser les biens qui appartiennent aux différents monastères.
Est-ce que l'on localisait les biens de la même façon ? Non, même pour localiser un même bien.

Entre 950 et 1000 : 97% des chartes produites localisaient un bien en utilisant le terme de pagus (territoire controlé par une cité épiscopale). Tel bien dans le pagus de XXX. On n'utilisais jamais le terme de comitatus, alors qu'il y avait un grand nombre de comte : les comptes existent mais leur pouvoir n'est pas perçu comme s'exerçant sur un espace donné mais plutôt sur des hommes/
A partir de la fin du Ixe siècle, on localise les bien à partir de la suburbium castri, ce qui désigne des biens très éparpillés dépendant d'un castrum (le castrum n'est donc pas un territoire). L'espace autour du château est donc un ensemble de biens précis dépendant d'un château et non pas un territoire. C'est un monde de pôles.
Entre 1000 et 1050 il y a l'explosion du terme comitatus. Apparaît aussi le terme d'episcopatus (un diocèse, dominé par un évêque). Ces pouvoirs s'exercent donc dans un espace, qui est en train de se construire en territoire.
Au XIIe siècle, tous les termes précédant ont reculé à l'avantage du terme castrum. Il y a tellement de châteaux qui se sont développés, et comme chacun commence à posséder un territoire particulier bien délimité, que c'est devenu le terme le plus pratique pour localiser un bien.

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